M I-2 modalité

Transcription

M I-2 modalité
2 La modalité
« Parler de modalités, sans plus de précision,
c’est s’exposer à de graves malentendus. »
A. Meunier, « Modalités et communication »,
1974, p. 8.
« De modalibus non disputat asinus. »
L'articulation théorique entre temporalité et modalité est, en linguistique, une nécessité
reconnue1. Il faut, pour la rendre opératoire dans une perspective de calcul sémantique,
disposer – outre d'un modèle de la temporalité – d'un modèle global de la modalité (qui ne se
limite donc pas à l'analyse des verbes modaux). Or la voie est particulièrement difficile à
tracer entre le réductionnisme logique (i.e. la volonté de réduire les diverses formes de
modalités linguistiques aux quelques opérateurs modaux de la logique modale – dont la
sémantique est définie de façon vériconditionnelle dans la théorie des mondes possibles) et
l'éclatement classificatoire de certaines approches linguistiques purement descriptives, qui
distinguent autant de modalités qu'il existe de marqueurs d'appréciation dans une langue
donnée2. Nous proposons ici l'esquisse3 d'un modèle global des modalités linguistiques qui
tente d'éviter à la fois ces deux écueils : un modèle proprement linguistique qui soit
suffisamment explicite et rigoureux pour être interprétable par des modèles logiques (dans
une perspective d'extraction automatique d'information, par exemple4), mais qui ne cède
jamais au réductionnisme (qui n'impose en aucun cas de négliger des différences
linguistiques).
2.1 Définition : la modalité comme phénomène complexe
Le concept de modalité, dans son acception « large », recouvre toute forme de
validation/invalidation5 d’un « contenu représenté » (pour reprendre l’expression de Ch.
1
Cf., par exemple, N. Le Querler (1996), pp. 13-33.
2 Cf. C. Vetters (2001) : « Si le désordre qui y règne et la prolifération de notions et de catégories a fait que
certains traitent l'aspect comme une catégorie poubelle, que faut-il dire alors du domaine de la modalité ? (...)
Bref, la situation y est peut-être encore plus catastrophique que dans le domaine aspectuel.. » Et cette situation
n'est nullement propre à la linguistique française; elle est générale. Pour le domaine anglo-saxon, cf.
l'introduction de F. de Haan (1997) et surtout G. Lampert et M. Lampert (2000), p. 107 sq.
3
Ce modèle est présenté en détail, et argumenté dans Gosselin (en préparation).
4
La sémantique des mondes possibles « classique » n'est peut-être pas la mieux adaptée, dans cette perspective;
cf. Cl. Beyssade (1994).
5
Nous cherchons à éviter la définition, traditionnelle en linguistique, de la modalité comme expression de
l'attitude du locuteur vis à vis de ce qu'il exprime, car elle nous paraît à la fois trop large (comment distinguer
dans ces conditions la modalité de l'aspect ou des actes illocutoires expressifs ?) et trop étroite, car elle ne
concerne à proprement parler que les modalités subjectives (épistémiques et appréciatives). Pour une critique
détaillée de cette définition classique, cf. Lampert et Lampert (2000), pp. 112-113. On se gardera par ailleurs de
Bally6. Selon cette définition générale toute proposition énoncée se trouve donc affectée d’une
modalité plus ou moins déterminée7 (bien qu'une conception réductrice des relations entre
morphologie et sémantique conduise nombre d'auteurs à ne considérer comme modalisées que
les propositions comportant un marqueur spécifiquement et exclusivement destiné à exprimer
la modalité8). Dans le champ linguistique, la modalité à prendre en compte est celle qui est
affichée par l'énoncé. Ainsi dire « il pleut », c'est présenter une proposition comme
objectivement vraie au moment où elle est énoncée (i.e. comme vraie indépendamment du fait
qu’un individu la considère comme telle) – même si l'on sait par ailleurs (en fonction de
considérations non linguistiques) que ce jugement est fondé sur une croyance ou sur une
perception du sujet qui l'énonce.
Prise dans son acception « large », la modalité apparaît comme un phénomène complexe et
hétérogène, qui ne peut être décrit qu’au moyen d’un ensemble de paramètres. Présentons
maintenant l’esquisse globale de ces paramètres au moyen d’un exemple :
(1) Luc a probablement raté son train
On accorde communément que le contenu propositionnel [Luc a raté son train] est
présenté sous la modalité épitémique du probable. Si l’on essaie d’identifier les paramètres
constitutifs de la modalité et les valeurs qu’ils prennent dans cette exemple, on peut dire, de
façon encore absolument informelle, que la proposition est présentée comme une vérité
subjective (modalité épistémique) correspondant à un certain degré de croyance (le probable),
que cette modalité possède certaines caractéristiques syntaxiques (elle ne peut être niée ou
interrogée : *Luc n’a pas probablement raté son train/*Luc a-t-il probablement raté son
train ?) et logiques (elle porte sur la proposition [Luc a raté son train]), qu’elle implique un
degré d’engagement du locuteur, qu’elle entretient certaines relations temporelles avec
l’énonciation et avec le contenu sur lequel elle porte (une glose de ces relations serait du
type : probableti ptj ; ti = t0, tj < ti), que ce jugement est vraisemblablement fondé sur une
inférence (que la modalité est donc relative à un ensemble de prémisses), et enfin qu’elle est
explicitement marquée au moyen de l’adverbe probablement
confondre l'instance de validation, qui fonde la modalité, avec la source de l'information, qui relève de la
problématique de « l'évidentialité », quoique ces deux phénomènes entretiennent des liens très étroits et qu'il soit
parfois difficile de les distinguer (voir des énoncés comme « d'après Paul, Marie est la plus belle »). Cf. P.
Dendale et L. Tasmowski, éds (1994).
6
Cf. Bally (1932) et le commentaire de A. Meunier (1974), pp. 9-10.
7
Cf. H. Kronning (1996), pp. 37 (n. 111) et 42.
8
Pour une critique de cette attitude, cf. ci-dessous, § 3.1.
On admettra que cet ensemble de caractéristiques, au moins partiellement indépendantes
les unes des autres, correspond à un ensemble de valeurs prises par chacun des paramètres
constitutifs de la modalité linguistique.
Reprenons la description de l’exemple (3). On rendra compte du fait qu’il s’agit d’une
vérité subjective au moyen de deux paramètres : l’instance de validation (I), représentée ici
par le sujet, et la direction d’ajustement (D), qui indique par son orientation (l’énoncé
s’ajuste au monde) qu’il s’agit d’un jugement (exprimant une sorte de vérité et non une
volonté ou une obligation). Le degré de croyance correspond à la valeur que prend le
paramètre de la force (F) de la validation (en l’occurrence, le probable, qui s’oppose aussi
bien au certain qu’au douteux ou à l’exclu). Les caractéristiques syntaxiques et logiques
seront prises en charge respectivement par un paramètre spécifiant le niveau (N) occupé par
la modalité dans la hiérarchie syntaxique de la phrase, et par un autre qui en indique la portée
(P) dans la structure logique de l’énoncé. Le degré d’engagement (E) du locuteur, les
relations temporelles (T), ainsi que la relativité (R) de la modalité par rapport à un
ensemble de prémisses se laissent représenter au moyen de trois paramètres que l’on peut
qualifier « d’énonciatifs », au sens où ils précisent chacun une relation de la modalité à un
élément essentiel de la situation d’énonciation : le locuteur, le temps et le contexte discursif.
Enfin, c’est un paramètre d’un statut tout particulier, puisqu’il qualifie la façon dont la valeur
de certains autres paramètres a été obtenue (en ce sens, il s’agit d’un « métaparamètre ») qui
représente ici le fait que cette modalité épistémique est explicitement marquée au moyen de
l’adverbe probablement. Il faut insister sur le fait que le type de marquage (M) a aussi une
valeur proprement sémantique (et doit donc être tenu pour un des éléments constitutifs de la
modalité) dans la mesure où il détermine son caractère univoque ou non, annulable ou non
(seules les modalités obtenues par inférence étant annulables).
On obtient ainsi trois grands ensembles de paramètres :
1) Les paramètres conceptuels (I,D,F) permettent de définir un concept modal (le certain, le
possible, le nécessaire, l’obligatoire, le désirable, le blâmable, etc.) indépendamment de
son instanciation dans un énoncé particulier. Dans le cadre de l’identification d’un concept
modal, I et D peuvent être considérés comme génériques, car ils permettent de définir une
« catégorie modale » (l’aléthique, l’épistémique, le boulique, l’axiologique …), tandis que
F, qui sert à préciser une « valeur modale » pour une catégorie donnée (l’aléthique
nécessaire, possible, contingent …, l’épistémique certain, probable, contestable …, le
déontique permis, interdit, facultatif …), sera tenu pour spécifique.
2) Les paramètres fonctionnels précisent le mode de fonctionnement du concept modal dans
l’énoncé. Ils se répartissent en deux groupes : structuraux (syntaxique (N) et logique (P))
et énonciatifs (E,T, R). Les paramètres structuraux indiquent la position de la modalité
dans les structures syntaxique et logique de l’énoncé. Les paramètres énonciatifs expriment
– on vient de le voir – les relations de la modalités aux différents composants de
l’énonciation : le locuteur, le temps et le contexte discursif.
3) Enfin une classe à part est réservée au métaparamètre (M), qui indique par quelle voie les
valeurs des autres paramètres ont été calculées.
Soit, résumé par un tableau, l’ensemble organisé des neuf paramètres qui nous nous
ont paru nécessaires et suffisants pour décrire l’ensemble des modalités linguistiques (au
moins pour le français) :
fig. 1
Paramètres constitutifs de la modalité
paramètres
conceptuels
génériques
I
D
paramètres
fonctionnels
spécifiques
F
structuraux
N
I : instance de validation
P
métaparamètre
énonciatifs
E
R
T
M
E : degré d’engagement du locuteur
D : direction d’ajustement (monde/énoncé) R : relativité de la modalité
F : force de la validation
T : relation à la temporalité
N : niveau dans la structure syntaxique
M : type de marquage de la modalité
P : portée dans la structure logique
Nous pouvons désormais présenter de façon un peu détaillée, quoique informelle9, la
constitution et le rôle de chacun de ces paramètres.
2.2 Les paramètres conceptuels
2.2.1 L'instance de validation
On peut opposer trois types d'instances de validation10 :
1) La réalité elle-même, lorsque le locuteur fait abstraction de son propre point de vue :
modalités « aléthiques » ou « ontiques », de la vérité objective (ex. : la terre est ronde;
un triangle a nécessairement trois côtés)11. La réalité étant entendue ici en un sens postkantien, comme désignant le réel tel qu'il est appréhendé par l'intermédiaire de systèmes
conceptuels, la modalité aléthique va concerner aussi bien les vérités a priori, logiques
et définitionnelles (propositions analytiques directement liées au système conceptuel
mis en oeuvre; ex. : « Une planète est un corps qui tourne autour d'une étoile »), que les
vérités a posteriori, qui correspondent à des faits (cette distinction recouvre l'opposition
entre modalités logiques et modalités physiques chez Reichenbach). Cette double nature
de la réalité (à la fois conceptuelle et réelle) se manifeste tout particulièrement dans
l'emploi d'adverbes « de point de vue »12 comme « chimiquement », « physiquement »,
« historiquement » ..., paraphrasables par « du point de vue de la chimie » ..., qui
autorisent des énoncés manifestant des points de vue opposés, quoique également
(présentés comme) objectifs (ex. : « Syntaxiquement cette phrase est bien formée, mais
sémantiquement elle ne l'est pas »).
2) Le sujet qui exprime une croyance (modalités « épistémiques ») ou un désir (modalités
« appréciatives » et modalités « bouliques »). Dans le premier cas, l'énoncé exprime un
« jugement de réalité », évaluable objectivement, mais présenté, en l'occurrence, comme
un contenu de savoir ou de croyance (ex. : certainement que Paul mesure plus de deux
mètres). À l'inverse, avec les modalités « appréciatives », il s'agit de « jugements de
valeur » (ex. : cette soupe est bonne), qui ne seraient susceptibles d'aucune validation
objective; enfin, les modalités « bouliques » (ou « boulestiques ») permettent au sujet
d'exprimer sa volonté (ex. : Je veux/souhaite qu'il vienne).
9 Nous proposons une modélisation de ces neuf paramètres dans le cadre du métamodèle des espaces
conceptuels de Gärdenfors (2000) dans Gosselin (en préparation).
10
Ce principe de classement est très largement inspiré de D. Slakta (1983).
11
Insistons sur le fait que cette définition n'implique nul « objectivisme » philosophique, car il s'agit de
modalités présentées par l'énoncé.
12
Cf. C. Molinier (1984), et V. Lenepveu (1990), p. 114 sq.
Que le sujet soit pris comme source de croyances ou de désirs , on peut, à la suite de
Berrendonner (1981), considérer qu'il s'agit tantôt de tel sujet particulier, participant ou
non de la conversation (JE, TU, IL), tantôt de l'opinion commune (ON), tant il est vrai
que la subjectivité ne peut être identifiée à l'individualité (si l'argumentation et la
persuasion sont possibles, c'est bien parce qu'il existe de la subjectivité collective). On
opposera, de ce point de vue, « Cette soupe est bonne », comme modalité appréciative
relevant d'une subjectivité collective (ON-désirable), à « Je trouve que cette soupe est
bonne », comme modalité appréciative associée à une subjectivité individuelle (JEdésirable).
3) Une instance institutionnelle (la justice, la morale, etc.) : modalités « déontiques », de
l'obligation et de la permission (ex. : il faut que tu sortes immédiatement), et modalités
« axiologiques », du louable et du blâmable (ex. : c'est vraiment bien de ta part de lui
avoir prêté de l'argent.).
Remarques :
1) Ce classement dissocie radicalement deux types de jugements de valeur, correspondant
respectivement aux modalités appréciatives et axiologiques, en leur attribuant des
instances de validation différentes (le sujet, une institution). L'un des arguments
linguistiques qui sous-tend cette distinction (qui pourrait paraître philosophiquement
contestable) repose sur une différence de fonctionnement de ces modalités lorsqu'elles
sont enchâssées dans un contexte épistémique du type :
(2a) Je crois que ce pays est beau/laid
(2b) Je crois que ce plat est bon/mauvais
(2c) Je crois que c'est bien/mal d'avoir agi ainsi.
Dans la situation de communication la plus plausible, les énoncés (2a et b) supposent
que le locuteur n'a pu évaluer directement et personnellement la propriété attribuée à
l'objet dont il est question, tandis que (2c) n'implique rien de tel (le locuteur se présente
simplement comme incapable d'évaluer avec certitude la validité du jugement de valeur
qu'il exprime). Cette différence s'explique si l'on admet que l'incertitude indiquée par je
crois que impose la dissociation des instances de validation et que celle-ci s'opère
naturellement dans (2c) (le sujet évalue un jugement moral, i.e. dû à une institution
morale), tandis qu'elle ne peut se réaliser dans (2a et b) qu'à la condition de supposer
que le sujet n'est pas lui-même l'instance de validation du jugement de valeur (il peut
s'agir, par exemple, d'un jugement qui lui a été rapporté; ex. : Je crois que ce film est
intéressant).
2) D'un point de vue philosophique, on pourrait aussi bien ramener toutes les modalités à a)
de l'objectif, car le sujet comme les institutions appartiennent au réel, b) du subjectif, car
c'est toujours le sujet-locuteur qui s'exprime et qui s'engage par son dire, c) de
l'institutionnel, puisqu'il n'est de sujet que par et pour des institutions, le réel n'étant luimême appréhendé que par l'intermédiaire des formations discursives institutionnelles
(cf. Althusser, Foucault). Rappelons simplement que nous essayons de tenir ici une
position proprement linguistique : la modalité retenue est celle que présente l'énoncé,
même si elle ne correspond pas à un et un seul marqueur.
2.2.2 La direction d'ajustement
On remarque qu'avec les modalités aléthiques, épistémiques, appréciatives et axiologiques, la
« direction d'ajustement » (au sens de Searle13) va de l'énoncé au monde (l'énoncé est censé se
conformer au monde objectif ou au monde tel qu'il est perçu ou pensé par le sujet14; la
direction est notée « ↓ »), alors qu'elle s'inverse avec les modalités déontiques et bouliques
(c'est le monde qui doit se conformer à l'énoncé : « ↑ »15). C'est pourquoi ces dernières
concernent l'obligation et la volition et non plus la vérité (comme adéquation du discours au
monde). Cette différence de direction d'ajustement a des conséquences directes sur les
relations entre temporalité et modalité. Si la proposition concernée est non générique (au sens
temporel), la direction d'ajustement « ↑ » implique que le procès qu'elle exprime soit situé
dans le futur, ou , plus exactement, dans l'ultérieur par rapport à un point de repère (et donc
dans le possible; voir ci-dessous, §3), tandis que la direction « ↓ » s'accommode des trois
orientations temporelles. On peut ainsi distinguer clairement les modalités bouliques (ex. : je
souhaite qu'il pleuve) des modalités appréciatives (ex. : heureusement qu'il a plu),
quoiqu'elles concernent également le désir du sujet : les premières ne peuvent affecter que les
procès futurs, encore dans le domaine du possible (elles expriment la volition, le désir) alors
que les secondes ne connaissent nulle restriction temporelle et expriment, sous diverses
formes, la satisfaction/insatisfaction du sujet, et donc le caractère [± désirable] du procès
décrit. La même distinction (d'ordre temporel) vaut pour les modalités déontiques et
axiologiques.
Ce concept de direction d’ajustement est emprunté à la pragmatique des actes de langage
de J. Searle (1979/82, p. 41 sq.), qui l’avait lui-même construit à partir des réflexions d’E.
Anscombe sur la philosophie de l’action, et qui a ensuite proposé de l’étendre à l’ensemble
des états intentionnels (cf. Searle 1983/85, pp. 22-24), dans le champ de la philosophie de
13
Cf. J.R. Searle (1982), chap. I. On se gardera cependant de confondre la modalité avec la force illocutoire,
concepts qui appartiennent à deux niveaux d'analyse nettement distincts, respectivement sémantique et
pragmatique. Cf. H. Kronning (1996), pp. 87-89.
14
Le type de monde concerné (objectif ou subjectif) est évidemment déterminé par le choix de l'instance de
validation, en fonction de contraintes que nous ne pouvons détailler ici.
15
Kronning (1996) distingue respectivement l'univers d'actualité et l'univers d'idéalité (pp. 35-36).
l’esprit. Dans son domaine d’origine, ce paramètre est susceptible de prendre deux valeurs
fondamentales : ou l’énoncé s’ajuste au monde (dont il propose une description), ou c’est le
monde qui est censé s’ajuster à l’énoncé (qui prend une valeur injonctive). Son introduction
dans le champ de la sémantique des modalités permet, dans un premier temps, d’isoler les
modalités bouliques et déontiques, qui présentent l’état du monde exprimé par le contenu de
l’énoncé comme devant s’ajuster, se conformer, à l’énoncé ; alors que les autres modalités ont
une valeur plus nettement descriptive (l’énoncé se présente comme s’ajustant au monde).
Cependant, la transposition du concept de direction d’ajustement du domaine pragmatique à
celui de la sémantique linguistique ne va pas sans en altérer profondément les propriétés. Car
il ne s’agit plus de savoir si l’énoncé exerce ou non des contraintes réelles sur le monde, s’il
oblige effectivement les sujets à conformer leur pratique aux contraintes qui sont associées à
son énonciation, mais – de façon plus abstraite – si le monde est envisagé comme se
conformant à l’énoncé ou si c’est l’inverse, quel que soit le pouvoir réel des sujets sur le
monde. C’est ainsi que l’on peut vouloir qu’il pleuve, même si personne n’y peut rien. De
façon plus générale, les modalités bouliques sont compatibles avec les procès non
intentionnels, alors que les actes directifs ne le sont pas.
Par ailleurs, l’ajustement de l’énoncé au monde est généralement décrit en termes de
« description » du monde. Cette conception descriptiviste repose sur deux principes :
1) l’énoncé n’agit pas sur la portion de monde qu’il représente (il se contente de la décrire) ;
2) cette portion de monde préexiste à l’énoncé (de sorte qu’il puisse s’y ajuster).
Si ces principes permettent d’opposer clairement les deux orientations possibles de la
direction d’ajustement (un énoncé injonctif agit sur une portion du monde qui ne lui préexiste
pas) et paraissent correspondre à certains emplois de l’exemple (3), leur application à
l’énoncé (4) est beaucoup plus discutable :
(3) Cette table est carrée
(4) Cette soupe est bonne.
Bien qu’il soit possible d’enchaîner sur ces deux énoncés au moyen des expressions « c’est
vrai/c’est faux », la modalité appréciative intrinsèque à l’adjectif bonne semble, en effet,
contrevenir, dans une certaine mesure, aux deux principes énoncés ci-dessus, et ne peut donc
être tenue pour purement « descriptive » :
1) Certains auteurs16 ont admis, à la suite de Hare (1952) que les énoncés de ce type ne
servaient pas fondamentalement à décrire, mais plutôt à agir sur le monde, en exprimant,
16
Cf. , entre autres, J.-Cl. Anscombre et O. Ducrot (1983), M. Carel (1998).
entre autres, des recommandations, des mises en gardes, … Le prédicat « être bonne » ne
désignerait pas tant une propriété de la soupe qu’il n’indiquerait une recommandation
donnée par le locuteur à son allocutaire. Bien que dans sa forme radicale, dite
« ascriptiviste », cette analyse fasse l’objet de controverses (voir par exemple, Searle,
1972), il paraît difficile de lui refuser toute pertinence. Simplement, il n’est pas sûr qu’il
faille maintenir une opposition radicale entre décrire et agir sur le monde.
2) On peut difficilement concevoir que la qualité d’une soupe préexiste entièrement au
jugement porté sur elle. O. Ducrot (1980) a même montré qu’un énoncé introduit par « je
trouve que » marquait une « prédication originelle », excluant toute forme de préexistence
de la relation prédicative par rapport à son énonciation ; d’où le contraste :
(5) *Je trouve que cette table est carrée
(6) Je trouve que cette soupe est bonne.
Plus généralement, c’est là une caractéristique des modalités subjectives, en particulier de
celles qui mobilisent la subjectivité individuelle du locuteur : elles présentent un « monde
intérieur » qui « n’a pas de réalité propre « antéprédicative » » (D. Vernant, 1997, p. 54, n.1).
Ces observations sur le caractère non purement descriptif des modalités axiologiques
nous conduisent à mettre en cause la disjonction entre deux valeurs discrètes : « ↓ » et « ↑ ». Il
semble préférable de considérer qu’il s’agit là des deux pôles d’un continuum allant des
modalités aléthiques (ex. : « cette table est carrée », purement descriptifs, aux impératifs,
déontiques ou bouliques (ex. : « fermez cette porte ! ») en passant par des degrés
intermédiaires, qu’illustrent, entre autres, les modalités appréciatives. À défaut de pouvoir
présenter ici un modèle véritablement continuiste de ce paramètre, nous nous contenterons
d’un découpage grossier en quatre zones : les modalités purement descriptives (D = ↓),
purement injonctives (D = ↑), et, entre les deux, des modalités à la fois descriptives et
injonctives, avec des pondérations différentes : prioritairement descriptives (D = ↓ (↑)), ou
prioritairement injonctives (D = ↑ (↓)). Sont purement descriptives, les modalités aléthiques
(ex. 7) et, dans une moindre mesure, épistémiques (ex. 8) ; sont prioritairement descriptives et
secondairement injonctives, les modalités appréciatives (ex. 9) et axiologiques (ex. 10) ; sont
prioritairement injonctives et secondairement descriptives, les modalités déontiques
exprimées sous forme de normes (ex. 11 ) ainsi que les modalités bouliques indiquées par des
verbes d’attitude propositionnelle (ex. 12) ; sont purement injonctives, les modalités bouliques
(ex. 13) et déontiques (ex. 14) formulées au moyen d’impératifs :
(7) C’est un livre marron
(8) C’est un gros livre
(9) C’est un beau livre
(10) C’est un livre infâme
(11) Il faut/vous devez avoir lu ce livre pour la fin du mois
(12) Je veux lire ce livre
(13) Prête-moi ton livre !
(14) Ouvrez votre livre à la page dix !
Le test linguistique retenu est celui de la possibilité d’enchaîner sur l’énoncé au moyen des
expressions « c’est vrai », « c’est faux ». La possibilité de l’enchaînement indique que
l’énoncé est purement, prioritairement ou secondairement descriptif (ex. 7 à 12). Son
impossibilité marque, au contraire, qu’il est purement injonctif (ex. 13 et 14), ou bien que sa
valeur modale reste purement indéterminée (ex. : « peut-être que p, peut-être que non p »,
« est-ce que p ? »).
En croisant ces deux paramètres (l'instance de validation et la direction d'ajustement),
on obtient un classement et une définition des principales catégories modales17 :
17
Il est cependant possible d’opérer d’autres combinaisons. Ainsi les « obligations matérielles » (Kronning
1996, p. 83) ou « nécessités par rapportà l’action » (Dispaux, 1984, p. 58) comme
« Pour sortir de cette pièce, on doit/il faut (forcément/obligatoirement) passer par la fenêtre, puisque la
porte est fermée de l’extérieur »
« Si on veut le sauver, on doit/il faut/on est forcé de/on est obligé de l’opérer sur le champ »
combinent-ils les valeurs : I = réalité ; D = ↑(↓). Il s’agit, en quelque sorte, d’obligations dictées par la réalité
elle-même.
fig.2
D
↓
réalité
↓(↑)
↑(↓)
↑
m. aléthiques
ex. « C’est un
livre marron »
I
subjectivité
m. épistémiques
m. appréciatives
ex. « C’est un gros ex. « C’est un
livre »
beau livre »
institution
m. axiologiques
ex. « C’est un
livre infâme »
m. bouliques
(attitudes
propositionnelles)
ex. « Je veux lire
ce livre »
m. bouliques
(impératifs)
m. déontiques
(normes)
ex. « Vous devez
lire ce livre »
m. déontiques
(impératifs)
ex. « Prête-moi
ton livre ! »
ex. « Ouvrez votre
livre ! »
2.2.3 La force de la relation
La force de la relation va de la validation maximale (soit respectivement pour les trois
systèmes aléthique, épistémique et déontique : le nécessaire, le certain, l'obligatoire) à
l'invalidation totale (l'impossible, l'exclu et l'interdit). Entre ces deux pôles, on trouve, avec
bien évidemment des variations dues au type de modèle adopté, des valeurs modales
intermédiaires : respectivement, le possible et le contingent, le probable et le contestable, le
permis et le facultatif. Ce système s'applique aussi aux modalités bouliques, appréciatives et
axiologiques, même si la terminologie n'est pas encore clairement établie : aux deux extrêmes,
respectivement, le désiré, le désirable et le louable, d'une part, et de l'autre, le rejeté,
l'indésirable, le blâmable; à mi-chemin entre les deux : l'indifférent.
Soit une représentation topologique dynamique de la force de la relation, qui s'inspire
très directement des représentations « graphiques » que l'on retrouve chez divers auteurs, et en
particulier chez G.-G. Granger (1976), pp.181-19218 :
18
Plus fondamentalement, ce système de représentation s’appuie sur le concept kantien de « grandeur
négative ». Cf. Kant (éd. 1980), pp. 251-302 : « Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeurs
négatives ».
fig.3
Fmin
F-
F0
F+
Fmax
Fmax indique la validation totale, Fmin l'invalidation absolue. F0 représente la force minimale, en
équilibre entre les deux attracteurs Fmax et Fmin. On considère les segments [Fmin,F0[ et ] F0,Fmax]
comme continus, et pourvus d'un gradient. Sur ces continuums, F- et F+ marquent des bornes,
fixées plus ou moins arbitrairement, avec des variations selon les types de discours, à partir
desquelles commencent ce que l'on appellera les « zones d’invalidation maximale » ([Fmin,F-])
et « de validation maximale » ([F+,Fmax]).
Prenons dès maintenant pour illustration le cas les modalités épistémiques. Le certain
correspond au segment [F+,Fmax], le probable (ou plausible) à ]F0, F+[, le contestable à ]F-,F0[,
et l'exclu à [Fmin,F-]. On voit immédiatement l'intérêt pour le linguiste de ce type de
représentation par rapport au « carré des modalités » : a) les modalités y sont décrites sous la
forme de continuums (il y a du plus ou moins probable, des degrés de certitude ... auxquels
vont correspondre des systèmes de marqueurs : peut-être, probablement, certainement, sans
aucun doute ...), b) elles s'inscrivent dans une dynamique qui va sous-tendre celle de
l'argumentation (le probable tend vers le certain, le contestable vers l'exclu).
De plus, ce qui fait l'intérêt du carré modal (la définition des contraires comme
négation du dictum, et des contradictoires comme négation du modus) se laisse ici formuler au
moyen de deux opérations simples (cf. Granger (1976), p. 185) :
1) la construction du symétrique d'un segment par rapport au point central F0 correspond à
la négation du dictum (relation de contrariété);
2) la prise du complémentaire équivaut à la négation du modus (relation de contradiction).
Ainsi, le segment [F+,Fmax] entre-t-il en relation de contrariété avec [Fmin,F-] (son symétrique
par rapport à F0) et en relation de contradiction avec [Fmin,F+[ (son complémentaire). Dans le
cas des modalités épistémiques, on retient donc l'exclu [Fmin,F-] comme contraire du certain
([F+,Fmax]),et le « non-certain » ([Fmin,F+[) comme son contradictoire.
Examinons très rapidement comment se répartissent sur ce schéma général les valeurs
modales déontiques et aléthiques (la terminologie – nous l'avons dit – n'est pas encore
vraiment fixée pour les autres modalités, mais il n'est pas difficile de voir qu'elles se laissent
aisément décrire au moyen de ce schéma abstrait) :
modalités déontiques :
obligatoire : [F+,Fmax]
interdit : [Fmin,F-]
permis (non interdit) : ]F-,Fmax]
facultatif (non obligatoire)19 : [Fmin,F+[.
modalités aléthiques :
nécessaire : [F+,Fmax]
impossible : [Fmin,F-]
possible large (non impossible) : ]F-,Fmax]
possible strict : ]F-, F+[.
Remarque : le possible strict sera interprété différemment selon qu'il s'agit d'une proposition
générique ou non. Dans le premier cas, la possibilité, généralement appelée
« contingence » dans la tradition aristotélicienne20, correspond au fait que la proposition est
plus ou moins vraie, au sens où elle est vraie pour un plus ou moins grand nombre d’objets
concernés (contingence référentielle : les chats sont souvent/parfois/rarement noirs) ou un
plus ou moins grand nombre de « moments » considérés (contingence temporelle : Pierre
est souvent/parfois/rarement malade)21. En revanche, dans le cas d'une proposition non
générique, cette possibilité stricte sera interprétée comme équivalant à l'indétermination de
la valeur de vérité de la proposition. Elle concerne, au premier chef, les propositions
exprimant des événements futurs, qui ne sont, au moment de l'énonciation, ni vraies ni
fausses (voir ci-dessous, § 3.4.). Le fait que cette possibilité soit susceptible d’être
représentée par un continuum doit permettre de rendre compte de « l'anisotropie des
possibles »22, des « propensions »23 et donc des probabilités objectives (même si, dans les
pages qui suivent, nous nous en tenons, par commodité, à la pure indétermination : F0).
19
On se gardera évidemment d'assimiler l'emploi courant de ces termes avec l'utilisation technique qui en est
faite ici. En français courant, facultatif correspond à la portion ]F-, F+[ (non obligatoire, non interdit).
20
Cette tradition prend appui sur la relation entre la catégorie logique de contingence et la catégorie ontologique
de l'accident; cf., pour une présentation détaillée, L. Gosselin et J. François (1991), pp. 64-72.
21
On remarque que cette contingence référentielle ou temporelle est exprimée au moyen des mêmes marqueurs
et qu'elle correspond à l'emploi « sporadique » de pouvoir, distingué par G. Kleiber (1983).
22
23
Cf. J. Dubucs (1995).
Sur les « propensions » définies comme « possibilités pondérées » et évaluées en termes de « probabilités
objectives », cf. K. Popper (1990/trad. 1992), p. 30 sq.
2.3 Les paramètres structuraux
2.3.1 Portée syntaxique versus portée logico-sémantique
Nous abordons maintenant les paramètres fonctionnels, qui doivent rendre compte des
différents aspects de la mise en œuvre dans des énoncés particuliers des catégories et valeurs
modales qui viennent d’être définies d’un point de vue conceptuel.
Parmi ces paramètres fonctionnels, on isole, dans un premier temps, les paramètres
structuraux, syntaxique et logique, qui prennent en charge la description formelle des relations
qu’entretient la modalité avec d’autres éléments de l’énoncé (ses relations de « portée »).
Traditionnellement, en logique modale propositionnelle, la modalité est considérée
comme un foncteur propositionnel à une place (cf. J.-L. Gardies 1983). Exemples :
(15) ◊ p (possible que p)
(16)  p (nécessaire que p)
Parallèlement, la conception la plus répandue en linguistique définit la modalité comme
l’attitude du locuteur vis-à-vis du contenu (généralement qualifié de « propositionnel ») de
son énoncé (voir ci-dessus, note 17). Ces deux conceptions ne se recouvrent évidemment pas,
mais partagent une même représentation de la structure modale de l’énoncé. Cette structure
bipartite reprend l’opposition scolastique entre modus et dictum. D’où, pour résumer, le
schéma :
fig.4
Énoncé
Opposition scolastique :
Modus
Dictum
Logique modale
Propositionnelle :
Foncteur
Proposition
Linguistique :
Modalité
(expression
de l’attitude
du locuteur)
Contenu
(propositionnel)
Or, confrontée aux données langagières, cette analyse de la structure modale de l’énoncé se
révèle très vite largement insuffisante, d’une part parce que le dictum lui-même peut être
porteur d’évaluations subjectives, appréciatives, ou axiologiques, auxquelles on ne saurait
refuser le qualificatif de « modales » (cf. Ch. Bally,1932, et A. Meunier, 1974, pp. 9-10), et
d’autre part parce que le modus ne se réduit pas à une seule position (ce dont conviennent
aujourd’hui toutes les études linguistiques sérieuses de la modalité).
Mais, avant d’aborder ces questions, il nous faut expliquer pourquoi nous distinguons
deux types de structures, syntaxique et logique, et préciser en quoi elles se ressemblent et en
quoi elles diffèrent.
Ce qui, manifestement, rapproche les structures syntaxique et logique, c’est quelles
traitent essentiellement de relations, envisagées d’un point de vue formel. Ces relations sont
usuellement décrites en terme de « portée », c’est-à-dire qu’il s’agit d’une forme de relation
asymétrique et irréflexive, qui associe une modalité à un ou plusieurs éléments, sur lesquels
elle « porte ».
Partant, ces structures ne représentent pas directement les marqueurs de modalité (qui
relèvent de représentations morphologiques), mais des entités beaucoup plus abstraites. Cette
distinction entre modalité (comme entité abstraite) et marqueurs morphologiques de modalité
est indispensable dans la mesure où :
1) une même modalité résulte le plus souvent d’une combinaison de marqueurs (surtout si on
l’envisage dans toute sa complexité, i.e. en prenant en compte l’ensemble de ses
paramètres constitutifs) ;
2) un même marqueur, situé à une même place dans l’ordre linéaire des constituants de la
phrase, peut renvoyer à deux modalités distinctes, ayant des portées différentes. C’est, par
exemple, le cas du verbe modal devoir, selon qu’il est interprété comme épistémique ou
comme déontique dans l’énoncé :
(17) Pierre a dû fermer la porte
dont les deux lectures sont paraphrasables respectivement par (18) et (19) :
(18) Il est probable que Pierre a fermé la porte
(19) Pierre a été obligé de fermer la porte.
On admet habituellement que devoir épistémique (ou plus exactement la modalité
épistémique qu’il exprime) porte sur l’ensemble de la phrase (il est d’ailleurs hors du
champ du temps grammatical), tandis que devoir déontique n’affecte que le prédicat fermer
la porte (la paraphrase montre en outre qu’il est dans le champ du temps grammatical).
Dans les termes de Milner (1989), on dira que la syntaxe des modalité traite des
« positions » des modalités et non de la « place » des marqueurs.
Comme le montre l’exemple (17), les positions des modalités se trouvent doublement
définies :
1) par ce sur quoi elles portent,
2) par ce qui peut porter sur elles.
Le premier critère conduit à distinguer deux positions pour les modalités épistémiques
marquées par probablement dans les exemples :
(20) C’est probablement Pierre qui a rencontré Marie
(21) Pierre a probablement rencontré Marie.
Car leurs portées sont manifestement différentes.
La seconde caractéristique (ce qui peut affecter les modalités) oblige à reconnaître
deux positions distinctes pour les modalités respectivement exprimées par réellement et
probablement dans le couple d’énoncés :
(22) Pierre est réellement en retard
(23) Pierre est probablement en retard
dans la mesure où seule la première de ces modalités peut entrer dans le champ d’un opérateur
interrogatif :
(24) Est-ce que Pierre est réellement en retard ?
(25) *Est-ce que Pierre est probablement en retard ?
A partir du moment où l’on introduit dans la syntaxe des opérateurs très abstraits, dont
le contenu paraît essentiellement de nature sémantique (comme on l’observe actuellement
aussi bien dans les grammaires fonctionnelles qu’en grammaire générative24), la question de
savoir s’il y a lieu de dissocier représentation syntaxique et représentation logique devient
assurément difficile. Et la réponse apportée dépend essentiellement de choix
méthodologiques.
On adopte les principes suivants :
24
Cf. B. Laca. (éd. 2002), p. 12, et H. Demirdache et M. Uribe-Etxeberria (2002).
1) Une position syntaxique se définit en termes de domaines : par le domaine auquel elle
appartient, par celui sur lequel elle porte.
2) La position d’un élément dans la structure sémantico-logique de l’énoncé est déterminée
uniquement par les éléments mis en relation : ceux qui portent sur lui, ceux sur lesquels il
porte.
Il suit qu’à une même position dans la structure logique peuvent correspondre différentes
positions syntaxiques. Ainsi, dans les énoncés (22) et (23) ci-dessus, les modalités
respectivement marquées par probablement et réellement portent également sur l’expression
en retard, et ne sont affectées par aucun autre opérateur : elles occupent donc une même
position dans la structure logique, quoique le test mis en œuvre en (24) et (25) indique
qu’elles n’appartiennent pas au même domaine syntaxique.
Inversement, une même position syntaxique autorise différentes portées sémanticologiques. Prenons pour exemple l’énoncé :
(26) Peut-être que Pierre se promène dans le jardin.
Au plan syntaxique, la modalité épistémique marquée par l’adverbe (dit « de phrase ») peutêtre a pour domaine le reste de la proposition. Mais d’un point de vue sémantique, cette
modalité va affecter tel ou tel élément de la proposition : celui (ceux) qui est(sont) focalisé(s).
Or le choix de l’élément focalisé à l’intérieur du domaine syntaxique (le « domaine de
focalisation », cf. H. Nølke, 1993, p. 247) résulte à la fois de l’intonation (s’il s’agit de
production orale) et de facteurs textuels et inférentiels. Pour une même structure, on obtiendra
donc des structures logiques différentes selon que l’énoncé (26) répond, par exemple, aux
questions (27), (28), (29) ou (30), qui induisent respectivement une focalisation sur le verbe,
sur le circonstanciel, sur le prédicat (se promener dans le jardin) ou sur la phrase entière :
(27) Que fait Pierre dans le jardin ?
(28) Où Pierre se promène-t-il ?
(29) Que fait Pierre ?
(30) Que se passe-t-il ?
Remarquons enfin que poser que la portée syntaxique affecte des domaines, quand la
portée sémantico-logique concerne des éléments prélevés dans ces domaines syntaxiques,
entraîne des différences formelles entre les deux types de structures, syntaxique et logique. Si
la relation de portée est toujours asymétrique (quand a porte sur b, b ne peut porter sur a) et
irréflexive (a ne peut jamais porter sur lui-même), le champ syntaxique de cette relation est
univoque (à une modalité correspond un seul domaine syntaxique, la réciproque étant fausse),
tandis que le champ logico-sémantique est plurivoque (une modalité peut porter sur plusieurs
éléments à la fois, un même élément peut être affecté simultanément par plusieurs modalités.
Nous nous limiterons, dans cet ouvrage, à présenter à grands traits les positions
syntaxiques de la modalité, et en particulier la distinction essentielle entre modalités
extrinsèques et modalités intrinsèques aux lexèmes.
2.3.2 Les modalités extrinsèques
On oppose, au plan syntaxique, les modalités qui sont intrinsèques aux lexèmes (par exemple,
lâche est intrinsèquement porteur d’une modalité axiologique négative) aux modalités
extrinsèques, marquées par des grammèmes ou par d’autres lexèmes, qui apparaissent à un
niveau plus élevé dans la hiérarchie syntaxique. Ainsi
(31) Pierre est lâche
comporte-il uniquement une modalité intrinsèque, alors que
(32) Malheureusement, Pierre est lâche
(33) Je pense que Pierre est lâche
(34) Pierre doit être lâche, pour agir ainsi
mettent en œuvre, de surcroît, des modalités extrinsèques : appréciative en (32), épistémiques
en (33) et (34).
Ces modalités extrinsèques appartiennent au modus de l’analyse scolastique
traditionnelle. Du point de vue strictement logique, deux façons de traiter ces modalités se
proposent : comme des opérateurs ou comme des prédicats25. Selon ces deux analyses, la
possibilité d'une proposition sera exprimée par les formules respectives :
(35) ◊ p
(36) ‘p’ est possible.
C'est la première solution qui a été retenue par les logiques contemporaines. Elle consiste à
considérer la modalité comme un opérateur portant sur des propositions (logiques modales
propositionnelles), ou sur des prédicats (logiques modales quantifiées) :
25
Pour une présentation, cf. R. Blanché (1968), pp. 84-87.
(37) ◊ f (a)
A l'inverse, la conception de la modalité comme prédicat, qui paraît avoir été celle
d'Aristote26, reprise dans l'analyse des modalités de dicto par Thomas d'Aquin27, se trouve
aujourd'hui généralement délaissée. Le principal reproche qui lui est adressé est de faire
intervenir (voire de confondre) deux niveaux de langage : celui de la proposition (niveau
« linguistique ») et celui de la modalité (niveau « métalinguistique »), la modalité étant, dans
cette perspective, un « méta-prédicat » : un prédicat portant sur une proposition (que l'on se
gardera de confondre avec les prédicats du deuxième ordre : les prédicats portant sur des
prédicats; ex. : l'avarice est un défaut).
Dès lors que l'on cherche à modéliser le fonctionnement effectif du langage et non plus
à fonder un système de calcul, le problème se pose tout différemment (que l'on soit logicien
ou a fortiori linguiste). Car il ne s'agit plus nécessairement de trancher en faveur de l'une ou
l'autre des conceptions de la modalité, mais de définir celles qui décrivent et expliquent le
mieux les phénomènes observés. Dans cette perspective, deux grands types de distinctions
paraissent aujourd'hui devoir s'imposer :
1) L'opposition scolastique entre modalités de re/de dicto. Cette distinction a été reprise en
logique modale quantifiée sous la forme de l’opposition entre « quantification within » et
« quantification into a modal context 28», ainsi qu’en linguistique, sous des appellations
diverses : modalisation « interne / externe », « prédicative / énonciative », « intraprédicative /
extraprédicative », etc.29 L’idée générale est d’isoler certains opérateurs modaux qui
s’adjoignent au prédicat pour former une sorte de prédicat complexe (modalités « de re »,
« internes », « prédicative », « intraprédicatives ») : ils entrent alors dans le champ de la
négation, du temps et de l’aspect, ainsi que de la quantification. Exemples :
(38) Jean devait (Déontique) rentrer à la maison
(paraphrase : Pierre était dans l’obligation de rentrer à la maison)
Tandis
que
d’autres
(modalités
« de
dicto »,
« externes »,
« énonciatives »,
« extraprédicatives ») affectent la proposition tout entière (et se situent normalement – voir
cependant ci-dessous – hors du champ de la négation, du temps et de l’aspect, ainsi que de la
quantification) :
26
Cf. G.-G. Granger (1976), p. 178.
27
Cf. La traduction et le commentaire du De propositionibus modalibus par F. Nef (1976).
28
Cf. W.v.O. Quine (1966 : « Quantifiers and propositional attitudes »), et G.H.. von Wright (1951), pp. 6-35.
29
Cf. Cl. Guimier (1989).
(39) Heureusement, Pierre est guéri
(40) Certainement que Marie était rentrée
(41) Marie devait être rentrée
(paraphrase : il est probable que Marie était rentrée).
Il arrive qu’un même énoncé soit susceptible de deux lectures disjointes selon que la
modalité y est interprétée comme de re ou comme de dicto, même si la catégorie et la valeur
modales restent inchangées :
(42) Un étudiant doit (Déontique) sortir
Lecture de re (« quantification into a modal context ») :
Un étudiant particulier est obligé de sortir
∃x, étudiant (x) ∧ Obligatoire (sortir (x)).
Lecture de dicto (« quantification within a modal context ») :
Il est obligatoire qu’un étudiant (n’importe lequel) sorte
Obligatoire (∃x, étudiant (x) ∧ (sortir (x)).
En grammaire fonctionnelle, ces deux modes de fonctionnement sont généralement
associés à deux niveaux hiérarchiques différents pour les opérateurs modaux (cf. en particulier
Dik 1989, Van Valin et La Polla 199730). Il est cependant regrettable que, dans ces
grammaires, les modalités de dicto soient simplement qualifiées de « subjectives » (ou
d’« épistémiques »), par opposition aux modalités « objectives » ou « radicales », car 1) c’est
là une caractérisation conceptuelle et non fonctionnelle, 2) toutes les modalités épistémiques
ne sont pas de dicto (surtout si l’on tient compte des modalités « intrinsèques »), 3) toutes les
modalités de dicto ne sont pas épistémiques (voir l’exemple (42) ci-dessus).
Une seconde opposition, fondée, cette fois, non plus sur ce qui entre dans le champ de
la modalité, mais sur les éléments qui peuvent l’affecter (et donc sur le domaine syntaxique
auquel elle appartient), a été proposée par H. Kronning (1996)31 : certaines modalités sont
« véridicibles », au sens où elles peuvent être niées ou interrogées (ex. 43), tandis que d’autres
ne le sont pas (elles sont « montrables » et « non véridicibles » ; ex. 44) :
(43a) Il est nécessairement là
(43b) Il n’est pas nécessairement là
30
Pour une discussion générale et une comparaison de ces deux grammaires, cf. J. François (1998) et (2000).
Pour une comparaison critique de leurs traitements des modalités, cf. Lampert et Lampert (2000), pp. 126-133.
31
Cette opposition, dont on peut trouver une première approximation dans Ducrot et Todorov (1972) p. 397, est
très précisément développée et argumentée par H. Kronning (1996); elle est reprise par C. Vet (1997).
(43c) Est-il nécessairement là ?
(44a) Il est certainement là
(44b) * Il n’est pas certainement là
(44c) * Est-il certainement là ?
Bien qu’elles paraissent proches, ces deux oppositions (de re/de dicto, véridicibles/non
véridicibles) ne se recouvrent cependant pas. Car si toutes les modalités de re sont
véridicibles, il est des modalités de dicto véridicibles. Contrairement à ce qui est généralement
admis, certaines des modalités de dicto peuvent, en effet, entrer dans le champ de la négation
ou de l’interrogation, comme le montrent les exemples de C. Vet (1997) :
(45a) L’avion a peut-être atterri [modalité de dicto, non véridicible]
(45b) * L’avion n’a pas peut-être atterri
(45c) * Est-ce que l’avion a peut-être atterri ?
(46a) Il est possible que l’avion ait atterri [modalité de dicto, véridicible]
(46b) Il n’est pas possible que l’avion ait atterri
(46c) Est-ce qu’ il est possible que l’avion ait atterri ?
On obtient ainsi trois types de modalités extrinsèques, qui correspondent aux « trois
degrés d’engagement modal » distingués par Quine32 :
1) « Opérateur prédicatif » : modalité de re, véridicible ; exemple :
(47) Pierre peut (a la capacité de) faire ce problème
2) « Opérateur propositionnel » : modalité de dicto, non véridicible ; exemple :
(48) Jean est peut-être malade
3) « prédicat sémantique » (que nous préférons nommer « méta-prédicat ») : modalité de
dicto, véridicible ; exemple :
(49) Il est possible que Jean soit malade.
Comme tout prédicat exprime un procès, nous admettons que le méta-prédicat exprime
un méta-procès : un procès qui affecte un autre procès. Ainsi dire « il est probable que Paul
va venir », c'est affirmer que le procès n°1 (la venue de Paul) est probable (procès n°2). Ce
second procès est un état du procès n°1. En tant que procès, il est situé dans le temps, sous un
certain aspect. Cette localisation temporelle et cet aspect lui sont propres, c'est-à-dire qu'ils ne
32
Cf. W. v. O. Quine (1966 : « Three grades of modal involvement ») et J. Cl. Dumoncel (1988).
correspondent nécessairement ni à ceux de l'autre procès, ni à l'acte d'énonciation, à la
différence des opérateurs propositionnels qui sont automatiquement indexés sur le moment de
l'énonciation : face à « peut-être que p », on trouve « il est/a été/était/sera... possible que p ».
Mais là encore, la morpho-syntaxe de surface reste insuffisante. Ainsi, lorsque devoir
marque la modalité épistémique, il fonctionne comme un opérateur propositionnel (modalité
de dicto non véridicible), automatiquement indexé sur le moment de l'énonciation.
(50) Il devait être malade, puisqu'il n'est pas venu
sera approximativement paraphrasé par
(51) Il est probable qu'il était malade...
En revanche, s'il prend une valeur prospective, il nous paraît fonctionner comme un métaprédicat (modalité de dicto véridicible33) et l'imparfait, dans l'exemple (52) porte alors sur le
méta-procès qu'il exprime :
(52) Il devait arriver le soir-même
pourrait être paraphrasé par (53) et non par (54) :
(53) Il était convenu / prévisible qu'il allait arriver le soir-même
(54) ?? Il est convenu /prévisible qu'il arrivait le soir-même.
2.3.3 Les modalités intrinsèques
Parmi les modalités intrinsèques aux lexèmes, on distinguera celles qui sont dénotées par le
lexème de celles qui lui sont associées. On considère ainsi que le substantif permission,
l’adjectif permis ou le verbe permettre dénotent la modalité déontique du « permis », tandis
que assassin et assassiner ne dénotent pas de modalités mais sont porteurs, entre autre, d’une
modalités axiologique (modalité associée). Alors que les lexèmes dénotant des modalités sont
en nombre restreint (ex. : croyance, volonté, obligation, certitude …), tous les lexèmes sont
porteurs de modalités associées.
Très schématiquement, le partage peut être fait entre les lexèmes au moyen desquels
la désignation d’entités, de procès ou de propriétés repose sur des critères stables, sinon
invariables, et ceux qui se fondent sur des critères relativement variables, liés à des
institutions ou des subjectivités (collectives ou individuelles). La première catégorie
33
Sur le caractère véridicible de la modalité exprimée par devoir prospectif, par opposition au devoir
épistémique standard (avec lequel il est pourtant souvent identifié), cf. Kronning (1996), pp. 63-66, et p. 116, n.
362).
correspond à ce que J.Cl. Milner (1978) a identifié, au moyen de tests syntaxiques, comme
celle des lexèmes « classifiants », la seconde à celle des « non-classifiants ». Dans le cadre ici
proposé, sont classifiants les lexèmes porteurs de modalités aléthiques (ex. : table,
automobile, parler, marcher, rectangulaire, etc.) ; sont non-classifiants ceux qui expriment
des évaluations axiologiques (ex. : lâche, honnête), appréciatives (ex. : laid, superbe) ou
simplement épistémiques (ex. : grand, lourd), la direction d’ajustement étant toujours orientée
des mots vers le monde34.
On sait que cette distinction a donné lieu à une controverse célèbre opposant N. Ruwet
à J.Cl. Milner. Ce que conteste Ruwet (1982, p. 243 sq.), ce n’est pas la pertinence de la
distinction, mais le fait que les deux catégories soient mutuellement exclusives. Il montre
qu’il existe de nombreux cas intermédiaires, et qu’il serait préférable de concevoir un
continuum dont les termes purement classifiants ou absolument non-classifiants
constitueraient les pôles. On peut montrer que cette continuité et l’existence de cas
intermédiaires a plusieurs origines. On en signale deux ici, qui apparaissent souvent
combinées :
1) De nombreux lexèmes sont mixtes, porteurs à la fois de modalités aléthiques et
d’évaluations, par exemple axiologiques (ex. : assassin, ivrogne , menteur).
2) À côté des modalités intrinsèques linguistiquement marquées, il existe de nombreuses
modalités pragmatiquement inférées en fonction du type de discours dans lequel le lexème
est employé. Ainsi les termes pluie, guerre, vacances se voient-ils associer, outre une
modalité aléthique linguistiquement marquées, diverses modalités appréciatives et/ou
axiologiques qui dépendent de leur environnement discursif35, et qui sont
contextuellement annulables ( voir ci-dessous, §.2 .5).
2.4 Les paramètres énonciatifs
Les paramètres énonciatifs concernent les rapports de la modalité aux dimensions de
l’énonciation que constituent la temporalité, l’engagement du locuteur et la relation au
contexte discursif . Nous laissons la question du rapport à la temporalité pour la deuxième
partie, où elle sera développée en détail, puisque aussi bien c’est là l’objet propre de cet
ouvrage. Nous poursuivons maintenant l’esquisse de l’analyse des modalités en examinant
succinctement le rôle et le fonctionnement de l’engagement du locuteur et de la relation de la
modalité au contexte (son caractère « relatif »).
34
Voir aussi Hobbes (éd. 2000), p. 127 : « L’usage des mots bon, mauvais, méprisable est toujours relatif à la
personne qui les emploie. »
35
Cf. O. Galatanu (2002).
2.4.1 Le degré d’engagement du locuteur
On assimile souvent le degré d’engagement du locuteur à son degré de croyance (cf. parmi
beaucoup d’autres C. Vet, 199436). Même s’il est vrai que ces deux dimensions de la modalité
entretiennent des liens étroits, il est absolument indispensable de les dissocier. Car il n’est pas
impossible de s’engager sans se présenter comme certain (ex. 55 et 56), ni, inversement,
d’exprimer à la fois le désengagement et la certitude, par exemple avec l’argument d’autorité
(ex. 57) :
(55) Je t’assure qu’il est vraisemblablement venu
(56) Je te jure qu’il est sûrement venu
(57) Pour la science contemporaine, il ne fait aucun doute que notre monde n’a
pas été créé en sept jours.
D’autre part, le degré d’engagement du locuteur est une notion sémantico-pragmatique
qui se combine avec les différentes catégories conceptuelles de modalité : aléthique,
épistémique, appréciative, axiologique, boulique ou déontique. Ainsi une même valeur
modale d’obligation (déontique), exprimée dans les phrases suivantes, fait-elle l’objet de
modulations liées au degré d’engagement du locuteur :
(58) Il faut que tu viennes
(59) D’après lui, il faudrait que tu viennes
(60) Il s’imagine qu’il faut que tu vienne
(61) Il sait qu’il faut que tu vienne
(62) Je t’assure qu’il faut que tu vienne
(63) Comme il faut que tu viennes, ….
Ces exemples montrent clairement que même s’il n’affecte pas la valeur modale
(conceptuelle) elle-même, le degré d’engagement du locuteur n’en constitue pas moins un
paramètre essentiel de la modalité, dans la mesure où il agit directement sur ses effets
(virtuels) en discours.
36
« Ces verbes [croire et savoir] expriment généralement le degré d’engagement du locuteur par rapport à la
vérité de la proposition qui les suit (modalité épistémique), tout comme les adverbes peut-être, probablement. »
(p. 56).
On se contentera ici de reprendre la classification proposée par H. Nølke (1994, p.
150) dans le cadre de l’analyse polyphonique de l’énoncé, en l’adaptant aux modalités. Si l’on
considère, aà la suite de H. Kronning (1996, p. 44) et de H. Nølke (1994, p. 149), que tout
« point de vue », au sens de la théorie polyphonique, contient une modalité et un contenu
propositionnel, on peut admettre que l’engagement du locuteur relativement à un point de vue
porte fondamentalement sur la modalité (i.e. sur le mode de validation/invalidation du
contenu propositionnel). Dès lors les trois degrés d’engagement distingués par Nølke sont
directement applicables aux modalités : soit le locuteur s’associe à la modalité (ex. 58 et 62),
soit il l’accorde (ex. 61 et 63), soit il s’en dissocie (ex. 59 et 60).
Ce paramètre permet, en outre, d’expliciter de façon simple et satisfaisante la
différence sémantique essentielle entre « savoir que p » et « croire que p ». Contrairement à
ce qui est parfois affirmé (cf., par exemple, R. Martin, 1987, p. 54), « savoir que p »
n’implique nullement la vérité objective de la proposition, quand « croire que p » resterait
purement subjectif, car on peut très bien faire suivre « savoir que » d’une évaluation
appréciative :
(64) Je sais/il sait qu’elle est belle.
On posera ici que « savoir que » et « croire que » marquent également une modalité
épistémique extrinsèque. La différence essentielle tient à ce que « savoir que » indique
conjointement que le locuteur accorde la modalité intrinsèque associée au prédicat, alors que
« croire que » signale que le locuteur se dissocie de cette modalité intrinsèque (il ne la prend
pas en charge). Selon cette analyse de « savoir que », qui vaut, en outre, pour l’ensemble des
factifs, le locuteur des énoncés :
(65) Luc sait que la table est carrée
(66) Luc sait que Marie est belle
(67) Je sais qu’il est honnête
exprime une modalité épistémique extrinsèque et, simultanément, accorde les modalités
intrinsèques, respectivement aléthique, appréciative et axiologique, des prédicats mis en
œuvre. Alors qu’en énonçant :
(68) Luc croit que la table est carrée
(69) Luc croit que Marie est belle
(70) Je crois qu’il est honnête
il exprime aussi une modalité épistémique, mais refuse de s’engager sur la modalité
intrinsèque au prédicat (la même analyse est applicable à « être certain que », ce qui indique
que la différence en cause ne tient pas fondamentalement à la valeur de F, au degré de
croyance exprimé).
2.4.2 La relativité de la modalité
Depuis les travaux d'A. Kratzer (1977, 1981), il existe, dans le domaine anglo-saxon, tout un
ensemble d'analyses de la sémantique des verbes modaux (de l'allemand et de l'anglais – mais
elles peuvent être directement appliquées au français) fondées sur le concept de « modalité
relative » ou « relationnelle ». Dans cette perspective, toute modalité est conçue comme
relative à un ensemble de prémisses plus ou moins explicites, selon la formule :
R (D,p)
où R est une relation (d'implication logique ou de compatibilité) entre un domaine D de
propositions et une proposition p.
Cette définition a pu être intégrée dans une théorie plus générale de la quantification (soumise
à des restrictions de domaine) sous la forme :
operator (Restrictor, Matrix)
(A. Papafragou, « Inference and Word Meaning : The Case of Modal Auxiliaries »,
1998, p. 11)37
ainsi commentée par G. Lampert et M. Lampert :
« This formula applies to instantiations of modality as follows. The operator, having scope
over a proposition in the matrix, is instantiated as either Logical Conclusion or
Compatibility; the matrix represents the proposition embedded under the modal operator,
and the restrictor identifies the Conversational Background which the proposition in the
matrix is related to. Since the operator is assigned either of only two values, it is the
restrictor that is the source for the variable interpretations yielded by a modalized
sentence. » (G. Lampert et M. Lampert, The Conceptual Structure(s) of Modality: Essences
and Ideologies, 2000, p. 164).
La relation R a deux valeurs possibles :
1) la conclusion logique (nécessité relative), qui correspond, en sémantique des mondes
possibles à la quantification universelle : « dans tous les mondes possibles où toutes les
propositions de D sont vraies, p est vraie »;
2) la compatibilité (possibilité relative), définie en termes de quantification existentielle :
« il existe au moins un monde possible dans lequel toutes les propositions de D sont
vraies et où p est vraie ».
De là, deux types de marqueurs : ceux qui indiquent la conclusion logique (ex. : must,
devoir38), et ceux qui expriment la compatibilité (ex. : may, pouvoir).
37
Voir aussi Papafragou (2000).
Les avantages de ce type d'analyse sont évidents : elle permet de traiter les verbes modaux
de façon monosémique, ou, au moins, d'identifier un « noyau de sens » très précis et
rigoureusement défini, dans le cadre d'une conception polysémique. Mais les difficultés sont
loin d'être négligeables :
1) On ne voit pas comment étendre l'analyse aux autres marqueurs de modalité (adverbes,
etc.), car on ne dispose que de deux valeurs possibles pour R, qui correspondent aux
deux quantificateurs, universel et existentiel.
2) Dans le cas des verbes modaux, la polysémie apparente de ces verbes (l'ensemble des
effets de sens observés) ne peut provenir que de D, conçu comme un arrière-plan
contextuel. Le problème surgit aussitôt : comment classer, répertorier et identifier ces
arrière-plans contextuels ?
Or on trouve des listes de tels arrière-plans très diverses et hétérogènes, selon les auteurs. Qui
plus est, elles s'appuient sur des critères extra-linguistiques. Soit pour exemple la liste donnée
par Kratzer (1981) :
« - realistic conversational background: 'in view of facts of such and such kind'
- totally realistic conversational background: 'in view of what is the case'
- epistemic conversational background: 'in view of what is known'
- stereotypical conversational background: 'in view of the normal course of events'
- deontic conversational background: 'in view of what is commanded or ordered'
- teleological conversational background: 'in view of people's aims'
- buletic or bulomaeic conversational background: 'in view of people's whishes'
- doxastic conversational background: 'in view of people's beliefs'
- alethic conversational background: 'in view of what is logically the case'. »
(Cité et commenté par G. Lampert et M. Lampert, The Conceptual Structure(s) of
Modality: Essences and Ideologies, 2000, p. 165).
Lampert et Lampert, qui passent en revue différentes propositions de classement, en arrivent à
la conclusion que si l'on ne parvient pas à restreindre le nombre des arrière-plans contextuels,
le concept même de modalité relative risque de se révéler vide et inutile (op.cit., p. 165).
Nous proposons, dans le cadre d’une conception « large » des modalités, de considérer
la relativité non comme la caractéristique fondamentale de la modalité, mais comme un de ses
paramètres constitutifs, susceptible de prendre différentes valeurs :
1) Une modalité peut être relative (ex. 71) ou non (on parlera alors de modalité « absolue »,
ex. 72)39 :
(71) Pierre est forcément là, puisque sa voiture est garée devant la maison
(72) Pierre est là.
38 Cette analyse rejoint, en effet, celle de Kronning (1996) pour qui devoir marque fondamentalement
l'apodicticité.
39
On peut aussi envisager des degrés intermédiaires, cf. Gosselin (en préparation).
2) Une modalité relative a aussi une instance de validation (I), une direction d’ajustement
(D), une force (F), etc.
3) La relativité est exprimable en termes de force (f), sur le même modèle que la force de la
validation elle-même :
fig.5
fmin
f-
f0
f+
fmax
Grossièrement, fmax correspond à l’implication logique, fmin à l’incompatibilité, f0 à la
simple compatibilité (sans orientation positive ou négative), et les zones ]f0,fmax[ et ]fmin,f0[
respectivement aux arguments pro et contra (avec des degrés variables de force des
arguments).
4) La relativité est une relation entre modalités affectant des propositions (et non entre les
propositions elles-mêmes). De sorte que la validation ou l’invalidation d’une proposition
peut être présentée comme nécessaire relativement à (i.e. impliquée par) la validation ou
l’invalidation d’autres propositions. Exemple :
(73) Il n’est évidemment pas venu, puisqu’il ne peut pas marcher
on considère dans ce cas, que la modalité de la subordonnée a la force Fmin, et que
la principale porte simultanément les valeurs Fmin et fmax.
5) L’indépendance des valeurs de F et de f est absolument indispensable pour penser les
relations consécutives (ex. 73), hypothétiques (cf. troisième partie, § 1) et concessives,
comme dans les exemples :
(74) Curieusement, Pierre est très heureux
(75) Bien qu’il soit en vacances, Luc travaille
pour lesquels la valeur de f (de la modalité intrinsèque de la principale) est négative alors
que celle de F est positive.
6) Les arrières-plans conversationnels qui fournissent les ensembles de prémisses sont
constitués de propositions elles-mêmes modalisées. Leur classement se fait donc sur la
base des modalités intrinsèques ou extrinsèques qui les affectent (modalités aléthiques,
épistémiques, appréciatives, etc.). Il apparaît alors que ces ensembles de prémisses sont
souvent hétérogènes (on sait, par exemple, que les « syllogismes pratiques » peuvent
contenir des prémisses aléthiques, déontiques, et autres). La subordination ou les
connecteurs, permettent d’isoler certaines prémisses de ces ensembles. Reichenbach (éd.
1980, § 64) observe ainsi que la condition, dans les hypothétiques, n'exprime
généralement qu'une des propositions d'un ensemble p non spécifié; c'est pourquoi ces
structures ne sont absolument pas réductibles à l'implication matérielle. Par exemple, en
énonçant « s'il fait beau, j'irai me promener », la condition appartient à un ensemble p
comprenant au moins les propositions « si aucun empêchement ne survient » et « si j'en ai
encore envie à ce moment-là », qui restent implicites, et qui – de toute façon –, si elles
étaient exprimées, produiraient des effets différents dans le discours. De même, dans un
énoncé du type « Pierre est très grand; donc il peut apercevoir la mer », donc indique que
q, « il peut apercevoir la mer » est impliquée par un ensemble p auquel la proposition
« Pierre est très grand » appartient, mais qui comprend aussi des propositions du type
« Pierre n'est pas aveugle », qui n'ont pas lieu d'être exprimées.
7) La relativité d’une modalité peut être marquée par différents moyens d’expression. On
opposera la subordination qui explicite certaines prémisses (à orientation positive ou
négative), les connecteurs qui demandent de chercher des prémisses dans le cotexte
antérieur (ex. : Il pleut. Pourtant, il est venu), et les opérateurs qui invitent à les
construire à partir d'éléments du cotexte et du contexte discursif (ex. : Curieusement, il est
venu).
2.5 Le métaparamètre
Le métaparamètre décrit la manière dont les valeurs des autres paramètres (et en particulier
celles des paramètres conceptuels) ont été obtenues. Il apparaît, en effet, que si certaines
modalités sont linguistiquement marquées, d’autres peuvent être considérées comme
pragmatiquement inférées, la pragmatique venant ainsi « enrichir » la sémantique.
Deux types de fonctionnement pragmatique sont à prendre en compte :
1) les modalités intrinsèques aux « stéréotypes »40 associés aux lexèmes,
2) les « implicatures conversationnelles généralisées » (au sens de P. Grice et S. Levinson41).
Prenons, pour exemple de modalité associée à un stéréotype, le lexème vacances, qui apparaît
dans des syntagmes du type « prendre des vacances », « partir en vacances ». Ce lexème
paraît indiscutablement porteur d’une modalité appréciative positive intrinsèque (i .e. attachée
directement au lexème et non à un opérateur de plus haut niveau syntaxique). À ce titre, il
serait comparable à bonheur, félicité, plaisir, etc., à ceci près – et la différence ne saurait être
40
Cf. H. Putnam (1975), D. Slakta (1994), O. Galatanu (2002).
41
Cf. Levinson (2000).
négligée – que cette valeur modale est aisément annulable avec vacances, mais beaucoup plus
difficilement avec les autres lexèmes considérés :
(76) Je déteste les vacances
(77) ? ? Je déteste le bonheur/la félicité/le plaisir42
(78) J’ai passé de mauvaises vacances
(79) ? ? J’ai éprouvé un mauvais bonheur/une mauvaise félicité/un mauvais
plaisir43.
On rend compte de cette différence sémantique en considérant que si la modalité appréciative
positive fait partie intégrante de la signification linguistique des mots bonheur, plaisir ou
félicité, il n’en va pas de même pour le lexème vacances. Mais elle est associée au stéréotype
ordinairement activé lorsqu’on emploie ce signe (au même titre que les notions de repos et de
temps libre44). Et l’activation de ce stéréotype peut être explicitement contrariée, comme dans
les énoncés ci-dessus, ou n’être simplement pas mise en œuvre, par exemple dans un texte
administratif. Le décret qui fixe les dates de vacances pour une catégorie de personnel ne fait
en aucune façon appel aux stéréotypes porteurs de modalités appréciative (c’est même là une
des caractéristiques du genre de discours administratif).
Les implicatures conversationnelles généralisées, quant à elles, sont des inférences
fondées sur le principe de coopération et les maximes conversationnelles (Grice, 1980) qui
sont normalement déclenchées par l’utilisation de telle ou telle expression linguistique. Elles
sont généralisées au sens où elles sont liées à l’utilisation d’une forme linguistique et ne
dépendent pas directement de situations de discours particulières (cf. Levinson 2000, p. 16). Il
s’agit néanmoins d’implicatures conversationnelles et non d’implications conventionnelles
(i.e. appartenant à la signification linguistique de certains signes) dans la mesure où elles sont
annulables en contexte et peuvent ne pas être déclenchées, en fonction, entre autres, du genre
de discours dans lequel apparaît le signe auquel elles sont attachées.
42
Ces énoncés sont évidemment interprétables, mais demandent un effort supplémentaire, en particulier le
recours à la dimension polyphonique : « je déteste ce que d’autres considèrent comme du bonheur/de la
félicité/du plaisir. »
43
Il est certes possible de dire que l’on a éprouvé un bonheur/plaisir détestable, mais l’adjectif ne peut être
interprété qu’en un sens axiologique (moral) et non purement appréciatif .
44
Chacun sait que l’on peut avoir à travailler pendant toute la durée des vacances. Il est vrai que l’on dit, dans ce
cas, que « ce n’est pas/plus des vacances ! » ou que « ce n’est pas/plus de vraies/véritables vacances ! ».
L’une de ces implicatures conversationnelles généralisées est appelée à jouer un rôle
décisif dans nos analyses des modalités. Une forme de phrase déclarative affirmative à
l’indicatif peut paraître relativement neutre du point de vue modal (c’est pourquoi on
considère souvent ces phrases comme non modalisées). Exemples :
(80) Il pleut
(81) Marie est belle
(82) Luc est un assassin.
Nous tenons que ces énoncés présentent tout de même un certain contenu représenté sous un
certain mode de validation, et qu’ils sont donc porteurs de modalités spécifiques. Simplement
ces modalités paraissent se réduire aux modalités intrinsèques liées aux lexèmes employés (en
particulier dans le prédicat), soit respectivement : une modalité aléthique (vérité objective, ex.
80), appréciative (jugement esthétique, ex. 81) et axiologique (jugement moral, ex. 82). Mais
ce n’est pas tout. On peut légitimement considérer qu’en vertu de la maxime de qualité, le
locuteur qui énonce ces phrases est sincère et qu’il dit ce qu’il pense/croit être vrai. Dès lors,
il convient d’ajouter une modalité épistémique (de certitude subjective) à la représentation
modale de chacun de ces énoncés, en plus des modalités intrinsèques dont les prédicats sont
porteurs. Ainsi, dire « il pleut », c’est non seulement présenter une vérité objective, mais c’est
aussi se présenter soi-même comme étant sûr que tel est le cas. Voilà pourquoi, croyons-nous,
nombre d’auteurs partagent le point de vue selon lequel « la vérité de toute phrase déclarative
étant une vérité subjectivement assumée par un locuteur, une vérité prise en charge, le vrai
« objectif » n’a pas de réalité linguistique » (Martin, 1987, p.38). Pour notre part, nous
dissocierons deux plans de modalités qui coexistent, celui des modalités linguistiquement
marquées (ici les modalités intrinsèques aux lexèmes), et celui des modalités
pragmatiquement inférées (en l’occurrence la modalité épistémique). Car il s’agit là,
manifestement, de l’effet d’une implicature conversationnelle généralisée : l’inférence est
déclenchée par l’utilisation d’une forme linguistique particulière (la forme déclarative
affirmative, dont toute marque de non prise en charge doit être exclue) ; elle se fonde sur le
respect d’une maxime conversationnelle (la maxime de qualité); elle est annulable (il suffit,
par exemple, d’ajouter des expressions du type « d’après ce que dit Pierre » ou « si ce qu’on
dit est vrai », et, selon le genre de discours dans lequel l’énoncé est pris, elle peut ne pas être
mise en œuvre. Tel est typiquement le cas des textes de fiction : l’auteur y présente des vérités
objectives (entre autres), mais ne se présente pas lui-même comme croyant que tel est le cas.
Cette modalité épistémique normalement associée à la forme déclarative a été décrite
de différentes façons par divers auteurs. Parmi les linguistes, R. Martin (1987) observe que
« dans le fonctionnement ordinaire du langage, fondé sur la présomption de sincérité » p
implique je sais que p (p. 46) ; le philosophe K. O. Apel (1986) parle de « certitude
performative » pour décrire ce même phénomène. Mais ce sur quoi il nous paraît utile
d’insister, c’est sur le fait que cette modalité inférée doit nécessairement être intégrée à la
structure modale de l’énoncé, car comment rendre compte autrement du fait que des éléments
proprement linguistiques puissent s’y articuler, comme, par exemple, certaines subordonnées
causales ? Exemple :
(83) Il a plu, puisque la cour est mouillée.
La subordonnée donne la cause non de l’événement décrit par la principale, mais du fait que
le locuteur croit que cet événement a eu lieu45. Elle apporte ainsi une justification de l’attitude
épistémique du locuteur relativement à la proposition exprimée par la principale (c’est la
modalité épistémique qui est relative et non la modalité aléthique intrinsèque au lexème
pleuvoir).
Si l’on retient le type de cheminement interprétatif (décodage de signes linguistiques
ou inférence pragmatique) à titre de métaparamètre constitutif de la modalité, c’est que ce
cheminement fait aussi partie du contenu sémantique qu’il permet d’obtenir, dans la mesure
où il en détermine la fiabilité et l’éventuelle annulabilité.
45
Cf. E. Sweetser (1990), p. 76 sq., B. Dancygier et E. Sweetser (2000).