Les difficultés juridiques d`Alitalia dans la participation au groupe Air
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Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM FIORINIELLO Daniele D.E.A de droit des affaires Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France - Klm Sous la direction de Monsieur Quentin Urban Faculté de droit de l’Université Robert Schuman de Strasbourg Année universitaire 2003/2004 1 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 2 PLAN – SOMMAIRE Liste des abréviations Introduction Partie I : Alitalia, la crise actuelle et les efforts nécessaires à l’intégration Titre I : Le groupe Alitalia aujourd’hui Chapitre 1 : Configuration juridique et financière du groupe Alitalia Chapitre 2 : Etat actuel des relations juridiques et financières avec Air France-KLM Titre II : Les étapes et scénarios possibles de l’intégration dans le groupe Air France-Klm Chapitre 1 : La privatisation, condition sine qua non Chapitre 2 : La restructuration, condition nécessaire Partie II : Un régime imposé par un marché contraignant Titre I : Contraintes et obstacles du marché du transport aérien Chapitre 1 : L’intransigeance des autorités antitrust Chapitre 2 : La primauté des intérêts nationaux dans le transport aérien Titre II : L’issue du « contingency plan » Chapitre 1 : Avantages et inconvénients de l'intégration dans le groupe Chapitre 2 : La gestion politique et le nanisme d’Alitalia Conclusion Bibliographie Table des matières Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM LISTE DES ABREVIATIONS - AD : Administrateur délégué - AG : Assemblée générale (ordinaire des actionnaires) - AGCM : Autorité Garante de la Concurrence et du Marché - AGE : Assemblée générale extraordinaire - AJDA : Actualité juridique, Droit administratif - Art. : Article - BSA : Bons de souscription d’actions (warrants) - CA : Conseil d’administration - Chron. : Chronique - CS : Conseil de surveillance - D.-L : Décret- loi - Dpcm: Décret du président du conseil des ministres - EEE : Espace économique européen - ENAC : Institut ( Ente ) National de l’Aviation Civile - JO : Journal officiel - JOCE : Journal officiel des Communautés européennes - J.-CL : Juris-Classeur - L. : Loi - NRE : Nouvelles réglementations économiques (loi) - Op. Cit. : Opere citato - RDUE : Revue du droit de l’Union Européenne - RFAP : Revue française d’administration publique - RFDA : Revue française de droit administratif - RIDE : Revue internationale de droit économique - TGI : Tribunal de grande instance - V. : Voir 3 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 4 INTRODUCTION Y-a-t il un pilote dans l’avion ? Jamais la question n’a été aussi importante chez Alitalia. Au lendemain du succès de l’OPE d’Air France sur KLM, les « fiancés » de la compagnie transalpine lui font savoir d’avoir ultérieurement reporté le mariage, faute de ne pas avoir remis de l’ordre dans ses comptes. Alors qu’Air France est assuré d’avoir mené à bien son offre amicale sur la compagnie néerlandaise avec 89,22 % du capital de KLM, signant ainsi la première opération majeure de consolidation du secteur aérien en Europe, se font désormais rares les options pour sortir Alitalia du gouffre financier dans lequel il est sombré. Etranglé par son déficit, le groupe transalpin est en bout de cycle. Il lui faut un remède de cheval, car Alitalia a clôturé l’exercice 2003 avec un chiffre d’affaires de 4.669 millions d’euros, face à 5.026 M € de coûts opérationnels. Selon le boulier compteur, manquent donc à l’appel 357 M €. De surcroît, bien qu’à partir de 2004 le chiffre d’affaires est censé être dopé jusqu’à 5.120 millions, les coûts opérationnels augmenteront eux aussi à la même vitesse. Le résultat ne changera qu’en pire, car le déficit grimpera en effet d’un million d’euros, à 358 millions d’euros1. « Alitalia n’arrive pas à décoller » - dit-on –, « mais comment peut-on prétendre qu’un avion puisse voler si personne n’a le droit de le réviser ». On a presque l’impression qu’Alitalia est intouchable et que cela est devenu un dogme pour les syndicats et les parties politiques. Comment cela s’explique-t il ? Lorsqu’on parle de “flag carrier” et à ce titre de porte drapeaux de l’identité nationale, aujourd’hui on fait habituellement référence à une société de navigation aérienne, alors que dans le passé il s’agissait d’entreprises de commerce maritime. C’était le cas des Compagnies des Indes, orientales et occidentales, ainsi que de la compagnie française du Mississipi, qui créa la Louisiane. La présence commerciale était le prodrome de la présence politique coloniale. Aujourd’hui cela n’est évidemment qu’un souvenir, mais les compagnies de navigation aérienne, qui ont en quelque sorte substitué les compagnies de navigation maritime, arrivent là où ces dernières n’arrivaient pas. 1 S. Liviadotti, Perde mille euro a minuto, L’espresso, 4 mars 2004, p. 151-154 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 5 Ce que le Portugal et l’Angleterre ont fait en grand dans le passé, toutes les compagnies aériennes le font en petit aujourd’hui et, bien qu’elles n’aient aucune prétention d’annexion territoriale, elles ont la prétention d’une sorte d’ubiquité territoriale. Par conséquent, lorsque Alitalia porte son drapeau dans le monde, Alitalia porte l’Italie dans le monde, avec une extraterritorialité qui n’est reconnue même pas aux équipes de foot. Il faut penser à ce qui était – et en partie ce qui est encore – l’autorité du capitaine sur le navire. Le manque de communications « en temps réel » la rendait absolue : cela descendait directement de Dieu. Le droit de la navigation fut ainsi le premier chapitre du droit colonial. Or, il n’est pas difficile de comprendre à quel point ce caractère régalien de l’activité de navigation a poussé les Etats à une telle fierté qu’aujourd’hui toute concession sur un transporteur aérien national semble devoir recevoir le consentement de la nation entière. Néanmoins, cela a souvent fait oublier que les compagnies aériennes sont des entreprises de transport aérien purement commerciales, sans aucune ambition de représenter un pouvoir transcendant. Il serait donc souhaitable que leur gestion obéisse aux seuls critères économiques. Malheureusement pour Alitalia, la gestion étatique qui la caractérise encore, doublée d’un étrange phénomène d’inamovibilité des administrateurs a acheminé la compagnie au bord de la faillite. Ainsi, le transporteur transalpin doit aujourd’hui faire face à un certain nombre de problèmes, accumulés pendant des années, qui l’obligent à aller vers un redressement financier désespéré ; et la solution de l’alliance avec d’autres compagnies se fait de plus en plus obligée. Alitalia dépense chaque année le 23 % des recettes pour payer les salaires, les plus chers d’Europe. Pour faire face à la crise du transport aérien, British Airways a supprimé d’emblée 13.000 emplois, 16.000 chez Delta Airlines ; mais à Palazzo Chigi (le Matignon italien), seuls trois administrateurs en trois mois ont été mis à la porte. Un certain nombre de licenciements sont ainsi nécessaires pour arrêter l’hémorragie. Alitalia ne peut d’ailleurs pas renoncer à un effort de productivité. Néanmoins, là encore on a l’impression que les dirigeants rêvent le « global carrier » d’un passé de gloire, dans la mesure où ils obligent Alitalia à « voler » là où il ne gère aucun trafic. Certes la compagnie a besoin de développer les vols long-courriers, mais il ne faut pas oublier que la position géographique de la péninsule italienne ne permet pas de concurrencer à plein régime les aéroports mieux consolidés de l’Europe continentale. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 6 Ainsi, il faut se poser la question de savoir si le mariage avec le groupe Air France-KLM a des chances de sauver Alitalia. La compagnie sera-t elle capable de partager le marché du transport aérien international dans le cadre de cette alliance ? Sa part de marché nécessairement petite aujourd’hui, pourra-t-elle croître demain ? Alitalia a commis l’erreur de se concentrer pendant longtemps sur le seul trafic domestique, dont les résultats ont paradoxalement été négatifs si on considère qu’à l’heure actuelle il ne transporte que la moitié des passagers des vols nationaux. Pourtant, les autres compagnies qui exploitent le ciel italien arrivent à s’en sortir. Le réseau aéroportuaire italien est excessivement fragmenté : il compte 103 aéroports (28 peuvent vanter le passage de plus de 100.000 passagers par an), dont les plus petits ont enregistré une croissance continue. Mais seuls les aéroports régionaux ont vu leur trafic augmenter de 10 % en 2003 par rapport à l’année précédente, alors que pour la même période les hubs (plates-formes aéroportuaires de correspondances) ont cédé 2 %. Ainsi, si comme Air France ou Lufthansa chez eux, Alitalia doit concentrer sa présence dans les escales principaux, l’amplitude du système aéroportuaire est devenue le principal allié des compagnies low cost, désormais présentes dans 16 escales pour les vols nationaux et dans 19 pour les vols long-courrier. L’Autorité à la concurrence, quant à elle, n’a pas simplifié le redressement d’Alitalia. Elle a en effet rejeté nombre d’accords commerciaux qui chez nos voisins sont à l’ordre du jour. Peut-on lui reprocher d’avoir trop poussé la concurrence, d’en avoir fait un idéal abstrait, de ne pas avoir considéré les spécificités d’un secteur particulier comme celui du transport aérien? En voulant suivre la politique de l’Antitrust, Alitalia serait obligé de se transformer en compagnie low cost, afin de pallier à la concurrence acharnée des transporteurs à bas coût. Un transporteur qui, comme Alitalia, exerce une mission de service public, peut-il vraiment agir en pleine logique libérale face à ses concurrents, quitte à mettre en danger la desserte des régions périphériques à faveur desquelles il exerce un service d’intérêt général ? Face à cette situation, c’est peu de dire que toute l’Italie attendait une réaction des autorités publiques. Rome est sortie de sa torpeur et, in extremis, le gouvernement est volé au secours de la Compagnie en apportant sa garantie à un crédit relais bancaire de 400 M €. Pourtant, bien que le Trésor se soit engagé à relancer le processus de privatisation de la compagnie pour que l’opération soit compatible en matière d’aides d’Etat, reste le doute sur la portée réelle de ce projet. Certes les Etats peuvent injecter des fonds dans les sociétés dont ils sont actionnaires pour Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 7 peu qu'ils soient réputés agir avec la logique qui animerait un investisseur privé. Toutefois, nous analyserons les raisons qui autorisent la Commission européenne à surveiller l’attitude des autorités italiennes, et certaines compagnies européennes à estimer, peut être à raison, que le crédit relais est en fait une subvention déguisée. Il faut se poser la question de savoir si une énième forme d’assistance étatique, tel que le prêt garanti, aurait encore une raison d’être lorsque le bénéficiaire est une société dont l’activité est devenue non viable. Le maintien artificiel d’Alitalia ne profiterait vraisemblablement ni a lui ni à l’Etat, contraint de renflouer les caisses du transporteur. Par ailleurs, semble être un signe celui qui vient des banques italiennes, qui restent réservéees sur l’octroi d’un financement. En particulier, après avoir déjà participé à la dernière recapitalisation d’Alitalia en 2002, le troisième groupe bancaire italien, San Paolo IMI, n’a pas caché ses réserves sur le principe d’un nouveau concours, en l’absence d’élément concret sur le plan industriel. Une gestion étatique empèche la valorisation actionnariale : une société peu compétitive, peu concurrentielle, est forcément gérée par des administrateurs peu attentifs à la maximisation des bénéfices des investissements des actionnaires. Alors, vivement la privatisation, qui ne peut d’ailleurs pas être conçue préalablement et indépendamment de la restructuration de la société. La participation des investisseurs privés et la privatisation qui en résultera sont indispensables pour assurer l’assainissement et la continuité de l’entreprise, qui, sans une levée de fonds, se dirigerait lentement vers l’administration contrôlée. Ainsi, comment doit s’opérer la relance d’Alitalia ? Est-il envisageable un recentrage sur le coeur d’activité du transport aérien ? Faut-t il que le gouvernement prenne des mesures de soutien au secteur aérien en général ? Une solution vise l’abattement de la base des coûts. Toutefois, le nouveau patron de la Compagnie, Giancarlo Cimoli – il est le troisième en quelques mois – semble privilégier le développement du groupe sur les suppressions d'emploi. Alors même qu’il a proposé une suppression de personnel concernant 200 pilotes et 600 hôtesses, l’administrateur délégué envisage d’absorber le sureffectif avec le développement de la flotte. Nous verrons pourtant que cette perspective n’est pas convaincante. L’ensemble des nouvelles destinations proposées ne constitue pas la niche naturelle d’Alitalia : sa desserte n’est pas rentable. Il est d’ailleurs évident qu’Alitalia a le double des salariés nécessaires et nombre d’observateurs restent persuadés que sa survie reste liée à une réduction drastique des effectifs. Héritage du laxisme de sa gestion Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 8 antérieure, cette situation ne semble pas destinée à changer rapidement, compte tenu de l’origine politique des mandataires sociaux. L’idée d’une réduction des coûts a toujours été une obsession pour les administrateurs de la Compagnie de Via Migliana. L’ex-administrateur délégué, Francesco Mengozzi (comme beaucoup d’autres avant lui), avait basé son plan industriel sur un faible nombre de licenciements (comparé aux bulletins de guerre annoncés par les autres compagnies aériennes) et sur une série d’externalisations touchant plusieurs activités annexes au transport passagers et fret. Cette solution, bien que mitigée, lui a néanmoins coûté cher, car en décidant de ne pas retirer son plan, suite à la rupture des négociations avec les syndicats, il a été sacrifié au nom de la paix social. Mengozzi croyait dans son plan, c’est pourquoi il l’a défendu, et il est étonnant que ce projet, qui avait été pourtant approuvé à l’unanimité par le CA, ait été par la suite condamné par le président, lui-même, Giuseppe Bonomi, qui avait pourtant voté pour. Mengozzi était persuadé, coûte que coûte, que le plan de redressement ainsi conçu était la seule chance d’Alitalia de redresser la barre et de rejoindre Air France-KLM. Certes, pour l’instant tout le monde est content, car on a arrêté de parler de licenciements. Toutefois, le nombre de décisions contradictoires fait redouter que cette nouvelle soit fausse. Heures décisives donc chez Alitalia. Comment résoudre alors le « rébus » de l’abattement des coûts ? A l’instar de Swissair, nous analyserons l’hypothèse d’une scission du transporteur en deux sociétés, l’une gérant les services au sol (entretien, handling, informatique), l’autre, les activités de transport. Mais comment faire passer un projet d’une bad company, avec plusieurs milliers de licenciements, qui sonne comme une aberration pour les syndicats ? La quadrature du cercle passe-t-elle peut être par l’outsourcing ? Là encore les syndicats confédéraux risquent d’être désavoués par la base, comme il est arrivé en juin lors des grèves sauvages du personnel de bord, qui ont cloué au sol les avions de la compagnie pendant trois jours. Les salariés ont d’ailleurs démontré la flexibilité d’une poutrelle en acier, au point de risquer de faire mourir « Sanson avec tous les Philistins ». Cette manifestation a en effet coûté un manque à gagner (ou plutôt un manque à perdre) égal à un quart de la trésorerie d’Alitalia. Quoi qu’il en soit, une solution sera adoptée. Soit un processus de restructuration extrêmement coûteux et intolérable sur le plan social sera déclenché, soit on en arrivera à un compromis acceptable et raisonnable avec tous les stakeholders (syndicats, salariés, politiciens, Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 9 fournisseurs), afin qu’Alitalia puisse se présenter le front haut face à ses partenaires Air FranceKLM. De fait, le groupe Air France-KLM est l’horizon de référence d’Alitalia. Dans un contexte aérien mondial toujours aussi instable (attentat aux Twin Towers, épidémie de pneumopathie, conflit irakien), les observateurs du secteur sont largement favorables à la concentration aérienne, seule solution avancée pour améliorer les fondamentaux d’un secteur structurellement destructeur de valeur. Le pari osé par Air France-KLM n’est pas chose courante et leur union (deux compagnies aériennes de nationalité différente) a été une véritable première. Les experts minimisent aujourd’hui la tiédeur de l’accueil réservé à l’annonce il y a un an et soulignent les perspectives qui s’ouvrent, qui devraient aussi fortement bénéficier de la reprise prévue du transport aérien. La plupart des analystes admettent qu’Air France a initié son opération au bon moment, car le cycle de l’aérien est en phase ascendante, ce qui place KLM en bonne position pour la reprise, du fait d’une exposition long-courrier figurant parmi les plus importantes en Europe2. Toutefois, ils soulignent que leurs hubs Paris Roissy et Amsterdam Schiphol sont géographiquement très proches et que la rationalisation de leur organisation s’avérera délicate. A fortiori si Alitalia s’insérait dans l’alliance. Alitalia est en effet la seule compagnie européenne à être implantée sur deux hubs (Rome Fiumicino et Milan Malpensa) à l’intérieur du même marché. En effet, alors même qu’elle dessert copieusement une des premières destinations touristiques mondiales, la société publique a vu sa trésorerie nette fondre comme neige au soleil. Cette dégradation est imputable en grande partie à la lourdeur de ses frais de fonctionnement, conséquence directe de son incapacité à trancher entre ses deux hubs, dont la rivalité exacerbée teintée de joutes politiques a fini par obérer les finances du groupe. Or, en dehors de certaines compagnies comme l’américaine Southwest, la plupart d’entre elles, notamment en Europe, ont développé un système de liaisons autour d’une seule plate-forme de correspondances. Aucun transporteur possède plus d’un hub : même Lufthansa, qui avait essayé en vain de saturer Munich, y a renoncé pour se recentrer sur Francfort. Alitalia est-il alors une anomalie dans le secteur du transport aérien ? Dispose-t-il des ressources suffisantes pour développer deux hubs ? Leur présence est elle justifié dans le système aéroportuaire italien. Une chose est sûre : Rome Fiumicino ainsi que Milan Malpensa ne sont pas saturés. Par ailleurs, pour développer un deuxième hub, Alitalia aurait besoin d’investir deux milliards d’euros dans l’acquisition d’une flotte adéquate. 2 Les Echos, jeudi 12 février 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 10 Fort heureusement pour Alitalia, les experts soulignent quand bien même l’intérêt stratégique d’un rapprochement entre la Compagnie et le groupe Air France-KLM. Par ailleurs, Alitalia paraît ne pas disposer d’autres véritables alternatives au duo franco-néerlandais, car la solution étudiée il y a une dizaine d’années d’un partnership avec une compagnie américaine, comporterait de plus grands sacrifices en termes de restructuration. Une alliance avec un transporteur américain verrait la naissance d’un joint venture et l’aménagement des vols italiens sur un seul hub européen. Il s’agirait de Paris pour Delta Airlines, ou de Londres pour American Airlines. Ce partenaire deviendrait cessionnaire des slots italiens vers l’Amérique du Nord, qui seraient exploités à partir de son hub européen. Certes les passagers italiens bénéficieraient en contrepartie de l’augmentation du nombre de destinations, mais Alitalia serait moins international qu’aujourd’hui3. Néanmoins, si on songe au futur de la compagnie transalpine au sein du groupe Air FranceKLM, il faut se poser la question de savoir si Alitalia n’est pas déjà condamné à jouer le rôle de transporteur régional. Certes avoir une compagnie nationale de référence est important, mais Alitalia n’est pas assez fort, n’a pas les ressources nécessaires, n’engendre pas de bénéfices. Il a par contre accumulé du retard par rapport à ses principaux competitors, dans un marché aérien, le sien, déjà fortement limité. Il y a un an, personne n’ aurait parié sur la survie de Fiat, alors qu’aujourd’hui, restructurée tambour battant par un management obsédé par les coûts, c’est une société en pleine relance. Aujourd’hui, Alitalia vit le même drame que Fiat il y a un an, avec le spectre de la liquidation qui menace si la direction et les syndicats ne parviennent pas à s'entendre sur une réduction drastique du personnel et des coûts. De ce fait, il est primordial que le Trésor (actionnaire de référence) assume enfin ses responsabilités : qu’il choisisse un management adéquat et digne de confiance, qu’il lui donne des objectifs et qu’il le laisse travailler en lui donnant la couverture pour le temps nécessaire à atteindre les objectifs fixés. Les dirigeants sont en effet responsables de ne pas avoir conclu l’alliance avec Air France-KLM lorsque elle était possible. En 2002, Alitalia venait d’être recapitalisé, avait un accord avec les syndicats qui lui abaissait le coût du travail, venait de conclure une alliance commerciale (avec échanges d’actions) avec Air France et avait gagné son litige avec KLM (condamné pour rupture 3 Il sole 24 ore, samedi 10 avril 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 11 unilatérale de l’alliance), dont le paiement des dommages et intérêts aurait pu s’effectuer par un échange actionnaire. En 2002, Alitalia avait les atouts pour devenir le pivot de l’alliance à trois, sans dépenser un euro. Il aurait suffi une décision politique ; mais le management fut passif. Dommage. Quel est le résultat aujourd’hui ? Alitalia est bien sûre encore là, mais moribonde. On a gardé une compagnie de référence, mais il nous reste qu’un nom, car « Alitalia » c’est un beau nom, il n’y a rien à dire. Certes l’affaire s’est coloré de ridicule avec le nouveau logo dont le transporteur vient de se faire affublé. Always Late In Takeoff Always Late In Arrival : A.L.I.T.A.L.I.A. Toutefois, il s’agit encore d’une entreprise qui offre des bonnes perspectives (Partie I), mais qui a besoin de rallier le bord, le marché du transport aérien (partie II). Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 12 PARTIE I ALITALIA, LA CRISE ACTUELLE ET LES EFFORTS NECESSAIRES A L’INTEGRATION Créée en 1947, Alitalia est la sixième compagnie aérienne en Europe par nombre de passagers transportés, environ 22 millions4 par an. Elle couvre une centaine de destinations dans 60 pays dans le monde grâce à un flotte de 186 appareils (dont 31 gros porteurs) et à l’engagement de 20.650 employés5 en Italie et à l’etranger. Sur les dix dernières années, le résultat d’exploitation de la Compagnie a été presque constamment dans le rouge. Après avoir réussi à redresser la barre avec un bénéfice net de 93 M € (après éléments exceptionnels)6 en 2002 (contre une perte nette de 907 M € un an plus tôt), Alitalia est largement retombée dans le rouge, avec une perte d’exploitation de 517 M € en 20037. De manière générale, les attentats du 11 septembre 2001 et la forte diminution du trafic aérien enrégistrée au cours du premier semestre de l'année 2001, ont fortement pesé sur les recettes de toutes les compagnies aériennes. Celles-ci ont été confrontées à une croissance de la fiscalité destinée à financer les mesures de sûreté, ainsi qu'à une hausse des tarifs des redevances, directement liée à la diminution du trafic. De ce fait, les analystes prévoient la marginalisation d'un certain nombre de petites et moyennes compagnies s'obstinant à vouloir maintenir, voir développer, des réseaux internationaux surdimensionnés. S’engager dans un projet de concentration, afin de développer de véritables stratégies alternatives, est aujourd’hui le seul moyen de resister. Les compagnies les plus fragiles financièrement, comme Swissair ou Sabena en Europe, n'ont pas résisté à cette situation et d'autres sont condamnées à disparaître sous la pression conjuguée des compagnies leaders, en l'occurrence celles qui disposent de plate-formes aéroportuaires, et des compagnies développant de véritables alternatives, notamment les low cost (à bas-coût) 8. 4 22.205.000 passagers transportés en 2002, contre 24.737.000 en 2001 et 26.700.000 en 2000. 22.536 salariés à la fin 2002, contre 22.948 à la fin 2001. 6 Ce n’est que grâce à une indemnité de 250 millions d’euros versée par KLM – suite à la rupture unilatéral de leur alliance en 1999 – que la compagnie a pu sortir du rouge en 2002. Infra, Titre I, chap. 1, sect. 2, p. 26. 7 Les Echos, mardi 29 juin 2004. 8 Les compagnies low cost ont démontré leur capacité de faire concurrence aux compagnies traditionnelles : elles ont notamment généré du nouveau trafic en éduquant la clientèle à des nouvelles tarifs. Les echos, vendredi et samedi 27 et 28 février 2004. 5 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 13 En tout état de cause, la menace terroriste ayant fragilisé la reprise du cycle, chaque compagnie aérienne a mené son propre programme de réduction des coûts. Certains transporteurs traditionels, comme Iberia, confrontés au déclin structurel de leurs « yields » (recettes unitaires) sur le moyen-courrier européen, n’ont pas eu d’autre choix que de baisser leurs tarifs pour répondre à la concurrence des « low cost ». Pénalisée par son exposition sur le long-courrier transatlantique et le trafic affaires, British Airways a intensifié son programme d’économies de 450 M de livres lancé en février 2002 (suppression de 13.000 emplois). En choisissant de se marier avec KLM, Air France a opté pour une stratégie de part de marché9. Alitalia, quant à elle, a concentré ses efforts dans une stratégie de renforcement de sa position en procédant à la cession des actifs non rentables. Nous allons donc reparcourir, dans un premier temps, les étapes de ce premier processus d’adaptation d’Alitalia à l'évolution du marché du transport aérien (Titre I), dont la crise actuelle – la plus importante de son histoire – a généré de profonds bouleversements et entraînera sans doute une restructuration massive des entreprises, au moins à l'échelle européenne. A terme, seulement trois ou quatre compagnies majeures devraient subsister dans l'UE au côté des compagnies low cost. Dans un second temps, nous nous intéresserons au tout récent plan de redressement de la Compagnie (le premier n’a évidemment pas suffi) : l’ensemble franco-batave a en effet demandé qu’Alitalia soit privatisé et resané avant son eventuelle adhésion au groupe Air France-KLM (Titre II). TITRE I : LE GROUPE ALITALIA AUJOURD’HUI Le groupe Alitalia est constitué par la société-mère Alitalia-Linee Aeree Italiane S.p.A. et par onze filiales qui travaillent à la fois dans le secteur du transport aérien et dans des activités annexes. L’Europe et l’Italie représentent les marchés sur lesquels Alitalia développe les 62 % de son trafic, alors que le business restant est réalisé notamment sur les destinations américaines et asiatiques. Son chiffre d’affaires atteint les 4,3 milliards d’euros10, dont la plus grande partie est représentée par les recettes engendrées par le transport de passagers, alors que le transport de courrier et de fret a une incidence plus réduite. 9 Les echos, lundi 26 avril 2004. 4.7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2002, contre 5.2 milliards l’année précédente. 10 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 14 Telle qu’elle se présente aujourd’hui (Chapitre 1), la configuration du groupe Alitalia est le résultat d’un processus de relance inachevé, au cours duquel la société s’est engagée dans une série d’accords commerciaux et de partennariat avec d’autres transporteurs afin de regagner des parts de marché (Chapitre 2). Chapitre I : Configuration juridique et financière du groupe Alitalia Alitalia a débuté le processus de recentrage de l’activité sur son métier principal par une série d’opérations d’envergure effectuées au cours de la période 2002-2004. Ces opérations ont été menées par des impératifs d’assainissement et ont obéi à une stricte logique industrielle11. Néanmoins, seules celles qui ont été engagées dans un second temps se sont inscrites dans une logique de recentrage des énergies disponibles, alors que dans un premier temps, par une série de fusions-absorptions, Alitalia semblait mener une politique de croissance et de renforcement des compétences, afin d’augmenter la rentabilité12. La cession d’Eurofly S.p.A. (la compagnie charter d’Alitalia) avait semblé clôturer le processus de cession des “no-core assets” (les actifs les moins rentables), mais le transporteur transalpin devait évidemment se tromper. En effet, à l’heure actuelle, le sous-groupe Alitalia présente une configuration encore très diversifiée dans les activités de service au sol, donc annexes au transport passagers. Parmi ses actifs, seule la récente acquisition de la compagnie régionale en faillite Gandalf13 aura servi à des fins louables : recupérér des parts de marché domestique. SOCIÉTÉ ALITALIA EXPRESS S.p.A. ATITECH S.p.A. 11 ACTIONNAIRES Alitalia 100 %. Alitalia 99 %, Sviluppo Italia S.p.A. 1 %. ACTIVITÉ CAPITAL SOCIAL Exercise, directe ou pour compte de tiers, d’aéronefs, de lignes aériennes et de services pour le transport de personnes, courrier et fret en Italie et entre l’Italie et les pays étrangers. 23.400.000 M € entièrement libérés. Entretien et révision des aéronefs ; construction, 32.039.941,56 M € réparation, entretien et révision entièrement des parties et des composantes libérés. aéronautiques. F. Garrouste, C. Motol , Fusions-acquisitions, Option Finance n° 772, 16 fevrier 2004, p. 20. Des lors que toutes les sociétés en cause relèvent de l’impôt sur les sociétés, les opérations de fusion ont été largement neutres. Groupes de sociétés 2001-2002, Memento Pratique Francis Lefebvre, 2000 Paris, p. 625 et s. 13 Les Echos, vendredi et samedi 26 et 27 mars 2004. 12 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM ALITALIA AIRPORT S.p.A. GA 2000 Travel Service Ltd Global Executive Travel Selections Inc Alitalia 100 %. Alitalia 100 %. Alitalia 100 %. Service d’assistence aux passagers, aux marchandises et aux aéronefs du groupe Alitalia et de tiers. Activité de vente de billets et de services liés au transport aérien. Activité de vente de billets et de services liés au transport aérien. Acquisition, gestion et coordination de participations dans les sociétés, les associations et les autres entités Alitalia 100 % AVIOFIN S.p.A. opérant dans le secteur du transport aérien, aéroportuaire et du transport de fret. Agent multi-mandataire Aviofin S.p.A. agissant dans le secteur du ALINSURANCE 88%, Alitalia 6 %, courtage d’assurance, Aeroporti di Roma S.r.L. notamment pour le groupe S.p.A. 6 %. Alitalia. Activité industrielle d’entretien, de révision, de réparation, de modification des installations et de configuration Alitalia 60 %, ALITALIA MAINTENANCE Lufthansa Technik d’aéroneufs, de leurs parties, des moteurs et des A.G. 40 %. SYSTEMS composantes, ainsi que la S.p.A. prestation de services de support logistique integré pour les marchés civil et militaire. SISAM - Società Italiana Servizi Services de transport aérien Alitalia 100 % Aerei non de ligne et d’école de vol Mediterranei en Italie et à l’etranger. S.p.A. ( en liquidation ) Exercise, directe ou pour compte de tiers, d’aéroneufs, de lignes aériennes et de services Alitalia Express GANDALF pour le transport de personnes, S.p.A. 100 % courrier et fret en Italie et entre l’Italie et les pays étrangers. 15 7.650.000 M €, dont les 3/10 libérés. N.D. N.D. 516.460 € entièrement libérés. 104.000 € entièrement libérés. 10.120.000 M € entièrement libérés. 1.548.000 M € entièrement libérés. Source : Società controllate, la struttura del gruppo. Dernière mise à jour 25 mars 2004. www.alitalia.it Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM AIR FRANCE 2% ETAT 62,39 % 16 San Paolo - IMI 2,6 % Alitalia - Linee Aeree Italiane S.p.A. ALITALIA EXPRESS S.p.A. 100 % 100 % GANDALF SVILUPPO ITALIA S.p.A. 1% ATITECH S.p.A. 99 % ALITALIA AIRPORT S.p.A. 100 % GA 2000 Travel Service Ltd 100 % Global Executive Travel Selections Inc. 100 % AVIOFIN S.p.A. 100 % 88 % AEROPORTI di ROMA S.p.A. 6% ALINSURANCE S.r.L. 6% Lufthansa Technik A.G. 40 % Alitalia Maintenance Systems S.p.A. 60 % SISAM - Società Italiana Servizi Aerei Mediterranei S.p.A. 100 % Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 17 Chapitre 2 : Etat actuel des relations juridiques et financières avec Air France – KLM Bien qu’encore très diversifiée, l’actuelle structure juridique du groupe démontre à quel point Alitalia a senti le besoin de s’orienter vers une utilisation optimale des ressources14. L’alliance commerciale Skyteam a en partie pu satisfaire à cette exigence, car son système de synergies, dont le partage des codes et la fusion des programmes de fidélité sont les mécanismes de coopération les plus utilisés, améliore les performances d’Alitalia (section 1). Néanmoins, l’horizon de référence du transporteur reste la participation directe à un groupe de sociétés, Alitalia visant moins des accords commerciaux que des partenaires plus activement impliqués dans son capital, capables de le relancer (section 2). Section 1 : Relationships au sein de l’Alliance Skyteam Au sein de l’alliance Skyteam, officialisée le 22 juin 2000 et aujourd’hui la deuxième alliance globale, le transporteur italien se place à côté de partenaires de prestige comme Air France, Delta Air Lines, Aeromexico, Korean Air et CSA15. Visant à conquérir des parts de marché au détriment des autres alliances et des compagnies non integrées16, Skyteam permet d'accroître considérablement l'offre de transport aérien et de réaliser des économies d'échelle en termes de coûts d'exploitation. De ce fait, l’alliance dans le transport des passagers a été également transposée dans le cargo, en septembre 2000, avec le lancement de Skyteam Cargo, en considération de l’étroite imbriquation des deux activités dans l’exploitation17. En janvier 2002, après avoir obtenu par le département américain des transports (Department of Transportation, 14 Il gruppo Alitalia, il profilo. www.alitalia-corporate.it Pierre Merlin, Le transport aérien: situation et perspectives, PUF, Paris, 2002, p. 68-72. 16 Les transporteurs non integrés sont eux aussi concernés par des possibilités de partnership. L’Alliance bénéficie donc d’une gestion flexible lui permettant l’élargissement à d’autres compagnies. KLM, Continental et Northwest sont ainsi cencés adhérer à Skyteam en septembre prochain. Communiqué de presse, Joint Venture per Alitalia Cargo, Rome, 2 octobre 2003. www.alitalia-corporate.it. 17 Il n’existe pas une seule ligne long-courrier qui soit rentable avec les seules passagers. C’est la logique optée par les « belly carriers » ( de belly : le ventre, la soute ), comme British Airways, qui n’utilisent que les soutes des avions passagers pour le fret. En revanche, pour les compagnies mixtes, qui transportent à la fois des passagers et des marchandises, le fret représente un centre de profit à part entière, qui finance l’ensemble des coûts, directs et indirects, et dégage des résultats. Ce modèle économique est une évidence pour les acteurs qui, comme Alitalia, opèrent à la fois des avions passagers et des freighters ( la part de trafic des appareils tout cargo varie toutefois d’un « combination carrier » à l’autre : 50 % chez Air France, 30 % chez Alitalia, 60 % pour Lufthansa et jusqu’à 75 ou 80 % pour certaines compagnies asiatiques ). Ainsi, pour des compagnies moyemment impliquées dans l’activité cargo, comme Air France, KLM, Alitalia, ou Lufthansa, le fret représente entre 12 % et 17 % du chiffre d’affaires, alors que pour les acteurs très impliqués, comme beaucoup d’asiatiques, le fret peut représenter jusqu’à 40 % des recettes totales. Les Echos, lundi 5 avril 2004. 15 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 18 DoT) l'approbation de sa demande d'immunité antitrust18 (gestion commune de lignes avec liberté de fixation des prix), Skyteam a permis à ses membres d'approfondir leurs accords de coopération commerciale et de mettre en oeuvre une collaboration plus étroite sur leurs réseaux transatlantiques. Ils peuvent aujourd’hui effectuer des vols en code-sharing coordinant slots, stratégies de marketing et de vente19. Alitalia a pu ainsi étendre son réseau et ses possibilités de commercialisation sans qu'il lui soit nécessaire de mettre en oeuvre des moyens supplémentaires. Après quatre ans de vie, Skyteam a augmenté considérablement l’offre de services de ses membres, en passant de 451 à 512 destinations, de 98 à 114 pays desservies, de 176 à 228 millions de voyageurs transportés par an, de 6.400 à plus de 8.000 vols journaliers. L’ensemble compte une flotte de près de 1.200 avions et environ 170.000 salariés. Alitalia et Air France, quant à elles, ont consolidé une joint venture au sein de Skyteam par le biais d’un échange actionnaire de 2 %. La Commission européenne a récemment autorisé l'alliance à la suite d’un certain nombre de concessions nécessaires pour sauvegarder la concurrence entre la France et l'Italie, notamment la restitution de 42 paires de slots (crénaux horaires de décollage et d’atterrissage). Par ces accords, les deux compagnies vont augmenter l’offre et la coopération sur l'ensemble de leurs réseaux respectifs en termes de tarification, d'horaires et de capacité20. Les parties se sont accordées sur les prix et partagent leurs bénéfices sur les liaisons entre la France et l'Italie. Le dispositif adopté, le code-share, se base sur l’engagement réciproque de développer un système multi-hub sur les aéroports de Paris Charles De Gaulle, Milan Malpensa et Rome Fiumicino, qui, situés au centre d’un large réseau, offriront plus de 64.000 liaisons par semaine. Les deux Compagnies offrent d’ores et déjà 82 vols par jour entre l'Italie et la France21. Le code-share sera donc étendu à toutes les liaisons entre les deux pays. Aussi, l’accord prévoit la réciprocité dans les programmes des frequent flyers : les membres d’Alitalia « MilleMiglia » et les membres « Fréquence Plus » d’Air France pourront demander leurs billets prime et accumuler milles sur les vols des deux Compagnies22. 18 Communiqué de presse, Alitalia, Delta, Air France, CSA Czech Airlines ricevono l’immunità antitrust dal dipartimento del trasporto americano, Rome, 23 janvier 2002. www.alitalia-corporate.it 19 Exemplaires sont, en 2002, l’ouverture près de l'aéroport Marco Polo de Venice de la première plate-forme de vente de tickets commune, ou l’accord de marketing d’une durée de dix ans avec la marque Coca-Cola. 20 L'alliance entre les deux compagnies donne aux clients d'Alitalia l'accès à plus d'une centaine de destinations nouvelles, alors que ceux d'Air France se voient proposer une vingtaine de nouvelles liaisons. Le Figaro, mercredi 7 avril 2004. 21 Il s’agit des vols entre Paris et Rome, Milan, Venice, Bologne, Naples, Turin, Florence, Verone et Gêne; entre Lyon et Rome, Milan, Venice et Bologne; entre Milan e Toulouse, Strasbourg, Nantes, Marseille, Nice et ClermontFerrand; entre Turin et Clermont-Ferrand et entre Rome et Nice. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 19 Section 2 : Relationships en déhors de l’Alliance Skyteam Hormis les relations nouées au sein de l’alliance Skyteam, les relations juridiques et financières entre Alitalia, d’un côté, et KLM et Air France, de l’autre, ont recues un coup de pouce depuis le 30 septembre 2003. En effet, le 1er octobre 2003, Alitalia a signé à Amsterdam un contrat bilatéral avec Air France, un contrat trilatéral avec Air France et KLM et un contrat bilatéral avec KLM, dans le cadre de l’accord d’intégration sociétaire entre Air France et KLM qui représente l’horizon de référence de la Compagnie italienne. De tels accords représentent d’ailleurs un pas important dans le parcours d’intégration entre Alitalia et Air France entrepris par les deux Compagnies en 2001 avec la signature de l'Alliance Coordination Agreement (ACA), dont les accords actuels constituent l’évolution naturelle23. Ainsi, dans un contrat bilatéral, Air France et Alitalia se sont donnés réciproquement le consentement de conclure des accords avec KLM. Le contrat prévoit pour Alitalia, dès que l’Etat en aura perdu le contrôle, la possibilité d’entreprendre les négociations nécessaires pour son intégration dans le nouveau groupe Air France-KLM. La privatisation est condition sine qua non imposée par le duo franco-batave. Par ailleurs, l'accord prévoit l’engagement des parties à l’activation d’une joint venture sur le business cargo, que Alitalia a d’ores et déjà developpé au sein de la US Cargo Sales Joint Venture (Vente Cargo), constituée en 2001 par Air France Cargo, Delta Air Lines et Korean Air. Ces derniers sont d’ailleurs membres, avec AeroMexico et CSA Czech Airlines, de l’alliance Skyteam Cargo, dont Alitalia Cargo fait partie depuis août 2001. Le contrat trilatéral entre Alitalia, Air France et KLM contribue à définir les modalités de l’extension à KLM de l’alliance industrielle et commerciale entre Alitalia et Air France. L'intégration trilatérale est censée dégager des synergies en termes de force vente combinée, de centre services et résérvations unifié et d’une gamme commune de produits. Enfin, le contrat bilatéral entre Alitalia et KLM définie les lignes stratégiques de leur collaboration au lendemain de l’entrée du transporteur batave dans Skyteam et, le cas échéant, 22 Communiqué de presse, Alitalia e Air France comunicano l'inizio dell'alleanza, Rome 13 novembre 2001. www.alitalia-corporate.it 23 Suite à la concrétisation de la Joint Venture sur le faisceau de routes Italie-France et de l’échange actionnaire de 2% des respectifs capitals sociaux, les deux compagnies ont nommé les deux CEO (Chief Executive Officer), Francesco Mengozzi (aujourd’hui substitué par Giancarlo Cimoli) et Jean Cyril Spinetta, dans les respectifs CA. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 20 dans le cadre de l’alliance à trois24. Les accords signés par KLM avec Air France et Alitalia, conjointement aux accords de août 2002 avec Delta, Continental et Northwest, amèneront à l’élargissement de Skyteam, qui sera la seconde alliance globale à l’échelle mondiale. Récemment, le 15 décembre 2003, Alitalia Engineering & Maintenance a obtenu de KLM l’attribution du programme de révision de sa flotte de 10 aéronefs MD11 passagers. Le contrat, de la valeur de 15 millions d’euros, a une durée de quatre ans et prévoit l’exécution du deuxième cycle de révision (les vehicules ont un age entre six et neuf ans). Alitalia et KLM participent conjointement dans le domaine de l’entretien déjà de l’époque de leur alliance en 1999 en s’occupant respectivement des interventions de révision des B767 et B74725. Cet accord, qui s’ajoute à celui signé en 2001 pour la révision des B767-300, confirme certainement la confiance de KLM dans l’expérience d’Alitalia Engineering & Maintenance dans le domaine de l’entretien des appareils. D’une certaine façon il anticipe l’évolution du scénario des alliances aériennes, car le fait que les deux compagnies aient renouvelé leurs rapports commerciaux, nonobstant la séparation en 2000, est synonyme de satisfaction et respect réciproques, gage du futur mariage. TITRE II : LES ETAPES ET SCENARIOS POSSIBLES DE L’INTEGRATION DANS LE GROUPE AIR FRANCE - KLM L’alliance entre Air France et KLM est une opération remarquable autant économiquement que juridiquement. La nécessité d’une consolidation du ciel européen a été reconnue par les acteurs du secteur et par les autorités communautaires, tandis que l’accord sur le rapprochement soumis à Mario Monti, le commissaire européen à la concurrence, a rapidement (en phase d’enquête simple) gagné le feu vert de la Commission. Les Autorités Américaines ont elles aussi avalé sans difficultés le projet26. Convaincu du caractère inéluctable de la consolidation du marché aérien, Alitalia souhaite faire un mariage à trois avec le duo franco-néerlandais. En s’insérant à l’intérieur du groupe Air 24 Communiqué de presse, Alitalia: contratti con Air France et KLM, Rome, 1er octobre 2003. www.alitaliacorporate.it 25 Alitalia Engineering & Maintenance développe et gère les activités de révision et entretien de la flotte pour le groupe Alitalia et pour les clients tiers. Son chiffre d’affaires par an égal à 164 millions d’euros. Elle compte, parmi ses clients, Lufthansa Cargo, Volare, Gemini Air Cargo, Aeroflot, Meridiana et Eurofly. Communiqué de presse, Alitalia Engineering & Maintenance acquisisce contratto per la revisione degli MD11 di KLM, Rome 24 décembre 2003. www.alitalia-corporate.it. 26 Les Echos, lundi 29 mars 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 21 France-KLM, le holding serait détenue en majorité par les français, suivis par KLM et, le cas échéant, par Alitalia. Ainsi divisée, l’alliance reflèterait les dimensions des trois compagnies et leur état de santé27. Il y a trois ans, les compagnies italienne et néerlandaise avaient déjà tenté un rapprochement, mais l’accord avait été rompu par KLM en 199928, suite au refus du gouvernement italien de fermer l’aéroport de Milan Linate, seul moyen d’exploiter l’hub de Milan Malpensa. Malgré cet échec, les dirigeants d’Air France-KLM se sont dits favorables à une participation d’Alitalia, à la double condition que la société règle au préalable la question de sa privatisation (Chapitre 1) et qu’elle améliore sa situation financière (Chapitre 2). Chapitre 1 : La privatisation, condition sine qua non Le 13 novembre 2003, le Conseil des Ministres italien a autorisé le ministre du Trésor à descendre au-dessous du seuil de 51 % de sa participation dans le capital d’Alitalia (actuellement il en détient le 62,39 %), donnant à la compagnie aérienne un premier signal positif au rapprochement avec le groupe Air France-KLM. Le dpcm (décret du président du conseil des ministres) établit que la cession de la participation étatique (y compris les obligations convertibles d’Alitalia) pourrait s’effectuer en plusieurs phases : le recours à une OPV, permettant de placer une partie des titres sur les marchés financiers, serait suivi par une négociation directe avec les acquéreurs moyennant l’adhésion à une OPA ou OPE29. Il s'agit fondamentalement d'opérer une cession de capital pour le rassemblement de capitaux permettant de faire face aux importants programmes d'investissements prévus, afin de contribuer au redressement nécessaire de l'entreprise. Seule une privatisation est de nature à apporter une solution satisfaisante aux difficultés financières causées à la compagnie et à l'Etat par le maintien d'Alitalia dans le secteur public. De même, la privatisation ne doit pas être comprise comme une opération seulement financière, car, d’abord, elle représente une solution aux problèmes de gestion d'Alitalia. « L'appartenance de la compagnie au secteur public limite en temps ordinaires l'autonomie de gestion de l'entreprise. Les tutelles qui pèsent sur elle ralentissent les décisions ou même entravent les mesures d'adaptation qui se révéleraient nécessaires ; les choix industriels peuvent être biaisés et le 27 Air France est en actif, alors qu’Alitalia est en déficit d’environ 250 millions d’euros; le chiffre d’affaires et le nombre de passagers transportés sont eux aussi en faveur des français ; le cours de bourse du titre Air France est de 15 euros – le double par rapport à il y a un an – alors que les actions d’Alitalia, nonobstant la montée des dernières semaines (due aux rumeurs de privatisations et d’alliances ), sont quotées à 0,250 euros environ. 28 Les Echos, lundi 23 février 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 22 dialogue social est vicié »30. Que dans ces conditions nul ne s'empresse d'apporter un soutien financier substantiel à la compagnie ne doit pas étonner, la détention de la majorité du capital par l'Etat étant susceptible de décourager nombre d’investisseurs privés de s'engager dans une alliance capitalistique avec Alitalia. On trouve un pendant à cette timidité dans les réticences d’autres transporteurs à conclure avec l'entreprise des accords stratégiques. Ainsi, il est utile d’analyser les possibilités d’évolution d’Alitalia en fonction des modalités choisies par l’Etat pour le transfert du contrôle de l’entreprise publique au secteur privé. L’analyse des techniques adoptées appelle trois séries d’observations. Les unes tiennent au choix des mécanismes utilisés pour réaliser la transmission, car ces techniques reflètent en réalité l’objectif essentiel assigné par les pouvoirs publics à leur désengagement (section 1); les autres concernent le caractère total ou partiel de l’opération envisagée, dans la mesure où cela peut apporter une modification radicale de la politique suivie par la société et avoir ainsi des importantes répercussions sur la situation des actionnaires minoritaires (section 2); les dernières touchent au mode de désignation des destinataires du transfert (section 3). Section 1 : « Une technique, un scénario » : perspectives Le D.-L n° 332 du 14 mai 1994, converti, avec modification, par la L. n° 474 du 30 juillet 1994 (portant dispositions pour l’accélération des procédures de cession des participations de l’Etat et des « enti pubblici31 » dans les sociétés par actions), prévoit-il, en son article 2, des dispositions spéciales concernant les sociétés controlées directement ou indirectement par l’Etat dans « le secteur ... des services publics ». Ladite loi distingue plusieurs mécanismes au moyen desquels les droits sociaux assurant aux pouvoirs publics le contrôle sur l’entreprise sont transférés au secteur privé. Ces différents mécanismes peuvent rentrer dans trois catégories d’opérations essentielles : la cession de titres ou de droits liés d’une manière ou d’une autre au capital existant (§ 1) ; l’augmentation de capital existant contre apport en numéraire, accompagnée de la rénonciation des actionnaires pouvoirs publics à leur droit préférentiel de souscription (§ 2) ; 29 L’objet de l’échange consisterait en le 15 % environ du portefeuille « libéré » par le Trésor. Il sole 24 ore, vendredi 14 novembre 2003. 30 Yves Fréville, Entreprises de transport aérien et Air France, avis sur proposition de loi n° 2003-322 du 9 avril 2003 relative aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France (JO n° 85, 10 avril 2003). www.sénat.fr. 31 Littéralement « être public », l’expression « ente pubblico » est synonyme de « personne juridique publique ». Or, même si l’Etat et les collectivités locales peuvent être qualifiés comme enti pubblici, l’appellation est, en pratique, réservée aux personnes juridiques « atypiques », comme les organismes plus spécifiquement chargés d’activités économiques au sens d’ayant pour objet l’exploitation d’une entreprise. Enciclopedia del diritto, vol. XIV, Milan, Giuffrè éd., p. 961 et s. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 23 l’augmentation de capital contre apports en nature d’actionnaires privés32 (§ 3). Le choix entre les trois types d’opérations en cause est en réalité fonction de l’objectif essentiel assigné par les pouvoirs publics à leur désengagement total ou partiel. § 1 : La cession de titres Lorsque il s’agit d’augmenter les recettes ou de réduire les dépenses, la préférence ira plutôt à la cession de titres ou de droits existants, puisque une telle opération, selon le cas, favorise les rentrées dans les caisses des collectivités publiques ou au moins leur évite de participer de manière aussi massive qu’auparavant aux besoins en financement de certains organismes publics économiques33. Cette opération est habituellement declanchée en présence d’une volonté étatique de se désengager, quand bien même par étapes, de l’entreprise concernée, de telle sorte que la société désormais indépendante verra la rèsponsabilité de sa bonne démarche retomber partiellement ou complètement sur les investisseurs privés. Les objectifs budgétaire et politique (le retrait progressif des pouvoirs publics des activités économiques), fréquemment rencontrés, s’expliquent par un besoin de recettes de l’Etat de plus en plus majeur. Cela a récemment poussé certains pays européens à toute une série de privatisations, l’augmentation des déficits étant contraire aux engagements européens et les augmentations d’impôts exclues par la proximité des élections34. Ceci étant dit, force est de constater les différences entre les processus de privatisation d’Air France et d’Alitalia. Le piètre état dans lequel versent ses finances publiques a conduit la France a accélérer les cessions d’actifs publics, dans le cadre d’un engagement de maîtrise des dépenses publiques qui suppose que le recettes soient affectées au désendettement de l’Etat. Ainsi, la relance du trend des privatisations, placé sous le signe de la priorité donné à l’activité « dans un pays qui encourage ses entreprises et les soutient pour qu’elles investissesnt et créent des emplois »35, cache en réalité l’intérêt non avoué de se redonner des marges de manoeuvre pour désendetter le pays et, de facto, contribuer aussi à la réduction des déficits. Difficile à imaginer l’idée d’accélérer les privatisations dans le seul but de réduire la dette publique, alors que, jusqu’ici, le gouvernement français avait plutôt privilégié les dotations en capital. 32 Jean Yves Chérot, Droit public économique, Economica, Paris, 2002, p. 435. Franco Bonelli, La privatizzazione delle imprese pubbliche, Giuffré Editore, Milan 1996, p. 31. 34 A. Derion, M. Durumpty, Chroniques des entreprises publiques, RFAP, 1er avril 2001, n° 98, chron., p. 361. 35 Les Echos, mardi 6 avril 2004. 33 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 24 Alors que les objectifs poursuivis par la France sont de nature macro-économique et institutionnelle, il paraît peu probable que les pouvoirs publics italiens, nonobstant le niveau rècord du déficit public (106 % du PIB), aient décidé de faire recours à la privatisation d’Alitalia pour y pallier. Rappellons plutôt que l’accent est mis – au-delà des intérêts financiers de l’Etat pour lequel cette opération devrait être une source de recettes non négligeable – sur l’intérêt de l’entreprise elle-même, dont la privatisation doit lui permettre de recourir plus facilement aux marchés de capitaux et doit surtout lui faciliter une politique nécessaire de rapprochement, notamment capitalistique, avec d’autres compagnies aériennes en Europe. Cela découle de l’idée qu’il ne subsistera bientôt dans l’espace européen, comme aux Etats-Unis, que quelques grands transporteurs aériens, capables de faire face à la concurrence des compagnies low cost36. Il s’agit de permettre tout à la fois de renforcer et d’étendre les liens crées dans le cadre de l’alliance Skyteam et d’y consolider la position d’Alitalia, alors que le centre de gravité de ce partenariat pourrait sinon se déplacer aux Etats Unis37. Or, une opération de cession d’actifs, moyennant une OPV, est bel et bien l’hypothèse qui découle du texte du dpcm, adopté à la suite et en vertu des accords commerciaux entre Alitalia et Air France-KLM. Toutefois, l’usage de la technique de l’OPV variant d’un système juridique à l’autre, le placement des titres Alitalia sur le marché permettra un désengagement seulement partiel de l’Etat. En effet, massivement présent là où l’objectif d’instaurer un capitalisme populaire est clairement affiché (au Royaume-Uni et en France), l’OPV revêt une portée beaucoup plus modeste au sein de l’étroit marché boursier italien, où les traditions nationales incitent à préserver, au moins pour partie, un système économique davantage centré autour d’importants conglomérats industriels38. Ainsi, alors que l’Etat français ne détient plus que 44,7 % du capital d’Air France, suite au succès de l’OPE sur KLM, et se dit même prêt à réduire sa participation à tout moment39, du côté italien il y en a déjà qui redoutent que celle d’Alitalia ne sera qu’une privatisation partielle. Comme aime à le souligner Jean Cyril Spinetta (PDG d’Air France), c’est ce qui fait la 36 Selon le plan de restructuration 2004-2006, Alitalia doit faire face à trois catégories de problèmes : ses problèmes historiques, ceux qui sont liés aux conditions de marché après le 11 septembre, enfin les problèmes structurels qui concernent le secteur entier. 37 Martine Lombard, Les garanties accompagnant la privatisation d’Air France, AJDA, 2 juin 2003, p. 1101. 38 Infra, Titre II, chap. 1, sect. 2, p. 15. 39 L’Etat devrait mettre rapidement sur le marché une partie substantielle des actions de la compagnie de Roissy qu’il détient encore, pour ramener sa participation à un niveau d’environ 20 %, ce qui pourrait intervenir dans le courant de l’année 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 25 différence entre une « privatisation de droit » et une « privatisation de fait »40. De même, alors que la privatisation effective d’Air France est à la base de la confiance de ses partenaires néerlandais, Alitalia risque notamment de ne pas recevoir le consentement de KLM à la fusion, le transporteur batave s’étant montré extrêmement soucieux de l’indépendance du groupe de toute ingérence politique. En tout état de cause, la perspective du recours aux procédures du marché financier a été pour l’instant mise en veilleuse par les fortes protestations syndicales contre le nouveau plan industriel d’Alitalia 2004-2006. Aussi, a été reportée l’adoption du plan de restructuration de la société (fondamental selon les experts pour sauver la société), qui prévoit la suppression de 3000 postes41 sur environ 22.000, dont 900 licenciements secs et 2.100 externalisations (outsourcing)42. § 2 : L’augmentation de capital par apport en numéraire L’augmentation de capital en contrepartie d’apports en numéraire, accompagnée de la rénonciation des actionnaires publics à leur droit préférentiel de souscription, est une technique qui participe de la nécessité d’assurer le financement de l’entreprise publique, à un moment ou les pouvoirs publics, pour des raisons de compression des dépenses, ne sont plus en mesure de doter correctement l’entreprise selon ses besoins. Mais si la finalité poursuivie consiste alors à assurer un financement complémentaire de l’entreprise publique, le souci de désengagement de l’Etat est en revanche absent43. Cela est souvent le résultat d’une augmentation de capital limitée, de manière à préserver en tout état de cause la maîtrise des pouvoirs publics sur l’entreprise par la détention d’une portion majoritaire du capital social. Ceci étant dit, force est de constater qu’une telle technique de transmission du contrôle a les mêmes chances que la première de sortir Alitalia de la sphère de protection étatique. Cela n’aide certainement pas la Compagnie, qui, comme la majorité des entreprises publiques, subit la désaffection des investisseurs causée par le maintien du contrôle entre les mains publiques, se traduisant en un obstacle à « l’opéabilité » de la société. Toutefois, en l’absence d’obstructionnisme étatique moyennant une limitation intentionnelle de l’augmentation de capital, le mécanisme en question peut concourir à une véritable privatisation. C’est ce qui est 40 Les Echos, mercredi 5 mai 2004. Le projet se situe dans la fourchette basse des estimations des analystes, qui estimaient aux environ de 5.000 personnes les sureffectifs du transporteur. Les Echos, jeudi 26 février 2004. 42 Ces mesures prévoient la cession à des entreprises extérieures de branches d'activités périphériques et le transfert des emplois correspondants. La Repubblica, samedi 21 février 2004 41 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 26 arrivé à Air France. En effet, l’augmentation de capital (avec suppression du droit préférentiel de souscription) de la compagnie de Roissy, réalisée dans le cadre de l’OPE sur KLM, a entraîné une résolution de l’AGE par le fait que les plafonds fixés lors de l’augmentation un an plus tôt (25 septembre 2002) étaient désormais insuffisants. Pour rémunérer les actionnaires de KLM (sur la base d’une parité d’échange de 11 actions et 10 BSA d’Air France pour 10 actions KLM), Air France a été amené à créer 51,4 millions d’actions nouvelles, soit une augmentation de capital de 437,7 M €, alors que le seuil était fixé à 300 millions. Ainsi, à l’issue de l’opération, la participation de l’Etat a été majeurement diluée, en passant automatiquement de 54 % à 44,7 %, ce qui a privatisé de facto Air France44. § 3 : L’augmentation de capital par apport en nature La dévolution des droits sociaux au profit du secteur privé peut également se réaliser par la voie d’une augmentation de capital par apport en nature. Cette technique est fort envisageable au cas d’espèce, car la contrepartie offerte par l’actionnaire privé entrant est souvent susceptible de favoriser un rapprochement de l’entreprise publique, dont le capital est ainsi augmenté, avec l’entreprise du nouveau partenaire, voire à permettre une réorganisation plus ou moins radicale du secteur économique auquel appartient l’entreprise publique. Le souci qui préside à une telle opération réside ainsi dans la restructuration du secteur aérien national. Par ailleurs, la prévision d’une OPE constitue une mesure primordiale pour la bonne réussite de l’opération. En effet, si Alitalia n’était pas en mesure de procéder à des échanges d'actions et ne pouvait que racheter des titres d'une compagnie etrangère, cela aurait l’effet d’accroître considérablement son endettement. Section 2 : Une transmission fort probablement partielle Lorsque on parle de caractère total ou partiel du transfert, on met l’accent sur la disponibilité de l’Etat à abandonner ses prérogatives de puissance publique. Si le transfert peut entraîner que la totalité du capital soit entre les mains du secteur privé – un résultat envisageable moyennant une cession de l’ensemble des titres représentatifs du capital social –, très souvent le transfert n’est que partiel et les pouvoirs publics restent, dans une certaine mesure, associés à l’entreprise 43 Nicolas Thirion, Les privatisations d’entreprise publiques dans une économie sociale de marché, L.G.D.J. Bruxelles, Bruillant, Paris, 2002, p. 506. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 27 concernée. Les augmentations de capital, les fusions et les scissions concourrent à perpétuer une certaine présence de la puissance publique, car celle-ci conserve sa participation dans l’entreprise. Or, le système économique italien a developpé une tradition si favorable au capitalisme familial et fermé qu’on ne saurait imaginer les pouvoirs publics se désengager complètement d’une entreprise publique comme Alitalia. Par ailleurs, un transfert partiel du capital avec le maintien du contrôle des pouvoirs publics irait à la rencontre de deux préoccupations. D’une part, cela permetterait à l’Etat de concéder à l’entreprise un moyen qui lui garantisse une coopération profitable avec un partenaire privé, en trouvant ainsi de nouvelles sources de financement, sans en perdre le contrôle. D’autre part, un transfert partiel pourrait résulter de la difficulté de céder una tantum (en une fois) la totalité du capital, compte tenu notamment des capacités d’absorption de l’étroite Bourse de Milan45 ; même si, à la différence de la première hypothèse, l’objectif ultime serait bien la cession du contrôle et le caractère partiel de la cession ne serait que temporaire. De surcroît, s’agissant d’une entreprise exerçant une activité stratégique d’intérêt national, il est fort probable que même si le transfert concernait plus que la moitié du capital social, les pouvoirs publics ne seraient pas pour autant dépouillés du contrôle sur l’entreprise. D’où l’intérêt de rappeler la teneur des articles 2458 et 2459 du Codice Civile (code civil) italien, qui permettent de prévoir, dans l’acte constitutif de la société, que les pouvoirs publics pourront directement nommer un certain nombre d’administrateurs au sein du CA, quelque soit le montant de leur participation au capital social et même en l’absence de toute participation au capital social46. Si rien n’interdit de concevoir statutairement la nomination directe d’une majorité d’administrateurs par l’Etat, il existe aussi un mécanisme extra-statutaire par lequel l’actionnaire public peut s’arroger le contrôle de la société par le pouvoir de choisir la majorité des membres du CA47. Ainsi – sur la base des dispositions du Texte unique de 199848 concernant les pactes 44 Les Echos, mercredi 21 avril 2004 Certains « mastodontes » publics ne peuvent être totalement privatisés d’un coup pour cette raison (voir ElfAcquitaine en France ou ENI et ENEL en Italie). 46 Article 2459 du Codice civile. V. Infra, Partie II, Titre I, chap. 2, sect. 2, § 3, p. 37. 47 Nicolas Thirion, op. cit., p. 228-229. 48 Décret-législatif du 24 février 1998, n° 58, (décret Draghi) portant texte unique des dispositions en matière d’intermédiation financière (TUF), au sens des articles 8 et 21 de la loi du 6 février 1996, n° 52. 45 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 28 d’actionnaires (« patti parasociali »)49 et, plus spécifiquement, suivant l’avis de la Cour de Cassation italienne par son arrêt du 20 septembre 199550 –, est admise la licéité d’une convention de répartition des sièges d’administrateurs dès lors que, opérant sur un plan parasocial, elle n’implique pas directement une atteinte au fonctionnement des rouages sociétaires proprement dits et ne viole pas le droit de l’AG de nommer les administrateurs. Ceci étant dit, force est de constater qu’il y a des chances sérieuses que le secteur public reste très actif au sein d’Alitalia même après sa privatisation, avec le risque de lui faire jouer le rôle de la « brebis galeuse » en Europe, où toutes les compagnies aériennes ont été privatisées. Seul le transporteur SAS est encore détenu à 21,4 % par l’Etat suédois, à 14,3 % par l’Etat danois, 14,3 % par l’Etat norvegien et à 50 % par des investisseurs privés. Compagnie Air FranceKLM51 *KLM Alitalia Aménagement du capital social des compagnies aériennes Actionnaires publics Actionnaires privés Flottant en bourse 45,51 %, dont 18,4 % 10,42 % salariés d’Air pour les anciens 44,4 % Etat francais52 France actionnaires de KLM* 11,2 % Stichting 14,1 %53 74,7 % Luchtvaarbelangen Holland 2,6 % Groupe San Paolo-IMI 62,39 % Etat italien 35,1 % 2 % Air France Source: Les Echos, mardi 25 mai 2004 ; CERTeT sur données AEA Yearbook 2003 Section 3 : Le choix des destinataires du transfert La troisième et dernière série d’observations concernant les modalités de transfert du contrôle de l’entreprise publique au secteur privé touche au mode de désignation des destinataires du transfert. L’intérêt de cette étude est justifié par le souci des pouvoirs publics italiens d’assurer, au moins pendant la phase de redressement d’Alitalia, une solution de relance nationale, tout en 49 Ceux-ci sont licites, dans les sociétés cotées, lorsqu’ils sont soumis à certaines mesures de publicité ; lorsqu’ils ne sont pas conclus pour une durée supérieure à trois ans s’il sont à durée déterminée (art. 123.1 du TU) ; lorsqu’ils offrent un droit de retrait moyennant un préavis de six mois maximum s’ils sont à durée indéterminée (art. 123.2 du TU). 50 Cass. it., 20 septembre 1995, Giur. It., 1996, I, 1, col. 164 et s. Note de G. Cottino, Anche la giurisprudenza canonizza i sindacati di voto? 51 A ce stade, le nouveau groupe n’a pas encore sa forme définitive, car jusqu’au 15 septembre, KLM restera une filiale d’Air France. C’est à cette date que verra le jour le holding Air France-KLM, qui coiffera les deux compagnies et succédera en bourse au groupe Air France. Les Echos, mercredi 5 mai 2004. 52 La loi n° 2003-322 du 9 avril 2003 indique les étapes du processus de privatisation d’Air France. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 29 regardant l’alliance avec Air France-KLM comme l’horizon de référence de la Compagnie. D’où le choix de « négliger » l’analyse des modalités de cession des participations étatiques moyennant le recours aux procédures du marché financier, qui s’encarnent dans le mécanisme de l’OPV. Nous nous intéresserons en revanche aux procédures hors marché financier qui peuvent jouer parallélement aux (§ 1) ou indépendamment (§ 2) des premières54. Ces mécanismes posent d’ailleurs le problème du respect des contraintes communautaires et nationales concernant le principe de non discrimination et le régime des aides d’Etat. § 1 : Noyaux stables, un bon compromis Alitalia pourrait vraisemblablement être privatisé par le biais d’une procédure de transfert mixte55 : une portion minoritaire de capital social est réservée à un groupe d’actionnaires déterminés56, alors que le solde majoritaire est placé sur le marché boursier au moyen d’une OPV couplée avec une OPE. Tout en assurant l’apport d’argent frais dans les caisses d’Alitalia, cette stratégie semble garantir à la fois l’efficacité et le contrôle de la gestion, car si l’actionnariat éclaté (qui acquiert les titres moyennant une OPV) rende la société théoriquement « opéable » et le management attentif aux résultats de gestion, les actionnaires acquéreurs des titres par cession directe (qui interviennent en complément d’une OPV), vont constituer ce qu’on appelle les « nuclei stabili » (noyaux (d’actionnaires) stables)57. Ainsi, le souci est d’assurer le passage le moins boulversé possible de « l’ente pubblico » au secteur privé, où Alitalia ne jouira plus de la protection étatique par un actionnariat homogène. 53 La particularité du droit des sociétés néerlandais permet à l’Etat, nonobstant sa part de minorité, de pouvoir contrôler indirectement la gestion de la compagnie à travers le mécanisme de la cooptation. Henk Oosterhout, Takeovers barriers, the good, the bad, the ugly, Tilburg, 1996. 54 G. Zanetti, G, Alzona, Capire le privatizzazioni, Il Mulino, Bologne 1998, p. 84. 55 Franco Bonelli, La privatizzazione delle imprese pubbliche, Giuffrè éd., Milan 1996, p. 55. 56 Certains acquéreurs potentiels d’Alitalia seraient identifiables en les compagnies aériennes Meridiana, Volare Group et Alpi Eagles (La Repubblica, samedi 14 février 2004). En revanche, a été rapidement exclue la possibilité d’une participation de la société italienne des chemins de fer (Trenitalia), les deux compagnies étant en situation de concurrence. La Repubblica, samedi 24 janvier 2004. 57 A ce propos, le législateur italien est intervenu pour éviter des difficultés dans la formation des noyaux stables. Afin d’éviter des lourdes charges aux actionnaires, a été introduite la différence entre les noyaux durs (« noccioli duri ») et les noyaux stables (« nuclei stabili »), les premiers étant caractérisés par l’existence de conventions de vote impliquant l’obligation de lancement d’une OPA (obligation étendue par la loi n° 474 aux privatisations), les deuxièmes ayant le seul engagement de ne pas vendre leurs propres actions pour une certaine période, ce qui n’implique pas d’OPA obligatoire. Franco Bonelli, La privatizzazione delle imprese pubbliche, Giuffrè éd., Milan 1996, p. 85. En France, les noyaux durs étaient à l’origine une solution à la limitation temporelle de la durée de l'action spécifique. La loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 ayant supprimé cette limitation dans le temps de la durée de l'action spécifique, la nécessité de noyaux durs, renommés par cette loi « groupes d'actionnaires stables », est apparue moins évidente. Lamy Droit public des Affaires (cd rom), Noyaux durs, action spécifique et limitations aux investissements étrangers, 622. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 30 En effet, le recours exclusif à une OPV pourrait affaiblir la Compagnie dans sa phase de transformation en public company58, car en l’absence d’un actionnariat de référence et en présence d’un nouvel actionnariat éclaté, elle serait une proie facile des raiders étrangers. Ainsi, compte tenu d’un futur partennariat avec Air France-KLM, Alitalia aura préservé son poids contractuel vis-à-vis de ses partenaires. Or, conformément à la jurisprudence constante de la CJCE et à la pratique de la Commission, le prix de vente d’une participation publique ne peut contenir aucun élément d’aide d’Etat, l’objet de la cession devant être proposé à la vente dans le cadre d’un appel d’offres ouvert, sans conditions et non discriminaroire59. En se conformant à cette pratique, le D.-L n° 332 du 14 mai 1994 prévoit dans son article 1.3 que toute formation des noyaux stables doit être respecteuse du principe de l’appel d’offres (« asta pubblica ») publique et transparente. Ainsi, en cas de cession de participations dans des sociétés controlées directement ou indirectement par l’Etat, « le président du Conseil des Ministres peut par décret, sur proposition du ministre du Trésor et d’accord avec le ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat et le ministre du Budget et de la Programmation économique, procéder à l’identification des sociétés pour lesquelles, en vue de constituer un noyau stable d’actionnaires de référence, la cession de la participation doit être effectuée en invitant les acquéreurs potentiels, qui répondent à certaines exigences en matière de gestion d’entreprises, à formuler de concert des offres assorties de l’obligation, à insérer dans le contrat de cession60, de garantir, moyennant accord entre les participants au noyau stable, des conditions financières, économiques et de gestion déterminées61 ». Alitalia bénéficierait donc de la mise en place d'un groupe d'actionnaires de référence, choisis pour leurs compétences techniques, financières ou de gestion et qui ensemble seraient appelés à se comporter comme un seul actionnaire. Il s’agit évidemment d’une « solution partisanne » dans la mesure où un groupe d’entrepreneurs de confiance volerait au secours de la Compagnie. « Alitalia a besoin de regagner des parts de marché interne si elle veut arriver aux alliances internationales dans une position qui ne soit pas de subjection, car aujourd’hui sa position vis-àvis d’Air France-KLM doit être renforcée. De ce fait, cela doit être perçu comme une nécessité 58 G. Zanetti, G, Alzona, op. cit., p. 27. Toutefois, les Etats membres ne sont pas tenus d’avoir recours à cette procédure lors de la cession des participations publiques. C’est pourquoi, en l’absence d’une telle procédure, la Commission vérifie que le prix de vente de la participation publique soit approprié, le prix pouvant contenir des éléments d’aide d’Etat. Marianne Dony, Les aides d’Etat, chron., Journal des tribunaux - Droit européen - 2001, p. 111. 60 Le contrat de cession prévoit souvent une clause d’inaliénabilité temporaire des titres et la détermination de l’indemnité due en cas de non respect de cette obligation. 61 Nicolas Thirion, op. cit., p. 547. 59 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 31 d’alliances à réaliser d’abord sur le marché interne62 ». Ainsi, les sujets intéressés, opérant le cas échéant dans le même secteur d’activité63, apporteraient à Alitalia non seulement le capital venture, mais aussi des ressources particulièrement stratégiques en termes de technologies, de connaissance des marchés, d’alliances pour l’expansion internationale64. La stabilité du contrôle et de la stratégie ainsi que l’autonomie de décision seraient ainsi sauvegardées. Cette solution permetterait de se présenter à l’international le front haut face à des possibles alliances avec Air France-KLM ou tout autre partenaire65. § 2 : Les risques d’un transfert hors marché financier L’absence de recours au marché boursier a été assez symptomatique de la tradition du capitalisme italien. Comme dans le passé, en écartant le recours aux marchés financiers, Alitalia instaurerait des négociations directes avec ses acquéreurs potentiels par voie de procédure restreinte ou par vente de gré à gré. Néanmoins, une telle procédure risque aujourd’hui de ne pas recevoir l’aval des autorités communautaires, car elle est souvent contraire aux dispositions de l’art 88 § 2 du Traité CE concernant le principe de non-discrimination et la prohibition des aides d’Etat ; bien qu’une évolution ait été enrégistrée dans la mesure où l’exigence nationale du principe d’égalité semble avoir élévé au rang de règle la nécessité du recours à l’appel d’offres. Il n’en reste pas moins que cette technique de transfert du contrôle peut parfois s’expliquer par les conditions de santé trop altérées de la société à privatiser, incapable d’attirer la généralité des investisseurs sur les marchés financiers. Or, il est vrai qu’Alitalia a des objectifs de politique industrielle qui ne visent pas la simple collecte de moyens financiers pour assainir son déficit ; d’autant plus qu’ont été prévus, dans son plan de redressement, une augmentation de la productivité, le développement de la qualité des services et des tarifs plus compétitifs vis-à-vis 62 Roland Berger, advisor du gouvernement italien. La Repubblica, jeudi 15 janvier 2004. Le risque de compromettre excessivement l’indépendance des comportements concurrentiels de la société est plus élévé lorsque les partenaires participants sont des entreprises ou des groupes opérant dans le même secteur de la participée, à cause du potentiel collusoire de telles participations. La Repubblica, mercredi 24 mars 2004. 64 Il est essentiel que l’apport se concrétise en termes d’efficacité (synergies et complémentarité) et non de simple augmentation du pouvoir de marché et de consolidation de la zone d’influence des participants. Afin de réduire ce risque, il est important que les noyaux stables soient le plus fractionné possible. Franco Bonelli, op. cit., p. 28-29. 65 Certains, au sein de la commission Transports à l’Assemblée Nationale, avaient suggéré de prendre en considération la possibilité d’alliance avec Iberia. Néanmoins, l’alliance avec l’espagnole porterait Alitalia tout droit dans les bras du colosse British Airways, qui en est l’actionnaire de référence à auteur de 9 % et qui, selon les analystes, est censé augmenter sa participation. La Repubblica, mardi 17 février 2004. 63 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 32 des compagnies low cost66. Cependant, dans tous les cas où l’objectif est de créer des synergies entre l’entreprise à privatiser et d’autres opérateurs, afin d’augmenter la taille critique à l’intérieur de certains secteurs et de favoriser le renforcement des parts de marché, il est souhaitable de procéder à une vente directe à un ou plusieurs groupes du secteur. Solution presque obligée lorsque la société a besoin de ressources financières pour pallier à des précédentes difficultés économiques67. Chapitre 2 : La restructuration, condition nécessaire Gouvernement et dirigeants sociaux ont ainsi jeté les fondations pour une privatisation d’Alitalia. Il nous ne reste qu’à attendre et à mesurer la portée des décisions qui seront prises. Le passage du secteur public à la sphère privée n’est toutefois pas suffisant pour résoudre les problèmes de la Compagnie. De ce fait, la nécessité préalable du redressement financier de la société a été avancée par tous les acteurs du secteur. On aurait pu imaginer Air France-KLM, notamment, profiter d’une telle situation afin d’acquérir Alitalia à un moindre prix. Le groupe a néanmoins souhaité une préalable amélioration des comptes sociaux du transporteur transalpin, qui risque autrement d’alourdir la situation financière de l’ensemble, qui, à peine formé, aura besoin de plusieurs années pour achever son plan de restructuration. La situation d’Air France au début des années ’90 n’était pas différente. La loi française de privatisation n° 93-923 du 19 juillet 1993 mentionnait la compagnie nationale parmi les sociétés dont les participations majoritaires détenues directement ou indirectement par l'Etat devaient être transférées du secteur public au secteur privé68. Air France se trouvait-elle, dès 1993, sur la liste des entreprises publiques privatisables. Pour autant, sa santé financière excluait alors l'ouverture de son capital dans de bonnes conditions pour elle comme pour l'Etat. Comme pour Air France à l’époque, il s’agit aujourd’hui de définir les termes de l’assainissement financier d’Alitalia avant sa privatisation. Des mesures dites « de système » ont été annoncées par le gouvernement : il s’agit d’une série de mesures fiscales cencées dégager une aide d’un montant global de 300 à 400 M €. Ce « parachute » a été prévu en faveur de 66 Sans renoncer aux efforts de productivité, la nouvelle mouture devrait mettre l’accent sur le développement de la flotte, avec l’ouverture de nouvelles liaisons intercontinentales qui devrait engendrer une hausse de 15 % du volume des places offertes en 2004. Les Echos, mercredi 24 mars 2004. 67 Nicolas Thirion, op. cit., p. 549. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 33 l’ensemble du secteur aérien, ce qui devrait contourner le problème des aides d’Etat au regard de Bruxelles (section 1). Néanmoins, ce « plan de la dernière chance », qui prévoit d’ailleurs un recentrage sur le coeur d’activité du transport aérien, peine à démarrer à cause du gel du plan social de redressement d’Alitalia (« contingency plan »), dont le recours à la sous-traitance et à l’externalisation est préalable au declenchement des mesures du « système » (section 2). Section 1 : Des coûts à contenir A l’heure actuelle, Alitalia est censé concentrer ses efforts sur la consolidation de son leadership sur le marché domestique en récupérant le différentiel des fréquences par rapport à ses principaux competitors. L’opération risque de se révéler extrémement difficile dans la mesure où la structure des coûts présente un certain nombre d’anomalies qu’il faut nécessairement corriger. En effet, les dépenses pour les achats et les ventes représentent 15 % du total (contre 5 % pour Lufthansa) et celles pour le kérosène 16 % (contre 10 % pour Air France) ; 17 % des coûts passent d’ailleurs sous la rubrique « dépenses de trafic » (à savoir l’accompagnement des vols dans les aéroports et l’assistance aux vols), pourcentage lui aussi supérieur aux autres transporteurs. Par exemple, le budget Alitalia 2004 prévoit l’achat de 1.350.093 mètres cubes de kérosène dans les escales italiennes. Le royalty moyen payé dans ces aéroports s’élève à 7,71 euros par mètre cube. Au total, la Compagnie doit payer aux sociétés pétrolières 10.216.000 euros. Pourtant, si en Italie était appliquée la moyenne des royalties européens, à savoir 3,34 euros, Alitalia réduirait ces coûts69. Les interventions, qui visent une marge d’exploitation de 15-17 %, portent ainsi sur la réduction et la flexibilité des coûts par la rénégociation des conditions de fourniture (réduction des taxes sur le kérosène plus cher qu'en France ou en Allemagne), par la réduction des coûts commerciaux pour les atterrissages et décollages (allégement des tarifs du contrôle aérien, à savoir des droits versés à l’organisme de contrôle du transport aérien, ENAV) et des coûts de distribution (une baisse de la TVA sur les billets d’avion et le développement de points de vente directs)70. Nécessaire à l’allégement des coûts opérationnels, ce type d’intervention ne pourvoit pas pour autant aux besoins impérieux de liquidités. C’est pourquoi, dernier né dans la famille des aides 68 69 Yves Fréville, op. cit. www.senat.fr La Repubblica, mercredi 10 mars 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 34 du Trésor, un crédit relais71 garanti par l’Etat, à rembourser après douze mois, devrait assurer la poursuite de l’activité de la société72. Alitalia n’a désormais qu’une disponibilité de 200 M € de cash flow, de quoi payer le seul kérosène jusqu’à la fin de l’été, trop peu compte tenu des dépenses fixes (250 M €) qu’elle supporte chaque mois : 90 millions pour les salaires, 50-60 millions pour le kérosène, 85 millions pour les redevances, 10 millions pour le leasing et les dépenses ordinaires de téléphone et électricité. Néanmoins, bien qu’il soit confronté à un risque de banqueroute en l’absence d’une levée de fonds, Alitalia ne devrait pas pouvoir tirer de grands bénéfices de ce prêt. Avec une moyenne de pertes mensuelles de 60 à 70 M € selon les estimations, Alitalia est condamné à s’endetter davantage, car il va devoir réduire sensiblement son train de vie pour rembourser le crédit bancaire. On se demande comment le nouvel administrateur délégué envisage-t il d’y faire face, ayant privilégié le développement du groupe sur les suppressions d'emploi, que nombre d’observateurs estiment pourtant inévitables. Ayant perdu en 2003 plus du tiers de 1,26 milliards d’euros de ses fonds propres, le prêt s’inscrit plutôt dans le cadre d’une opération douteuse de recapitalisation massive, non avouée, qui va permettre la survie artificielle d’une société non viable, ce qui équivaut à repousser de quelques mois sa mort inévitable. L’éventualité d’une scission du transporteur en une « bad company » et une « best company » reste fort heuresement d’actualité, le Trésor n’ayant pas renoncé au transfert des services au sol à une nouvelle entité (Alitalia Service) et le coeur des activités à une autre, baptisée Alitalia Flight. Le projet, qui prévoit le rachat par le holding public Fintecna de la majorité des activités périphériques de la Compagnie73, est le seul véritable projet industriel d’envergure capable de recentrer la société sur le coeur de son activité. Par ailleurs, ce n’est pas par pur hasard si le nouveau patron d’Alitalia, Giancarlo Cimoli, voulu par le Trésor à la tête d’Alitalia, soit aussi l’auteur de la privatisation de la société des chemins de fer italiens (Trenitalia), notamment de la division des anciennes Ferrovie dello Stato (Chemins de fer de l’Etat) en deux entités, activité transport d’une part et infrastructures de l’autre. 70 Les Echos, jeudi 15 avril 2004. Les Echos, mardi 15 juin 2004 72 La Repubblica, vendredi 14 mai 2004. 73 Les Echos, mercredi 23 juin 2004 71 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 35 Section 2 : Recentrage sur le « core business » Pour finaliser ce plan de sauvetage, qui passe par la scission des activités de maintenance, le « contingency plan » du management est le corollaire du plan du gouvernement. Chez Alitalia, le plan proposé prévoit un projet de sous-traitance du pôle de gestion informatique (Division Informatique Alitalia, 1200 salariés)74 ; le démembrement en six sociétés de l’actuel pôle de révision des appareils de Fiumicino (Division Entretien Aéronefs, DMO) ; un programme de tertiarisation (cession en outsourcing75) des filiales Atitech de Naples et Alitalia Airport de Fiumicino ainsi que de plusieurs activités administratives, de gestion et de vente. Les opérations d’externalisation de 2100 salariés sont cencées engendrer une épargne de 57,5 M €, dont 19 par le partnership d’Alitalia Airport, 10 par celui d’Atitech, 7 par Alitalia Cargo ; 6 millions d’épargne viendront par l’externalisation des activités corporate (administration), 14 millions de l’ « information technology » et 1,5 millions des « call centers »76. Le management a ainsi opté pour un procédé devant permettre à la Compagnie de se libérer de tout ce qui l’éloigne de son activité principale. Une fois récentrées les énergies disponibles sur le transport passagers et fret, Alitalia devrait, en théorie, assurer son développement avec plus de compétitivité grâce à la mise en place d’un partenariat avec une société tiers. L’entière responsabilité de plusieurs fonctions périphériques à son activité sera confiée à un prestataire externe spécialisé, pour une durée pluriannuelle. Ceci étant dit, force est de constater que le but premier d’une telle opération ne peut en aucun cas concerner la recherche de gains financiers immédiats. Si les coûts et la rentabilité de l’externalisation d’un service ou d’une fonction font inévitablement partie des volets examinés lors de la mise en place de projets de ce type, la création de pôles d’exellence au sein de l’entreprise est le moteur principal de cette démarche. Par conséquent, les résultats d’une telle opération ne peuvent être considérés que sur le moyen et le long-terme77. 74 Le Figaro, lundi 5 avril 2004. Linee guida del piano 2004-2006. Rome, 30 octobre 2003. www.alitalia-corporate.it 76 La Repubblica, mercredi 5 mai 2004. 77 Option Finance, Le guide de l’externalisation des activités de l’entreprise, ADP gsi, éd. 2004, p. 4-5. 75 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 36 PARTIE II UN REGIME AMAIGRISSANT IMPOSE PAR UN MARCHE CONTRAIGNANT Alitalia traverse la plus grave crise de son histoire. En 2003, la compagnie a perdu 517 M € (avant impôts et éléments exceptionnels), deux fois plus qu'en 2002 (- 260,5 M €), et le chiffre d'affaires a reculé de 9,5 %, à 4,321 milliards d'euros. Le secteur aérien, globalement considéré, a perdu 35 milliards de dollars. Tenu en échec par les pilotes, hôtesses et employés du check-in, qui croisent les bras à la moindre tentative de réduire les coûts, Alitalia n’a pas réussi à comprimer ses effectifs, alors que la plupart des transporteurs mondiaux ont communiqué des véritables bulletins de guerre78. Delta a mis à la porte 16.000 employés, British Airways 13.000, American Airlines 7.000, Lufthansa 2.000 ... etc79. Au total, 400.000 emplois perdus, selon les données IATA (Association des transporteurs aériens internationaux). Mais du Palais de Via Migliana à Rome (le quartier général d’Alitalia), abstraction faite pour quelques préretraite, on arrive pas à couper 2000-2500 emplois. L’ex-administrateur délégué d’Alitalia, Francesco Mengozzi, a du démissionner après l’annonce de la réduction80, ce qui a eu le « drôle » de résultat, évidemment inattendu, de durcir d’avantage la situation des salariés, dont le nombre de sureffectifs est passé de 2500 du plan Mengozzi à plus de 3000 du plan Cimoli, le nouveau patron d’Alitalia. Si les salariés n’ont pas diminué, la moyenne des heures de travail, elle, est inférieure par rapport aux autres compagnies européennes. Les pilotes italiens volent 477 heures par an contre 568 heures des pilotes d’Air France, 592 de Lufthansa, 631 de British Airways et 630 d’Iberia (ce dernier était sur le bord de la faillite il y a quelques années, alors qu’aujourd’hui, privatisé et assaini, est parmi les premiers transporteurs européens par chiffre d’affaires). Le salaire moyen d’un pilote d’Alitalia est de 99.000 euros par an, égal à 207 euros par heure, qui pourrait diminuer à 143 s’il était étalé sur 630 heures81. Sur un vol Rome-Madrid (environ deux heures et 78 La Repubblica, lundi 19 avril 2004. Les Echos, lundi 28 juin 2004. 80 La Repubblica, mercredi 7 avril 2004. 81 A titre temporaire, les pilotes et Alitalia ont réussi à signer un accord. Le compromis, qui aura validité jusqu’au 31 octobre 2004, vise l’augmentation de la productivité de la catégorie professionnelle. La Compagnie va pouvoir réaliser 3 M € d’économies, dont 2,2 millions par le gel des cotisations de sécurité social et 800.000 euros 79 par l’augmentation des heures de vol, qui passent de 90 à 95 par mois, et des jours de roulement sur le long-courrier, qui passent de 6 à 10. Les mesures prévoient aussi un plus long délais de préavis pour la demande de congé parentale (45 jours au lieu de 15) et la réduction de 4 à 3 des membres de Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 37 demi) Alitalia perd environ 240 euros par rapport à Iberia, grosso modo le prix d’un billet avec une compagnie à bas coût. Aussi, chaque billet Alitalia pèse environ 15 % sur les bénéfices, contre seul 1,6 % d’une compagnie low cost. Bref, si au coût du personnel on additionne celui du carburant, du leasing, de l’entretien, du vol et de l’escale, le total est épouvantable : sur 100 euros de recettes, les coûts sont égales à 109 euros, contre 91 euros d’une compagnie low cost82. Si un transporteur comme Easyjet gagne davantage en volant davantage, une règle pour toutes les compagnies à bas coût, Alitalia ferait mieux de rester à terre83. Si elle était une compagnie privée, ses actionnaires l’auraient vendue ou auraient déposé le bilan, sauf à trouver des liquidités et une nouvelle stratégie pour la relancer. Et ce n’est pas tout. Les problèmes de gestion interne ne sont qu’un aspect des difficultés du processus de redressement d’Alitalia. La Compagne a besoin, pour survivre, de s’insérer au sein d’un grand groupe aérien ; elle demande une recapitalisation lourde pour faire face à son énorme surendettement ; elle a besoin, comme tous les transporteurs mondiaux, de se libérer de l’influence étatique pour pouvoir librement mener une politique d’élargissement. Les obstacles nationaux et internationaux sont pourtant nombreux. D’une part, les autorités antitrust limitent le libre financement et le libre regroupement des compagnies aériennes ; d’autre part, les autorités nationales ont rarement montré la volonté de renoncer à leurs prérogatives publiques sur le transport aérien (Titre I). Le Trésor, actionnaire de référence d’Alitalia, doit enfin se résoudre à intervenir. Quoi qu’il en soit, il y aura des victimes, qu’il s’agisse des salariés, inévitablement à réduire, ou des visées ambitieuses d’Alitalia, qui n’a d’ailleurs de « global carrier » que le nom. Seront alors évaluables les avantages ainsi que les inconvénients d’une alliance avec Air FranceKLM (Titre II). l’équipage nécessaire pour les formations sur les A 321. Le retour immédiat (« must go ») à la base de Rome des équipages des vols long-courrier qui arrivent à Milan Malpensa va permettre de réaliser des économies sur les coûts de transfert et d’hébergement à Milan. Par ailleurs, les pilotes s’engagent à accepter plus de flexibilité sur les règles de travail au cas où Alitalia décide d’élargir son network par l’ouverture de nouvelles routes. La Repubblica, jeudi 24 juin 2004. 82 Sévèrement concurrencé par les compagnies low cost, Delta Air Lines est également handicapé par les salaires de ses pilotes, parmi les plus élevés aux Etats-Unis, et n’est jamais parvenu à signer un accord avec leurs syndicats malgré des tentatives répétés. Les Echos, jeudi 17 juin. 83 S. Liviadotti, op. cit., p. 151. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 38 TITRE I : CONTRAINTES ET OBSTACLES DU MARCHÉ DU TRANSPORT AÉRIEN La Commission européenne ainsi que les autorités nationales veillent au respect des règles du marché unique, afin que la concurrence ne soit pas faussée. Tout en souhaitant la profonde réorganisation du secteur du transport aérien, indispensable à la survie des compagnies européennes, Bruxelles a demandé la cession d’un certain nombre de slots lors de la fusion entre Air France et KLM. La restitution des créneaux horaires a été également exigée lors de l’approbation du projet de participation croisée entre Air France et Alitalia. Toutefois, le projet de rapprochement du transporteur transalpin au tandem franco-néerlandais suscite d’autant plus de polémiques que nombre d’acteurs du secteur ont déjà appelé l’exécutif communautaire à la vigilance sur l’attitude des autorités italiennes. Quelles que soient les modalités du plan in fine décidé par Rome (prêt remboursable ou mesures de soutien au secteur aérien en général), Bruxelles entend bien les examiner de près, le gouvernement italien ne pouvant pas agir à sa guise pour sauver Alitalia84. Le redressement (préalable à la privatisation) de la Compagnie ne pourra pas être effectué par des aides d’Etat, la Commission ayant interdit toute forme de recapitalisation publique (Chapitre 1). D’outreatlantique, le DoT (Department of Transportation) a lui aussi imposé sa réglementation en matière de contrôle du capital aux compagnies européennes qui volent vers les Etats-Unis. Par conséquent, nos transporteurs ont adopté, chacun à sa façon, des mécanismes de contrôle de la nationalité du capital qui se heurtent à la réglementation communautaire (Chapitre 2). Chapitre 1 : L’intransigeance des autorités antitrust Alitalia est serré comme dans un étau. D’une part, l’Autorité italienne Garante de la Concurrence et du Marché (AGCM) s’est montrée particulièrement attentive aux pratiques anticoncurrentielles sur le marché domestique. Elle a pu empêcher en 2003 des accords commerciaux qu’auraient permis à Alitalia de regagner des parts de marché. Celui-ci est en effet devenu tellement concurrentiel que la Compagnie a enregistré une perte de 50 % du trafic national (section 1). D’autre part, la Commission européenne a déjà tranché négativement la question de la recapitalisation publique du transporteur. Souvent exploitée par les gouvernements pour soutenir les activités en crise, la nécessité de service public n’est plus une raison suffisante 84 Les Echos, jeudi 6 mai 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 39 pour que les intérêts nationaux puissent jouir de la dérogation communautaire aux règles de marché (section 2). Section 1 : L’AGCM et le marché domestique Il n'existe plus de monopole naturel dans le secteur du transport aérien, qui est devenu fortement concurrentiel, ainsi que le montre notamment le développement des compagnies low cost au sein de l'Union européenne. L'Etat actionnaire n'a d’ailleurs pas toujours démontré ses qualités de gestionnaire. Si la directive « transports »85 n’impose nullement aux Etats membres de procéder au démantèlement des opérateurs historiques, l’ouverture de ces secteurs à la concurrence et l’obligation parallèle de confier la gestion du réseau nécessaire à l’exploitation du service à des entités séparées sont deux facteurs qui militent pour l’abandon des structures publiques au profit d’entreprises privées (dont l’Etat peut rester actionnaire), afin de tirer pleinement profit d’un libre accès au marché communautaire. Cette logique, initiée par la Commission, est aujourd’hui plébiscitée par les dirigeants d’entreprises publiques et indirectement soutenue par les autorités nationales de la concurrence. En Italie, les principes du libre accès au marché commun et du respect de la concurrence ont été interprétés de façon très stricte par l’AGCM, qui a conduit une politique rigide de surveillance (§ 1). Alors que la plupart des autorités nationales sont même accusées de protectionnisme vis-à-vis de leurs flag carriers (v. les plaintes de RyanAir concernant la position quasi-monopolistique d’Air France sur le sol français)86, Alitalia est notamment pénalisé sur le marché domestique, bien qu’il soit le deuxième plus rentable d’Europe. La position géographique de l’Italie est cependant relativement pénalisante si on songe aux vols long courrier, ce qui évidemment ne simplifie pas la politique de relance de la Compagnie, décidée à élargir son network par l’ouverture de nouvelles routes vers l’Asie et les Etats-Unis (§ 2). 85 86 De même que les directives « Electricité » et « Gaz naturel ». Les Echos, jeudi 15 avril 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 40 § 1 : La politique rigide menée par l’AGCM L’AGCM a pu se prononcer sur les accords commerciaux intervenus entre Alitalia et d’autres compagnies nationales mineures, telles que Meridiana et Volare Group S.p.A., dont les ententes incriminées se basaient notamment sur le partage des codes et sur des accords de franchise. Les décisions de l’Autorité sont caractérisées par une série de choix sévèrement contestés par les autres parties, qui accusent l’AGCM de conditionner excessivement toute forme de collaboration entre transporteurs sur le marché national. L’AGCM a notamment développé les aspects suivants: ¾ les liaisons indirectes ne peuvent pas être considérées remplaçables au sein du marché national, ainsi pour la définition de marché essentiel ne sont pris en considération que les seuls vols point to point87; ¾ les aéroports du réseau de Milan (Linate, Malpensa et Orio al Serio) ne sont pas remplaçables entre eux; ainsi, en disposant d’un nombre de slots double par rapport à ses concurrents sur le seul aéroport de Linate, Alitalia faussait la concurrence ; ¾ l’élargissement du frequent flyer program d’Alitalia à des vols non opérés précédemment ainsi qu’aux passagers de Volare Group implique une considérable augmentation des barrières à l’entrée des nouveaux opérateurs dans chacun des slots intéressés par le codesharing ; ¾ les changements de tarifs pour les usagers n’ont pas été pris en considération pour l’enquête. Les interventions de l’AGCM semblent utiliser des critères particulièrement rigides en ce qui concerne la définition du marché important (les vols indirects ne sont pas considérés importants) et la non considération des systèmes tarifaires (pour vérifier le transfert de bénéfices aux usagers). Ceci étant dit, force est de constater que la conduite de l’Antitrust a fort limité les hypothèses de réorganisation et de rationalisation du réseau aérien88, ce qui explique le manque de développement d’économies d’échelle sur le marché national. Les transporteurs sont ainsi affaiblis par le report du processus de consolidation des opérateurs du secteur, déjà démarré dans 87 Les vols point to point sont ceux qui sont effectués de l’aéroport de départ à la destination finale. Infra, Partie II, Titre II, Chap. 1, sect. 2, § 1. 88 Sur le bien-fondé des actes de l’AGCM, v. Franco Bonelli, op.cit. p. 26, où l’auteur observe que les sociétés publiques opèrent en général sur des marchés oligopolistiques ou monopolistiques. D’où la nécessité de l’oeuvre de l’Autority pour corriger les échecs implicites de telles formes de marché. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 41 d’autres pays européens tels que la France, l’Allemagne, l’Espagne et les Pays Scandinaves, où les flag carriers possèdent entre le 60 et le 90 % du marché89. § 2 : La spécificité du marché italien du transport aérien Limité dans sa force de frappe par l’Antitrust, Alitalia doit aussi faire face à un marché national très particulier, caractérisé par des éléments différents par rapport au contexte européen. ¾ L’Italie est géographiquement en position périphérique par rapport aux grands et riches flux de trafic international et intercontinental des économies industrialisées ; ¾ la demande est très disséminée sur toute la région, puisque l’Italie compte 28 grands aéroports ; ¾ le contexte social et économique du pays engendre un trafic business moins important que dans d’autres marchés européens ; ¾ en 2003, la fragmentation de l’offre sur le marché interne a été supérieure à celle connue par d’autres pays européens, où les compagnies aériennes de référence ont pu conserver des importantes parts de marché grâce à des stratégies d’acquisition ou de partnership avec d’autres transporteurs. Pourtant, le marché italien du transport aérien est l’un des plus riches en ressources. La seule route Rome-Milan, avec plus de 380 vols hebdomadaires, engendre le plus important trafic d’Europe (dont les recettes constituent le 20 % du chiffre d’affaires d’Alitalia), deuxième seulement après la route Madrid-Barcelone. En même temps, si le transport aérien offre dans la péninsule environ 800.000 places par jour (contre 600.000 en Allemagne et 500.000 en France), Alitalia n’en exploite que 49,4 % (contre 85,5 et 72,9 % de France et Allemagne)90. Alors que les marchés français, allemand et anglais sont exploités respectivement par 18, 19 et 18 transporteurs, le marché italien propose une vaste offre de places à laquelle répondent une trentaine de compagnies aériennes qui travaillent dans une situation de concurrence interne excessive (bien que seules trois d’entre elles offrent plus de 14 % de ces places). 89 Oliviero Baccelli, Analisi del mercato del trasporto aereo in Italia. Final report, ASSAEREO (Association Nationale des Transporteurs), sous la supervision de Lanfranco Senna (directeur du CERTeT – Centre d’Economie Régionale, des Transports et du Tourisme – Université Commerciale “L. Bocconi”), novembre 2003, p. 53-55. 90 La Repubblica, vendredi 20 février 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 42 La forte augmentation de la concurrence que l’Italie a connue ces dernières années a produit des conséquences fort négatives sur le chiffre d’affaires d’Alitalia (en recul de 9,5 %)91. La logique libérale a été poussée à bout, ce qui a entraîné, depuis 2002, une ouverture maximale du marché aérien domestique. Ainsi, le ciel italien est aujourd’hui exploité par plus de 30 compagnies aériennes ayant introduite la politique du low-cost, et causé la baisse des prix et la chute d’Alitalia. Néanmoins, compte tenu des attrayantes possibilités de développement de ce secteur, il faut éviter qu’un marché si prospère soit absorbé par les groupes internationaux. Cela pour deux raisons. Primo, de nombreux emplois risquent d’être compromis si les décisions concernant les ressources du territoire devaient être prises à l’étranger92. Secundo, une compagnie étrangère, notamment à bas coût, pourrait remettre en cause l’intérêt de nombreuses routes internes, qui risquent de n’être plus desservies si elles ne devaient plus répondre à des intérêts commerciaux stratégiques immédiats. On songe notamment au principe communautaire de la « continuité territoriale », qui donne aux Etats membres la possibilité d’individualiser les compagnies devant supporter une charge de service public. Il s’agit souvent de la desserte de régions périphériques comme les îles, car ces vols sont considérés essentiels pour le développement de la région93. Section 2 : La surveillance de Bruxelles en matière d’aides d’Etat Alors que les dirigeants sociaux ont revu les comptes à la baisse (on parle désormais d’une perte de 1000 euros la minute !) et élaboré les interventions anti-crise à mettre en oeuvre dans les prochains 24 mois, le gouvernement tente d’individualiser les modalités qui lui permettent un nouvel apport en capital, afin d’éviter la liquidation de la Compagnie. L’intervention s’inscrit dans le cadre du débat au sein de l’Union Européenne autour de la nécessité des alliances entre compagnies aériennes de moyenne dimension, dont la mission de transporteur global est aujourd’hui sérieusement compromise. Dans une période plus heureuse, Alitalia s’était déjà engagé dans cette direction. La coopération avec KLM (société de dimensions analogues), bâtie à cette fin en 1999, a toutefois été brutalement interrompue par les hollandais en avril 2000, alors qu’étaient en cours les pourparlers pour une fusion entre les deux compagnies. Le transporteur italien, qui avait déclanché le 1er août 2000 une procédure d’arbitrage international pour rupture unilatérale de contrat, avait réussie à sortir du rouge grâce au paiement d’une clause pénale de 250 M € à titre 91 92 Les Echos, lundi 26 avril 2004. La Repubblica, vendredi 17 février 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 43 de dommages et intérêts94. L’amende « tampon » n’a évidemment accordé que du temps à Alitalia, dont les bilans successifs 2001-2002 sont ainsi retombés dans le rouge. Aujourd’hui, l’histoire se repète, car la compagnie a obtenu non pas une intervention directe de l’Etat, mais un crédit relais consenti par un syndicat de banques (sous la houlette de la banque d’affaires Mediobanca) et garanti par l’Etat. Il s’agit, là encore, d’une solution à court-terme qui n’a pas pu éviter la vague de protestations contre une aide considérée « d’enième assistance étatique »95. Certes, on ne saurait pas méconnaître le besoin d’une levée de fonds substantielle, seulement possible grâce à l’intervention en capital d’investisseurs privés ou de l’Etat, sans laquelle le transporteur est condamné à la banqueroute. Néanmoins, force est de constater que les investisseurs privés semblent intéressés par une société si endettée et l’Etat ne pourra pas non plus recapitaliser la Compagnie. « Alitalia a manqué son train » il y a quelques années, quand il avait encore le temps et les énergies pour se redresser (§ 2). Aujourd’hui, il ne lui reste que les mesures de soutien, évidemment non suffisantes, prévues par le gouvernement en faveur de l’ensemble du secteur aérien. Tout au plus, l’État pourra renflouer l’entreprise à condition que l’injection d'argent dans la société publique soit faite en agissant comme n'importe quel investisseur privé (§ 1). § 1 : « L’investisseur privé en économie de marché » Au début des années 90 et avant le complet achèvement du processus d’ouverture des marchés, les compagnies aériennes étaient encore et largement sous la tutelle des Etats, qui, pour la plupart, en étaient propriétaires. La Commission européenne avait constaté – via un Comité (des Sages) institué ad hoc afin d’étudier l’impact des aides publiques sur le marché commun – la présence de l’intervention de l’Etat sous forme d’aide directe à l’exploitation ou d’aide visant à améliorer la structure financière. De ce fait, le rapport du comité recommandait à la Commission de supprimer les injections de capitaux dans les compagnies aériennes : ce type d’aide est incompatible avec les pratiques commerciales normales, sauf le cas où il sert les intérêts de la 93 Règlement n° 2408 du Conseil du 23 juillet 1992, art. 4. Oliviero Baccelli, op. cit., p. 42-49. Le collège arbitrale (Nederlands Arbitrage Instituut) a déclaré non justifiée la résolution de l’alliance par KLM. Il a pu ainsi condamner KLM au payement de la clause pénale de 250 M € (plus les intérêts) en rejetant la requête reconventionnelle de KLM pour inexécution du contrat. Le collège a aussi reconnu à KLM le droit à la restitution de la somme de 100 M € (plus les intérêts) accordés à Alitalia pour la restructuration de l’hub de Milan Malpensa ; a décidé de la compensation entre les sommes ; a rejeté la demande reconventionnelle de KLM concernant la liquidation financière de l’Alliance ; a enfin condamné KLM à rembourser à Alitalia les coûts de l’arbitrage. Communiqué de presse, Décision de l’arbitrage Alitalia-KLM, Rome 4 décembre 2002. www.alitalia-corporate.it 95 Les Echos, mardi 29 juin 2004. 94 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 44 Communauté en favorisant une restructuration des compagnies de nature à restaurer la compétitivité96. Il convenait donc de réorganiser les relations entre les pouvoirs publics et le secteur aérien. La Commission, garante du respect des règles de la concurrence, décida pourtant de prendre en compte la difficile situation financière de la plupart des compagnies aériennes en acceptant que les Etats membres apportent une seule fois des aides publiques, tout en respectant les critères visant à limiter l’impact des aides sur le marché. En l’espèce, Bruxelles avait veillé en 1997 à ce que les injections en capital se fassent dans les conditions strictes d’un investisseur privé97, afin de ne pas fausser la concurrence. Quant à elles, les autorités italiennes s’étaient engagées: 1) à adopter un comportement normal d'actionnaire vis-à-vis d'Alitalia ; à permettre à celle-ci d'être gérée selon les seuls principes commerciaux et à ne pas s'immiscer dans sa gestion pour des raisons autres que celles strictement liées au statut d'actionnaire de l'Etat italien ; 2) à ne plus accorder à Alitalia ni de nouvelle dotation en capital, ni d'autres aides sous quelque forme que ce soit, y compris sous la forme de garantie d'emprunts ; 3) à ce que l'aide soit exclusivement utilisée pour les finalités de la restructuration de la compagnie et non pour acquérir des participations nouvelles dans d'autres transporteurs aériens ; 4) à ne pas privilégier de quelque façon que ce soit Alitalia par rapport aux autres compagnies communautaires, notamment en matière d'attribution de droits de trafic (y compris vers les pays tiers en dehors de l’EEE), d'allocation de créneaux horaires, d'assistance en escale et d'accès aux installations aéroportuaires, dans la mesure où un traitement préférentiel serait contraire au droit communautaire98. Aujourd’hui, l’Union Européenne rappelle qu’elle refuse d’autoriser des aides d’Etat supplémentaires ; ainsi, elle ne saurait pas faire une exception pour Alitalia, qui a bénéficié en 1997 d’une recapitalisation de 1,4 milliards d’euros99, dont la dernière tranche d’environ 375 M 96 Olivier Audéoud, Droit international et communautaire des subventions. Le cas de l’aéronautique civile, sous la direction de Jean-Marc Thouvenin, PUF, Paris, 2001, p. 58 et s. 97 C. Gavalda, G. Parleani, Droit des Affaires de l’Union Européenne, 4ème édition, J.-CL , Paris, 2002, p. 471. Le critère visé est celui de « l’investisseur privé en économie de marché » que la Commission a développé pour bâtir la différence entre le comportement des pouvoirs publics agissant en qualité d’investisseur escomptant un rendement normal des capitaux investis (dans un délai raisonnable), de celui où la puissance publique agit en dehors de cette logique, trahissant ainsi le versement d’aides d’Etat au sens de l’art. 87, paragraphe 1 du Traité de Rome. Voir aussi Korpenschif Michaël, La privatisation des entreprises publiques, une pratique encouragée sous surveillance communautaire, RFDA, 1er février 2002, sous note 30, p. 98. 98 Décision de la Commission du 15 juillet 1997 (97/789/CE) concernant la recapitalisation de la compagnie Alitalia. JO n° L 322 du 25/11/1997 p. 0044-0062. 99 La Repubblica, mercredi 5 mai 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 45 € a été débloquée par Bruxelles en 2002100. Par ailleurs, n’ayant pas respecté les conditions posées par la Commission à l’utilisation de ces financements101, Alitalia n’a toujours pas perçu la totalité du chèque de 375 millions102, dont le versement a été suspendu pour non respect des conditions posées sur le plan de l’occupation. En effet, alors que le plan de Bruxelles prévoyait, fin 2000, 16.178 employés, la société en comptait 23.478. Certes, les autorités italiennes avaient accepté de subordonner le versement des dernières tranches de l'augmentation de capital à la réalisation effective des résultats prévus par le plan de restructuration, particulièrement en ce qui concerne le ratio des coûts et de la productivité. Néanmoins, Bruxelles n’a pas du se contenter de la réduction de 1400 salariés (contre 300 embauches) et du relèvement du taux de flexibilité103 de 10 à 11,5 %. § 2 : L’invraisemblance d’une recapitalisation publique Lors de l’examen des aides et dans ses décisions d’autorisation, la Commission a fixé des gardes fou pour éviter que ces mesures soient utilisées afin d’augmenter la capacité des compagnies ou d’étendre leurs parts de marché par des pratiques tarifaires déloyales104. Les aides au sauvetage et à la restructuration font l’objet de lignes directrices105 qui interdisent notamment les aides à la poursuite d’activités non viables. Le soutien est ainsi subordonné à un projet de restructuration cohérent et il est assorti de l’interdiction d’accorder de nouvelles aides pour couvrir les pertes ou financer une augmentation de capacité. L’objectif affiché par la Commission est d’éviter le maintien artificiel des compagnies (dont le nombre a considérablement augmenté) qui n’auraient 100 Le 22 août 2002 a été achevée l’opération d’augmentation de capital public (1.934.710.890 d’actions et 1.934.710.890 d’obligations échangeables) que le ministre de l'Economie e des Finances a souscrit dans la mesure de 1.207.147.404 d’actions (égal à 31,2 % du nouveau capital social et à une participation totale de 62,39 %) et d’autant d’obligations échangeables. En exécution des engagements pris par la Compagnie, une Association de Garantie (« Consorzio di Garanzia »), constituée par des établissements bancaires italiens et étrangers, a souscrit 413.121.192 d’actions (égal à 10,68 % du nouveau capital social) et 413.121.192 d’obligations. Aujourd’hui, le capital d’Alitalia, souscrit et libéré, est égal à 1.431.686.058,60 d’euros. Communiqué de presse, Conclusion de l’augmentation de capital, Rome 22 août 2002. www.alitalia-corporate.it 101 97/789/CE: Décision de la Commission du 15 juillet 1997 concernant la recapitalisation de la compagnie Alitalia, JO n° L 322 du 25/11/1997 p. 0044-0062. www.europa.eu.int 102 Le ministre de l'Economie a souscrit 268.987.500 de nouvelles actions de la Compagnie au prix de 0,96 euros chacune (comprenant une majoration de 0,59 euros par titre). Il a libéré le montant équivalent (égal à 258.228.000 euros) moyennant l’utilisation des sommes déjà versées en acompte en 2001. Communiqué de presse, Augmentation de capital - première tranche, Rome 30 mai 2002. www.alitalia-corporate.it 103 L'incidence des contrats à durée déterminée sur le total du personnel. Les Echos, vendredi et samedi 27-28 février 2004. 104 Dans le cadre du financement public des compagnies aériennes, l’UE est de plus en plus intéressée au financement des infrastructures, notamment des plates-formes aéroportuaires, compte tenu du fait que, dorénavant, les alliances des ciels développeront une concurrence qui se traduira plus sur le terrain des réseaux que sur le terrain des entreprises. Les grands aéroports européens sont de plus en plus privatisés totalement ou partiellement : c’est le cas de nombreux aéroports régionaux notamment en Italie et au Royaume-Uni. Michel Ayral, La communauté européenne et le transport aérien, Les Petites Affiches, 30 janvier 2003, p. 27-28. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 46 plus de place sur le marché. C’est pourquoi, une véritable négociation a été engagée par la Commission et les Etats membres pour arriver à un accord acceptable de restructuration des compagnies aériennes nationales. Avec une certaine nuance, on peut déduire de la pratique décisionnelle de la Commission que l’approbation des plans de sauvetage des compagnies aériennes nationales n’est obtenue que moyennant un engagement de l’Etat dispensateur de l’aide à la privatisation de l’entreprise concernée106. Les décisions concernant le sociétés Enichem Agricoltura, Banco di Napoli, ou plus récemment Banco di Sicilia et Sicilcassa107, ont toutes en commun d’avoir été arrêtées alors que les autorités dispensatrices avaient inscrit les plans de recapitalisation et de restructuration des récipiendaires dans un programme de privatisation des entreprises publiques intéressées. Bien évidemment, l’interdiction qui est faite à la Commission d’influer sur le régime de propriété en vigueur dans les Etats membres reste pleinement applicable (art. 295 CE). Néanmoins, dans chacun de ces exemples la privatisation est formellement présentée comme un engagement étatique et non comme une condition posée et imposée par la Commission pour accepter les aides à la restructuration. Ainsi, à défaut d’être indispensable, l’engagement à privatiser les entreprises récipiendaires rassure la Commission sur le bien-fondé du plan de restructuration proposé, sur la viabilité future des entreprises recapitalisées et sur l’absence de financements publics supplémentaires108. En principe, tous les pays européens ont utilisé ces facilités pour redresser la situation de leurs compagnies109. Beaucoup d’entre eux ont profité pour ouvrir le capital de leurs compagnies aux investisseurs privés, voir pour les privatiser. L’Italie, en revanche, n’a pas saisi l’occasion de privatiser Alitalia, bien que dans une lettre du 29 juillet 1996, les autorités italiennes, qui communiquaient à la Commission le plan de recapitalisation et de restructuration, avaient fait référence à un plan essentiellement destiné à préparer la Compagnie à la privatisation110. De ce fait, il est difficile aujourd’hui d’imaginer une recapitalisation publique d’Alitalia à auteur de 3 milliards d’euros (telle que quantifiée par le plan industriel 2004-2006), car les chances d’obtenir 105 JOCE n° C 368 du 23.12.1994 ; JOCE n° C 288 du 9.10.1999. Jean Yves Chérot, Droit public économique, Economica, Paris, 2002, p. 327. 107 Respectivement publiées au JOCE L 28 du 6 février 1996, L 128 du 21 mai 1999 et L 256 du 10 octobre 2000. 108 Korpenschif Michaël, op. cit. p. 98 -99. 109 En France, à défaut de la recapitalisation massive accordée par l'Etat et validée par l’UE avec d'importantes réserves, la société Air France aurait vraisemblablement été contrainte à la faillite. La survie d'Air France n'a donc été rendue possible en 1994 que grâce aux 20 milliards de francs accordés par l'Etat pour sa recapitalisation. 110 Trib. Première Instance CE, sect. III, 12 décembre 2000, affaire T. 296/297. www.europa.eu.int. 106 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 47 à nouveau la clémence de l’Union Européenne sont minces111. De même, il nous paraît surprenant que Bruxelles ait autorisé la garantie de l’Etat pour un crédit relais de 400 M €, en raison notamment des conditions que l’Italie a acceptées en 1997 pour qu’Alitalia profite des aides d’Etat. En effet, le gouvernement italien s’est engagé « à ne plus accorder à Alitalia (...) de nouvelle dotation en capital (...), y compris sous la forme de garantie d'emprunts ». Néanmoins, il semble que la Commission soit restée fidèle à sa politique en demandant l’engagement du gouvernement de privatiser rapidement la Compagnie. Pas question non plus « d’attendrir » Bruxelles avec le problème de sureffectif. Concernant les aides à l’emploi, la Commission a clarifiée l’interprétation des règles en publiant ses lignes directrices112: elle rappelle qu’elle a un préjugé favorable pour les aides à la création d’emploi, mais elle n’accepte qu’à titre exceptionnel l’aide au maintien de l’emploi. Keynes recommandait: « Rien ne peut rétablir l’emploi qui ne rétablisse d’abord les profits ... un programme de privatisation est en effet conçu pour restaurer les profits et accroître les chances de voir l’entreprise privée redresser la tête »113. La morale de la fable : le Trésor doit privatiser rapidement Alitalia, seul moyen d’apporter une solution à son besoin urgent d’une recapitalisation massive. De même, la libéralisation des règles de gestion répond mieux à l’objectif d’efficacité, car cela introduit des mesures de performance dans la gestion des fonds publics : le profit de l’entreprise serait enfin inscrit parmi les critères de sa politique économique. Chapitre 2 : La primauté des intérêts nationaux dans le transport aérien Le transport aérien a longtemps été assimilé à une activité de nature régalienne, tandis que la fierté à disposer d'une compagnie nationale ressentie par les Etats a toujours contribué à disqualifier toute tentative de rapprochement. Ces obstacles que l'on pourrait qualifier, à certains égards, de « sentimentaux », ont été multipliés par le système des accords bilatéraux de « ciel ouvert », qui empêchent qu’un transporteur national soit repris par un transporteur extracommunautaire sans le risque de perdre ses droits de trafic. Cela a évidemment favorisé une certaine résistance des compagnies aériennes face aux projets de fusion. 111 Les compagnies aériennes européennes ont d’ailleurs multiplié leurs démarches auprès de la Commission appelant l’exécutif européen à se montrer vigilant vis-à-vis du plan que prépare Alitalia pour éviter sa faillite. Après British Airways et Lufthansa (Financial Times, mercredi 24 mars 2004), les compagnies à bas coût belge Virgin Express et irlandaise Ryanair, se sont à leur tour manifestées demandant à Bruxelles de veiller à ce que Rome ne verse pas d’aides illégales à son transporteur national. Les Echos, mardi 15 juin 2004. 112 JOCE n° C 344 du 12.12.1995, p. 4. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 48 Ainsi, jusqu'à la dénonciation des accords bilatéraux et leur remplacement par des accords négociés au nom de l'Union européenne, toute compagnie aérienne devra être détenue majoritairement et effectivement contrôlée par des intérêts nationaux afin de bénéficier des droits de trafic résultant des accords bilatéraux conclus par les Etats (section 1). De même, pour assurer les liaisons intra européennes et bénéficier des dispositions relatives au marché intérieur, tout transporteur européen devra être détenu majoritairement et effectivement contrôlé par des intérêts communautaires (section 2) Section 1 : Les accords bilatéraux « de ciel ouvert » Le transport aérien est particulièrement dépendant du contexte international. Pour trouver leur place parmi les grands acteurs mondiaux, les compagnies européennes doivent opérer dans le monde entier. Les vols long-courrier et transatlantiques étant les plus rentables, il est vital pour la compétitivité de nos transporteurs de les exploiter de la façon la plus intensive possible, d’autant plus que les trafics domestiques seront exposés à une concurrence croissante des TGV114. Au cours des quinze dernières années, l'Union s’est engagée dans l’harmonisation du transport aérien en mettant en oeuvre un vaste programme d'intégration des marchés, dont les mesures de libéralisation (« Troisième paquet ») appliquent au secteur aéronautique les principes du programme relatif au marché unique. Le principe de libre accès des entreprises européennes aux liaisons intracommunautaires (règlement n° 2048/92) permet notamment, depuis le 1er avril 1997, un libre accès aux liaisons intérieures de chaque Etat115. Aujourd’hui, l'harmonisation des conditions de développement du transport aérien dans l'espace communautaire se poursuit avec le projet de « ciel unique européen ». Ce processus s'est cependant heurté jusqu'ici aux conditions relatives à la nationalité des compagnies aériennes, car les accords bilatéraux définissant les droits de trafic ne garantissent pas, en cas d'acquisition d'un opérateur, la reprise des droits d’exploitation qui lui sont attachés. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, qui offre de fait aux états la clef de tout rapprochement possible. Par conséquent, les échanges actionnaires sont relativement réduits en considération du fait qu’en modifiant la nationalité de la majorité du capital actionnaire, les droits acquis par les accords bilatéraux perdent de valeur. 113 Michel Vaté, La « privatisation », Les Echos, 24 mars 2004, p. 15 Livre Blanc de la Commission Européenne, La politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix, 2001, p. 102 ; Les Echos, lundi 12 juillet 2004 115 Les autres mesures : le principe de liberté des tarifs, reconnu à compter du 1er janvier 1993 par le règlement européen n° 2049/92, limitant l'intervention des Etats membres à l'édiction des clauses de sauvegarde pour tenir compte des obligations de service public et des impératifs d'aménagement du territoire ; la licence communautaire, 114 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM Proprietarie Air France KLM Alitalia 49 Participations entre compagnies aériennes Sociétés acquises 100 % Regional, Brit Air, City Jet; 76,4 % Sté Nouvelle Air Ivoire (via holding); 36 % Air Austral; 11,9 % CCM (Corse); 11,8 % Air Afrique; 10 % Mediterranean Air Services; 7,5 % Air Tahiti; 5,6 % Tunis Air; 2,9 % Royal Air Maroc, 2 % Alitalia 100 % KLM cityhopper; 100 % KLM UK; 80 % Transavia Arlines; 50 % MartinAir; 26 % Kenya Airways 100 % Alitalia Express, 2 % Air France Source: Les Echos, mercredi 5 mai 2004 ; CERTeT sur données AEA Yearbook 2003 A présent, existent environ 2000 accords de type bilatéral concernant les services aériens (ASA)116 : ceux-ci réglementent les conditions de marché applicables à la fourniture de services aériens par les transporteurs et l’accès aux routes internationales entre les Pays membres de l’UE et les Etats tiers117. Or, de tels accords peuvent être considérés restrictifs de la concurrence dans le marché unique européen, dans la mesure où ils comportent une discrimination sur la base de la nationalité, qui est contraire aux dispositions de l’art. 43 du Traité CE sur la liberté d’établissement. D’un point de vue communautaire, il est évident que si les compagnies aériennes pouvant bénéficier des accords bilatéraux entre un Pays membre et un pays tiers sont uniquement celles qui ont leur siège dans le Pays membre et dont le capital est majoritairement détenu par les ressortissants de cet Etat, cela provoque des restrictions flagrantes à la concurrence entre les différentes compagnies aériennes européennes. Ainsi, la Commission européenne a pu poursuivre (sur la base de l’art. 226 du Traité CE) les Etats membres qui, ayant signé avec les Etats-Unis des accords « open sky » (« de ciel ouvert »), ont limité l’exercice des droits de trafic aérien aux seules compagnies nationales118. En cas de fusion de deux compagnies appartenant à des Etats différents, celles-ci risquent en effet de perdre leurs portefeuilles de droits de trafic, puisque dans la négociation des accords entre les Etats-Unis et les Pays de l’UE, instaurée en 1992 (règlement européen n° 2470/92 du 23 juillet 1992) et délivrée par les Etats membres sur la base de critères communs. Supra, Partie II, Titre I, Chap. 1, sect. 1, § 2. 116 Les ASA conclus par chaque Etat membre sont en moyenne 60-70, selon la Commission européenne. 117 Le cadre général des accords internationaux bilatéraux est défini par la Convention de Chicago du 7 décembre 1944. Ces accords présentent généralement des dispositions détaillées relatives aux liaisons à exploiter, à la capacité, aux fréquences offertes ainsi qu'aux droits de trafic susceptibles d'être exercés. 118 Le 5 novembre 2002, la CJCE a rendu une série d’arrêts (aff. C-466/98 à C-476/98) sur les recours introduits par la Commission contre la Suède, la Finlande, la Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et le Portugal. Les quatre Pays qui ont signé les accords les plus restrictifs sont la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et le Royaume-Uni. « La Cour a estimé que les accords en question contiennent des éléments qui privent les transporteurs aériens de la Communauté des droits que leur confère le Traité, les clauses de nationalité figurant dans les accords étant clairement une violation du droit d'établissement établi par l'article 43. Dès lors, même si la Cour n'aurait pas pu invalider les accords en droit international, ils constituent une violation du droit communautaire de la part des Etats membres au détriment des bénéficiaires du droit d'établissement». Yves Fréville, op. cit., www.senat.fr Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 50 l’administration américaine ne reconnaît que les compagnies de chaque Etat membre et pas les compagnies européennes. Le cadre juridique international du transport aérien laisse actuellement planer quelques interrogations sur l’exigence du contrôle du capital social. C’est pourquoi, l’objectif est de « communautariser » la nationalité des transporteurs européens dans les rapports avec les tiers en cherchant des accords communs directs entre l’UE, représentée par la Commission, et les pays tiers119, en commençant par les accords avec les Etats-Unis qui semblent être les plus restrictifs de la concurrence120. De ce fait, en juin 2004, le Conseil des Ministres a autorisé l’exécutif communautaire à négocier avec les Etats-Unis un accord visant la création d’un « espace aérien sans frontières » (common aviation area), qui puisse se substituer aux accords transatlantiques actuels. Au sein d’un espace aérien libéralisé, toute compagnie, européenne ou américaine, pourra librement opérer sans restriction en matière de droits de trafic et les transporteurs européens, notamment, bénéficieront d’un environnement réglementaire beaucoup plus souple, capable de faciliter les regroupements et la constitution de compagnies plus fortes. Ainsi, tant que le marché communautaire du transport aérien restera fragmenté selon les frontières nationales pour l'extérieur, les compagnies auront des difficultés à donner la pleine mesure de leurs capacités et les consommateurs ne pourront pas profiter des avantages découlant d'une plus ample concurrence. Section 2 : Les modalités de contrôle de la nationalité du capital Le règlement n° 2407/92/CE (art. 4-2) du Conseil du 23 juillet 1992, concernant les licences des transporteurs aériens, prévoit que « sans préjudice des accords et conventions auxquels la 119 La proposition (n° 44 du 2003) de la Commission, concernant la négociation et l’application des accords en matière de services aériens signés par les Pays membres et les pays tiers, est actuellement passée au crible par le Parlement Européen et le Conseil d’Europe. La Direction Générale à la Concurrence de la Commission européenne a exprimé son avis favorable à une proposition d’aménagement du domaine de compétence des règlements 3975/87 et 3976/87 du 1987 (notamment art. 85 et 86 du règlement 3975/87), afin de l’élargir aux accords entre Pays membres et pays tiers. Les Echos, mardi 18 mai 2004. 120 Une compagnie italienne, par exemple, peut offrir des vols de Paris à Berlin, mais pas de Paris à New York. Ainsi, une compagnie aérienne européenne n’arrive souvent qu’à exploiter un seul de ses hubs pour les dessertes intercontinentales, contrairement à ses collègues américaines qui sont autorisés à partir d’un quelconque aéroport des Etats-Unis vers une ample série d’aéroports dans l’UE. Oliviero Baccelli, op. cit. p. 11. Bruxelles réclame l’accès au marché intérieur américain pour les compagnies européennes en suggérant la reconnaissance par les EtatsUnis d’une liberté d’établissement aux transporteurs du Vieux Continent. Pour l’instant, Washington a cédé sur la seule question du capital, en se disant prêt à autoriser les transporteurs non américains à contrôler jusqu’à 49 % du capital d’un opérateur national (contre 25 % maximum aujourd’hui). Le blocage sur la question du cabotage est ainsi encore actuel : un « carrier » européen n’est pas autorisé à prolonger une ligne Rome-New York par un vol New York-Washington. A l’inverse, les compagnies américaines sont autorisées, dans beaucoup de pays de l’UE, à étendre leurs routes transatlantiques vers d’autres destinations en Europe. Les Echos, lundi 5 avril 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 51 Communauté est partie », le maintien de la licence de toute compagnie aérienne européenne est subordonné à la condition que son capital soit détenu directement ou indirectement par des Etats membres et/ou des ressortissants de ces Etats membres et que la société soit effectivement contrôlée par ces derniers. Dans ces conditions, il est naturel qu’un certain nombre de Pays membres aient décidé de se protéger contre des éventuels intrusions étrangères dans le capital de leurs compagnies aériennes en adoptant les techniques les plus différentes. Alitalia n’échappe pas à la règle. Un contrôle attentif de l’évolution de son actionnariat représente la condition essentielle à la continuité même de son exploitation, afin d’éviter que sa licence ou les droits de trafic soient remis en cause du fait que son capital ne serait plus majoritairement détenu par des intérêts communautaires, alors qu’un tel risque n’existait pas tant que l’Etat restait le seul actionnaire de la société. Ainsi, dans le cadre du projet d’alliance avec Air France-KLM et, plus particulièrement, compte tenu d’une possible privatisation de la Compagnie, le dpcm (qui permet au Trésor de descendre au-dessous du seuil de 51 % dans le capital d’Alitalia) prévoit la possibilité, si la France et les Pays-Bas en font de même, d’insérer des pouvoirs spéciaux dans le statut de la société qui assurent à l’Etat le dernier mot sur l’évolution de l’actionnariat. Le transporteur transalpin pourrait être privatisé par le biais d’une golden share (action spécifique) si ses partenaires utilisent la même formule pour protéger leurs intérêts nationaux121. L'action spécifique, notamment réservée aux entreprises publiques exerçant une activité stratégique, met en place un mécanisme de « protection des intérêts nationaux » s’expliquant par un vice propre au système de contrôle des investissements étrangers. En effet, s'il est aisé de plafonner les prises de participation des investisseurs étrangers lors de l'offre initiale, il est très difficile d'y parvenir une fois que l'action d'une entreprise privatisée est cotée et qu'elle donne lieu à des transactions sur le marché boursier. Ces transactions sont libres et les cessions à des investisseurs étrangers peuvent intervenir sans contrôle122. Ainsi, lorsque la golden share est utilisée pour le contrôle de la composition de l’actionnariat et, plus largement, pour bloquer d’éventuelles tentatives de prise de contrôle hostiles, elle ne fait que renforcer les garanties offertes par l’institution des noyaux stables, dont la finalité ultime est 121 122 La Repubblica, 14 novembre 2003. Lamy Droit public des Affaires (cd rom), op. cit., 622. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 52 d’instaurer un pôle de stabilité au sein de la société privatisée123. Il faut rappeler que dans la « transhumance » de l’entreprise publique au secteur privé, les pouvoirs publics sont habituellement intéressés à ce que le passage soit le moins bouleversé possible, afin d’éviter que la société se retrouve du jour au lendemain abandonnée aux règles de marché : on cherche à neutraliser de manière encore plus incisive les règles du market for corporate control (marché pour le contrôle des sociétés)124. Néanmoins, l’existence de pouvoirs spéciaux sur l’entreprise privatisée a pu également aboutir à une situation où l’Etat y exerçait une influence décisive : l’action spécifique lui conférait un droit de regard injustifié sur l'évolution du capital du groupe. Ainsi, la Commission est préoccupée par la possibilité que les autorités nationales utilisent ces pouvoirs de façon arbitraire, ce qui représente un danger potentiel de discrimination125. Toutefois, n’ayant jamais condamné l’existence des prérogatives ministérielles, la Commission se limite à contrôler que celles-ci remplissent certaines conditions : elles doivent s’appliquer de façon non discriminatoire, être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, être propres à garantir la réalisation de l’objectif et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif126. S’il est vrai que de tels pouvoirs ont été introduits dans les entreprises italiennes privatisées (la première fois en 1995 avec la privatisation de l’ENI127), le gouvernement se vante d’avoir rarement exercé les pouvoirs spéciaux liés à l’action spécifique, notamment le pouvoir de nommer par décret, de concert avec le ministre des Activités Productives, un membre du CA128. En revanche, les Pays-Bas et la France ont réglé la question de manière plus transparente : ils ont réglementé les pouvoirs de l’Etat à l’intérieur des compagnies aériennes privatisées en optant pour des mécanismes autres que l’action spécifique. Le dispositif retenu par les premiers est le plus dissuasif, mais il n’est guère conforme au droit communautaire ; l’Hexagone, par contre, a renoncé à la golden share en faveur d’autres mesures plus respectueuses de la réglementation communautaire. Dans sa démarche, la France a certainement tenu compte de la récente évolution de la pratique de la Commission européenne et de la jurisprudence de la CJCE en matière de golden share. A 123 Supra, Partie I, Titre II, chap. 1, section 3, § 1. An emerging market for corporate control ?, Institute for the study of societes, 2001. www.ecgi.org 125 P. Hecher, C. Humpe, R. Klajes, P. Muniz, Monopoles, RDUE, 1er juillet 2000, p. 677. 126 C. Gavalda, G. Parleani, op. cit., p. 195. 127 Contre l’ENI la Commission a déclanché un recours en manquement (art. 226 du Traité CEE), suivi par l’arrêt de la CJCE du 23 mai 2000 (affaire C-58/99). 128 La Repubblica , 16 avril 2003. 124 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 53 l’heure actuelle, en effet, de nombreux pays de l’UE ont été traduits devant la CJCE, qui a pu estimer que les droits que l’action spécifique confère à l'Etat sont incompatibles avec la liberté de circulation des capitaux et d'établissement garantie par le marché unique. Des formes similaires de maintien du pouvoir dans les sociétés privatisées peuvent freiner l’intérêt des investisseurs étrangers129. Ainsi, c’est sur la base de la jurisprudence communautaire que nous nous attacherons à la privatisation d’Air France, pour laquelle l’Hexagone (« the good ») a décidé de renoncer à l’action spécifique (§ 1). Suivront les Pays-Bas (« the bad »), qui, en privatisant KLM, ont conféré à l’Etat un droit de regard sur l’évolution de l’actionnariat de la compagnie (§ 2). On terminera avec l’Italie (« the ugly ») 130, qui dispose d’un mécanisme, contenu dans le Codice Civile (art. 2459), qui en fait une véritable « exception italienne » en matière de défenses anti-OPA (§ 3). Modalités de contrôle de la nationalité du capital des compagnies aériennes Compagnie KLM AIR FRANCE ALITALIA - création d'actions de priorité non cotées détenues par des - Procédure de surveillance ressortissants néerlandais par l’entreprise elle-même de (75 % Etat) l’évolution de son actionnariat : mise sous - nécessité de la majorité forme nominative des titres ; des droits de vote des information du public et du actions de priorité pour : marché ; soumission des émission d'actions, cessions d'actions à Technique transfert de propriété, l'agrément de la société adoptée fixation du nombre des membres du CS et du - en cas de risque : directoire, qui doivent être de nationalité néerlandaise procédure de cession forcée d’actions et privation des droits de vote attachés aux - en cas de risque : titres en l’attente de leur augmentation de capital cession réservée à l'Etat pour A décider atteindre 50,1 % des droits de vote 129 Dans le cadre du recours en manquement à l'encontre du Royaume-Uni, la CJCE a décidé que les statuts de la British Airports Authority sont contraires à l'article 56, § 1 du Traité CEE, car ils confèrent au ministre des Transports des pouvoirs spéciaux conduisant à « limiter la possibilité de se porter acquéreur d'actions avec droit de vote de cette société ainsi qu'à soumettre à son consentement toute cession des avoirs de l'entreprise » (CJCE, 13 mai 2003, aff. C-98/01, Commission c/Royaume-Uni). La Repubblica, lundi 24 mai 2003. 130 Henk Oosterhout, op. cit., Tilburg, 1996 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 54 § 1 : « The good », soit la France « bonne élève » La L. n° 2003/322 du 9 avril 2003 (relative à la privatisation d’Air France) a choisi de ne pas recourir à une action spécifique et de ne réserver aucun pouvoir de décision aux autorités exécutives de l’Etat. La France a tenu compte de la jurisprudence de la CJCE, qui, dans un arrêt rendu public le 4 juin 2002, a condamné l'action préférentielle de l'Etat dans la société pétrolière TotalFinaElf131, puisque elle lui conférait un droit de regard injustifié sur l'évolution du capital du groupe. Par conséquent, le parti retenu s’explique par la difficulté de mettre en oeuvre une action préférentielle détenue par l'Etat afin de garantir le maintien de la nationalité d'Air France : selon toutes probabilités, cela ne serait pas jugé conforme au droit communautaire. Pour les mêmes raisons, le plafonnement de la part du capital détenue par les actionnaires étrangers ne pouvait pas être envisagé. On constate ainsi la volonté de respecter la pleine autonomie de gestion d’Air France et de ne pas remplacer l’ancienne tutelle étatique par une autre forme d’ingérence des pouvoirs publics dans les domaines de décision de la société. En tout état de cause, des procédures de surveillance ont été mises en place pour permettre à la compagnie le suivi de l'évolution de son actionnariat (composition et répartition). ¾ Tout d’abord, Air France peut imposer la mise sous forme nominative des titres composant son capital, cette obligation pouvant toutefois ne s'appliquer qu'aux actionnaires détenant une certaine fraction de capital ou des droits de vote. La mise au nominatif des titres étant une procédure coûteuse, elle n'est mise en oeuvre qu'en cas de nécessité, c'est à dire en cas de doute quant à l'évolution de l’actionnariat. Air France procède ainsi à des enquêtes sur une base régulière afin d'être en mesure d'évaluer le risque pesant sur son actionnariat et l'intérêt de demander une mise au nominatif des titres. ¾ La procédure des titres au porteur identifiable (TPI)132 donne à la compagnie le droit de demander à tout moment, à l'organisme chargé de la compensation des titres, les données personnelles des détenteurs de titres conférant immédiatement ou à terme des droits de vote 131 Lors de la privatisation d'Elf Aquitaine en 1993, un décret avait accordé à l'Etat français une action préférentielle lui permettant de bloquer une éventuelle OPA hostile. Suite à la fusion avec TotalFina en 2000, cette disposition avait été étendue à la quasi-totalité du groupe. La Commission européenne décida de traduire la France devant la CJCE en juillet 1999 en estimant que l’action spécifique conférait à l’Etat des droits incompatibles avec la liberté de circulation des capitaux et d'établissement garantie par le marché unique. 132 Procédure introduite par la loi NRE n° 2001-420 du 15 mai 2001 (art. L. 228-2 du code de commerce). Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 55 dans ses propres assemblées d'actionnaires ainsi que la quantité de titres détenue par chacun d'eux, et, le cas échéant, les restrictions dont les titres peuvent être frappés. ¾ Enfin, la société a la possibilité de soumettre toute cession d'actions à son agrément. Cela lui permet de contrôler au plus près l'évolution de son actionnariat et de faire face aux risques pesant sur sa licence d'exploitation ou sur les droits de trafic, dont elle bénéficie en vertu des accords internationaux. De telle façon, on évite, en principe, le recours à des procédures plus lourdes telles que l'injonction ou la cession forcée des titres. Concernant la procédure à déclencher en cas de risque, l’art. 1 de la loi prévoit que si les trois mécanismes susmentionnés de suivi de l’actionnariat ne devaient pas suffire, le président du CA ou du directoire, lorsqu’il « constate que la licence d’exploitation du transporteur aérien ou les droits de trafic accordés en vertu d’accords internationaux dont la société bénéficie risquent d’être remis en cause, (...) procède à l’information du CA ou du directoire ainsi qu’à l’information des actionnaires et du public, et peut mettre en demeure certains actionnaires de céder tout ou partie de leurs titres ». L'article L. 330-13 du code de l’aviation civile prévoit des sanctions à l'encontre des actionnaires (étrangers) qui n'auraient pas obtempéré à l'injonction faite par la société de revendre tout ou partie de leurs titres dans un délai de deux mois. La société peut alors saisir le président du TGI de Paris, qui, statuant par ordonnance en référé, désigne un organisme mentionné à l'article L. 531-1 du code monétaire et financier, chargé de faire procéder à la cession des titres133. La solution adoptée par les français est pleine de bon sens. La société aérienne dispose finalement de tous les moyens nécessaires pour mener à bien sa politique sociétaire en toute indépendance, sans aucune intrusion de la part de l’Etat. Alors que les dispositifs retenus par d’autres Pays à l’occasion de la privatisation de leurs compagnies aériennes (v. KLM en 1986) reposent souvent sur des prérogatives étatiques, afin que l'indépendance nationale soit préservée, la loi française ne confère aucun pouvoir spécial au gouvernement. Le ministre chargé du transport est simplement informé, le cas échéant, de la procédure d’urgence. Par ailleurs, la disposition, plus lourde, de la cession forcée des titres n’est que « le grand remède aux grands maux ». 133 Loi n° 2003-322 du 9 avril 2003 relative aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France (JO n° 85 du 10 avril 2003 p. 6326 ). www.legifrance.gouv.fr Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 56 En tout état de cause, si on y songe attentivement (comme il a été à juste titre souligné au cours des travaux parlementaires134), « outre l'absence d'intérêt pour la compagnie aérienne à voir son capital détenu majoritairement par des capitaux étrangers, ce qui ferait peser un risque important sur le maintien de sa licence et de ses droits de trafic, les actionnaires n'ont, eux non plus, pas le moindre intérêt à une telle situation. En effet, la licence d'exploitation et les droits de trafic dont bénéficie un transporteur aérien constituent l'essentiel de sa valeur. Faire peser un risque sur leur maintien ne peut qu'amoindrir la valeur de la société et donc, celle des titres que les investisseurs détiennent. Il existe donc objectivement un intérêt commun entre les actionnaires étrangers et la société de transport aérien à préserver la licence d'exploitation et les droits de trafic de la compagnie aérienne, ergo, sa nationalité ». Vive le bon sens ! § 2 : « The bad », soit les Pays-Bas « mauvaise élève » Dans le cadre du holding Air France-KLM, qui sera détenue à 81 % par Air France et 19 % par KLM, une structure transitoire a été envisagée pour une durée de trois ans. Pendant cette période, la compagnie hollandaise sera détenue d’un point de vue économique à 100 % par les français ; cependant, ceux-ci ne détiendront que 49 % des droits de vote, le solde étant partagé entre l’Etat néerlandais (14,7 %) et deux fondations (36,3%, dont une 11,7 % et l’autre 24,6 %). Il s’agit d’une garantie offerte à l’Etat néerlandais au cas où les droits de trafic de KLM viendraient à être menacés. Les fondations néerlandaises, que l’on nomme « stichting » en droit local (comparables aux fondations de droit français et italien)135, sont des « administratiekantoor » (bureaux administratifs) qui reçoivent et conservent des « certificaten » au lieu des titres ordinaires (dans le cadre d’un système de certification des actions), afin de créer une scission entre les droits de vote et les droits patrimoniaux. L’administratiekantoor émet, en échange des actions, des certificats qui ne donnent au détenteur aucun droit de vote dans l’AG, mais seulement des droits patrimoniaux. Les droits de vote sont exercés directement par l’administratiekantoor, chargé de payer les dividendes et les autres bénéfices aux détenteurs des certificats136. Ceci étant dit, force est de constater que les fondations néerlandaises sont dotées d’un important pouvoir de vote, 134 Yves Fréville, op. cit. www.senat.fr Une fondation régit l’affectation de biens à la réalisation d’une oeuvre. Une fondation peut faire des profits mais les distributions de ceux-ci doivent avoir une teneur sociale ou idéologique. Aux Pays-Bas, les fondations peuvent être générales, de charité, de type « administratiekantoor ». 136 De telles mesures ont de plus en plus affaibli le rigoureux concept, d’ailleurs très rarement apparu dans les sociétés néerlandaises, de “one share – one vote” (une action – un vote), à garantie des actionnaires minoritaires. 135 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 57 puisque en votant à la place et pour compte des actionnaires « certifiés », elles donnent aux sociétés un moyen de protection contre ceux qui s’avéreraient dissidents ; mais il est évident que l’utilité d’un tel mécanisme s’exprime notamment dans les cas de prise de participation hostile, car il fonctionne comme une puissante défense anti-OPA137. Par ailleurs, certaines sociétés aux Pays-Bas (habituellement en nombre très limité) bénéficient de la possibilité d’émettre des actions à droit de vote supérieure, les « prioriteitsaandelen », ou actions de priorité. Ces titres permettent à leurs détenteurs de s’exprimer, lors de la nomination des membres du CA, moyennant un avis obligatoire. La spécificité de ces titres réside néanmoins dans un droit de veto que les porteurs peuvent exercer dans le cadre de décisions d’une certaine importance : émission ou rachat d’actions, prises de participation, modifications des statuts, dissolution de la société. Or, s’agissant de décisions dont les enjeux sont vitaux pour la vie de la société, les prioriteitsaandelen peuvent bel et bien fonctionner, eux aussi, comme des défenses anti-OPA, puisqu’elles permettent aux propriétaires de la société (habituellement détenteurs de ces titres) d’empêcher un affaiblissement excessif de leur position138. A fortiori, lorsque le propriétaire est l’Etat. Le gouvernement néerlandais a en effet tendance à conserver, moyennant la propriété des actions de priorité, un certain degré d’influence dans la plupart des sociétés privatisées, notamment pour des questions concernant la préservation de l’emploi. Comme pour KLM, ces titres sont enfin placés dans les « administratiekantoor », dont les administrateurs, censés être indépendants, nouent souvent d’étroites relations avec le CA des sociétés. On constate ainsi que le Pays-Bas disposent d’une panoplie de « poison pills » (pilules empoisonnées) tout à fait particulières par rapport aux autres systèmes juridiques européens. Le dispositif retenu pour la protection de la nationalité de KLM est évidemment très dissuasif, car il permet à l'Etat, en cas de risque pesant sur la propriété de la compagnie, de bénéficier d'une augmentation de capital réservée lui permettant d'atteindre 50,1 % des droits de vote. Il s'agit pourtant d’une technique redoutable, qui conduit l'Etat à procéder à une véritable renationalisation de la compagnie aérienne. Bien qu’une prise de contrôle de la société par des intérêts étrangers metterait en danger ses droits de trafic, force est de constater l’incompatibilité de ces dispositifs avec la liberté de circulation des capitaux et d'établissement garantie par le marché unique, dans la mesure où 137 Milman, David, Comparative law in europe: recents developments, Center for law and business. Manchester, 1999, p. 47. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 58 l’Etat exerce un droit de regard injustifié sur l'évolution du capital de la société, qui risque d’être requalifiée d’entreprise publique. A long terme, des formes similaires de maintien du pouvoir dans les sociétés privatisées peuvent freiner l’intérêt des investisseurs étrangers, alors que d’autres mécanismes plus respectueux du droit communautaire peuvent être envisagés, tout en faisant confiance dans les mécanismes du market for corporate control et dans le bon sens des investisseurs, qui n’ont pas intérêt à ce que la compagnie perde ses droits de trafic. § 3 : « The ugly », soit l’anomalie italienne En vertu de l’art. 2 du D.-L n° 332 du 31 mai 1994, « un décret du président du Conseil des Ministres, adopté sur proposition du ministre du Trésor, d’accord avec les ministres du Budget et de la Programmation Economique, d’une part, et de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, d’autre part, ainsi qu’avec les ministres compétents selon le secteur concerné, peut, moyennant communication aux commissions parlementaires compétentes, identifier, parmi les sociétés contrôlées directement ou indirectement par l’Etat opérant dans les secteurs (...) des transports (...) et des autres services publics, celles dans les statuts desquelles doit être introduite, avant tout acte entraînant la perte du contrôle, une clause, délibérée en AGE, attribuant un certaine nombre de pouvoirs spéciaux au Trésor, appelé à les exercer en concertation avec le ministre du Budget et de la Programmation Economique et avec le ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, en tenant compte des objectifs nationaux de politique économique et industrielle »139. Les pouvoirs spéciaux conférés au Trésor se concrétisent par : ¾ la possibilité pour le ministre d’empêcher toute prise de participation par des investisseurs privés qui n’obtiennent pas son agrément (cela doit intervenir dans un délai maximum de 60 jours). Ainsi, l’art. 3 de la L. n° 332 du 31 mai 1994, assujettit à cette condition toute détention d’actions supérieure à 5 % et tout pacte d’actionnaires représentant un vingtième du capital ou moins encore s’il en décidé ainsi par le Ministre140. A défaut d’agrément ou après l’expiration du terme sus indiqué, l’exercice des droits de vote est gelé. Par conséquent, le cessionnaire devra céder les actions dans un délai d’un an et les pactes d’actionnaires seront inefficaces ; 138 Henk Oosterhout, op. cit. p. 66. G. F. Campobasso, Diritto commerciale 2, Diritto delle società, 5ème éd., Turin, UTET, 2002, p. 592 et s. 140 Le délai de 60 jours pour l’obtention de l’agrément est à compter, respectivement, de la communication au Ministre de la demande d’inscription au registre des associés et de la communication à la CONSOB par les adhérents au pacte. F. Galgano, Diritto commerciale. Le società, Zanichelli, 2000, p. 358. 139 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 59 ¾ un pouvoir d’opposition à l’adoption des délibérations de dissolution de la société, de transfert de l’entreprise, de fusion, de scission, de transformation, de transfert du siège social à l’étranger, de changement de l’objet social et de modification des statuts visant à supprimer ou à modifier les pouvoirs spéciaux du Trésor ; ¾ un pouvoir de nomination d’au moins un administrateur ou d’un nombre d’administrateurs non supérieur à un quart des membres du CA et d’un syndic. La formule italienne, qui confère à l’autorité ministérielle de telles prérogatives même à défaut de propriété de toute action, est le résultat de la vigueur retrouvée de l’article 2459 du Codice civile, un mécanisme qui était paru tomber en désuétude jusqu’au début des années 1990 et qui est paradoxalement de nouveau d’actualité grâce aux privatisations. Selon cette disposition, même à défaut d’une quelconque participation actionnaire de la part du gouvernement, l’Etat peut, si la loi le dispose (en l’espèce il s’agit de l’art. 2 du D.-L n° 332 du 31 mai 1994), nommer un ou plusieurs administrateurs ou syndics. Il s’agit d’une technique de défense des intérêts nationaux hautement dérogatoire du droit commun des sociétés par rapport à la situation prévalant dans d’autres Pays d’Europe, car les pouvoirs spéciaux attribués par le D.-L paraissent d’une importance bien plus considérable. D’abord, les décisions nécessitant un agrément ministériel sont bien plus nombreuses. Cette multiplication des pouvoirs d’intervention de l’autorité publique traduit une potentialité d’immixtion dans la gestion bien plus large que ce que l’on aurait pu imaginer à l’analyse des droits français et néerlandais : un peu comme si l’autorité publique italienne reprenait d’une main ce qu’elle avait consenti de l’autre141. Par ailleurs, l’extension du champ d’application de ces procédures devient considérable dans la mesure où est prévue la possibilité d’investir de ces prérogatives les enti pubblici autres que l’Etat, voir les collectivités locales. La situation ainsi consacrée par le droit italien met en évidence, de façon spectaculaire, l’incompatibilité des instruments de droit privé, par lesquels Alitalia est censé faire son passage de la sphère publique au marché privé, avec les objectifs publics que les autorités entendent assurer dans le cadre de la gestion de la société142. 141 Nicolas Thirion, op. cit., p. 678. C’est dans cette perspective de « non dénaturation » du droit commun des sociétés qui s’inscrit l’activité de la Commission européenne, qui, par le biais de la 13ème Directive en matière d’harmonisation du droit des sociétés (plus spécifiquement d’OPA), propose depuis une vingtaine d’années la prohibition de l’usage de ces pilules empoisonnées particulières constituant les différentes formules de golden share. Business law in Europe, The proposed thirteenth directive on takeover and other general bids, supplement 16, Londre, 2001. 142 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 60 La configuration des moyens utilisés (le pouvoir de nomination des administrateurs, l’opposition à l’adoption d’un certaine nombre de délibérations et la clause statutaire de limitation de la détention d’un portefeuille d’actions supérieur à 5 %) met en discussion la finalité poursuivie (la promotion d’une public company) dans la mesure où, confrontés à l’inertie ou à la gestion défectueuse des dirigeants, les actionnaires ne disposent pas de l’arme offerte par les sociétés à capital parcellisé : celle de proposer leurs actions à un nouvel acquéreur désireux de s’emparer du contrôle de la société. Cette arme, typique du market for corporate control, souvent utilisée dans le cadre d’une OPA hostile, présente le mérite de permettre à la fois aux actionnaires cédants de vendre à un prix majoré leurs titres143 et au cessionnaire de s’assurer le contrôle de la société avec remplacement de la direction défectueuse. Or, il est vrai qu’en cas d’OPA hostile (lorsque le management de l’assaillant ne s’accorde pas avec celui de la société cible), les administrateurs de la target – qui savent être destinés à être remplacés si l’offre est achevée, car le promoteur aura tout intérêt à gérer l’entreprise moyennant son propre management et suivant son propre projet industriel – sont généralement conduits à contrecarrer l’OPA. Ce qui est extrêmement redoutable. Néanmoins, ce mécanisme a le mérite de produire un effet indirect sur la généralité des dirigeants des sociétés cotées : conscients de la possibilité qu’un tiers puisse à tout moment promouvoir une OPA sur les sociétés qu’ils gèrent, ils sont amenés à maximiser les bénéfices des investissements des actionnaires144. 143 Le promoteur de l’offre est en général prêt à acquérir les actions de la société target à un prix supérieur au cours de bourse, d’une part, en raison du contrôle qu’il escompte emporter et, d’autre part, à cause de la sous-évaluation de la cible, conséquence directe de la mauvaise gestion des dirigeants. En effet, si le cours de bourse de l’action représente le valeur actuelle de la société (résultat de la gestion des administrateurs actuels), l’OPA est généralement promue à un prix qui reflète l’évaluation perspective de l’entreprise, faite par le promoteur de l’offre en considération du changement de l’actionnariat de majorité, donc du management. 144 Falcone, Rotondo, Scipione, Le offerte pubbliche di acquisto, Giuffrè éd., Milan, 2001, p. 264. Pour un avis différent, v. Franco Bonelli, op. cit. p. 27 et s., où l’auteur constate que le model de la public company n’est pas toujours à la hauteur de sa mission. Les investissements pour la recherche, directs à augmenter l’efficacité à long terme, impliquent souvent des sacrifices dans la rentabilité à court terme. D’un point de vue empirique, les marchés des capitaux sont trop influencés par un souci de rentabilité à court terme, ce qu’il les rende structurellement incapables de donner le juste poids à des perspectives de moyen et long terme. Cela implique un horizon temporel trop strict et une insuffisante attitude à l’innovation et au développement. En d’autres termes, le haut risque d’instabilité du contrôle, typique de la public company, rende ce modèle peut adapte à des secteurs à haute évolution technologique ou qui sont sujets à des changements rapides au niveau de la demande. Or, le mécanisme de la golden share est souvent vu comme cause de réduction de la shareholder value (valeur actionnaire) réalisable par une cession, à cause d’une moindre « appétibilité » des actions causée par le maintien du contrôle entre les mains publiques, qui fait obstacle à « l’opéabilité » de l’entreprise. En réalité – selon l’auteur –, le problème ne peut-être réduit à une question de prix de cession. L’action spécifique (comme les noyaux stables) conserve sa propre raison d’être économique même en présence d’un underpricing, puisque elle assure aux managers des sociétés privatisées une période adéquate de « rodage » des stratégies nouvelles, sans le risque d’être sujets à un changement de contrôle, qui les empêcherait de se proposer des horizons temporels adéquats. L’opportunité de garantir de telles protections au nouveau management dépende de l’existence de certaines imperfections dans les marchés des capitaux, qui souffrent d’asymétries informatives qui empêchent aux investisseurs d’apprécier la qualité des managers dans les phases de changement radical. Une fois acceptées ces justifications, le caractère temporaire de l’action spécifique et des noyaux stables permet au marché de surveiller les managers. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 61 Ceci étant dit, force est de constater que la protection des intérêts nationaux est à l’origine du manque de dynamisme « managérial ». Les pouvoirs spéciaux de l’Etat permettent habituellement de garder une certaine continuité dans les structures directoriales des sociétés privatisées. Or, ce constat peut paraître étonnant, quand on connaît l’argument de « rupture avec le passé » (ce passé étant défini en termes peu flatteurs), souvent invoqué à l’appui des politiques de privatisation. Compte tenu des critiques portées à l’actuel management d’Alitalia, la société escompte plusieurs années de mauvaise gestion. Quoi de moins approprié que les dispositions destinées à garantir le passage sans heurts de l’équipe dirigeante de l’entreprise publique à l’entreprise privatisée !145 TITRE II : L’ISSUE DU « CONTINGENCY PLAN »146 Alitalia représente un grand problème de l’Italie. Le secteur du transport aérien, déjà lourdement frappé par la crise due au terrorisme, souffre depuis plusieurs années de l’incapacité de faire face aux nécessaires restructurations, rationalisations et investissements, qui ont été possibles à l’étranger grâce aux privatisations et à un management plus dynamique. De ce fait, afin de préserver la pérennité du groupe, Alitalia croit fortement dans le caractère inéluctable de la consolidation du marché du transport aérien. Ce mouvement n’a toutefois épargné ni les salariés, ni les sociétés elles-mêmes. En effet, les expériences étrangères nous enseignent que toutes les compagnies aériennes ayant choisi de s’acheminer vers la restructuration ont été obligées de procéder à une réduction massive de leurs effectifs, afin de redresser les bilans, et parfois à revoir à la baisse leurs perspectives de croissance, voir accepter, quitte à ne pas disparaître, de jouer des rôles marginaux, voir subalternes, de transporteurs régionaux147 (Chapitre 1). Alitalia souffre d’ailleurs de plusieurs années de mauvaise gestion, ou plutôt de gestion étatique. Ainsi, la sortie de la société de la sphère de protection étatique impliquera un certain nombre d’avantages : substitution d’une culture de l’efficacité à une culture de la dépense ; la rigidité et l’opacité, qui caractérisent la gestion des entreprises publiques, seront remplacées par des règles acceptables par les partenaires étrangers ; l’exposition au risque de corruption sera réduite ainsi que la charge que 145 Infra, Partie II, Titre II, Chap. 2. Plan de redressement 147 Les Echos, vendredi 21 et samedi 22 novembre 2003. 146 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 62 des résultats économiques et financiers médiocres (voir désastreux) font supporter à tous les contribuables148 (Chapitre 2). Chapitre 1 : Avantages et inconvénients de l'intégration dans le groupe Manque de compétitivité et une impasse budgétaire non négligeable. C’est la carte de visite qu’Alitalia a présenté à Air France-KLM pour faire son entrée au sein du groupe. Ainsi, si un rapprochement à trois rendrait, en théorie, l’ensemble plus performant, la société sait que le duo franco-batave ne donnera son feu vert qu’à une restructuration complétée. N’ayant pas su se conformer aux nouveaux standards de marché et ayant accumulé du retard par rapport à ses concurrents, Alitalia doit aujourd’hui se redresser dans un contexte désavantageux (section 1) et accepter les conditions posées par les alliances en place, notamment un rôle marginal des hubs italiens (section 2). Section 1 : Air France-KLM-Alitalia, un mariage d’opportunité Bien que les analystes jugent prématuré le rapprochement (pas toujours à raison), un élargissement du groupe Air France-KLM à Alitalia ne pourra qu’augmenter la quantité et améliorer la qualité des services offerts (§ 1). Bien évidemment, Alitalia devra accepter un certain nombre de conditions : elle devra renoncer notamment à son rôle de compagnie de référence et s’insérer au sein du groupe en tant que transporteur régional, seul moyen de résister à la crise du transport aérien (§ 2). § 1 : Des avantages commerciaux indéniables Sur le rapprochement Air France-KLM, les analystes sont persuadés de son bien-fondé stratégique, puisque la complémentarité des réseaux149 et des synergies attendues, estimées entre 385 et 495 millions d'euros d’ici à cinq ans150, renforcera le nouvel ensemble guidé par Air France, ainsi que sa position de numéro un européen, face à British Airways et à Lufthansa. A fortiori, si Alitalia rejoignait le tandem franco-néerlandais. 148 Michel Vaté, op. cit. p. 15 KLM est très présent en Asie, en Afrique de l’Est ou dans le nord de l’Europe, alors qu’Air France l’est davantage dans l’ouest de l’Afrique et le sud de l’Europe. Les Echos, jeudi 8 janvier 2004. 150 Elles sont réparties en 6 grands chapitres : 100 millions proviendront de la vente et de la distribution, 130 à 195 millions d’euros de l’optimisation des réseaux, de la flotte et de l’harmonisation du « revenue management », 35 149 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 63 Comparés aux grands traits de la stratégie commune d’Air France-KLM, les avantages d’une alliance à trois seraient avant tout de nature commerciale. La conjugaison des réseaux, articulés autour des hubs de Roissy-Schiphol (Paris-Amsterdam) et de Malpensa-Fiumicino (MilanRome), permettrait de proposer quelques 300 destinations dans le monde (contre 200 pour Air France, 131 pour KLM (225 pour Air France-KLM) et 100 pour Alitalia). Sur les destinations desservies par les partenaires, les billets seraient combinables (aller avec l’un, retour avec l’autre) – ce qui est déjà réalité pour Air France-KLM et Air France-Alitalia –, permettant l’accès à une plus vaste plage d’horaires et de tarifs. La fusion des programmes de fidélisation (d’ores et déjà réalité entre Air France et Alitalia) serait étendue à KLM. Enfin, à l’instar du système (qui se rapproche d’une navette) mis en place dès le 1er juin 2004 entre Paris et Amsterdam, une liaison renforcée entre Paris et Milan et entre Amsterdam et Milan faciliterait la perméabilité entre les deux réseaux. Si les experts reconnaissent la pertinence stratégique d'une alliance entre Air France-KLM et Alitalia, il n’en reste pas moins qu’ils en soulignent les risques de dégradation des marges. Alitalia résiste mal à la crise du transport aérien, alors qu’il en va autrement pour Air France : le français affiche un bénéfice net de 120 millions d'euros, au titre de son exercice 2002-2003 ; en revanche, Alitalia s'enfonce de plus en plus dans le « rouge ». En dépassant d’un tiers le montant du capital social (1,4 milliards d’euros), elle a enregistré au titre de l'exercice 2003 une perte record, avant impôts et éléments exceptionnels, de 517 millions d'euros, contre 260,5 millions un an auparavant. Le chiffre d'affaires annuel recule pour sa part de 9,5 %, à 4,321 milliards d'euros, et l’endettement net a atteint 1,634 milliards d’euros151. Ainsi, si « l’annus horribilis » s’est écoulé, les performances de la Compagnie ne se sont guère améliorées. Par conséquent, en cas de fusion, les charges de restructuration d'Alitalia grèveraient les marges du nouvel ensemble152 en mettant en danger la solidité financière du groupe. Les 2,86 milliards d'euros de dettes nettes d'Air France se limitent à 71 % des capitaux propres, alors millions du fret, 60 à 65 millions de la maintenance, 50 à 70 millions de la convergence des systèmes informatiques, et 10 à 30 millions d’euros du regroupement des achats. Les Echos, jeudi 6 mai 2004. 151 Le transporteur, dont l’endettement traverse actuellement la crise la plus grave de son histoire, affiche pour l'an passé une perte d'exploitation de 373,3 millions d'euros, trois fois plus importante qu'un an avant (- 118,5 millions), tandis que pour le seul dernier trimestre 2003, Alitalia a perdu 146 M d’euros, quand bien même cela est inférieur à la perte de 168 M d’euros pour la même période un an plus tôt. La perte est néanmoins inférieure à celle que le groupe prévoyait à l'automne dernier lors de la présentation du précédent plan de relance. Les Echos, jeudi 1er avril 2004. Le groupe a enregistré pour le premier trimestre 2004 une perte de 206 millions d’euros, 190 si on considère les impôts et les éléments exceptionnels. La Repubblica, vendredi 14 et 21 mai 2004. 152 La Tribune, lundi 22 septembre 2003. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 64 qu’Alitalia supporte un taux d'endettement de 82 %. Un rapprochement "capitalistique" entre Air France-KLM et leur consoeur détériorerait le bilan du groupe. Toutefois, en regardant à nouveau les comptes des sociétés, notamment d’Alitalia et KLM, pour la période 2002-2003, une idée pernicieuse pointe. Avant le rapprochement, KLM rencontrait les mêmes difficultés qu’Alitalia, ou plutôt, alors qu’Alitalia supportait un taux d'endettement de 82% (- 260,5 M € en 2002), le néerlandais avouait une perte nette de 416 millions d'euros, à un taux d'endettement de 250 %. Air France a néanmoins convolé en noces avec KLM à la surprise générale des analystes du secteur, sceptiques face à la décision de rapprochement153. Ainsi, au lieu de lire « en cas de fusion, les charges de restructuration d'Alitalia grèveraient les marges du nouvel ensemble », il aurait peut-être fallut décrypter « en cas de fusion, l’ingérence étatique sur Alitalia metterait en danger la solidité financière du groupe ». Ce n’est pas par hasard que le PDG d’Air France ait préféré la compagnie batave à l’italienne. A l’époque où des champions nationaux américains et européens, des mythes de l’aviation civile comme PanAm et Twa aux Etats-Unis, ou Sabena et Swissair en Europe, tombaient sous les coups des low cost154, la compagnie française n’était pas à l’abri de tout danger. C’est pourquoi, elle s’est résolue à convoler en noces avec KLM, qui, bien que plus endettée qu’Alitalia, avait l’avantage par rapport à l’italienne d’être sortie de la sphère étatique. Les pourparlers n’ont donc pas subi aux Pays-Bas les inévitables retards qu’ils auraient subi en Italie, où la compagnie est encore sous l’égide du Trésor. § 2 : L’expérience Iberia, un exemple à suivre Or, compte tenu du retard accumulé par rapport à ses concurrents, Alitalia ne peut plus se permettre de tergiverser. Si une compagnie de même dimension comme KLM a accepté, pour continuer à voler, de s’insérer dans un groupe duquel il n’aura pas la conduite, Alitalia doit se résigner à renoncer à quelques prérogatives pour rester un flag carrier. L’Italie se vante d’être un pays fort touristique : comment pourrait-t il se passer d’une compagnie de référence, surtout si on pense au passé de gloire d’Alitalia, qui autrefois était le septième transporteur aérien mondial ? Afin de comprendre la nécessité d’une telle démarche, songeons aux atouts d’Alitalia. Songeons notamment aux routes aériennes en termes d’infrastructures. Ainsi considérées, leur gestion 153 154 Les Echos, jeudi 8 janvier 2004. La Repubblica, lundi 3 mai 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 65 permet la gestion du trafic. Or, s’il est vrai que celui qui oriente le trafic est celui qui dispose des infrastructures, il est difficile d’imaginer Alitalia, qui a moins de 50 % du marché interne, de 5 % du marché européen et de 1 % du marché mondial, à la direction de quoi que ce soit. Il « ramasse » simplement ce qui lui arrive et qui lui arriverait même s’il n’était pas là. L’expérience d’une compagnie aérienne de même dimension comme Iberia peut-être utile à nos propos. L’espagnole ne possède pas de grands hubs, elle n’a pas d’immunité antitrust avec une compagnie américaine, elle n’est pas présente en Asie et sa flotte n’est pas particulièrement jeune155. Pourtant, le succès d’Iberia156 repose d’abord sur un choix : s’en tenir à son réseau naturel et éviter les lignes non rentables. De plus, la niche que constitue l’Amérique latine (16 % de part de marché) n’est pas seulement source de croissance (progression du trafic de 9,2 % par an depuis 1990), mais aussi de stabilité des résultats, la desserte de l’ensemble de la zone permettant une diversification des risques. Les applications de la méthode « Iberia » impliquent donc un choix décisif : pour Alitalia il s’agit de choisir sa cible, le marché sur lequel il est plus fort, alors qu’aujourd’hui Alitalia s’obstine à « voler » vers les Etats-Unis, où elle ne possède qu’une très faible part de marché, souvent non rentable. L’idée est que le Moyen Orient est à Alitalia ce que l’Amérique latine est à Iberia. La compagnie profiterait de la position stratégique de la péninsule, carrefour entre orient et occident, pour ramasser le trafic dirigé vers les pays orientaux (la logique de l’hub and spoke157), peu importe que la majorité des vols plus rentables (les vols d’affaires) soient effectués vers l’hémisphère occidentale. L’idée d’un transporteur régional au sein d’une alliance globale (Alitalia au sein d’Air FranceKLM) implique néanmoins la renonciation à un certain nombre de destinations. D'où la crainte des licenciements, qui sont les inconvénients sociaux majeurs liés à ce type d’opération, car suite à la fermeture d’un certain nombre de vols, celle-ci met en cause l’existence de milliers d’emplois. Néanmoins, abstraction faite de la pertinence d’une telle stratégie, les analystes envisagent d’ores et déjà une massive réduction des effectifs, puisque l’alliance entre les trois transporteurs causerait, quoi qu’il en soit, des doublons en matière de destinations. De surcroît, il semble que les suppressions d’emplois soient malheuresement obligées, Alitalia étant étouffé par 155 Les Echos, lundi 26 avril 2004. Iberia profite de la domination (57 % de part de marché) qu’elle exerce sur le premier marché domestique européen, un réseau stable et récurrent en croissance annuelle moyenne de 4,1 % depuis 1998. 157 Infra, Partie II, Titre II, Chap. 1, sect. 2, § 1. 156 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 66 le coût du travail, parmi les plus hauts d’Europe. Les mandataires sociaux devraient donc privilégier moins la vision d’une compagnie aérienne « global carrier » que la solution de la survie de la société et des emplois. Si Alitalia devait poursuivre sa politique de développement d’un réseau international surdimensionné, elle mettrait en péril non plus 3000 emplois, mais la totalité des effectifs (22.000), privant d’ailleurs le pays entier d’un secteur important de l’industrie italienne. Après la faillite de Parmalat, ou les plus récentes difficultés de Fiat, on se passerait volontiers d’une autre débâcle nationale, d’autant plus qu’Alitalia reste l’une des rares grandes industries lourdes de la péninsule. Section 2 : La chimère de « Malpensa 2000 » Pourtant, le management semble viser une pleine utilisation des hubs italiens, compte tenu du risque que ceux-ci soient « marginalisés » et déclassés en escales régionales dans le cadre d’une alliance avec Air France-KLM. En effet, la compagnie de Roissy compte notamment sur l’hub d’Amsterdam Schiphol pour les vols intercontinentaux et considère secondaire le rôle de Milan Malpensa. La Compagnie a néanmoins adopté une stratégie commerciale vraisemblablement « maladroite », incapable de combler ses voeux, puisque elle a noué des alliances au sein desquelles elle fait d’ores et déjà jouer un rôle secondaire à l’aéroport de Milan (§ 1). Par ailleurs, on ne saurait pas blâmer le choix français de renforcement de Schipol au détriment de Malpensa : Milan ne peut pas s’imposer sur le marché international sans résoudre préalablement ses faiblesses sur le marché interne (§ 2). § 1 : Malpensa, escale régional, non international Malpensa souffre d’une faible accessibilité intercontinentale par rapport à ses concurrents. La crise structurelle d’Alitalia et la faible attraction exercée par Milan (due notamment à sa position géographique périphérique158) par rapport à d’autres destinations, ont privé la Lombardie de l’accessibilité intercontinentale directe et placé Malpensa loin derrière les aéroports de Londres, Francfort, Paris et Amsterdam pour nombre de services offerts. L’effet pénalisant des alliances entre compagnies plus compétitives sur les vols long-courrier (Air France, Qantas, JAL, Varig, 158 Supra, Partie II, Titre I, Chap. 1, sect. 1, § 2 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 67 Air Canada, etc), disposant d’hubs consolidés depuis longtemps (notamment Paris Charles De Gaulle), a aussi joué de frein au développement de Malpensa159. Afin de pallier à la crise affectant ses infrastructures, Alitalia s’est tourné vers ces alliances censées permettre à l’hub lombard de jouer un rôle plus actif dans le transport international. Néanmoins, suite à l’accord de participation croisée avec Air France, de nombreux vols intercontinentaux prévoient pour les clients d’Alitalia l’obligation de transiter par l’aéroport Charles De Gaulle de Paris, d’où ils sont successivement embarqués sur un avion français. Ainsi, on a l’impression qu’en agissant de cette manière, Alitalia ait « creusé sa tombe ». Ils sont désormais 70 les vols qui partent chaque jour de l’Italie vers Paris, dont tous ne sont certainement pas directs vers la « Ville Lumière ». Alitalia a accepté de se soumettre à la stratégie de marché adoptée par Air France, l’hub and spoke, qui se base sur la logique des grandes escales, les hubs justement, dans lesquels faire converger les passagers des aéroports secondaires (Malpensa), afin de les conduire tous ensemble vers des destinations plus lointaines, à partir desquelles ils se disperseront vers d’autres destinations secondaires. C’est le système radiale (en rayon de bicyclette), où tout converge vers le centre. C’est la logique adoptée par les grandes compagnies aériennes, qui permet de faire converger vers leurs hubs le maximum de passagers160. Pour les français, cela constitue un avantage certain, puisqu’il leur a permis, en partie, de « rattraper » les bilans des deux dernières années ; ce qui a été possible, d’ailleurs, grâce à la disposition d’un réseau mondial de routes réservées, notamment celles du Pacifique et des Caraïbes, évidemment très rentables. Le transporteur italien, en revanche, est fortement pénalisé, dans la mesure où il est obligé, dans ces conditions, de jouer un rôle décidément secondaire sur toutes ses destinations, ne bénéficiant pas d’une position de prestige sur aucun des marchés exploités. Il ne reste qu’à se féliciter des avantages indirects dont peuvent bénéficier les passagers, qui témoignent, d’une part, d’une compagnie plus efficace (cela n’est pas difficile) 159 Entre le 2001 et le 2003, ont quitté l’aéroport lombard American Airlines, Northwest, United Airlines, Air Canada e Gulf Air. Depuis juin 2000, Alitalia a renoncé aux vols à partir de Malpensa vers Pékin, Hong-Kong, Johannesburg, Nairobi, Singapour, Sydney et récemment Osaka. En dehors d’Alitalia, seuls Delta Airlines et Continental offrent des vols vers l’Amérique du Nord à partir de Malpensa. Oliviero Baccelli, op. cit. p. 59. 160 Au contraire, le trafic point to point, à savoir de l’aéroport de départ à la destination finale, représente le marché visé par les compagnies aériennes à bas coût. Naguère, c’était la logique des transporteurs régionaux, qui se « contentaient » de faire la navette entre deux petits aéroports. Aujourd’hui, le modèle point to point s’est développé uniquement dans le transport aérien continental : ainsi, les compagnies low cost ne peuvent pas effectuer, par exemple, un vol Paris-New York. La Repubblica, lundi 7 juin 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 68 que l’actuelle ; de l’autre, de l’augmentation du confort et des services à bord, dans la mesure où la flotte d’Air France dispose de plus d’avions et plus modernes. § 2 : Malpensa, escale régional, non national Sur le marché national, Alitalia doit faire face à deux sortes de problèmes. Dans sa « liste de doléances », la Compagnie a demandé au gouvernement une nouvelle répartition du trafic entre les hubs de Rome Fiumicino et de Milan Malpensa, d’une part, et entre les aéroports lombards de Milan Malpensa et Milan Linate, de l’autre. Alitalia est en effet la seule compagnie européenne qui s’est implantée sur deux hubs à l’intérieur du même marché, tout en exploitant un trafic passagers inférieur à celui de ses consoeurs161. Ce qui implique deux graves conséquences : primo, le redoublement des coûts d'exploitation ; secundo, l’impossibilité pour Malpensa de se développer en présence d’un voisin « rongeur » de trafic comme Linate. Par ailleurs, le projet « Malpensa 2000 », qui envisageait de relancer l’aéroport et qui avait été conçu en concomitance avec le projet de mariage entre Alitalia et KLM, ne paraît aujourd’hui plus réalisable pour une double raison. D’une part, l’alliance Alitalia-Air France (sur la base de leurs participations croisées) annule l’essence même du projet, qui avait été conçu à partir de l’alliance italo-batave afin de concurrencer les aéroports de Charles De Gaulle et de Frankfort. D’autre part, Alitalia a entre-temps restitué de nombreux slots intercontinentaux à Rome Fiumicino – notamment vers l’extrême orient (Pékin) et les Etats-Unis, qui avaient été supprimés il y a deux ans –, ce qui a marginalisé davantage Milan Malpensa. Inauguré en 1998 comme « la merveille du troisième millénaire », l’aéroport lombard n’a pas su relever le défi lancé par les autres hubs européens. La tragédie en 1999, qui a fait « fuir » les néerlandais (d’où leur rupture unilatérale de l’alliance avec Alitalia)162, démontre qu’il s’agit d’un aéroport dangereux, qui n’a pas la carrure pour s’élever en plate-forme aéroportuaire. Un troisième satellite et une troisième piste d’atterrissage ne suffiraient d’ailleurs pas pour en améliorer les performances. De surcroît, Malpensa est censé « avaler » plus de 600 millions d’euros d’argent public pour un projet d’élargissement, ce qui pose la question de savoir si cette 161 Selon les sociétés AEA et Assoaeroporti, pour l’exercice 2003, KLM a transporté 40 M de passagers à partir de Amsterdam Schipol, Air France 71,5 M à partir de Paris Charles De Gaulle, Alitalia 17,6 de Malpensa, 26,2 de Fiumicino, 8,7 de Linate. La Repubblica, vendredi 27 février 2004. 162 Le flop KLM a causé les démissions de l’ex-administrateur délégué Domenico Cempella. Cela montre que, depuis toujours, Alitalia est un terrain difficile pour tout manager : le démontre la longue série d’échecs accumulés par ses prédécesseurs pendant les 20 dernières années. La Repubblica, samedi 28 fevrier 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 69 énième aide d’Etat bénéficiera du feu vert européen. D’autant plus qu’une augmentation du trafic impliquerait seulement une augmentation de sa dangerosité. Malpensa est malheureusement le résultat de plusieurs années de gestion politique, de décisions qui ont moins touché aux intérêts économiques du Pays qu’à ceux des administrations locales. L’ingérence politique a ainsi fortement pesé sur les décisions le concernant et aujourd’hui l’aéroport se présente comme l’instrument de lutte politique de la Ligue du Nord (le partie politique italien représentant les électeurs du nord du pays), qui en a fait, au fil des années, le symbole d’un patrimoine territorial. Chapitre 2 : La gestion politique et le nanisme d’Alitalia Le souci de rééquilibrage des hubs de Malpensa et Fiumicino est depuis toujours cause de lutte entre les partis politiques italiens, soucieux de s’assurer une présence au sein du CA de la Compagnie aérienne. Il ne faut pas oublier, en effet, que l’acte constitutif de la société prévoit que les pouvoirs publics, quelque soit le montant de leur participation au capital social et même en l’absence de toute participation, puissent directement nommer un certain nombre d’administrateurs. L’actuel patron d’Alitalia, Giancarlo Cimoli, en est la preuve. Sa nomination est le résultat d’un long débat au sein de la majorité gouvernementale entre le gagnant, le Ministre du trésor (Forza Italia), et le vice-président du Conseil des Ministres (Alliance Nationale (AN)). L’ex couple Giuseppe Bonomi-Marco Zanichelli, respectivement Président et AD jusqu’à fin mai 2004, répétait le même scénario : l’un soutenu par la Ligue du Nord, l’autre par AN. L’un « champion de la cause » de l’escale de Milan, l’autre « chevalier » de l’hub romain. Résumé : Malpensa représente le bassin électoral de la Ligue du Nord, qui a voulu Bonomi à la présidence, Fiumicino l’est pour l’Alliance Nationale, qui a poussé pour que Zanichelli recouvre la place d’administrateur délégué163. Jusqu’ici, tout est compréhensible. Néanmoins, il est arrivé que nos élus aient privilégié moins l’intérêt d’Alitalia que celui du parti, dans la mesure où les hommes placés à la tête de la Compagnie n’ont pas fait preuve dans le passé de la carrure nécessaire. Ainsi, lorsque la Ligue du Nord a imposé Giuseppe Bonomi au sein du management, elle souhaitait certainement contenter ses électeurs en aménageant en Lombardie le coeur des activités d’Alitalia. Pourtant, s’il est logique que la Ligue se soit battue pour améliorer le rôle de Malpensa au détriment de Fiumicino, beaucoup moins logique est le fait qu’elle ait choisi Bonomi pour défendre sa politique. Rappelons, en effet, qu’il s’agit de l’exprésident de la SEA (la société qui gère les aéroports lombards) et qui a été directement 163 La Repubblica, lundi 1er mars 2004. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 70 responsable du manque d’efficacité de Malpensa, qui est toujours placé dernier dans le classement européen. De même, lorsque AN et UDC ont imposé Marco Zanichelli à la direction d’Alitalia, afin d’assurer à la Compagnie une soi-disant « continuité de gestion » (l’AD militait chez Alitalia depuis 16 ans) – intérêt apparemment louable –, c’était la question même de la continuité qui laissait perplexe. Une compagnie qui perd, depuis des années, des parts de marché et qui a enregistré une perte record de 517 millions d’euros pour l’exercice 2003 et 206 pour le seul premier trimestre 2004, sommes-nous sûrs que la continuité soit la solution dont elle a le plus besoin ? Pour mieux comprendre ces paradoxes, il faut se situer dans le contexte des élections locales, qui ont été couplées aux élections européennes du 13 juin 2004, concernant 80 % du corps électoral. Un management substantiellement inchangé a évité l'échec des pourparlers et son coût social élevé à l'approche des élections. Il a permis d’affronter plus tranquillement les élections, de sorte que la reprise des pourparlers pourra dans le futur être suivie, le cas échéant et sans gêner, par quelques ruptures sociales avec les syndicats164. Cette administration clientéliste n’a pas seulement réduit la productivité du personnel, mais a créé des phénomènes beaucoup plus « obscurs » comme la soi-disant « flotte arlequin », composée d’appareils de toutes les marques, ce qui fait penser à des achats liés à des intérêts étrangers à la société. La présence de plusieurs types d’avions est en effet un exemple de choix très critiquable du management, surtout s’il est comparé à la stratégie adoptée par les compagnies low cost, qui ont choisi au contraire un seul appareil, afin de réduire au minimum les coûts : à commencer par ceux concernant les pilotes, qui ne peuvent être utilisés sur toute la flotte, car ils ont besoin d’une formation spécifique pour chaque type d’avion. La répartition du trafic entre Milan et Rome a causé lui aussi un phénomène très étrange appelé en jargon « transvasement », qui est une des raisons pour lesquelles le chiffre d’affaires d’Alitalia n’a eu de cesse de se déliter depuis plusieurs exercices. Cela consiste en le déplacement quotidien des équipages (environ 400 pilotes et hôtesses) du quartier général de Rome aux aéroports de Milan. Comment se justifie-t-il ce déplacement ? Il faut savoir que le salaire du personnel navigant est composé, entre autres, par un supplément (« diaria ») que la société octroie à titre de remboursement des dépenses pour les vols transatlantiques. Le montant varie selon le coût de la vie du pays de destination : 200 euros pour 164 La Repubblica, jeudi 26 février 2004 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 71 24 heures en Japon, 20 euro au Ghana. Or, ces vols, qui ont départ de Milan, sont souvent attribués aux équipages de Rome pour des raisons de clientélisme politique. Le gâchis économique causé par ce genre d’opérations est évaluable à 300-350.000 euros par jour ! Voyons en détail un exemple : le vol AZ 682, Milan-Buenos Aires. L'équipage (composé de 14 membres) part de Rome le jour précédent pour le soi-disant “positionnement” à Milan en occupant 14 places sur le vol Rome Fiumicino-Milan Malpensa au détriment des passagers payants. Le manque à gagner pour la société est de 260 euros par place (aller-retour). A Milan, l’équipage est transféré par une navette louée par Alitalia à un hôtel de la ville. Le transport coûte 130 euros et la chambre d’hôtel coûte 160 euros par nuit. Le personnel a aussi droit à une indemnité journalière : environ 59 euros par personne (en Italie sont prévus 27 euros pour chaque repas et 4 euros pour le petit déjeuner). Le lendemain, le transport du personnel de l’hôtel à l’aéroport de Malpensa, pour l’effectuation du vol, coûte là encore 130 euros. Au retour de Buenos Aires, l’équipage a le droit à un jour de repos à Milan : à nouveau 130 euros pour la navette et 160 euros par chambre pour chaque membre de l’équipage. La « Diaria » pour le séjour à Milan, 59 euros, doit toujours être multipliée pour 14. Total, 10.000 euros environ ! Chaque jour, Alitalia paie 370 chambres d’hôtel à Milan (au prix moyen de 160 euros, cela fait plus que 59.000 euros) ; les places occupées sur les vols Rome-Milan pour les transferts des équipages sont environ 400 (au prix de 260 euros chacune, cela fait 104.000 euros de manque à gagner pour la société). De surcroît, au gâchis économique s’additionne la perte de capacité de travail du personnel, qui, transféré à Milan, y passe des jours sans une véritable activité. La conséquence de cet absurde “transvasement” est que le personnel navigant de Milan est transféré à Rome pour effectuer les vols plus “pauvres” laissés libres par les collègues romains. C’est un scandale ! Dommage que les syndicats se soient résolus un peu tard, après avoir “recouvert les yeux de mortadelle” pendant des années, à proposer un plan larmes (de crocodile) et sang (des contribuables) pour faire des économies de 200 millions d’euros par an. Tout cela est le résultat de leur conservatisme, de leur esprit obtus (voir l’obstructionnisme du syndicat des pilotes, l’Anpac), de leur vouloir croire encore en une économie des privilèges, des monopoles, de l’Etat, des cartels, de la solution politique. A tous ces gens, bienvenus dans l’économie de marché ! Ceci étant dit, force est de constater qu’il n’y a rien d’étonnant dans le choix du PDG d’Air France, Jean Cyril Spinetta, de juger prématuré l’entrée d’Alitalia dans le tandem. Les Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 72 pourparlers avec Alitalia seraient forcément déplacés sur le plan politique, en raison du déséquilibre des forces en présence. La Ligue du Nord demande un plan de relance de Malpensa, Alliance Nationale soutien les intérêts des pilotes, l’Olivier et le syndicat Cgil (le CFDT italien), de centre gauche, défendent le personnel au sol. Après l’acquisition du 0,7 % de la Compagnie par le biais d’une coopérative (Scarl), l’Anpac, le syndicat des pilotes, exerce lui aussi une telle influence que, chez Alitalia, le travail est devenu le plus cher d’Europe. Ce qui frappe, c’est l’esprit général de résistance au moindre mouvement. La « solution politique » – comme souvent les représentants du gouvernement l’ont appelée à la suite des nominations de certains PDG – n’est donc plus souhaitable. Penser de redresser une entreprise avec une solution politique équivaut à vouloir soigner une appendicite aiguë avec une camomille165. Alitalia a par contre besoin de la rigueur de l’actionnaire privé et d’un management autonome. Aussi longtemps que le Premier ministre et ses collègues du gouvernement pourront caser leurs copains à des postes clefs de l’entreprise et de ses filiales, et aussi longtemps que la direction d’Alitalia devra se plier à chaque pression politique exercée par ses ministres de tutelle ou par les syndicats, sa situation ne s’améliorera pas significativement. Plus en général, il faut rompre avec les traditionnels jeux de pouvoir et avec le modèle de l’entreprise italienne qui s’est développé sur un marché autarcique, à l’ombre de la protection politique. Le constat sur Alitalia vaut alors plus en général pour le modèle industriel italien, dont les entreprises souffrent de nanisme, de retard des infrastructures, de déficit de transparence, d’excès de bureaucratie. Un mélange explosif qui a sensiblement creusé l’écart de l’Italie avec le reste de l’Europe. 165 La Repubblica, lundi 1er mars 2004 Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 73 CONCLUSIONS Alitalia est l’un de ces « toujours présents » géants rouillés dont le chiffre d’affaires est constamment érodé. Chaque année, il y a un nouveau problème nécessitant d’énormes provisions qui aménuisent son résultat net. En choisissant de se rattacher au groupe Air France-KLM, Alitalia décide ainsi de réjoindre le nouvel ensemble dans leur message : l’aérien en Europe est mûr pour la consolidation. Quitte a prendre le pari de contourner une réglementation vieille de soixante ans – mais en cours d’évolution – en matière de droits de trafic et de protection du capital, qui rend difficile toute fusion de compagnies aériennes. Aussi, l’apparition de ce nouveau leader aura sans nul doute un effet d’entraînement, et, dans un avenir proche, le secteur devrait être témoin de rapprochements commerciaux et capitalistiques. Cette opération sera un catalyseur, rien qu’en poussant les petites et moyennes compagnies à se positionner auprè des futurs majors, voire à faire évoluer leur stratégie en conséquence pour en tirer le maximum de valeur. Et pour cause : dans sa configuration actuelle – fragmenté et cyclique, l’aérien européen supporte 60 % de coûts fixes et la tendance est à la baisse des tarifs – le secteur dégage une profitabilité faible et volatile (1,5 % de marge d’exploitation moyenne sur un cycle), et détruit de la valeur166. Les analystes rappellent ainsi qu’en moyenne, les cinq premiers acteurs d’un marché doivent déténir plus de 40 % de parts de marché au niveau mondial pour créer de la valeur. Or les cinq premières compagnies ne détiennent aujourd’hui que 28 % du marché mondial et dégagent en moyenne une rentabiblité des capitaux investis de 5 %, pour un coût moyen du capital d’environ 8 %. Pour autant, la pluspart des analystes doutent que les deux autres « consolidateurs » potentiels européens, British Airways et Lufthansa, partent rapidement à l’assaut, car il semble qu’ils attendront la mise en place d’un véritable ciel ouvert entre les Etats-Unis et l’Europe – le calendrier évoqué est de deux à cinq ans –, avant d’envisager de véritables fusions. Même si British Airways a récemment indiqué étudier, en vue d’un éventuel raprochement avec Iberia, la 166 Les Echos, lundi 3 novembre 2003. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 74 faisabilité d’un schéma similaire à celui d’Air France-KLM, les analystes jugent ce premier mariage trop singulier pour crée un précédent. Surtout, en s’attaquant aux failles du secteur – l’excès de capacité et le manque de productivité du personnel –, cette simili fusion est perçue comme peu susceptible d’améliorer l’économie du système. En corollaire, si certains analystes estiment que l’ouverture de la consolidation et la reprise du cycle constituent une opportunité d’investissement dans le sectuer, la majorité considère qu’il est encore trop tôt pour que les marchés “pricent” une potentielle amélioration des fondamentaux des compagnies européennes. De quoi laisser ces valeurs dans la catégorie spéculative quelques temps encore. Néanmoins, en s’attaquant au problème par le haut – être le numéro un mondial et afficher une stratégie offensive de gains de parts de marché –, Air France fait avec KLM le pari risqué que sa force de frappe commerciale et son pouvoir de négociation lui permettront de faire l’économie de lourds sacrifices, et que ce sont les autres compagnies qui auront à se restructurer. En somme, pas question de payer pour le secteur le prix de la création de valeur. Reste à savoir si le marché sera prêt à valoriser une stratégie audacieuse, voire téméraire. Les difficultés juridiques d’Alitalia dans la participation au groupe Air France-KLM 75 BIBLIOGRAPHIE A. – Ouvrages généraux (traités, manuels) - G. F. Campobasso, Diritto commerciale 2, Diritto delle società, 5 ème éd., UTET, Turin, 2002 - Jean Yves Chérot, Droit public économique, Economica, Paris, 2002 - Enciclopedia del diritto, vol. XIV, Giuffrè éd., Milan - F. Galgano, Diritto commerciale. Le società, Zanichelli, 2000 - C. Gavalda, G. Parleani, Droit des Affaires de l’Union Européenne, 4ème éd., Juris-Classeur, Paris, 2002 - Memento Pratique Francis Lefebvre, Groupes de sociétés 2001-2002, Paris, 2000 B. – Ouvrages spéciaux (thèses, monographies) - Oliviero Baccelli, Analisi del mercato del trasporto aereo in Italia. 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