Droits moraux

Transcription

Droits moraux
FASCICULE 7
Droits moraux
Pierre-Emmanuel MOYSE
Professeur, Faculté de droit, Université McGill, et directeur du Centre des politiques
en propriété intellectuelle*
À jour au 26 novembre 2012
POINTS-CLÉS
1. Le droit moral est un concept civiliste qui se définit comme un ensemble de prérogatives visant la protection des intérêts extrapatrimoniaux de l’auteur. Sa fonction n’est
pas directement liée au contrôle de l’exploitation économique de l’œuvre mais vise à
reconnaître les droits de la personne de l’auteur dans son œuvre (V. nos 1 à 13, 35, 36
et 72 à 75).
2. Le Canada a été le premier pays de tradition de copyright à consacrer les droits moraux
dans la forme prévue à l’article 6bis de la Convention de Berne de 1928 (V. nos 14 à 23).
3. Le droit moral a été introduit dans la Loi canadienne sur le droit d’auteur en 1931.
Elle reconnaît deux de ses principales manifestations : le droit de paternité ou droit
d’attribution et le droit à l’intégrité ou droit au respect de l’œuvre (V. nos 24 à 34).
4. Le système canadien est dualiste : les droits moraux bénéficient dans la Loi canadienne
sur le droit d’auteur d’un traitement indépendant des droits pécuniaires. Ce dualisme
est pourtant à l’avantage des droits économiques auxquels on accorde en pratique une
plus grande importance (V. nos 35 à 50).
5. Le principe même du droit moral peine à trouver application au Canada, d’abord en
raison des divergences conceptuelles entre traditions de droit d’auteur et copyright
qu’il met en évidence (V. nos 48 à 50), ensuite en raison des conditions particulièrement
strictes d’application des droits d’intégrité et de paternité (V. nos 11 et 76).
6. Les droits moraux sont dits insaisissables et inaliénables. L’auteur peut en revanche y
renoncer (V. nos 66 à 69).
<http://www.cipp.mcgill.ca/fr/>.
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II. Propriété littéraire et artistique
7. Les droits moraux de l’auteur ont la même durée que les droits économiques; ils
subsisten­t pendant la vie de l’auteur, puis jusqu’à la fin de la cinquantième année
suivant celle de son décès (V. no 70).
8. Le droit de paternité consiste pour l’auteur au droit de voir son nom associé à son
œuvre, de demeurer dans l’anonymat ou de faire connaître son œuvre sous un nom
d’emprunt (V. nos 76, 77 à 88).
9. Le droit d’intégrité est le droit d’empêcher toute déformation, mutilation ou modification préjudiciable de l’œuvre. Ce droit est assujetti à la preuve que l’acte reproché
constitue une atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur (V. nos 89 à 93).
10. La violation des droits moraux donne ouverture aux recours ordinaires et extraordinaires disponibles pour les droits économiques y compris le droit à réparation sous
forme de dommages-intérêts (V. nos 72 à 75).
11.La Loi sur la modernisation du droit d’auteur (L.C. 2012, c. 20, entrée en vigueur le
7 novembre 2012) étend le bénéfice des droits moraux aux artistes-interprètes (art. 17.1
et 17.2, 28.1 et 28.2, 34(2) de la Loi modifiée) (V. no 1).
TABLE DES MATIÈRES
Introduction : 1-4
I.
Prolégomènes : 5-13
II. Développement international et contexte législatif : 14-34
A. Le droit moral dans la Convention de Berne : 14-23
1. Évolution du texte de Rome de 1928 : 17-23
B. Les droits moraux en droit canadien : 24-34
1. Jurisprudence : 26-27
2. Doctrine : 28
3. Législation spéciale préalable à la loi de 1931 : 29-34
III. Rétrospective sur les théories du droit moral – État des questions : 35-50
A. Théories personnalistes : 35-44
1. Impact du subjectiviste sur le droit d’auteur continental : 35-37
2. Doctrines personnalistes : 38-44
B. Monisme et dualisme : 45-47
C. Place du droit moral dans la common law : droit ou remedies ? : 48-50
IV. Protection du droit moral : 51-70
A. Caractères du droit moral : 52-69
1. Caractère personnel des droits moraux : 52-65
a)Auteurs et titulaires : 53-56
b)Auteur et artiste : 57
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Fasc. 7 – Droits moraux
V.
c)Auteur et personne morale : 58-61
d)Exercice du droit moral par autrui : 62-65
(i) Dévolution successorale des droits moraux : 63-64
(ii) Exercice du droit moral dans le cadre d’un mandat : 65
2. Inaliénabilité et renonciation du droit moral : 66-68.1
3. Insaisissabilité du droit moral : 69
B. Durée des droits moraux : 70
Exercice des droits moraux : 71-93
A. Prescription des droits d’action : 72-74
B. Abus des droits moraux : 75
C. Attributs du droit moral : 76-93
1. Droit de paternité : 77-88
a)Nature et régime du droit d’attribution : 78-84
b)Caractère raisonnable des usages du nom : 85
c)Rapport du droit de paternité avec le droit d’exploitation : 86-88
2. Droit à l’intégrité de l’œuvre : 89-93
a)Éléments matériels du droit d’intégrité : 89.1
b)Atteinte à l’honneur et à la réputation : 90-93
INDEX ANALYTIQUE
Auteur, 13
Absence de définition, 54-55
Artisan, 58
Artistes-interprètes, 85
Auteur-créateur, 37
Compositeur, 85
Condition essentielle des droits moraux, 55
Contrat d’écriture (et), 80
Contrefaçon (et), 79
Directives européennes, 59
Employé, voir Œuvre (Création
d’employés)
Mesure du droit d’auteur, 38, 40
Notion d’artiste, 52, 57-58
Personne morale, 52, 58
Code civil du Québec, 61
Propriétaire (distinction), 37, 53
Loi canadienne, 52
Biens juridiques, voir Droits patrimoniaux
(Définition)
Code criminel, 27, 29
Recours, 82
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Common law
Droit d’auteur, 16
Définition, 8
Notion de patrimoine (et), 7
Reconnaissance des droits moraux, 48-50
Canada, 31
États-Unis, 16, 21
Royaume-Uni, 16
Contrat d’écriture, 80
Convention de Berne, voir Traités
internationaux
Copyright, 3, 8, 51-52
Droit civil
Pensée civiliste, 9
Influence en droit canadien, 26
Notion de droit, 35
Recours, 73
Responsabilité civile, 56, 83
Droit d’accession
Définition, 11
Droit d’attribution, 2, 31
Définition, 11
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II. Propriété littéraire et artistique
Mise en œuvre, 77-78, 88
Recours, 31, 56
Droit d’auteur, 1, voir aussi Common law,
Droit moral
Abus de droit, 75
Attributs, 6
Législation canadienne, 2
Auteurs étrangers, 29
Bénéfice matériel, 27
Caractère absolu, 12, 28, 42
Propriété exclusive, 28
Caractère social et culturel, 12
Cession, 37, 40, 43-44
Droit allemand, 46
Définition, 40, 65
Doctrine, 28
Droit des biens (et), 42, 44
Droits de nationalité (et), 42
Droits d’exploitation, 40
Droits moraux (et), 2
Distinction en droit canadien, 8
Définition, 8, 33
Renonciation, 37, 83
Enregistrement, 68.1
Économie générale, 2-4
Insaisissabilité, 43-44
Intransmissibilité, 7, 40
Lien personnel, 2, 36
Obligation de renseignement, 87
Parodie (et), 92
Possession, 52
Réforme, 32-34
Recours, 71
Contrefaçon, 72
Régime contractuel, 37
Traités internationaux, 14
Volet économique, 36, 44, 52
Droit pécuniaire, 43, 53
Volet personnel, 36, 41, 44, 46, 52
Droit d’aval, 33, 68, 89.1
Droit de créer, 11
Droit de destruction et de protection
Définition, 11
Droit de divulgation, 2, 49, 76
Définition, 11
Droits de l’homme, 12, 30, 42
Droit de paternité, 2, 6, 27, 29, 33, 56, 76, 83, 86
Abus de droit (et), 75
Acte de Rome, 17
Affaire Robinson, 79
Application, 85
Atteinte, 28
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Contrat d’écriture (et), 80
Contrefaçon (et), 79
Définition, 11
Dévolution successorale (et), 63
Droit d’attribution, 77
Non-nécessité de publication, 78
Incessibilité, 80
Limitation matérielle, 81
Marque de commerce, 84
Nature, 79
Personne morale, 58
Recours, 83-84
Délit de substitution, 84
Usage raisonnable du nom, 85, 90
Test objectif, 85
Droit de repentir, 2
Définition, 11
Droit de retrait, 2, 49
Droit d’exploitation, 76-77
Droit d’intégrité, 6, 31, 33, 56, 76
Abus de droit (et), 75
Acte de Rome, 17
Affaire Snow, 92
Atteinte, 28
Honneur et réputation, 31, 90-91
Atteinte préjudiciable, 90
Matérielle, 92
Présomption, 91
Perte de chance, 93
Définition, 11, 89.1
Domaine d’application, 89.1
Droit canadien, 89.1
Éléments matériels, 92
Mise en œuvre, 63
Parodie (et), 92
Personne morale, 58
Recours, 31
Conditions d’ouverture, 55, 73
Droit international, voir Traités
internationaux
Droit moral, voir aussi Traités internationaux
(Convention de Berne)
Abus de droit, 75
Abus de procédure, 75
Attributs, 71, 76
Caractère absolu, 12
Caractère perpétuel, 7, 64
Caractère personnel, 51, 65
Caractère social et culturel, 4, 12
Champ conceptuel, 38
Concept, 1, 9
Attribut de la personnalité, 7, 46
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Fasc. 7 – Droits moraux
Renonciation, 37, 51, 68, 80, v. aussi
inaliénabilité
Moyen de défense, 67
Réparations, 74, 83
Théorie personnaliste, 3, 38
Conception dualiste, 45, 47
Conception moniste, 40, 45-46
France, 41-43
Tradition allemande, 39-40
Théorie subjectiviste, 3, 13, 35
Droits économiques, voir Droits patrimoniaux
Droits patrimoniaux
Définition, 1, 7
Droit moral (et), 1, 7
Interdépendance, 45, 68
Fonction, 1
Employés, voir Œuvre (Création d’employés)
Ghostwriting, voir Contrat d’écriture
Intégrité de l’œuvre, voir Droit d’intégrité,
Œuvre (Intégrité)
Intimité (droit à), 6
Loi canadienne (et droits moraux), 30-31
Hybridation, 4
Bijuridisme, 30
Perspective historique, 24-25
Jurisprudence, 26-27, 51
Origine anglaise, 3
Protection limitée des droits moraux, 51
Mash-up, 4
Nom de l’auteur, 63
Anonymat, 79
Critique (et), 86
Droit d’attribution (et), 77, 88
Prestige, 27, 90
Protection, 29
Pseudonyme, 79
Référence obligatoire, 87
Exception, 87
Internet, 88
Usurpation, 24, 27-28, 83
Sanctions pénales, 29
Utilisations équitables, 86-87
Œuvre
Artistique
Définition, 58
Collective, 4, 55
Création corporative, 59
Condition essentielle des droits moraux, 55
Conservation, 4
Création d’employés, 4, 53, 55, 80
Contrat d’emploi (et), 60
Créée pour la Couronne, 53
Définition, 5-6, 31
Emploi du pluriel, 2, 9
Évolution, 35
Formation, 3
Notion de copyright (et), 3, 8
Coutume (et), 85
Doctrine moderne, 41
Droits de la personnalité (et), 35, 56, 69
Droit naturel (et), 36
Droit de propriété (et), 35-36, 42
Droit subjectif, 35
Droit d’auteur (et), 2, 6, 45, voir aussi
Droit d’auteur
Droits spécifiques, 11
Sources, 11
Durée, 43, 47, 58, 70, v. aussi caractère
perpétuel
Coïncidence avec la durée des droits
économiques, 19, 63, 70
Computation du délai, 70
De la protection, 18-19, 31, 33, 39
Protection post mortem, 18-20, 23,
70, v. aussi exercice par autrui
(dévolution successorale)
Exercice par autrui, 52, 62
Dévolution successorale, 62-63, 70
Jurisprudence, 64
Mandat, 65
Transfert des bénéfices du droit moral,
62
Genèse, 47
Hors commerce, 7
Inaliénabilité, 31, 65, 68
Renonciation (et), 66
Incessibilité, 7, 47
Indépendance, 1
Insaisissabilité, 47, 69
Intégration dans la législation américaine, 16
Intégration en droit international, 22
Intransmissibilité, 7
Monopole d’exploitation (et), 47
Nature particulière, 26, 31, 36, 55
Numerus clausus, 76
Objet, 40
Parité, 19
Prescription, 72
Protection
Limites, 51
Question constitutionnelle, 10
Réception en droit canadien, 4, 17, 51
Recours, 71-72
Civils, 73
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II. Propriété littéraire et artistique
Dessin, 91
Exploitation économique, 53
Gravure, 91
Importation, 81
Intégrité, 71, voir aussi Droit d’intégrité
Acte d’un tiers, 2
Altération, 89-90
Changement de lieu, 89.1
Dénaturation, 89-90
Destruction, 89.1
Mesures de conservation ou de restaura­
tion, 89.1
Mutilation, 89-91
Littéraire, 4, 91
Logicielle, 4, 55
Droit de paternité (et), 85
Ordinateur (générée par), 4
Originalité, 59
Parodie, 92
Peinture, 91
Photographique, 59
Portrait, 53
Production, 55
Protection, 11, 14
Droit au respect, 17
Représentations théâtrales, 29
Sculpture, 91
Titre d’un film, 27
Office de la propriété intellectuelle du Canada,
68.1
Partage des compétences, 10
Patrimoine
Patrimoine culturel, 13
Protection, 13
Phonogramme, 22
Rapport Keyes-Brunet, 32-33
Recours, 6, 83-84
Contrefaçon, 72
Délit de substitution, 6
Diffamation, 6, 84
Remix, 4
Révision de Bruxelles, 19
Révision de Rome, 14
Technologie, 4, 59, 88
Traités internationaux, 14
Accords ADPIC, 21-22
Renvoi à la Convention de Berne, 21, 48
Acte de Rome, 14, 16, 29-30
Évolution, 17
Conférence de Stockholm, 13, 20, 48
Convention de Berne, 13, 22, 29, 32, 47, 51
Accords ADPIC (et), 21
Adhésion des États-Unis, 16, 21, 49
Adoption par le Canada, 24, 27, 30
Atteinte à l’honneur et la réputation,
90
Droit moral (et), 14
Attributs, 76
Compromis, 15
Durée, 70
Convention de Rome, 22
Cour internationale de justice, 21
Déclaration universelle des droits de
l’homme, 12
Mécanismes de résolutions de conflits, 21
Recours entre États (absence de), 21
Source de droits moraux, 11
Traité de Berne, 16, 18
Traité de l’OMPI, 22, 33
Traité de Beijing, 23
INTRODUCTION
1.  Droit moral – La propriété intellectuelle moderne forme un alliage complexe de
concepts juridiques fort variés. L’un d’eux tient une place de premier ordre dans la matière
et en particulier en droit d’auteur, il s’agit du droit moral. Le droit moral se distingue, tant
dans sa nature que dans son régime, des droits dits pécuniaires ou patrimoniaux. Ces
derniers sont des biens juridiques dont la fonction est essentiellement économique; leur
fonction est de faciliter l’exploitation de l’œuvre par licence ou cession. Le droit moral et
ses attributs, les droits moraux, sont en revanche d’une autre essence. Ces prérogatives
unissent le sujet à l’objet, l’auteur à l’œuvre et poursuivent des intérêts non directement
reliés à l’exploitation économique de l’œuvre. Cette opposition, nous le verrons, ne doit
pas être exagérée et il n’est pas rare que le droit moral soit exercé pour des motifs économiques. La différence de régime qu’implique la différence de nature de ces droits apparaît
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clairement à l’article 14.1(3) de la Loi sur le droit d’auteur1 qui énonce que « [l]a session
du droit d’auteur n’emporte pas renonciation automatique aux droits moraux ». Cette indépendance des droits moraux se trouve également au nouvel article 17.1(3) L.d.a. traitant du
droit moral des artistes-interprètes sur leurs prestations.
1. L.R.C. (1985), c. C-42 (ci-après « L.d.a. »), telle que modifié par la Loi sur la modernisation
du droit d’auteur, L.C. 2012, c. 20 (sanctionnée le 29 juin 2012 et entrée en vigueur le 7
novembre 2012).
2.  Les droits moraux dans l’économie générale du droit d’auteur – En droit canadien,
le droit moral se conjugue plus volontiers au pluriel. Tout comme dans les autres législations, les droits moraux expriment le lien personnel qui unit le créateur à sa création.
Selon la législation canadienne, ses attributs visent essentiellement le droit de voir le nom
de l’auteur associé à son œuvre, le droit d’attribution ou de paternité, et le droit de l’auteur
d’empêcher tout acte d’un tiers qui viendrait compromettre l’intégrité de l’œuvre. Certaines
législations sont allées plus loin dans la reconnaissance de ce lien personnel avec l’œuvre et
ont reconnu à l’auteur d’autres prérogatives tels les droits de retrait, de repentir ou le droit
de divulgation1. De prime abord, la physionomie du droit moral au Canada est minimale.
1. Pour un aperçu de droit comparé, voir : Cess van RIJ et Hubert BEST, Moral rights,
Anvers, Maklu Publishers, 1995; Stig STRÖMHOLM, Le droit moral de l’auteur, en droit
allemand, français et scandinave, avec un aperçu de l’évolution internationale, étude de
droit comparé, t. I, « L’évolution historique et le mouvement international », t. II, « Le droit
moderne », Stockholm, P.A. Norstedt & Söners förlag, 1967; Carine DOUTRELEPONT,
Le droit moral de l’auteur et le droit communautaire, Bruxelles, Bruylant, 1997.
3.  Le droit moral dans la loi canadienne : une anomalie ? – Nous verrons que la portion
congrue accordée à ce sujet par le droit canadien, par la loi, la doctrine ou la jurisprudence,
ne doit pas faire oublier sa centralité dans la compréhension de l’économie générale du
droit d’auteur. Il faut toutefois reconnaître que la présence de la notion de droit moral dans
notre loi est une marque singulière, notre système ayant été construit largement à partir
lois anglaises (dites de copyright). Notre droit étant donc issu principalement du droit
anglais, le droit canadien n’a reçu que partiellement les théories continentales européennes
personnalistes et subjectivistes qui sont à l’origine de la formation du concept même du
droit moral. Il existe, en d’autres termes, une incompatibilité ou une inadéquation entre la
notion de droit moral et le copyright qui, comme son nom l’indique, est dans son esprit un
droit de copie et non d’auteur1. La différence de perspective que sous-entend cette variation
terminologique est évidente.
1. Alain STROWEL, Droit d’auteur et copyright, divergences et convergences, Bruxelles,
Bruylant, L.G.D.J., 1993; Pierre-Emmanuel MOYSE, « La nature du droit d’auteur : droit
de propriété ou monopole », (1998) 43 R.D. McGill 507, 558; Lyman Ray PATTERSON
et Stanley W. LINDBERG, The Nature of Copyright : A Law of Users’ Rights, Athens,
University of Georgia Press, 1991.
4.  La dimension culturelle et conjoncturelle du droit moral – Le sujet du droit moral
nous plonge dans les nuances des cultures juridiques. Le droit canadien présente en
effet un certain niveau d’hybridation. La réception du droit moral dans une législation
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II. Propriété littéraire et artistique
essentiellemen­t centrée sur l’objet et son exploitation affecte nécessairement l’économie
générale du droit d’auteur. Le droit canadien est donc un droit sous influence. La présence
du droit moral met en lumière les éléments mêmes de son équation : il place l’œuvre et
l’auteur au premier plan de l’analyse. Il révèle les dimensions culturelles, technologiques
et politiques de ces notions et comment elles évoluent dans le temps. Il met en relief les
différences qui peuvent exister dans le processus de création entre une œuvre logicielle
et une œuvre littéraire par exemple. De la même manière, la création d’employés, l’œuvre collective ou générée par ordinateur, les mash-up et la culture du remix, les moyens
technologiques mis à la disposition de l’utilisateur désormais auteur, ne renvoient pas à la
conception unique de l’idée d’auteur. Le caractère personnel de la relation auteur-œuvre
que cherche à appréhender le droit moral sera donc plus ou moins marqué selon les circonstances. Plus, le droit moral nous fait également découvrir, au-delà de l’auteur, mais
à travers lui, l’intérêt social qui réside dans les arts. On peut voir le droit moral comme
une manière de déléguer à l’auteur la conservation des œuvres qu’il produit : nul autre
que lui ne pourra mieux veiller sur l’œuvre. L’auteur devient dans cette conception plus
métaphysique le gardien des intérêts d’une collectivité dans la préservation de son art, de
ses valeurs esthétiques, de son patrimoine culturel. Étudier le droit moral, c’est finalement
s’interroger sur la fonction du droit dans les mécanismes créatifs et son adéquation aux
phénomènes culturels.
I.PROLÉGOMÈNES
5.  Une définition générale – Le droit moral couvre des manifestations juridiques ou
des intérêts juridiques qu’un État, soit par sa législation, soit par ses tribunaux, estime
nécessaire de protéger et qui vise à accorder à l’auteur des prérogatives dont la nature et
la fonction ne sont pas directement liées au contrôle de l’exploitation économique de son
œuvre, mais plutôt de reconnaître les droits de la personne de l’auteur dans son œuvre.
6.  Le sens large et le sens strict – Cette définition générale peut être interprétée de deux
manières distinctes. Suivant Strömholm1, il est possible de distinguer entre le droit moral
au sens strict et le droit moral au sens large. Au sens strict, le droit moral est l’ensemble
des attributs à la disposition de l’auteur lui permettant de réclamer, notamment, la paternité intellectuelle de son œuvre, le contrôle sur la communication de cette dernière au
public ainsi que le droit au maintien de son intégrité. Au sens large, le droit moral désigne l’ensemble des droits juridiques positifs permettant de faire respecter les attributs
personnels rattachés au statut personnel d’auteur. Au sens strict, le droit moral découle
essentiellement de la législation spéciale sur le droit d’auteur. Il s’agit, en droit canadien,
des droits de paternité et d’intégrité prévus à la Loi sur le droit d’auteur. Au sens large, ils
désignent l’ensemble des recours spécifiques et de droit commun mis à la disposition de
l’auteur pour défendre ses intérêts personnels, y compris le droit à l’intimité, les recours
en diffamation ou relevant du délit de substitution, etc.
1. Stig STRÖMHOLM, Le droit moral de l’auteur, en droit allemand, français et scandinave, avec
un aperçu de l’évolution internationale, étude de droit comparé, t. I, « L’évolution historiqu­e et
le mouvement international », Stockholm, P.A. Norstedt & Söners förlag, 1966, p. 15-16.
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Fasc. 7 – Droits moraux
7.  Les droits moraux et les droits économiques – C’est à partir de la théorie générale
des biens et de la distinction civiliste entre droit patrimonial et extrapatrimonial que l’on
a pu dégager la distinction entre droit moral et droit économique. Le second est perçu
essentiellement comme le droit de monnayer et percevoir les bénéfices de l’exploitation
de l’œuvre, le premier est essentiellement un attribut de la personnalité. On peut dire alors
avec les classiques que le droit pécuniaire est dans le commerce et le droit moral est hors
commerce1. Présentant les mêmes caractéristiques que les droits extrapatrimoniaux, le
droit moral est dit intransmissible ou incessible. Certaines législations lui reconnaissent
également un caractère perpétuel, ce qui n’est pas le cas au Canada. Il faut donc reconnaître
que la présentation du droit moral dans des termes civilistes ne peut pas faire l’unanimité
au Canada, la common law n’étant pas familière avec la notion de patrimoine et son champ
lexical. Ce qui n’empêche pas les juristes élevés dans cette tradition de décrire les droits
d’auteurs dans leurs fonctions économiques essentiellement comme des droits de propriété.
1. André FRANÇON, Le droit d’auteur, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1992, p. 13-18;
WORLD INTELLECTUAL PROPERTY ORGANIZATION, Intellectual Property
Handbook : Policy, Law and Use, WIPO Publications, 2004, p. 46.
8.  Le droit d’auteur et les droits moraux – La loi canadienne maintient la distinction
entre le droit d’auteur, qu’elle traduit par « copyright », et les droits moraux1. L’article 2
L.d.a. est consacré aux définitions et contient deux renvois aux articles traitant respectivement des droits économiques et des droits moraux. L’effet de cette classification fait dire
que le législateur canadien a opté pour l’approche traditionnellement retenue dans les pays
de common law selon laquelle le droit d’auteur (« copyright ») couvre essentiellement les
aspects économiques de l’exploitation d’une oeuvre.
Dans un premier renvoi, la définition de droit d’auteur (copyright) de l’article 2 L.d.a. identifie les dispositions qui en précisent le contenu et, parmi elles, l’article 3 L.d.a. qui porte
également le titre « Droit d’auteur » :
« droit d’auteur » S’entend du droit visé :
a) dans le cas d’une œuvre, à l’article 3;
b) dans le cas d’une prestation, aux articles 15 et 26;
c) dans le cas d’un enregistrement sonore, à l’article 18;
d) dans le cas d’un signal de communication, à l’article 21.
Dans un second renvoi, il est indiqué que les droits moraux sont, pour leur part, traités
aux paragraphes 14.1 et 17.1(1) L.d.a. :
« droits moraux »
« droits moraux » Les droits visés aux paragraphes 14.1(1) et 17.1(1).
1. Art. 2 L.d.a.
9.  Le droit moral et les droits moraux – On emploie généralement l’expression « le
droit moral » pour la présentation du concept général. La formule générique permet donc
d’aborde­r le sujet à partir de la théorie générale du droit moral. Avec le passage au pluriel,
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II. Propriété littéraire et artistique
« les droits moraux », on passe du plan de l’abstraction à la règle matérielle et à la composition élémentaire du droit moral, c’est-à-dire à ses attributs et à ses recours. Certains voient
dans l’usage du pluriel une volonté de se défaire de la théorie générale du droit moral et
peut-être de l’emprise de la pensée civiliste continentale puisqu’il renvoie directement au
régime des droits et non à leur fondement1.
1. Christophe CARON, Droit moral ou droits moraux, Petites affiches, 6 décembre 2007,
no 244, p. 28; André FRANÇON, Le droit d’auteur, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
1992, p. 192; André LUCAS et Henri-Jacques LUCAS, Traité de propriété littéraire et
artistique, Paris, Litec, 1995.
10.  Droit moral et partage des compétences – En raison de la nature particulière des
droits moraux et de leur affiliation avec les droits de la personnalité, on a parfois soulevé la
question constitutionnelle : le pouvoir de légiférer en matière de droit moral devrait-il être
attribué aux provinces en vertu de leur compétence générale en matière de « droits civils »
(art. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867)1 ? La problématique était bien réelle dans un
contexte législatif qui avait, à l’origine, fait peu de place aux droits moraux. L’article unique
de la loi de 1931 qui reprenait la disposition 6bis de la Convention de Berne (révision de
Rome) n’était pas seulement laconique; sa rédaction faisait douter de l’affiliation des droits
moraux au droit d’auteur. Le texte de la disposition unique de 1931 commençait en effet
par la formule « indépendamment de ces droits d’auteurs ». Progressivement, le législateur a réintégré les droits moraux sous le libellé général de la Loi sur le droit d’auteur et
a multiplié les points d’amarrage. On ajoutera enfin la jurisprudence récente de la Cour
suprême sur le partage des compétences selon laquelle le Parlement fédéral a toute latitude
de légiférer dans les matières qui ont un lien direct un substantiel avec ses compétences
en matière de « droit d’auteur » qui lui sont expressément attribuées par la Constitution
(art. 91(23) de la Loi constitutionnelle de 1867). Qu’il existe un rapport fonctionnel, un lien
direct et substantiel, entre l’objectif général du droit d’auteur, compris comme système, et
les droits moraux est difficilement contestable2. À notre connaissance, la question de la
validité constitutionnelle des droits moraux n’a jamais été traitée par les tribunaux3. Elle
a été plaidée à quelques reprises4.
1. Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.).
2. La question de la constitutionnalité des dispositions de la loi concernant les droits moraux
avait été soulevée dans la cause Snow c. The Eaton Centre Ltd., (1982) 70 C.P.R. (2d) 105
(Ont. H.C.J.).
3. Sur les critères utilisés dans la détermination de la compétence fédérale en matière de propritété intellectuelle, voir Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S.
302.
4. Plus généralement sur le sujet, voir : Emily CONWAY, « L’arrimage entre les droits privés
provinciaux et la Loi sur le droit d’auteur : une dissonance harmonieuse ? », (2011) 23 C.P.I.
1185; Jean LECLAIR, « La constitutionnalité des dispositions de la Loi sur les droits d’auteur
relatives aux droits des distributeurs exclusifs de livres », (1998) 11 C.P.I. 141-155.
11.  Typologie sommaire des droits moraux – Le droit moral peut se décliner en plusieurs
droits spécifiques. Les sources de ces droits sont très variées, passant des traités internationaux1 aux législations locales sans oublier certaines jurisprudences bien spécifiques.
Voici une liste non exhaustive des principaux droits moraux que l’on peut rencontrer. Il est
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important de noter que la loi canadienne ne reconnaît formellement que les deux premier­s
de cette liste2 :
– Le droit de paternité ou d’attribution est le droit pour l’auteur d’interdire que son
œuvre soit publiée sans son nom ou sous le nom d’un autre et d’en recueillir ainsi
le mérite. Il comporte également le droit pour l’auteur de demeurer anonyme.
– Le droit d’intégrité est le droit pour l’auteur de s’opposer à toute modification ou défor­
mation de son œuvre ou encore d’en présenter une version incomplète ou inexacte3.
– Le droit de divulgation est le droit pour l’auteur, si l’œuvre est non encore publiée,
de choisir si ou le moyen, le moment et la forme dans laquelle l’œuvre sera communiquée au public4.
– Le droit de repentir est le droit pour l’auteur de demander le retrait d’une œuvre du
circuit commercial dans le cas où ses convictions ne seraient plus en accord avec
les opinions ou idées qui y sont exprimées5.
– Le droit de destruction et de protection permet à un auteur de détruire l’œuvre ou
d’en interdire la destruction6.
– Le droit d’accession permet à l’auteur d’avoir accès à l’exemplaire de son œuvre
gardé ou acquis par un tiers et conservé dans un lieu autrement privé7.
– Le droit de créer se conçoit pour sa part de deux manières8. D’un côté, elle peut
protéger la liberté de l’auteur des obstacles externes (ex : politique, action d’un
tiers). D’un autre, elle donne à un auteur le droit de ne pas créer. C’est-à-dire qu’il
serait impossible de contraindre un auteur de créer une œuvre. Cette position est
très peu populaire de nos jours. Une des raisons de ceci est que le droit moral est
normalement conceptualisé comme liant un auteur à son œuvre. Accorder des droits
moraux sur une relation « auteur-œuvre » inexistante est hautement problématique.
1. Art. 27, al. 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
2. Art. 14 L.d.a.
3. Pour un traitement de la problématique de la protection des œuvres, voir : Nadia
WALRAVENS, « La protection de l’œuvre d’art et le droit moral de l’artiste », (2003) 197
R.I.D.A. 2-77.
4. Par exemple, lire le Code de la propriété intellectuelle français, L 121-1.
5. Par exemple, lire le Code de la propriété intellectuelle français, L 121-4.
6. À propos du droit de destruction et de protection, voir : Laura GASSAWAY, « Copyright
and Moral Rights (Copyright Corner) », (2002) 6:12 Information Outlook 40-41. Handa note
que le droit canadien ne semble pas prévoir de recours pour la destruction totale de l’œuvre :
Sunny HANDA, Copyright Law in Canada, Markham, LexisNexis Canada, 2002, p. 381.
Voir également : André LUCAS et Henri-Jacques LUCAS, Traité de propriété littéraire et
artistique, Paris, Litec, 1995, p. 383.
7. L’article 4(1)d) de la loi grecque sur le droit d’auteur affirme : « l’auteur a le droit d’accéder
à son œuvre, même si le droit patrimonial sur l’œuvre ou la propriété du support matériel
de l’œuvre appartient à autrui » (traduit dans Carine DOUTRELEPONT, Le droit moral
de l’auteur et le droit communautaire, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 357).
8. Stig STRÖMHOLM, Le droit moral de l’auteur, en droit allemand, français et scandinav­e,
avec un aperçu de l’évolution internationale, étude de droit comparé, t. II, « Le droit moderne »,
Stockholm, P.A. Norstedt & Söners förlag, 1966, p. 85-89. Voir aussi : Emmanuel DERIEUX,
« Œuvre de commande, liberté de création et droit moral », (1989) 141 R.I.D.A. 199.
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II. Propriété littéraire et artistique
12.  Les droits moraux et les droits de l’homme – Ainsi que nous l’avons mentionné,
les droits moraux peuvent être perçus comme une extension des droits de l’homme. Cette
proposition peut trouver un fondement solide dans les principes posés par la Déclaration
universelle des droits de l’homme. L’article 27 de ce traité se lit comme suit :
1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la
communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux
bienfaits qui en résultent.
2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de
toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.1
Formulée autrement, la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme le principe
du droit d’auteur tant dans son aspect patrimonial qu’extrapatrimonial. De plus, la fonction
sociale et culturelle de ces droits y est rappelée2.
1. Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948, art. 27.
2. CONSEIL DE L’EUROPE, Droits d’auteur et droits de l’Homme, Rapport préparé par le
Groupe de spécialistes sur les droits de l’Homme dans la société de l’information (MC-S-IS),
septembre 2008, Strasbourg, juin 2009.
13.  Le droit moral et la protection du patrimoine – La conception continentale du droit
moral, celle qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui, plébiscite la personne de l’auteur. Elle résulte
essentiellement de l’influence du mouvement subjectiviste sur l’ensemble de la matière
(voir infra nos 35 et suiv.). Le droit moral a pu également véhiculer un certain nombre
d’idées qui tendent à porter plus loin son utilité. Le droit moral peut notamment être vu
comme un moyen de préserver à travers l’œuvre et son auteur le patrimoine culturel d’une
collectivité. Lors de la conférence de Stockholm de 1971, certains pays avaient d’ailleurs
demandé à ce que l’article 6bis soit complété afin d’obliger les membres de l’Union d’adopter les mesures nécessaires afin d’empêcher que les œuvres littéraires ou artistiques soient
utilisées d’une manière préjudiciable à la civilisation dans le cas où l’auteur ne soit plus
là pour intervenir1. Cette proposition fut cependant contestée et finalement rejetée par
l’assemblée. On trouve malgré tout un reliquat de ce débat dans la rédaction actuelle de
l’article 6bis de la Convention de Berne qui prévoit expressément que le droit moral de
l’auteur peut être dévolu à une institution : « Les droits reconnus à l’auteur […] sont […]
exercés par les personnes ou institutions auxquelles la législation nationale du pays où la
protection est réclamée donne qualité ». Le discours du droit moral permet de rejoindre
certaines préoccupations qui sont au centre des instruments internationaux concernant la
sauvegarde du patrimoine culturel ou au moins, y voir certains dénominateurs communs2.
1. Record of the Intellectual Property Conference of Stockholm, June 11 to 14, 1967, Genève,
WIPO, 1971, p. 893.
2.UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel,
Paris, 16 novembre 1972; Elizabeth ADENEY, The Moral Rights of Authors and Performers,
Oxford, O.U.P., 2006, p. 148.
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Fasc. 7 – Droits moraux
II.
DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL ET CONTEXTE LÉGISLATIF
A. Le droit moral dans la Convention de Berne
14.  L’article 6bis de la Convention de Berne – Premier des grands traités internationau­x
en droit d’auteur, le texte originel de la Convention de Berne adopté en 1886 ne fait pas
référence au droit moral1. Le sujet était probablement prématuré et trop diviseur pour l’y
avoir logé dès les premières années alors même que les principales nations derrière le
projet de Convention ne l’avaient pas encore inclus à leur propre législation. Le droit moral
n’apparaît que plus tard, en 19282 lors de la révision de Rome, sous la forme du fameux
article 6bis qui dans sa version actuelle se lit ainsi :
(1) Indépendamment des droits patrimoniaux d’auteur, et même après la cession
desdits droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre
et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette
œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciable à son honneur ou
à sa réputation.
(2) Les droits reconnus à l’auteur en vertu de l’alinéa 1) ci-dessus sont, après sa
mort, maintenus au moins jusqu’à l’extinction des droits patrimoniaux et exercés
par les personnes ou institutions auxquelles la législation nationale du pays où la
protection est réclamée donne qualité. Toutefois, les pays dont la législation, en
vigueur au moment de la ratification du présent Acte ou de l’adhésion à celui-ci,
ne contient pas de dispositions assurant la protection après la mort de l’auteur de
tous les droits reconnus en vertu de l’alinéa 1) ci-dessus ont la faculté de prévoir
que certains de ces droits ne sont pas maintenus après la mort de l’auteur.
(3) Les moyens de recours pour sauvegarder les droits reconnus dans le présent
article sont réglés par la législation du pays où la protection est réclamée.
1. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 1886.
2. Acte de Rome, 1928.
15.  Le compromis – L’article 6 est le résultat d’un compromis important entre les pays
membres. D’un côté, les pays civilistes ont accepté la reconnaissance d’un droit moral
limité dans son étendue, un droit essentiellement cantonné dans les droits de paternité
et d’intégrité de l’œuvre. De l’autre, les pays de common law ont dû accepter ce concept
exogène provenant des traditions civilistes du droit moral1. Il est important de noter que
l’intégration de droits prévus à l’article 6bis ainsi que les mécanismes de protection de ces
derniers sont laissés à l’entière discrétion des législations nationales2, laissant ainsi aux
pays membres le soin d’en transposer le principe. Rien ne force donc les pays de common
law à intégrer ces droits dans le format et la terminologie de l’article 6bis.
1. Mira T. SUNDARA RAJAN, Moral Rights, Oxford, O.U.P., 2011, p. 240.
2. Sam RICKETSON et Jane GINSBURG, International Copyright and Neighbouring Rights,
2e éd., Oxford, O.U.P., 2006, p. 108.
16.  Un enjeu de culture juridique – L’article 6bis demeure aujourd’hui la ligne de partage
entre différentes visions du droit d’auteur, le lieu des controverses. La lenteur avec laquelle
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II. Propriété littéraire et artistique
les droits moraux ont été expressément reconnus dans les pays de tradition de common law
témoigne de leur réticence. Le Canada sera le premier pays de tradition de common law à
transposer l’Acte de Rome en 1931. Les États-Unis adhèreront à la Convention de Berne en
1989 et dans la foulée, le Congrès adoptera le « Visual Artists Rights Act »1 (1990) destiné
à intégrer le principe du droit moral dans la législation américaine. Quant au RoyaumeUni, signataire du Traité de Berne de 1886 qu’il ratifiera en 1887, ce n’est qu’en 1988 avec
la loi « Copyright, design, patent act »2, que les droits moraux seront formellement reconnus. Ces deux pays intègreront certains principes du droit moral conventionnel dans des
textes spécifiques ayant une portée limitée, démontrant ainsi que le concept unitaire du
droit moral est demeuré largement exogène à la common law3.
1. Visual Artists Rights Act, 1990 (VARA), 17 U.S.C. §106A.
2. Copyright, Designs and Patents Act, 1988 (c. 48)
3. Voir : Lionel BENTLY et Brad SHERMAN, Intellectual Property Law, 3e éd., Oxford,
Oxford University Press, 2009, p. 242-260; ainsi que : Brian LEE, « Making sense of “Moral
rights” in intellectual property », (2011) 84 Temple L. R. 71.
1. Évolution du texte de Rome de 1928
17.  Le paragraphe premier – Le paragraphe premier de l’article 6bis est resté quasiment
inchangé depuis 19281. Il énonçait que :
Indépendamment des droits patrimoniaux d’auteur, et même après la cession
desdits droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre
et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette
œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciable à sa réputation.
N’apparaissent donc dans cette disposition première du droit conventionnel que le droit
de paternité et le droit à l’intégrité ou au respect de l’œuvre. C’est dans ce format minimaliste et dans ces termes que le droit moral sera transporté dans le droit canadien. C’est
également dans ces grands principes que les prétendants à l’OMC doivent le recevoir (voir
sections suivantes).
1. Article 6bis de l’Acte de Rome, 1928.
18.  Le paragraphe second – Le second paragraphe de l’article 6bis a un historique plus
riche. Dans sa version originale, le paragraphe second avait introduit une durée de protection minimale des droits moraux correspondant, selon l’état de la législation nationale
en vigueur, à la durée des droits économiques ou à la vie de l’auteur :
(2) Les droits reconnus à l’auteur en vertu de l’alinéa 1) ci-dessus sont, après sa
mort, maintenus au moins jusqu’à l’extinction des droits patrimoniaux et exercés
par les personnes ou institutions auxquelles la législation nationale du pays où la
protection est réclamée donne qualité. Toutefois, les pays dont la législation, en
vigueur au moment de la ratification du présent Acte ou de l’adhésion à celui-ci,
ne contient pas de dispositions assurant la protection après la mort de l’auteur de
tous les droits reconnus en vertu de l’alinéa 1) ci-dessus ont la faculté de prévoir
que certains de ces droits ne sont pas maintenus après la mort de l’auteur.
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Fasc. 7 – Droits moraux
Ainsi, le texte de 1928 permettait aux pays dont la législation n’accordait pas de protection
post mortem aux auteurs au moment de leur adhésion ou de la ratification du Traité de
prévoi­r que les droits moraux s’éteignent avec la mort de l’auteur. Il s’agissait d’un accommodement dans le sens où de nombreux pays européens sous l’influence desquels le Traité
de Berne a été rédigé connaissaient déjà un droit moral plus étendu, comme c’était le cas
pour la France ou au moins un droit moral dont la durée était alignée avec la durée des droits
pécuniaires. Le texte, en revanche ne précisait pas la durée du droit moral lorsque le décès
de l’auteur ne mettait pas un terme aux droits économiques et que ceux-ci lui survivaient.
19.  La révision de Bruxelles – En 1948, lors de la révision de Bruxelles1, le texte fut
bonifi­é par l’ajout au paragraphe premier d’une précision de temps : « l’auteur conserve
pendant toute sa vie » – précision qui fut par la suite abrogée – et le paragraphe second fut
modifié en conséquence pour traiter du sort du droit moral au regard des droits économique­s
dans le cas où ils seraient maintenus après sa mort. La durée du droit moral devait désormais coïncider avec la durée des droits économiques. La modification, loin d’être anodine,
souleva la controverse au sein de l’Union. Pour certains pays, en imposant la parité, le droit
moral devenait ainsi dans la plupart des législations un droit post mortem en puissance. Il
montrait alors sa véritable nature : un droit subjectif extrapatrimonial et non pas un droit
de responsabilité délictuelle de la nature d’un « tort ». Pour d’autres, la parité au contraire
venait limiter la portée des droits moraux de manière considérable en autant qu’on voulait
voir en eux l’expression d’un droit perpétuel.
1. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, révision de
Bruxelles, 1948.
20.  La Conférence de Stockholm – En 1967, lors de la Conférence de Stockholm1, le
paragraphe second fut retouché une dernière fois. Alors que les pays en développement
exigeaient de se faire entendre et que la viabilité du Traité lui-même semblait menacée
par les divisions entre pays émergents et pays favorisés et afin de minorer ce qui était de
nouveau perçu comme un obstacle civiliste, les plénipotentiaires finirent par s’entendre sur
une version particulièrement alambiquée du paragraphe second. Le texte prévoit désormais
que certains droits peuvent s’éteindre à la mort de l’auteur tout en maintenant l’idée d’un
droit moral post mortem2 (voir supra no 14 et la version actuelle de l’article 6bis).
1. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, révision de
Stockholm, 1967.
2. Sam RICKETSON et Jane GINSBURG, International Copyright and Neighbouring Rights,
vol. 1, 2e éd., Oxford, O.U.P., 2006, p. 128.
21.  Le droit moral dans les accords ADPIC (1994) – L’adhésion des États-Unis à la
Convention de Berne en 1989 marque un tournant dans l’échiquier politique international
du droit d’auteur1. Il faut dire d’abord que l’obligation de l’article 6bis de la Convention de
Berne concernant le droit moral n’a pas réussi à faire plier la position américaine qui s’est
toujours défendue d’avoir dans ses tables des équivalents fonctionnels du droit moral. La loi
américaine précédemment citée, la « Visual Artists Rights Act » de 19902, est le seul geste
indiquant une ouverture dans la direction de la reconnaissance d’un droit extrapatrimonial3.
Une fois la conformité de sa législation établie, les États-Unis allaient prendre cette fois
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II. Propriété littéraire et artistique
une position nouvelle de meneur dans une politique commerciale virulente de la défense
des droits économiques. Les Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle
qui touchent au commerce (ADPIC) sont en partie le résultat de cette nouvelle donne géopolitique4. Annexées aux accords commerciaux de l’OMC, les dispositions concernant le
droit moral vont prendre une importance toute relative, les droits économiques devenant
prioritaires. On ne trouve donc aucune trace du droit moral dans la section du traité des
ADPIC concernant le droit d’auteur, qu’il s’agisse des sections concernant les principes
ou les sections subséquentes. La présence du droit moral dans les ADPIC est réduite à un
renvoi au texte de la Convention de Berne auquel les pays signataires doivent se conforme­r.
Ce faisant, les ADPIC soustraient les différends dont le droit moral aurait pu être la source
des mécanismes de résolution prévus à l’article 64 des ADPIC. Aucune sanction et aucun
recours entre États ne sont donc possibles en cette matière :
Les membres se conformeront aux articles premier à 21 de la Convention de Berne
(1971) et à l’Annexe de ladite Convention. Toutefois, les Membres n’auront pas
de droits ni d’obligations au titre du présent accord en ce qui concerne les droits
conférés par l’article 6bis de ladite Convention ou les droits qui en sont dérivés.5
Formulés autrement, cela signifie que les ADPIC n’imposent pas directement la reconnaissance de droits moraux aux pays signataires. Les droits moraux demeurent uniquement
protégés par la Convention de Berne, qui ne comporte pas de mécanismes de résolutions
de conflits similaires à ceux prévus aux ADPIC. Il est intéressant de noter que malgré
tout, un conflit évoquant les droits moraux peut être entendu par la Cour internationale de
justice. En pratique, ceci ne s’est cependant jamais produit6.
1. Jane GINSBURG et Robert KERNOCHAN, « One Hundred and Two Years Later: the US
joins the Berne Convention », 13 Col. VLA J. Law and the Arts (1988).
2. Visual Artists Rights Act, 1990 (VARA), 17 U.S.C. §106A.
3. Susan P. LIEMER, « How We Lost Our Moral Rights and the Door Closed on NonEconomic Values in Copyright », (2005) 5 J. Marshall Rev. Intell. Prop. L. 1; Rayming
CHANG, « Revisiting the Visual Artists Rights Act of 1990 : A Follow-up Survey about
Awareness and Waiver », (2005) 13 Texas Intell. Prop. L.J. 129.
4. Daniel GERVAIS, The TRIPS Agreement, 3e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 2008, p. 213217.
5. Art. 9 ADPIC.
6. Mira T. SUNDARA RAJAN, Moral Rights, Oxford, O.U.P., 2011, p. 250.
22.  Le droit moral dans le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions
et les phonogrammes (1996) – Les droits moraux ont fait leur entrée également dans
le domaine des interprétations et des exécutions au bénéfice des artistes et interprètes
en chant, musique et danse. Le Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes a été
adopté en 1996 pour harmoniser la protection accordée aux artistes-interprètes en tenant
compte de l’évolution des technologies et pour pallier les lacunes du texte vieillissant de la
Convention de Rome de 1961 sur la protection des artistes-interprètes ou exécutants, des
producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion1. L’article 5 du Traité
de 1996 introduit dans l’ordre international un droit moral au bénéfice de l’interprète et
de l’exécutant : « Indépendamment de ses droits patrimoniaux, et même après la cession
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Fasc. 7 – Droits moraux
de ces droits, l’artiste interprète ou exécutant conserve le droit, en ce qui concerne ses
interprétations ou exécutions sonores vivantes ou ses interprétations ou exécutions fixées
sur phonogrammes, d’exiger d’être mentionné comme tel, sauf lorsque le mode d’utilisation de l’interprétation ou exécution impose l’omission de cette mention, et de s’opposer à
toute déformation, mutilation ou autre modification de ces interprétations ou exécutions,
préjudiciables à sa réputation ». L’article reprend, avec les ajustements nécessaires, les
formules de l’article 6bis de la Convention de Berne et de l’article 5 du Traité de l’OMPI
de 1996. Les différents projets de loi canadiens, y compris le dernier en date, le projet de
loi C-11, visaient d’ailleurs à mettre le droit d’auteur canadien en conformité avec cette
disposition. Ceci est désormais chose faite avec les nouveaux articles 17.1 et 17.2 L.d.a.2.
1. Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. Voir : Jorg
REINBOTHE et Silke VON LEWINSKI, Achieving Balance in International Copyright
Law : The WIPO Treaties 1996, London, Butterworths LexisNexis, 2002.
2. Pour une analyse de la tension civiliste-common law dans le traité de l’OMPI, voir : JeanLouis GOUTAL, « Traité OMPI du 20 décembre 1996 et conception française du droit
d’auteur », (2001) 187 R.I.D.A. 66-109; art. 5-6 du Traité de l’OMPI, 1996.
23.  Le Traité de Beijing de l’OMPI (2012) – En 2012, l’OMPI a signé une nouvelle
entente à Beijing1 visant l’élargissement de la protection des droits des interprètes en droit
international. Il n’est pas encore en vigueur. Le Traité est une réponse aux revendications
des artistes du milieu audiovisuel. En effet, le Traité de l’OMPI de 1996 sur les interprétations, les exécutions et les phonogrammes ne couvre que certaines catégories d’artistes. Le
texte adopté à Beijing étend désormais le bénéfice du droit moral aux artistes-interprètes et
aux exécutants des arts audiovisuels. À ce chapitre, il faut noter que le bénéfice des droits
moraux en vertu la loi canadienne sur le droit d’auteur telle que modifiée en 2012 s’étend
à « tout artiste-interprète ou exécutant » comme le prévoit la définition d’artiste-interprète
à l’article 2 L.d.a. Elle ne fait donc aucune discrimination.
L’article 5 se lit ainsi1 :
Article 5
Droit moral
1) Indépendamment de ses droits patrimoniaux, et même après la cession de ces
droits, l’artiste interprète ou exécutant conserve le droit, en ce qui concerne
ses interprétations ou exécutions vivantes ou ses interprétations ou exécutions
fixées sur fixations audiovisuelles
i) d’exiger d’être mentionné comme tel par rapport à ses interprétations
ou exécutions, sauf lorsque le mode d’utilisation de l’interprétation ou
exécution impose l’omission de cette mention; et
ii) de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de
ses interprétations ou exécutions préjudiciable à sa réputation, compte
dûment tenu de la nature des fixations audiovisuelles.
2) Les droits reconnus à l’artiste interprète ou exécutant en vertu de l’alinéa précédent sont, après sa mort, maintenus au moins jusqu’à l’extinction des droits
patrimoniaux et exercés par les personnes ou institutions auxquelles la législation de la Partie contractante où la protection est réclamée donne qualité.
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II. Propriété littéraire et artistique
Toutefois, les Parties contractantes dont la législation, en vigueur au moment
de la ratification du présent traité ou de l’adhésion à celui-ci, ne contient pas
de dispositions assurant la protection après la mort de l’artiste interprète ou
exécutant de tous les droits reconnus en vertu de l’alinéa précédent ont la
faculté de prévoir que certains de ces droits ne sont pas maintenus après la
mort de l’artiste interprète ou exécutant.
3) Les moyens de recours pour sauvegarder les droits reconnus dans le présent
article sont réglés par la législation de la Partie contractante où la protection
est réclamée.
Il est important de noter que le texte de l’article 5 est accompagné en note d’une déclaration commune à valeur interprétative. Celle-ci apporte d’importantes clarifications, voire
limitations, quant à l’étendue de ces nouveaux droits. Nous la reproduisons ici :
Déclaration commune concernant l’article 5 : Aux fins du présent traité et sans préjudice de tout autre traité, il est entendu que, compte tenu de la nature des fixations
audiovisuelles et de leur production et distribution, les modifications apportées à
une interprétation ou exécution dans le cadre de l’exploitation normal­e de celle-ci,
telles que édition, compression, doublage et formatage, avec ou sans changement
de support ou de format, et qui s’inscrivent dans le cadre d’un usage autorisé
par l’artiste interprète ou exécutant ne constitueraient pas des modifications au
sens de l’article 5.1)ii). Les droits visés à l’article 5.1)ii) ne concernent que les
modifications qui, objectivement, sont gravement préjudiciables à la réputation de
l’artiste interprète ou exécutant. Il est également entendu que le simple recours à
de nouvelles techniques ou de nouveaux supports ou à des techniques ou supports
modifiés ne constitue pas en soi une modification au sens de l’article 5.1)ii).
1. Traité de Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles, 24 juin 2012, art. 5.
B. Les droits moraux en droit canadien
24.  L’historique judiciaire et législatif à la loi de 1931 – Comme nous venons de le voir,
le droit moral ne fit son apparition sur la scène internationale qu’en 1928 et le Canada fut
le premier pays de tradition common law à l’avoir transposé dans sa législation. La raison
de cette adoption rapide de la Convention de Berne se trouve peut-être dans les développements jurisprudentiels antérieurs qui tendaient vers la reconnaissance d’un droit moral.
Il faut se souvenir que jusqu’à la fin du XXe siècle, le Canada était demandeur et importateur d’œuvres. Il s’agissait d’un marché émergent pour l’industrie de l’édition et dans un
contexte de colonisation et de défrichement, sa production interne était, on le comprendra,
plutôt pauvre. Ce qui mena très tôt à des emprunts faciles, des réimpressions sans autorisations, au plagiat et bien entendu à la fausse attribution d’œuvres étrangères par des
imposteurs locaux ou simplement, conjuguant la contrefaçon à l’affront fait à l’auteur, la
suppression pure et simple de la mention du nom de l’auteur. Les pays en développement
de cette période, les États-Unis en tête, ont sur ce point un dossier similaire.
25.  Plan – On peut retracer l’évolution de l’idée du droit moral en droit canadien, préalablement à sa consécration en 1931, à partir de la jurisprudence (1), des écrits de Pierre-Basile
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Fasc. 7 – Droits moraux
Mignault qui, bien avant Harold G. Fox, avait produit une série d’articles en droit d’auteur
dans la revue Thémis (2) et des textes de droit pénal visant l’usurpation du nom (3). Cette
préhistoire se lit donc dans les sources du droit canadien.
1.Jurisprudence
26.  L’affaire Morang & Co c. LeSueur (1911) – L’affaire Morang & Co c. LeSueur1,
souvent citée, démontre la présence d’une conception embryonnaire du droit moral en
droit canadien. Les faits de cette affaire sont fort simples. LeSueur avait un contrat avec
Morang portant sur la publication d’un texte dans un ouvrage collectif. LeSueur fut payé
pour son manuscrit. Morang, non satisfait de la qualité du texte, refusa cependant de le
publier. Essuyant ce refus, LeSueur rend la somme perçue et demande le retour de son
manuscrit. Morang refuse. La question est de savoir à qui appartient le manuscrit.
Bien qu’il s’agisse essentiellement d’une question de propriété, le jugement de Sir Charles
Fitzpatrick peut se lire comme une première exposition du droit moral dans notre droit.
Dans un passage souvent rapporté, ce dernier écrit :
What is called literary property has a character and attributes of its own and […]
such a contract as we are now called upon to consider must be interpreted and
the rights of the parties determined with regard to the special nature of the thing
which is the subject of the contract.2
After the author has parted with his pecuniary interest in the manuscript, he retains
a species of personal or moral right in the product of his brain.3
Ces propos n’eurent que peu d’écho auprès des autres membres de la Cour. Il fut toutefois
décidé à l’unanimité que Morang se devait de redonner le manuscrit à LeSueur. Cette
affaire illustre bien la présence dès le début du XXe siècle d’une influence certaine de la
pensée civiliste ou du moins une sensibilité particulière à l’idée de droit moral4.
1.
2.
3.
4.
Morang & Co c. LeSueur, (1911) 45 R.C.S. 95, 98.
Morang & Co c. LeSueur, (1911) 45 R.C.S. 95, 98.
Morang & Co c. LeSueur, (1911) 45 R.C.S. 95, 97-98.
Elizabeth ADENEY, The Moral Rights of Authors and Performers, Oxford, O.U.P., 2006,
p. 293; Sunny HANDA, Copyright Law in Canada, Markham, LexisNexis Canada, 2002,
p. 373.
27.  Joubert c. Géracimo – L’affaire Joubert c. Géracimo est un cas d’application d’une
disposition du Code criminel, l’article 508b, qui depuis a été abrogé (voir infra no 29).
L’article 508 visait à sanctionner la suppression ou l’usurpation du nom d’un auteur. En
l’espèce, le défendeur avait modifié le titre d’un film et oblitéré le nom de son auteur. La
Cour statua que :
Un auteur a droit au crédit de son travail, au respect de ses textes, et aussi au
bénéfice matériel qui peut lui résulter du prestige de son nom ou de la vogue de
ses œuvres.1
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II. Propriété littéraire et artistique
L’affaire est souvent présentée comme marquant les débuts du droit moral au Canada. Il
est vrai que la Cour ne le nomme pas expressément mais, en pratique, c’est bien le droit
à la paternité et celui au respect de l’œuvre qui font leurs débuts. Les affaires Morang et
Joubert constituent donc une base jurisprudentielle sur laquelle le droit moral canadien a
pu être développé. Ces premiers développements jurisprudentiels ont certainement facilité
la transposition dans notre droit de l’article 6bis de la Convention de Berne.
1. Joubert c. Géracimo, (1916) 35 D.L.R. 683.
2.Doctrine
28.  Les écrits de Mignault – Mignault, qui écrit à la fin du XIXe siècle, se contente de
releve­r l’existence d’un droit naturel qui donne la propriété absolue de l’œuvre à son auteur,
et ce, avant la publication de l’œuvre. Il reprend ainsi pour lui l’enseignement du droit
anglais qui faisait la distinction entre l’œuvre non publiée qui était soumise tout entière au
droit commun et l’œuvre publiée qui était régie par la loi spéciale : la loi sur le droit d’auteur.
Pour Mignault, comme beaucoup d’autres, et sans en spécifier les attributs, l’auteur avait
bel et bien la propriété absolue sur son œuvre avant la publication. C’est ainsi qu’il énonce :
Même si le statut n’avait pas réglé cette question par une section spéciale, nous
n’hésiterions aucunement à affirmer que de droit naturel comme de droit commun
l’auteur a la propriété exclusive de son manuscrit, que rien ne l’oblige à le faire
imprimer et à le remettre entre les mains du public, et que conséquemment il
peut empêcher de publier ou même de le commenter ou résumer dans un journal
public. En effet, il suit des principes que nous avons exposé en notre premier
article que quand une personne a transcrit ses pensées sur une feuille de papier,
ce manuscrit lui appartient d’une manière absolue. Donc, elle a le droit de refuser
de communiquer son écrit à qui que ce soit, car comme Pavons dit ailleurs, tout
droit de propriété suppose nécessairement l’exclusion de la jouissance d’autrui.
Donc, elle peut en empêcher la publication, et, le cas échéant, recouvrer les
dommages qui s’en suivent.1
En revanche, il n’est aucunement fait mention tout au long des cinq articles publiés dans
La Thémis entre 1880 et 1881 d’un quelconque droit moral ni même de cas d’usurpation
de nom, ni même encore de situation qui aujourd’hui serait perçue comme une atteinte
au droit de paternité ou au droit d’intégrité. Tout au plus, voyons nous poindre dans les
discussions sur le traitement de l’œuvre non publiée un semblant de droit de divulgation.
1. Pierre-Basile MIGNAULT, « La propriété littéraire », (1880) 2 La Thémis 289. Voir aussi :
(1880) 2 La Thémis 367; (1881) 3 La Thémis 1.
3. Législation spéciale préalable à la loi de 1931
29.  Code criminel et la protection des noms d’auteur – Comme il a été mentionné
plus haut, de nombreuses copies illégitimes imprimées circulaient au Canada au début
du XXe siècle. Cette situation fut jugée rapidement problématique car elle créait un irri(6017)
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Fasc. 7 – Droits moraux
tant diplomatique dans l’effort de reconnaître les droits des auteurs étrangers. Elle jetait
une ombre sur les discussions menées sous les hospices de la Convention de Berne1. Afin
de corriger la situation, le gouvernement canadien proposa d’ajouter un article au Code
criminel afin de suppléer au défaut de recours disponibles pour ce qui passait comme un
délit. C’est ainsi que fut introduit, en 1915, l’article 508b qui prévoit des sanctions pénales
en cas d’usurpation du nom de l’auteur :
Any person who makes or causes to be made any change in or suppression of
the title, or the name of the author, of any dramatic or operatic work or musical
composition in which copyright subsists in Canada, or who makes or causes
to be made any change in such work or composition itself without the written
consent of the author or of his legal representative, in order that the same may be
performed in whole or in part in public for private profit, shall be guilty of five
hundred dollars, or, in case of a second or subsequent offence, either to such fine
or to imprisonment for a term not exceeding four months, or to both.2
Nous sommes encore loin de la reconnaissance des droits moraux dans leurs formes
actuelles. L’article 508b ne semble pas avoir donné lieu à une importante jurisprudence.
Une nouvelle fois, on verra dans cette législation, de 13 ans l’aîné de l’Acte de Rome, la
marque d’une préoccupation réelle du législateur pour la protection du droit de paternité.
Le Québec adopta une législation provinciale similaire en 19193.
1. Ce point fut notamment l’objet d’une discussion à la Chambre des communes par Rodolph
LEMIEUX, House of Commons Debates, 15 février 1915 : « [I]n the opinion of the House,
stricter measures should be taken for the carrying out of the Berne convention relative to
copyright ».
2. Art. 508b Criminal Code 1915.
3. Loi sur les représentations théâtrales, L.R.Q., c. R-25, abrogée en 1988 : « Article 1. Il est
défendu à toute personne, compagnie, corporation, cercle, club, société ou autre association de personnes, quelles qu’elles soient, de publier, exposer, distribuer, ou faire publier,
expose­r ou distribuer des annonces, réclames de journal, affiches, prospectus, circulaires ou
programme­s se rapportant à la représentation, totale ou partielle, d’une œuvre ou de diverses
œuvres littéraires, dramatiques, lyriques ou musicales, sans y indiquer correctement son
nom et sans y avoir mentionné complètement et authentiquement le titre et l’auteur de cette
œuvre ou de chacune de ces diverses œuvres ». La poursuite menant à des peines d’amendes
devait être instituée selon les procédures prévues par la Loi sur les actions pénales.
30.  La loi de 1931 – C’est la loi canadienne de 1931 qui a consacré les droits moraux
dans notre droit1. La formule de 1931 reprend presque mot pour mot le texte du premier
paragraphe de l’article 6bis de la Convention de Berne. Voici le texte de son article unique
qui deviendra l’article 12(5), puis 12(7), 14(4) et enfin 14.1 L.d.a. :
Indépendamment de ses droits d’auteur, et même après la cession partielle ou
totale desdits droits, l’auteur conserve la faculté de revendiquer la paternité
de l’œuvre, ainsi que le privilège de réprimer toute déformation, mutilation ou
autre modification de ladite œuvre, qui serait préjudiciable à son honneur et à sa
réputation.2
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II. Propriété littéraire et artistique
On a beaucoup spéculé au sujet de l’enthousiasme soudain du Canada quant à la transposition du texte de Rome. Certains y ont vu une occasion pour le Canada de manifester son indépendance politique et législative sur la scène internationale. Il est vrai que
l’impérialisme britannique avait fini par grandement affecter les relations diplomatiques
entre Westminster et le gouvernement canadien3. Il faut se souvenir que l’Angleterre avait
adhéré à la Convention de Berne de 1886 au nom du Canada sans même que le gouvernement du dominion n’eût donné son avis. Le gouvernement canadien avait promptement
dénoncé ce manque de courtoisie4. D’autres y voient également la volonté du Canada de
s’afficher comme défenseur des droits de l’homme, un domaine qui fera les belles années
de la politique extérieure canadienne5. Certains enfin, ont pu lire dans cet empressement la
manifestation du bijuridisme canadien et donc la marque d’un certain civilisme au sein du
système fédéral. Il faut être prudent. S’il est vrai que le fait francophone et la survivance
du droit civil continuent de colorer la culture juridique canadienne et, par conséquent, enrichissent naturellement la matière, il ne faudrait pas extrapoler sur le sens à donner au vote
par le Parlement fédéral d’une disposition laconique qui introduit un principe largement
inconnu jusqu’alors. Le texte de la loi de 1931, flanqué brusquement dans un lieu de culture
de common law sans déclaration de principes ni libellés explicatifs, le silence remarqué
de la délégation canadienne lors des discussions diplomatiques de Berne, de Bruxelles et
de Stockholm, invitent au contraire à la circonspection. Et si le droit moral était le signe
d’une réelle ouverture aux principes civilistes alors le désenchantement serait d’autant plus
grand : la pauvreté de la jurisprudence canadienne en matière de droit moral et l’usage
largement répandu des renonciations seraient plutôt la manifestation de son désaveu.
1. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, (1931).
2. Article 12.5 qui devient 12.7 (en 1953) pour finalement être remanié en 1988. Pour un historique des changements, voir : Laurent CARRIÈRE, Le droit moral au Canada, Montréal,
Léger Robic Richard, 1989. Voir aussi : Laurent CARRIÈRE, Droit d’auteur et droit moral :
quelques réflexions préliminaires, Montréal, Robic, 1991.
3. Pierre-Emmanuel MOYSE, Le droit de distribution : analyse historique et comparative en
droit d’auteur, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 233.
4. George Haven PUTNAM, The Question of Copyright, 2e éd., Londres, G.P. Putman’s Sons,
1896, par. 52, p. 225.
5. Mira T. SUNDARA RAJAN, Moral Rights, Oxford, O.U.P., 2011, p. 124.
31.  Lacunes de la loi de 1931 – La transplantation mécanique du texte conventionnel
dans l’ordre juridique national allait vite montrer la faiblesse de la méthode1. Les imprécisions du texte conventionnel allaient être versées dans l’ordre national. C’est donc d’abord
la question de la durée du droit moral qui allait resurgir : rien n’était en effet spécifié, ni
dans le texte conventionnel ni dans la loi de 1931. Ensuite, le texte restait imprécis quant
au régime de ses deux branches, le droit d’attribution et le droit d’intégrité et notamment
quant à la nature des recours qui devaient en permettre la mise en œuvre. Le style du texte
conventionnel à l’évidence n’arrivait pas au niveau de précision. En particulier, les spécialistes s’interrogeront sur la manière d’établir l’atteinte à l’honneur ou à la réputation. Là
encore, le texte de 1931 n’apportera pas plus de confort. Finalement, bien que le civiliste
ait pu reconnaître dans le droit moral un droit extrapatrimonial et donc en imaginer la
portée en trouvant dans le droit commun des éléments d’une base théorique, la common
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Fasc. 7 – Droits moraux
law, qui ne connaît pas cette notion, demeurera muette. Ceci ne facilitera pas la définition
du droit moral et la détermination de son caractère spécifique, par exemple concernant
son inaliénabilité.
1. Certains auteurs sont d’avis encore aujourd’hui que les fondements théoriques du droit
moral canadien sont fragiles. C’est dans ce sens qu’Handa affirme : « moral rights do not
possess proper theoretical support and that, in their present state, their existence as part
of the Canadian copyright regime is specious at best » : Sunny HANDA, Copyright Law
in Canada, Markham, LexisNexis Canada, 2002. Voici ce que Harold G. Fox écrivait en
1945 au sujet de l’article 12(7) introduisant les droits moraux à la Loi sur le droit d’auteur,
alors de droit nouveau : « Has this section added anything material to the law ? In so far as
to the right to claim authorship is concerned, it would appear that it added something of
little extent and value. Apart from statute an author has no claim in libel against another
person who announces himself as the author of his work. The right to claim authorship is
statutory only. Presumably this right can be established in an action but there apparently
the remedy ceases. The author can apparently obtain no damages; perhaps he can obtain an
injunction; but unless the injunction is directed to restraining the publication of the work
without including the true author’s name on the work, an injunction will do him little good.
That part of the section is to some extent an illustration of the type of legislation that so
often emerges from Parliament – conceived in vagueness, poorly drafted, sententious in
utterance, and useless in practical application »: Harold G. FOX, « Some Points of Interest
in the Law of Copyright », (1945-46) 6 University of Toronto Law Journal 100, 126.
32.  Le rapport Keyes-Brunet – En dépit des critiques adressées à son endroit, la loi
de 1931 ne subira aucune modification avant 1988. Ceci ne signifie cependant pas que la
question du droit moral demeura en suspend. En 1977, le ministère de la Consommation
et des Corporations commanda à Keyes et Brunet1 un rapport concernant la réforme du
droit d’auteur. Ce rapport fait une place importante au droit moral et plébiscite sa réactualisation. Il y est proposé de faire une place égale au moins aux droits moraux 2. Le rapport
souligne les lacunes de la législation à cet égard :
(1) Premièrement, une entrave importante à l’effectivité du droit moral au Canada
selon Keyes et Brunet est le manque de clarté de la législation. Comme nous l’avons
mentionné précédemment, l’article 6bis de la Convention de Berne qui fut adopté
presque littéralement dans la législation de 1931, est difficile d’application. La
portée, la durée et les mécanismes de compensation à la suite de la violation d’un
droit moral demeurent à préciser3.
(2) Deuxièmement, la loi de 1931 devrait être modifiée afin d’être plus efficace si le
droit moral est pour jouer un rôle central dans notre système juridique. Selon le
rapport : (i) les réparations visant le droit moral devraient être identiques à celles
concernant les droits économiques; (ii) le nombre de droits moraux devrait être
augmenté; et (iii) le calcul des dommages devrait être discrétionnaire comme dans
plusieurs pays civilistes4.
Ces recommandations furent en partie retenues lors de la réforme de 1988.
1. A.A. KEYES et Claude BRUNET, Copyright in Canada : Proposals for a Revision of the
Law, Ottawa, Consumer and Corporate Affairs Canada, 1977.
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II. Propriété littéraire et artistique
2. A.A. KEYES et Claude BRUNET, Copyright in Canada : Proposals for a Revision of the
Law, Ottawa, Consumer and Corporate Affairs Canada, 1977, p. 60.
3. A.A. KEYES et Claude BRUNET, Copyright in Canada : Proposals for a Revision of the
Law, Ottawa, Consumer and Corporate Affairs Canada, 1977, p. 60-61.
4. Voir notamment : Elizabeth ADENEY, The Moral Rights of Authors and Performers,
Oxford, O.U.P., 2006, p. 307; J. ROBERTS, « Review of the Keyes-Brunet Study », (1978)
4(2) Canadian Public Policy 264.
33.  Les modifications de 19881 – À la suite des lacunes du texte de 1931 et répondant
aux nombreuses critiques qui lui ont été adressées, le gouvernement canadien va clarifier
le texte de la loi au sujet des droits moraux. Entérinant certaines conclusions du rapport
Keyes-Brunet, la réforme vise essentiellement à en préciser le régime.
D’abord, le droit d’intégrité et de paternité sont redistribués à l’article 14.1 nouveau et on
y ajouta un droit d’aval qui confère à l’auteur la possibilité de s’opposer à l’utilisation de
son œuvre en association avec un service « ou utilisé en liaison avec un produit, une cause,
un service ou une institution ». Cette disposition introduite en 1988 se trouve désormais
à l’article 28.2(1) L.d.a.2. Ensuite, la durée des droits est précisée. Désormais, les droits
moraux seront soumis au même délai de protection que les droits économiques. Finalement,
la loi de 1988 précise leur traitement. Premièrement, elle ajoute une définition les concernant à l’article 2 – une intention louable, mais qui n’apporte guère il faut en convenir.
Deuxièmement, elle en précise les voies de recours en cas de violation3. Les recours civils
et pénaux sont désormais disponibles à l’auteur, chose qui faisait défaut jusqu’alors. Les
dispositions concernant le droit moral seront ventilées dans les articles actuels 2, 14.1,
28.1, 28.2 ainsi que 34(2) L.d.a. Ils demeurent encore aujourd’hui pour l’essentiel sous le
même libellé.
1. Loi modificatrice de la loi sur le droit d’auteur, L.C. 1988, c. 15.
2. André FRANÇON, Le droit d’auteur, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1992, p. 192. En
général, David VAVER, « Author`s Moral Rights in Canada », (1987) 25 Osgoode Hall L.J.
749.
3. Claude BRUNET, « Le droit d’auteur au Canada de 1987 à 1997 – Petit article en forme de
prise d’inventaire », (1997) 10 C.P.I. 79.
34.  De 1988 à aujourd’hui – Entre 1988 et 2012, plusieurs projets de loi proposant des
amendements au droit d’auteur furent déposés au Parlement. Un grand nombre de ces projets furent abandonnés en raison de changement de gouvernement. C’est le cas notamment
des projets de loi C-60, C-61 et C-321. En juin 2012, le projet de loi C-112 fut adopté et la
loi est entrée en vigueur le 7 novembre 2012. L’objectif principal de ces réformes est de
mettre à jour la Loi sur le droit d’auteur en la mettant notamment en conformité avec les
traités de 1996 de l’OMPI.
1. Pour un aperçu des changements qu’implique cette réforme et concernant les projets de
loi C-60 et C-32, voir : Michael GEIST, In the Public Interest : The Future of Canadian
Copyright Law, Toronto, Irwin Law, 2005; Michael GEIST, From « Radical Extremism »
to « Balanced Copyright » : Canadian Copyright and the Digital Agenda, Toronto, Irwin
Law, 2010.
2. Loi sur la modernisation du droit d’auteur, L.C. 2012, c. 20.
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