Maurice Baring (1874

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Maurice Baring (1874
Maurice Baring (1874-1945)
Huitième enfant d'Edward Baring, banquier qui devient en
1885 le premier baron de Revelstoke, et de Louisa Bulteel, petitefille du deuxième comte de Grey, Maurice Baring suit un cursus
classique à Eton et Cambridge. Il quitte toutefois l'université
avant d'obtenir sa licence. Grâce à son don pour les langues, il
intègre les services diplomatiques en 1898 et devient attaché
d'ambassade à Paris, Copenhague et Rome, mais démissionne de
son poste en 1904 pour se consacrer au journalisme.
Il couvre la guerre russo-japonaise pour le Morning Post et
publie le récit de cette expérience en 1905 : With the Russians in
Manchuria. Après des séjours à Saint-Pétersbourg et
Constantinople, il rejoint la rédaction du Times et devient
correspondant de guerre dans les Balkans.
Dès le début de la Grande Guerre, il s'enrôle dans le Royal Flying Corps et occupe
la fonction d'assistant auprès des généraux Hugh Trenchard et David Henderson. En
1918, il sera officiellement intégré à l'état-major de l'armée de l'air.
Après la guerre, il connaît le succès en tant qu’auteur dramatique et écrit également
des romans. Figure incontournable des milieux littéraires et mondains de l’entre-deuxguerres, membre de clubs et d'associations tels que les Apôtres de Cambridge et la
Coterie, Maurice Baring était réputé pour son caractère farceur et son antiintellectualisme.
Ses mémoires de guerre, Royal Flying Corps Headquarters 1914-1918, ne se
distinguent pas par l'originalité de leur style. Il s'agit toutefois d'un document riche en
informations, aussi bien sur les activités du personnel des quartiers généraux que sur ses
préoccupations, ses centres d'intérêt et le style de vie mené en arrière du front. On peut
aussi y observer l'évolution de l'aviation sur plus de quatre ans. Ce qui frappe en
premier lieu dans cet ouvrage est la mobilité des membres des Q.G. Les voyages entre
différents points du front sont quasi quotidiens. Le nombre impressionnant de localités
citées indique que la géographie du Nord de la France et le la Flandre belge n'a plus des
secrets pour les officiers d'état-major britanniques.
Maurice Baring a également écrit de la poésie de guerre, notamment un long poème
intitulé In Memoriam, en l'honneur d'Auberon Herbert, pilote abattu en novembre 1916
au-dessus des lignes allemandes.
Le premier extrait décrit une distribution de whisky aux artilleurs du secteur
d'Ypres et montre la liberté d'action dont jouit Baring. Le second relate la mort d'un ami
mort au combat, thème récurrent dans les mémoires de guerre, qu'ils soient écrits par de
simples soldats ou des officiers d'état-major. Mais ici l'ami en question est un officier
Allemand que Maurice Baring a connu en Russie.
Le 2 juin [1915], je censurais des lettres à mon bureau de Saint-Omer quand
Simpson, un artilleur que l'on avait intégré à notre service, est entré et m'a
demandé de l'accompagner au magasin Félix Potin pour l'aider à acheter du
whisky. Il voulait en apporter à ses camarades mais on avait refusé de lui en
vendre. Nous sommes donc allés ensemble au Félix Potin et j'ai pu acheter tout
le whisky nécessaire. Simpson m'a demandé si je souhaitais me rendre avec lui
aux batteries près d'Ypres et j'ai accepté l'invitation.
Après avoir distribué une partie de notre whisky à plusieurs batteries, nous
avons jugé intéressant de pénétrer dans Ypres. Quand nous sommes arrivés à
proximité de la ville, nous avons ressenti le poids soudain du silence : ce silence
si particulier quand on franchit la ligne où la routine de la vie ordinaire cède le
pas aux activités propres au combat.
Des troupes passaient sur la route à vive allure. A n'en pas douter quelque
chose d'inhabituel se passait. Nous avons pris une petite rue sur la gauche et
avons demandé des informations à un sergent, qui nous a dit que ça bardait
plus loin. Nous aurions été plus avisés de rester sur la rue principale, car notre
ruelle était copieusement arrosée de shrapnels et d'obus explosifs. Nous avons
tout de même continué. Ypres était désert. Après avoir rapidement exploré les
lieux, nous sommes repartis par la rue de Dickebush pour continuer notre
distribution de whisky aux batteries. Nous avons poursuivi sur Neuve-Eglise
puis sur Plusgstreet avant d'arriver à Armentières, qui était également désert.
Nous avons donné ce qui nous restait d'alcool aux officiers de la batterie la plus
proche. Puis nous sommes revenus à Saint-Omer en battant quelques records
de vitesse.
[....]
Le 9 juin, je reçus un télégramme m'annonçant la mort d'un ami très cher,
Pierre Benckendorff, le deuxième fils du comte Benckendorff, ambassadeur à
Londres.
Je l'avais accompagné à la gare de Moscou quand il était parti pour la guerre en
Mandchourie. Lorsque j'étais moi-même arrivé en Mandchourie, je l'avais revu.
Peu de temps après, il avait été porté disparu suite à une mission de
reconnaissance. L'annonce de sa mort me fut même officiellement confirmée.
Mais je ne croyais pas qu'il avait été tué. Cette fois, cependant, le doute n'était
plus permis. Un soldat qui était avec lui au moment de sa mort pouvait
témoigner qu'il avait souri avant d'expirer.
Quand je reçus cette nouvelle, je ressentis ce que, hélas, nous devions ressentir
si souvent pendant la guerre : une mort particulière terminait un chapitre de
notre vie, un chapitre qui avait été unique et ne se répéterait jamais.
"Tout cela est terminé." C'est ce que je me suis dit quand j'ai appris que Pierre
était mort, et je voudrais dans ces pages faire honneur à sa mémoire. Il était
associé plus que n'importe qui aux jours les plus heureux que j'avais passés en
Russie. Il était un des êtres humains les plus intelligents qu'il m'ait été donné
de rencontrer. Dénué de toute ambition, préférant par-dessus tout la vie au
grand air : la chasse et toutes formes d'expéditions synonymes d'aventure.
Il refusait de parler anglais, même s'il comprenait très bien la langue et avait
une prononciation parfaite, et parvint à me cacher le fait que jusqu'à ses dixneuf ans il s'exprimait avec facilité en français. Il aimait lire les contes de
Gogol, les traductions russes de Sherlock Holmes et les traductions allemandes
de Mark Twain. Il me demandait de lui lire Mark Twain (en allemand)
pendant des heures, et riait régulièrement sans pouvoir se contrôler, en partie
en raison des histoires elles-mêmes et en partie à cause de ma diction et de mon
accent peu teutoniques. Il possédait un sens de l'humour qui me ravissait, un
humour pour lequel rien n'était trop stupide. Il s'amusait à des jeux
complètement idiots. Nous pouvions passer des heures à dessiner des choses
qui ne ressemblaient à rien ou à inventer des airs au piano. Mais c'est dehors
qu'il était le plus heureux ; quand il tirait des canards à l'aube ou attendait les
loups dans la neige. L'année précédant la guerre, il partit en Italie après avoir
été gravement malade, et ne cacha plus son goût pour les oeuvres d'art, de
l'Antiquité ou de toute autre époque.
[....]
Dans un article de politique étrangère, paru dans une revue locale russe,
l'auteur, un professeur de renom, avait écrit en référence à une des nombreuses
crises balkaniques d'avant 1914 : "Si nous avons échappé à la guerre, nous le
devons à notre ambassadeur à Londres, qui est le plus grand gentleman
d'Europe." Pierre était le digne fils de ce père dont on pouvait parler avec ces
mots. Il possédait une faculté de raison qui était un don de Dieu et qui lui
permettait de tout comprendre, de ne jamais avoir de pensées, de mots ou
d'actions déplacés, et de ne jamais être autre chose que ce qu'il était
profondément.

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