La bataille de nos vies Par Julie Bouchard Doyon Ecole Cardinal

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La bataille de nos vies Par Julie Bouchard Doyon Ecole Cardinal
La bataille de nos vies
26 mars 1896, Québec
Je dois me battre, me battre pour qu'on m'accorde la liberté de faire
ce que je veux le plus dans ce monde. Ma vie sera un combat, un dévouement pour atteindre ce
que je désire depuis que je suis une jeune étudiante au couvent Jésus-Marie de Sillery. Les sœurs
m'ont tant répété que j'avais perdu la tête, que mon projet semblait quelque chose d'impossible
et d'invraisemblable, mais malgré tout, je croyais dur comme fer que je pourrais arriver à exercer
la profession de médecin. Les écrits que je ferai dans ce journal ne seront lus que par ma
personne. Cher journal, avant de commencer à vous écrire le récit de ma vie, laissez-moi me
présenter. Je me nomme Irma Levasseur, je suis née dans une famille de la bourgeoisie
canadienne-française et mon vœu le plus cher est de pouvoir acquérir le droit de devenir la
première femme docteure du Québec.
28 mars 1896
Bientôt, je partirai d'ici. J'irai faire des études en médecine à l'Université
Saint-Paul au Minnesota avant de revenir au Québec et démontrer à tous que je tiens à défendre
mes droits sur la profession que je veux faire.
Ce pays est injuste. Les femmes sont considérées comme des êtres sans avenir. Jamais je ne me
laisserai traiter comme cela. Pour tout dire, je démontrerai à ma nation que les jeunes filles, les
femmes et les dames ont autant de potentiel qu'un homme pour accomplir leurs grands rêves. À
bientôt cher peuple de Québec, vous serez surpris de voir ce qu'une simple résidente de SaintRoch pourrait avoir comme destin.
4 avril 1896
Je suis sur le point de partir pour les États-Unis. Je suis fébrile. J'espère que le voyage
en calèche se déroulera sans ennui. Je n'ai pas le temps d'écrire beaucoup, j'ai été défendue
d'écrire dans l'embarcation, car c'est ma punition. Oui, ma punition. En effet, je suis vue comme
une femme sans bon sens. Étant donné que je souhaite devenir une femme avec un métier
d'homme, je suis perçue comme une mystérieuse étrangère qui ne mérite pas d'être traitée
comme n'importe quelle jeune fille de la bourgeoisie. Cependant, je suis déjà très heureuse d'avoir
été acceptée dans la briska d'un habitant qui me conduira jusqu'au Minnesota.
28 mai 1896, Minnesota
Je suis enfin arrivée à destination. Je me suis inscrite à l'Université sans
problème. Je crois que je suis une des seules femmes dans mon cours. Mon désir est si fort que je
ne me préoccupe même pas des jugements dont je suis la cible. C'est demain que j'apprendrai
mes premières leçons.
29 mai 1896
J'ai observé les étudiants tout autour de moi. J'ai repéré seulement une demoiselle
dans la salle de cours, ce matin. Une fois mon cours terminé, j'ai remarqué dans le corridor un
homme qui attirait mon attention. Il était grand, souriant et portait un chapeau noir. Ce chapeau
n'est porté que par les bourgeois. Cela, je le savais bien. Je n'ai pas eu le courage d'aller lui parler.
J'ai alors pris mon sac rempli de livres et je me suis assise tout près, sur un banc. Durant plusieurs
minutes, je n'ai pas cessé de l'examiner, de le contempler. Il semblait être un garçon très gentil et
aimable. Cette semaine, c'est une promesse, je lui adresserai la parole.
4 juin 1896, Université Saint Paul
Un peu plus tôt cet après-midi, j'étudiais à la bibliothèque l'anatomie du corps
humain. J'ai alors aperçu ce garçon qui avait attiré mon regard le deuxième jour de mon arrivée.
Cette fois ci, je lui ai souri. Il s'approcha du petit bureau où j'étais installée. Je suis alors devenue
très embarrassée, car je n'étais pas habituée de discuter avec des hommes. Il a alors fait les
premiers pas.
- Bonjour mademoiselle, mon nom est Edward Lewis. J'étudie à la Faculté de droit. J'ai appris de
quelques personnes que vous étiez nouvelle dans notre région, je voulais simplement vous
connaître un peu, dit-il en souriant tendrement.
- Bonjour, dis-je en bafouillant, je me nomme Irma Levasseur. Je suis aussi étudiante ici.
Ces paroles ont été notre première conversation. Je n'ai cependant pas osé lui avouer que
j'étudiais en médecine, car je ne voulais pas qu'il me perçoive mal. Nous avons discuté
longuement et il m'a alors proposé une balade le long de la rivière Rideau, le lendemain, pour
qu'on puisse se connaître davantage. J'ai accepté vivement. J'étais enchantée.
5 juin 1896
Ce matin, nous avons marché de longues heures, lui et moi. Nos regards étaient
passionnés. Nous étions à l'aise, tellement qu'en nous quittant, il m'a embrassée. J'étais
abasourdie. Je devais absolument lui confesser que je voulais être une femme médecin. Edward
m'a avoué qu'il avait eu un coup de foudre, que j'étais la femme de sa vie. Je voyais dans ses yeux
qu'il était complètement honnête. Je lui ai alors dit l'objet de mes études. Il était sous le choc. Il
n'en revenait pas. Sans réfléchir, il me déclara que notre relation était impossible. J'étais accablée.
J'étais fâchée contre cet homme qui me respectait pourtant tellement. Je dois maintenant essayer
d'oublier celui qui aurait pu être le père de mes enfants.
16 août 1896
Toujours aucune nouvelle de Edward.
24 décembre 1896
Je pense toujours à lui, impossible de le chasser de mes pensées.
26 janvier 1897
J'ai enfin retrouvé les écrits de mon cœur! Quel long silence. Ce grand chagrin
d'amour m'avait poussé à m'investir corps et âme dans la bataille de ma vie. J'ai lu les derniers
passages et je ressentais encore les mêmes émotions.
J'ai eu une très bonne nouvelle, je reçois mon diplôme de médecin demain soir.
30 janvier 1897
J'ai mon diplôme en mains. Je suis prête, je pars travailler dans un hôpital de
Québec pour gagner ma vie.
2 mars 1898
Je pratique mon métier à l'hôpital de l'Hôtel Dieu, construit en 1639, par les
Augustines de la Miséricorde de Jésus. Je suis dans la section où des patients sont hospitalisés
pour de graves maladies. Je dois garder la tête froide durant mes heures de travail, car c'est
accablant de voir des malades qui souffrent. Je rencontre souvent des personnes qui habitent loin
du Québec et qui viennent se faire soigner ici. La médecine au Québec est exceptionnelle et de
grande renommée.
8 mars 1898
J'ai fait une accablante constatation ce matin à mon arrivée à l'hôpital...Edward est
hospitalisé ici et je n'étais même pas au courant. J'ai accouru à sa chambre dès que j'ai appris la
nouvelle. À mon arrivée, il m'a regardé de ses yeux pétillants et m'a dit:
- Irma, je m'excuse de t'avoir blessée. Je suis autant amoureux de toi qu'à notre première
rencontre. Ne me laisse pas seul dans les derniers moments de ma vie... j'ai le cancer. J'ai besoin
de quelqu'un à mes côtés. Je ne pourrais pas être en meilleure compagnie qu'avec toi, Irma
Levasseur, la plus fantastique femme de ce monde.
- Ne te fatigue pas, Edward. Oui, tu m'as brisé le cœur, mais je t'ai tellement aimé que je resterai à
tes côtés le temps qu'il faudra, dis-je alors.
Edward décéda le 15 mai 1898. Mon cœur se rappelera toujours de cet homme, mais ma tête se
souviendra de qui je suis devenue après tous ces efforts et la discrimination que j'ai vécue.
Julie Bouchard Doyon
4ième secondaire,
École Cardinal-Roy