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Lexbase Hebdo édition professions n˚167 du 6 mars 2014
[Avocats/Périmètre du droit] Questions à...
Affaire "divorce-discount.com" : "le droit n'est pas une
marchandise" — Questions à Me Josiane Chaillol, Bâtonnier
de l'Ordre des avocats au barreau d'Aix-en-Provence
N° Lexbase : N0951BUR
Réf. : TGI Aix-en-Provence, 24 décembre 2013, n˚ 13/01 542 (N° Lexbase : A6147MDZ)
Aux termes d'une ordonnance de référé rendue le 24 décembre 2013, le TGI d'Aix-en-Provence a condamné
la société éditrice du site internet "divorce-discount.com" à cesser, sous astreinte, toute activité de consultation juridique et de rédaction d'acte. Le juge des référés a ordonné à la société assignée, sous astreinte de
2 000 euros par jour, d'interrompre ses activités de consultation juridique et de rédaction d'actes, de retirer
de son site toute mention relative à une telle offre de services et toute mention présentant le site concerné
comme le "n˚ 1 du divorce en France ou en ligne". Cette décision, importante pour les justiciables comme
pour les avocats, est un exemple topique de la nécessaire lutte contre la marchandisation du droit, dans le
cadre de la défense du périmètre du droit. Appel a été interjeté de cette décision par la société éditrice.
Pour mieux comprendre les enjeux de cette décision, Lexbase Hebdo — édition professions a rencontré
Me Josiane Chaillol, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau d'Aix-en-Provence.
Lexbase : Quels étaient les faits reprochés à la société exploitante du site internet "divorce-discount.com" ?
Me Josiane Chaillol : Le site litigieux proposait aux internautes de faire effectuer leur divorce par consentement
mutuel par des avocats "partenaires", selon des modalités assurant la promotion d'une offre de prestation juridique
consistant en la gestion et le traitement d'une procédure de divorce par consentement mutuel et la réalisation des
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formalités du divorce. Cette prestation correspondait à un démarchage juridique prohibé, au sens de l'article 66-4
de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), alors que la loi réserve aux seuls avocats l'exercice
à titre professionnel d'une activité d'assistance et de représentation judiciaire, et que toute procédure de divorce
suppose le dépôt d'une requête devant le tribunal de grande instance par un avocat. Dès lors, la société en cause ne
pouvait pas se présenter comme le "n˚ 1 du divorce en France", cette présentation étant assimilable à une pratique
commerciale trompeuse, au sens de l'article L. 121-1 du Code de la Consommation (N° Lexbase : L2457IBM),
prohibant les pratiques commerciales trompeuses, et reposant sur des allégations, indications ou présentations
fausses et de nature à induire en erreur sur l'identité, les qualités, aptitudes et droits du professionnel. Je rappelle que
ces pratiques sont réprimées pénalement, le site prétendant faire appel à des avocats partenaires sans préciser leur
nom et barreau d'appartenance, en violation des dispositions de l'article 154 du décret n˚ 91-1197 du 27 novembre
1991 (N° Lexbase : L8168AID), réservant le titre d'avocat aux personnes inscrites au tableau d'un barreau français.
Ayant constaté l'illégalité de ce site, l'Ordre des avocats a immédiatement saisi le Parquet d'Aix-en-Provence et le
Conseil national des barreaux. Ce dernier est venu appuyer notre demande à faire cesser cette activité illégale,
suivi des Ordres des avocats des barreaux de Marseille et de Montpellier. Cette affaire est, en tout et pour tout, un
bel exemple de coordination des institutions représentatives dans le cadre de la défense du périmètre du droit et
du monopole judiciaire de l'avocat.
Lexbase : Si des avocats étaient partenaires du site, quel était véritablement la nature du problème soulevé
à l'occasion de cette affaire ?
Me Josiane Chaillol : L'exercice illégal de la profession et l'infraction au monopole en matière de divorce ! D'abord,
le droit n'est pas une prestation banale, une marchandise à vendre sur internet comme une autre. Ensuite, la
société voulait contourner les dispositions réservant la rédaction d'acte et le conseil juridique à certaines professions
réglementées ou personnes morales homologuées, avec le concours de confrères "partenaires". Et, elle arguait
notamment du fait que les textes sur le démarchage sont lacunaires.
En réalité, ce qui a conduit le juge à condamner cette société, c'est bien le problème de la nature de l'identité du
rédacteur. N'étant pas certain de cette identité, c'est l'authenticité de l'acte juridique qui portait à caution. Même si
on parle de dérèglementation en la matière, de déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel, le juge aixois
a tenu à rappeler que le rôle de l'avocat est important dans ce domaine.
Le juge des référés explique clairement que la requête et la convention étaient préparés par "divorce-discount.com",
dans des conditions inconnues et par des personnes ne répondant à aucune des garanties prévues par les articles
54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, et non par l'avocat comme indiqué fallacieusement sur la page "fonctionnement" du site ; ce dernier n'ayant même jamais rencontré "ses" clients avant le passage à l'audience, n'ayant,
en conséquence, pas procédé à la personnalisation indispensable de la rédaction de la convention de divorce.
Aucun conseil ou avis n'était donné aux époux souhaitant divorcer, sur les conditions et conséquences de leur
démarche, tant pour eux-mêmes que pour leurs enfants mineurs. Cette situation caractérisait un trouble manifestement illicite, tant pour les justiciables clients et leurs enfants mineurs sur lesquels ils exercent l'autorité parentale,
et dont les intérêts étaient susceptibles de ne pas être correctement pris en compte par des conventions de divorce
rédigées par des non professionnels, que pour la profession d'avocat et, au-delà, pour l'Institution judiciaire.
Quant à la question du démarchage, la loi de 1971 n'envisage pas la consultation sur internet ; ce type de démarchage est illicite.
J'ajoute que l'avocat "partenaire" proposait une prestation qui n'est jamais anodine à un prix ridicule ; ce faisant,
cette pratique est contraire au principe de loyauté, principe essentiel de la profession.
Lexbase : Au-delà de la défense du monopole de l'avocat, quelles étaient les risques générés par l'exploitation du site internet "divorce-discount.com" ?
Me Josiane Chaillol : Pour les justiciables, le droit ne doit pas être une marchandise. Vendre un tee-shirt sur internet
et vendre une prestation juridique n'emporte pas les mêmes obligations et diligences. Une société commerciale
n'est pas habilitée et n'est pas capable d'assurer l'ensemble des obligations accessoires à la rédaction d'un acte
juridique : l'information et le conseil. N'est pas avocat qui veut ! La compétence et la déontologie de l'avocat sont
les raisons profondes du monopole qu'il exerce en matière judiciaire. L'exploitation commerciale d'un tel site faisait
nécessairement encourir des risques quant à l'efficacité des actes juridiques et quant à la bonne compréhension
de leurs implications par les clients/justiciables.
Par ailleurs, le concept imaginé par cette société était, en fait, un artifice qui consistait à faire porter sur un avocat
la responsabilité de toute l'activité commerciale ; ainsi, en cas de mauvais conseil, c'est la responsabilité civile
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professionnelle de l'avocat "partenaire" qui pouvait être recherchée. Or, cette responsabilité est couverte par une
assurance de groupe, une assurance couvrant l'ensemble des membres du barreau. Par conséquent, l'exploitation
de ce site litigieux entraînait une collectivisation du risque et de la responsabilité insupportable pour la profession.
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