Une petite Anglaise, un été

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Une petite Anglaise, un été
Une petite Anglaise, un été
Il avait vu passer une Anglaise à bicyclette. C'était par un après-midi ensoleillé de
septembre.
Il savait qu'elle était anglaise, dans le village les nouvelles circulent vite. Sa famille avait
racheté l'ancienne ferme près du Calvaire.
Longtemps il avait contemplé la tresse d'or qui dansait sur le chemisier blanc et la jupe
fleurie virevoltant au vent. Elle s'éloignait et devenait de plus en plus petite et ne fut
plus bientôt qu'un point à l'horizon.
Il n'était là que pour les vacances et ne faisait aucun projet qui excède les deux
semaines à venir. Si la silhouette de la jeune fille revenait régulièrement dans ses
pensées, celles-ci restaient cependant vagues.
Mais le hasard voulut qu'il la revît sur le marché le samedi suivant. Très attentif aux
étals, aux choix qu'il allait faire, il la bouscula par mégarde. Se retournant pour
s'excuser, il fut ébloui par son teint de porcelaine piqué de quelques taches de son, et
par ses yeux lumineux et railleurs.
Avec un accent merveilleusement british, elle demanda :
« Que me conseillez-vous pour faire une bonne ratatouille ? »
Tiré de sa bienheureuse stupéfaction et soulagé d'avoir quelque-chose à dire, il
bredouilla :
« Venez par là, les tomates y sont particulièrement parfumées... » Et il continua de lui
frayer un chemin parmi la foule.
Ils rirent beaucoup, mais devenaient graves par moments. C'était miraculeux. Dans
son cœur à lui il y avait justement une place à prendre, il s'était séparé de sa compagne
un an plus tôt. Quant à elle, elle était légère et sans attaches. Ils s'étaient trouvés et
devinrent vite inséparables. On pouvait les voir sillonnant la campagne sur leurs
bicyclettes, se baignant dans l'étang, remplissant leurs paniers au marché, prenant un
rafraîchissement sur la place du village, ou prenant une voiture jusqu'à la ville voisine.
Il dut rentrer dans la capitale, déjà le travail l'appelait, et il ne put que constater qu'une
semaine de vacances en sa compagnie c'est beaucoup trop peu.
Il y eut d'interminables conversations téléphoniques entre la campagne et la grande
ville où il s'ennuyait au cours desquelles ils purent se rendre compte que l'éloignement
ne leur convenait pas. Ils se sentaient frustrés de ce sentiment : éprouver l'amour sans
le faire. Ils avaient besoin d'un home à eux...
Léon et Louise s'unirent le mois suivant, devant le maire du village, cérémonieusement
ceint de son écharpe tricolore.
Ils avaient pour seul cortège les parents de Louise, mais offrirent un vin d'honneur aux
personnes du village venues les attendre à la sortie de la mairie. Puis il l’emmena en
ville et ils connurent enfin la jouissance des jeunes couples heureux.
Un petit Marcus fut le fruit de ce bonheur.
Léon travaillait dur. Il voulait offrir tout le confort à sa nouvelle petite famille. Louise
se débattait avec les couches, les biberons, les pleurs du bébé, sans parler des
incontournables maladies infantiles. Elle avait l'impression que l'enfant lui prenait tout
son temps, toute son énergie, elle se sentait seule dans cette grande ville dont elle ne
maîtrisait pas la langue. Même les risettes, les adorables mimiques, les premiers
balbutiements de son poupon ne parvenaient à lui rendre son sourire.
Tous deux, dans la vie, se contentaient d'avancer. Mais la métamorphose était en
marche.
Irrémédiablement ils s'éloignaient, ne sauvant que les apparences du bonheur conjugal.
L'écart entre eux se creusait.
Ils avançaient mais c'était des années perdues. Jusqu'à une brusque prise de
conscience, juste avant la chute, le naufrage.
Devant le miroir où ils se regardaient l'un l'autre, ils furent soudain surpris de ne plus
trouver la moindre lueur de gaîté, de joie de plaisir ou d'espoir. Etonnés de ne plus
avoir besoin de l'autre, de vivre sans véritable projet commun.
« Nous étions faits pour être heureux. Qu'avons-nous fait de nos rêves ? »
« Je crois qu'il est temps de changer les choses. Pour commencer si tu allais chercher le
vase où meurt cette verveine ? »
Eliane ( 4 décembre 2012)
Eliane Chevreux

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