dans les têtes... et dans les rues
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dans les têtes... et dans les rues
SEPTEMBRE 12 triAnnuel 20 ALLEE DES CERISIERS 85340 OLONNE SUR MER Surface approx. (cm²) : 2058 Page 1/4 «fl " i sème des No dans les têtes... et dans les rues, SILVIA GALL! : Vous avez créé La collection Ceux qui ont dit Non en 2008. De quelle exigence est-elle née, en ce moment là? MURIELLE SZAC: Le discours ambiant dans lequel baignent les ados d aujourd hui est un mélange de fatalisme, de «e est comme ca, on n'y peut rien, la mondialisation, la crise », doublé d'un «les politiques, tous les mêmes et tous pourris» Rajoutez que les seules valeurs mises en avant sont celles de la réussite individuelle, parce que vous avez bien chante à la télévision ou rencontre par hasard la bonne personne Comment peut-on avoir envie de grandir et de prendre sa place dans un monde dont on vous dit que vous ne ACTES 8063443300504/GRT/ARN/3 pouvez absolument pas le changer7 Comment se sentir à l'aise dans un monde de compétition où prime le chacun pour soi7 Voilà mon point de départ en créant cette collection Lorsque Thierry Magnier, qui dirige Actes Sud Junior, m'a demande si ie n'avais pas envie de lui proposer une collection qui réhabiliterait l'action politique aux yeux des jeunes, j'ai foncé 1 D autant que toute I évolution de notre société le prouve: les progrès sont réalisés grâce à lengagement d'hommes et de femmes qui ont combattu pour défendre des valeurs Eléments de recherche : Toutes citations : - ACTES SUD : maison d'éditions - ACTES SUD BD : maison d'édition - ACTES SUD JUNIOR : maison d'éditions - ACTES SUD PAPIERS : maison d'éditions SEPTEMBRE 12 triAnnuel 20 ALLEE DES CERISIERS 85340 OLONNE SUR MER Surface approx. (cm²) : 2058 Page 2/4 droits de l'homme Ensuite il faut trouver le bon personnage qui incarne ce combat. J assume ma subjectivité dans les choix des sujets et des figures ll y a les incontournables, comme Jaurès, Zola, Schoelcherou Louise Michel ll y a aussi des personnages moins connus, comme Gabriel Mouesca, Chico Mondes ou Harvey Milk maîs il me paraissait important de traiter de la violence carcérale, de la déforestation, ou de l'homophobie, et c'est eux qui étaient Les plus représentatifs En réalité, je me transforme en «marieuse», j'essaie de faire des couples- I écrivain qui va raconter un personnage et son combat a toujours quelque chose à voir, de manière personnelle, souvent intime même, avec ce combat. Tout simplement pour que les lecteurs rencontrent non seulement un personnage dans le livre, maîs aient aussi affaire à des écrivains qui s'engagent et sont eux aussi des «militants» avec leur plume. Parfois je suggère le couple, parfois I auteur vient me le proposer, cela dépend Maisje choisis toujours lorsque je sens que la résonance de l'un et de L'autre fonctionne. Mana Poblete, écrivain chilienne exilée pour évoquer Lucie Aubrac et la resistance, Ysabelle Lacamp, imprégnée de son histoire cévenole et protestante pour faire revivre Marie Durand, I héroïne huguenote de La Tour Constance, Dominique Conil, passionnée de La Russie depuis toujours pour la journaliste Anna Politovskaia, Bruno Doucey, poète engagé pour écrire La vie de Lorca je pourrais vous montrer toutes ces correspondances sur chacun des titres parus. auxquelles ils croyaient J ai eu envie de raconter ces figures fortes et leur engagement, et de montrer comment les combats d'hier résonnent aujourd'hui Et qu'il y a encore plein de raisons de s'engager ! Comment se fait le choix des personnalités et des thèmes présentés, ainsi que celui des auteurs qui en parlent? Les thèmes s'imposent- luttes contre les discriminations, les dictatures, les violences et toutes les atteintes aux ACTES 8063443300504/GRT/ARN/3 Sur le blog qui lui est consacré, vous présentez les livres de la collection comme des romans historiques, plutôt que des biographies. En quoi cela estil important, pour vous? Est-ce que le recours au langage de la fiction vous paraît plus approprié pour susciter l'intérêt et Les interrogations des jeunes lecteurs? Ah oui j'y tiens absolument1 Ce ne sont pas des biographies, ce sont des romans Chaque auteur a la liberté narrative totale de son dispositif littéraire Certains utilisent la première personne, comme Nimrod pour Rosa Parks, Véronique Tadjo pour Nelson Mandela, d'autres inventent des personnages comme le jeune appelé de la guerre d'Algérie dont Jessie Magana nous livre le journal dans son roman sur Le genéral de Bollardière ou lejournaliste qui interviewe Léonard Peltier dans sa prison, creé par Elsa Solal, d'autres encore empruntent une forme a la lisière de la poésie comme Rachel Hausfater évoquant le chef des combattants du ghetto de Varsovie, Mordechai Anielevitch .. Ainsi il ne s'agit pas d'un récit de vie sur Abd el-Kader ou Olympe de Gouges, maîs bien d'une personne transformée en personnage de roman et cela devient «le» Abd-et Kader de Kebir Ammi ou «la» Olympe de Gouges d'Eisa SoLal C'est une évidence pour moi que la fiction touche et accroche bien plus fortement les lecteurs Ils s'identifient beaucoup mieux au personnage et à son histoire. Cela évite surtout de présenter des «héros» de manière édifiante maîs permet de montrer des personnes qui ont des doutes, des peurs, des lâchetés, des colères Cela n empêche pas La présence après Le roman d'une deuxieme partie, plus brève, à caractère documentaire, ainsi que d un petit cahier photos: «Eux aussi ils ont dit Non» Dans ce dossier sont évoqués les successeurs, ceux qui ont repris le flambeau et lactualite du thème. Le dernier livre de la collection, Won o l'individualisme, se présente sous une forme différente des précédents: six nouvelles sur Le thème de La solidarité, écrites par autant d'auteurs de la collection - dont vous-même - en résidence d'écrivains à Saint-PaulTrois-Châteaux. Pourquoi ce choix? Est-ce que cela correspond au souhait de donner plus de place à la fiction, en se dégageant de la biographie documentaire? G était la premiere fois qu'une résidence d'écrivain devenait celle d une collection. Il y a quelque chose de très spécifique dans cette collection, e est la notion d'équipe, de collectif justement, chacun des auteurs est capable d'évoquer la collection toute entière et de porter Les Livres des autres au cours de ses rencontres Ce n'est pas la juxtaposition de Livres les uns derrière les autres, c'est un projet à plusieurs. Pour l'aventure de la résidence de Saint-Paul, nous devions donc trouver un livrée réaliser ensemble, et la forme des nouvelles s'est imposée. C'est vrai que j'ai proposé de s'affranchir d un personnage ayant existé, et que le résultat est passionnant... Pourquoi ne pas le renouveler? Avoir ! Dans la présentation de Won o l'individualisme vous évoquez les ateliers d'écriture avec les habitants de la Drôme Eléments de recherche : Toutes citations : - ACTES SUD : maison d'éditions - ACTES SUD BD : maison d'édition - ACTES SUD JUNIOR : maison d'éditions - ACTES SUD PAPIERS : maison d'éditions SEPTEMBRE 12 triAnnuel 20 ALLEE DES CERISIERS 85340 OLONNE SUR MER Surface approx. (cm²) : 2058 Page 3/4 et du Vaucluse: un climat particulier d'échanges semble s'être établi tout au long de votre séjour d'écrivains, entre vous, mais aussi avec les habitants de la région. Pourriez-vous en dire quèlques mots de plus, peut-être à travers des exemples précis? Cette résidence collective fut effectivement un moment extraordinaire Nous avons été portés par [enthousiasme des habitants face à notre proposition Nous avions annoncé: «on va faire dire Non à toute la région, de la maternelle à la maison de retraite 1 » Eh bien cela a marché, sauf la maternelle, je le confesse- nous avons commencé au CP... Au total plus de deux cent i C'était si fort comme expérience. On ne se taira plus jamais.. cinquante personnes ont participé à nos ateliers du Non pour faire œuvre littéraire à partir de leurs insurrections intimes Chacun avait à cœur de venir exprimer sa propre contestation, son refus de ce qui, a ses yeux, était inacceptable Que d émotions pendant ces ateliers, que de larmes aussi d'ailleurs, adultes, comme ados . C'était un vrai cadeau pour nous que ces rencontres et ces temps d écriture partagée Et plus de cinq cent soixante enfants pendant les ren- contres scolaires, plus de cinq cents personnes dans les soirées. Inimaginable1 Le meilleur reflet de toute cette chaleureuse ferveur collective, le voici lors de la dernière fête du livre a Samt-Paul-Trois-Châteaux nous sommes venus tous les six dire au revoir Lors d'une table ronde, le dimanche matin, nous avons eu le bonheur de voir la salle se remplir de tous ces visages croisés pendant les trois mois de résidence, jusqu'à ce qu'elle soit pleine à craquer. Un monsieur de presque quatre-vingts ans venu du foyer de personnes âgées a pris la parole en tremblant pour nous remercier d'avoir permis cette expression résistante et solidaire, une lycéenne de seconde a saisi le micro derrière lui pour dire «vous allez nous manquer1 C'était trop fort comme expérience. On ne se taira plus jamais», tandis qu'une jeune femme tout aussi émue a dit «ma vie a change depuis C'est une libération.» Limage la plus forte''Difficile, ilfaudrait en citer desdizames Peut-être ces collégiens de troisième, d'un établissement réputé difficile, qui avaient produit des textes magnifiques et bouleversants et qui ont eu le courage de venir les lire dans la rue, à nos côtés, le jour de la fête de clôture Et toutes ces pancartes«Non aux âmes encagées», «Non à la vie à onze dans un Fl », «Non à ton absence», «Non à ceux qui ont de l'argent et les autres n en ont pas», «Non au sang qui coule à cause des dictateurs», «Non au manque d'amour». Elles avaient fleuri partout dans la ville, un vrai printemps1 Propos recueillis par Silvia Galli, librairie Le Chat Pitre Une résidence d'auteur à Saint-Paul-Trois-Châteaux Gérard Dhotel, Bruno Dout-ty, NimnxJ, Mana Poblete, Elsa Solal, Mnnelle Szac D u U mars au 28 mai 2011, Murielle Szac, Gérard Dhôtel, Bruno Doucey, Nimrod, Maria Poblete et Elsa Solal, auteurs de la collection Ceux qui ont dit non se sont croisés et succédés à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme) dans le cadre d'une résidence collective autour de la collection d'Actes Sud Junior. Cette résidence était élaborée par Le sou des écoles laïques, association organisatrice de la Fête du livre déjeunasse de Saint-Paul-Trois-Châteaux depuis 1985 et d'une résidence d'auteur depuis 2005. Marie-Agnès Jobin, qui fut une des directrices de la Fête, témoigne. Pendant plus de deux mois, les six auteurs de la collection Ceux qui ont dit Non, en résidence ont rencontre des scolaires, proposé des ateliers d'écriture pour tous, animé des rencontres (seuls ou en duo! et participé à des soirées tout public Ils ont débattu autour de la question «Et vous, à quoi dites-vous non 9 » avec des personnes de sept à quatre-vingts ans, se sont déplacés du Vercors à la Vallée du Rhône, en passant par le Vaucluse el ont recueilli près de trois cents Non auprès de la population pendant les ateliers d'écriture Des Non «dans tous les états» comme le rapporte Elsa Solal. «Non féroces, Non joyeux, ils courent d'une bouche à l'autre et j'en retiens lélan, l'énergie, les regards qui interrogent Non caprices, Non cruels, ACTES 8063443300504/GRT/ARN/3 Eléments de recherche : Toutes citations : - ACTES SUD : maison d'éditions - ACTES SUD BD : maison d'édition - ACTES SUD JUNIOR : maison d'éditions - ACTES SUD PAPIERS : maison d'éditions SEPTEMBRE 12 triAnnuel 20 ALLEE DES CERISIERS 85340 OLONNE SUR MER Surface approx. (cm²) : 2058 Page 4/4 Non naïfs ou désespères Non impuis sants dévorants Non tendres et confus Non extravagants honnêtes ou hors-la loi '( ] Innombrables branches de larbre qui pousse en ces villages, villes et fleurit hurlant I injustice volonté d existence amie ennemie » Des Non qui, des mois apres la fm de la residence resonnent encore sur le territoire Tous ceux qui sont revenus lors de la Fête du livre 2012 témoignent de ces liens invisibles qui se sont crées pendant le pr ntemps 2011 A I origine de cette residence, rendue possible grace aux fmanceurs - DRAC Rhône Alpes, Departement de la Drome ville de Samt-Paul-Trois Cha teaux - et aux editions Actes Sud Ju nior, il y avait deux envies celle de Mu nelle Szac qui désirait une experience collective pour cette collection militante dont les auteurs portent ensem ble des valeurs d humanisme de resistance et de transmission et celle de lassociation qui souhaitait une resi dence différente fédératrice d un territoire élargi plus ouverte et plus militante, impliquant toute une population autour de la question de I engagement Nous avions plein d envies plein d idees maîs nous voulions surtout qu a cette aventure du Non les partenaires repondent ou ' Et ils ont repondu, mas sivement 1 Acteurs de la culture du social ou de I enseignement ils se sont investis dans le projet et ont fait de cette residence une réussite collective Parce que cette residence «de collection» a ver tablement ete une aventure collective Pour les auteurs bien sûr qui ont partage un appartement, un journal de bord des rencontres, un atelier d écriture et qui ont défendu en semble une collection et ses valeurs maîs aussi pour I ensemble des participants Les envies et les projets se sont mêles des collaborations médites sont nees un reseau s est cree Chacun des partenaires a saisi a sa facon les propositions les a «aménagées» pour son public et en a suggère d au tres Les actions de la residence se sont ainsi montées peu a peu, sansja maîs perdre de vue I objectif collectif et militant du projet La disponibilité de Munelle Gerard, Elsa Bruno Mana et Nimrod a permis de multiplier les rencontres m a î s a souvent diminue leurs moments d ecn ture pour la nouvelle1 Pendant leur seACTES 8063443300504/GRT/ARN/3 jour chacun a engage la femme ou I homme qu ils sont bien au-delà de I écrivain Ils ont échange autour des thématiques de la collection maîs aussi de leurs propres engagements Ils ont ecoute la fragilite des femmes les dif ficultes des professionnels, les surgissements de la violence quotidienne Ils ont débattu avec des adolescents aux idees parfois préconçues leur disant que «non, tout ne se vaut pas, tout n'est pas relatif I I on ne met pas sur le même plan les résistants et les collabos» IMunelle Szac] Ils ont démontre aux dubitatifs que dire Non n était pas «un réflexe de petit bourgeois ron chen» maîs bien une ouverture sur un oui sur une autre voie possible Ils ont défendu les Non de tous les résistants de la collection maîs ils ont aussi parle deux En echo chacun des participants s est investi sans compter dans cette aventure collective Intimement Ce projet correspondait a une attente A la nécessite de questionner le monde de faire un pas de côte pour reflechir et retrouver son «souffle» Passer par d autres, auteurs et personnages de la collection pour aller chercher en soi le courage de dire non parce que, comme dirait Elsa Solal «On en frissonne de toutes nos lâchetés, ca s apprend le courage de dire non» Apres une rencontre mtergenerationnelle entre des élevés de CM2 et des residents d un foyer de personnes âgees Bruno Doucey se comparait au passage de I aiguille «Je ne suis pas en face, maîs entre-deux ll me suffit de faire circuler la parole de donner le ton, de favoriser le dialogue I I Les mots passent a travers mon corps. Entre les générations, la memoire se tisse comme un fil » Chacun des auteurs a ete «le passage de I aiguille» A travers eux s est construit le dialogue entre «ceux qui ont dit non» et les msurrec lions de chaque participant Partir d une collection s imprégner de tous ces Non qui ont pris leur place dans I Histoire, a permis a ceux qui se sont engages dans la residence individuellement ou collectivement non seulement de pouvoir exprimer (ou faire exprimer) ce qui les révolte dans le monde actuel maîs aussi de changer leur regard sur ce et ceux qui les entourent et de continuer différemment « je les ai senti grandis Heureux d être passes par les mots pour raconter ce qui tes déchirait » disait Munelle Szac apres une rencontre avec des collégiens Ceux-là même qui le jour de la fête de clôture de la residence noteront sur le livre d or «Merci de nous avoir réveilles 1 » La force de I écriture est un lien puissant Alors quand le thème des ateliers d écriture est « Et vous a quoi ditesvous non7» tous ces écrits créent un tableau un peu effrayant du monde ac tuel Maîs toutes ces raisons de dire non aujourd hui n ont pas pour autant génère des textes désespères parce que décidément, «non» est toujours une ouverture Et dans ces mots récoltes chacun y a vu aussi plein de raisons d espérer Dans le dévoilement d evenements intimes, parfoisjamais exprimes il y a eu la liberation d avoir pu le partager Pendant les rencontres scolaires un changement s est opere dans les regards portes les uns sur les autres mélange d admiration et de respect Lors des debats les questions les reflexions abordées ont parfois ge nere une envie nouvelle (ou renouvelée] de s engager Maîs dire non dérange aussi surtout quand il s agit d afficher toutes ces in surrections dans tes rues, de les faire voler au vent pendant plusieursjours 1 «Non au rejet de I etranger car I autre e est tout un chacun», « Non a legalite des chances pour tous qui n existe pour personne 1 » et une vingtaine d autres calicots ont cree la polémique lors de leur accrochage dans les rues de Saintpaul La pression publique a ete trop forte et tout a ete décroche par les services municipaux quèlques heures apres Pourtant le jour de la fete de clôture, lors des deambulations littéraires dans la ville tous ces Non (et bien plus encore) ont refait leur apparition sous forme de pancartes portées par les spectateurs ou accrochées aux barrières accompagnant ainsi les treize auteurs de la collection venus lire des extraits de leurs livres entremêles a tous les Non semés pendant deux mois Quant aux calicots décroches certains commercants ont propose d en mettre dans leurs vitrines Une residence collective et militante jusqu au bout 1 Pour Le sou des ecoles laïques Marie Agnes Jobm, ex directrice de la Fete du livre de jeunesse de Saint Paul Trois Chateaux Eléments de recherche : Toutes citations : - ACTES SUD : maison d'éditions - ACTES SUD BD : maison d'édition - ACTES SUD JUNIOR : maison d'éditions - ACTES SUD PAPIERS : maison d'éditions