Le tourisme sur le littoral atlantique de l`Argentine : évolution des

Transcription

Le tourisme sur le littoral atlantique de l`Argentine : évolution des
ÉOCARREFOUR
Nicolas BERNARD
Yvanne BOUVET
René-Paul DESSE
Groupe d’Études des
Littoraux d’Amérique Latine
(GELAL)
Université de Bretagne
Occidentale
UMR 6554 LETG -CNRS
RÉSUMÉ
Avec plus de 3 000
kilomètres de façade
littorale, l’Argentine offre de
multiples possibilités de
développement touristique.
Aux premières stations
balnéaires de la fin du
XIXe s., développées sur le
modèle européen telle Mar
del Plata, ont succédé au
XXe s. d’autres balnearios,
principalement dans la
province de Buenos Aires, à
proximité de la capitale.
Depuis 30 ans, ce sont les
littoraux patagoniens et
même la mythique Terre de
Feu qui créent des sites
touristiques littoraux
tournés vers la nature et les
espaces "sauvages" de
l’Amérique du sud. Mais si le
tourisme apporte une
nouvelle dynamique
économique, il n’en
demeure pas moins fragile
dans un pays touché par une
forte crise économique,
sociale et politique.
MOTS CLÉS
Argentine, tourisme littoral,
organisation spatiale.
RESUMEN
Con más de 3 000 kilómetros
de costa, Argentina presenta
muchas posibilidades de
desarrollo turístico. Después
de la creación de los
balnearios de finales del
siglo XIX, inspirados como
Mar del Plata por el modelo
europeo, otros aparecieron
durante el siglo XX,
particularmente en las
costas de la provincia de
Buenos Aires.
Desde hace 30 años, en las
costas de Patagonia e
incluso en la mítica tierra del
Fuego se crean áreas
turísticas dedicadas a la
observación de la naturaleza
y de los espacios "salvajes"
de América del Sur.
Aunque el turismo aporta
una nueva actividad
económica, esta actividad es
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Le tourisme sur le littoral atlantique
de l’Argentine : évolution des
pratiques et organisation spatiale
Avec trois millions de touristes internationaux en
2000, l’Argentine est le quatrième pays récepteur
d’Amérique latine, bien loin derrière le Mexique
(20 millions) et le Brésil (5,2 millions). Quant aux
touristes nationaux, ils étaient au nombre de
20 millions (taux de départ en vacances de 55 %)
dont 3 millions franchissaient les frontières de
l’État argentin. Du fait du réseau urbain, de la
macrocéphalie portègne1 et de l’organisation des
transports qui en découle, la concentration des
flux touristiques est importante à Buenos Aires
(27% des lits touristiques) et sur le littoral (38%).
L’Argentine possède une longue façade maritime,
de la Terre de Feu jusqu’à Punta Rasa qui marque
l’entrée dans le Rio de La Plata. Le littoral de la Mar
Argentino s’étire sur 3 300 km, de 55° de latitude
sud en Terre de Feu à 34° sud aux abords du Rio
de La Plata. Cet étirement du pays explique la
variété des milieux climatiques. Ainsi, les
températures moyennes de janvier, le mois le plus
chaud, varient de 20°C à Mar del Plata, à 10°C à
Ushuaia. Ce vaste espace littoral, tant au niveau de
la variété des paysages que de la richesse de la
faune marine, est riche de potentialités. Pourtant, il
attire peu les flux touristiques, à l’exception des
stations balnéaires les plus septentrionales. Les
partidos2 de la côte atlantique ne regroupent que
deux millions d’habitants, représentant à peine
5 % des Argentins. La population se concentre
dans quelques villes comme Mar del Plata
(622 000 habitants en 2001) ou Bahia Blanca
(275 000 habitants) situées dans la province de
Buenos Aires3. Ce littoral atlantique septentrional,
principalement voué aux loisirs, est né et s’est
développé à l’ombre de la grande métropole
voisine, forte de ses 12 millions d’habitants. En un
peu plus d’un siècle, ont surgi de San Clemente
del Tuyu au nord, à Necochea au sud, une
quinzaine de stations balnéaires dont certaines
accueillent plus d’un million de touristes comme
Mar del Plata ou Villa Gesell. Plus au sud, le réseau
urbain s’étiole : seule Comodoro Rivadavia
dépasse les 100 000 habitants ; Puerto Madryn
atteint 65 000 habitants, Ushuaia 45 000. Les
grands pôles émetteurs de l’intérieur, à ces
latitudes, deviennent rares alors que Buenos Aires,
Cordoba ou Mendoza sont à des milliers de
kilomètres de ces littoraux (fig. 1).
Quant aux rives du Rio de la Plata, entre
l’Atlantique et la capitale, elles s’étirent sur près de
300 kilomètres. Elles offrent un littoral plutôt
répulsif s’achevant par des baies aux eaux turbides
peu propices au développement de stations. Les
premières villes balnéaires se sont développées
sur les littoraux de l’Atlantique, hors d’atteinte des
apports d’alluvions des rios Parana et Uruguay.
La façade océanique de l’Argentine présente donc
une grande variété de pratiques, d’équipements et
de produits touristiques, se traduisant par une
certaine spécialisation des espaces. Ceci conduit à
s’interroger sur les facteurs intervenant dans cette
organisation spatiale originale et dans l’évolution
des pratiques touristiques : la proximité ou
l’éloignement de la capitale fédérale, le gradient
climatique nord-sud, le poids du tourisme
international en Patagonie et en Terre de Feu, les
conséquences de la crise économique que le pays
traverse actuellement…
Une présentation des principales phases
d’émergence des lieux touristiques permettra de
comprendre l’organisation du littoral atlantique
argentin et d’évaluer les incidences des difficultés
structurelles et conjoncturelles auxquelles le
secteur touristique est aujourd’hui confronté.
LES PHASES D’ÉMERGENCE DES ESPACES
TOURISTIQUES.
L’espace argentin se structure le dos à l’Atlantique,
ancré au fond du Rio de La Plata. Jusqu’à la fin du
XVIIIe s., la conquête de l’espace national ne
résulte pas d’une expansion partant du littoral vers
l’intérieur mais d’une descente progressive des
conquérants espagnols depuis le Haut-Pérou, vers
le fleuve Parana et son estuaire. L’Indépendance
en 1810 permet le libre commerce avec l’Europe et
les premières lignes de chemin de fer, dès 1857,
vont organiser l’espace agricole que constitue la
Pampa, à partir du port de Buenos Aires. Celui-ci
va croître à un rythme soutenu, avec l’arrivée
massive d’immigrants. Cette suprématie urbaine
ne sera jamais disputée par la suite. Sur le littoral
atlantique délaissé vont surgir quelques villes
portuaires qui structurent des micro-régions
agricoles comme Bahia Blanca, Necochea ou Mar
del Plata. Ailleurs, le littoral est vierge d’occupation
humaine.
La Conquête du Désert s’achève en 1879, après le
massacre systématique des Indiens. Une grande
partie de la future province de Buenos Aires est
vouée à l’élevage extensif des bovins et à la
culture des céréales. De grandes exploitations au
tracé très géométrique se partagent ces espaces.
Jusqu’aux années 1930, hormis Mar del Plata, la
plupart des partidos côtiers ont délaissé la frange
littorale.
Un examen approfondi du plan cadastral de 1936
du partido du Général Lavalle nous montre une
occupation maximum à l’intérieur des terres avec
un réseau serré de parcelles de 2 à 3 km de côté.
Sur le littoral, le maillage est bien plus large :
n’offrant pas de bonnes pâtures, ces espaces
côtiers sont considérés comme sans valeur
économique. Ainsi, de San Clemente del Tuyu à
Mar de Ajo, seulement six propriétaires se
partagent 40 km de côte. Durant les années 1930,
ces espaces sont éventuellement utilisés par les
estancerios pour leurs loisirs, à l’occasion d’un
bref moment, un dimanche d’été.
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Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
Mar del Plata, l’exception balnéaire de la fin du
XIXe s.
A la fin du XIXe s., l’Europe constitue un modèle
pour la bourgeoisie argentine. Buenos Aires
connaît les premières grandes transformations
urbanistiques. Au nord de la ville, les quartiers
bourgeois s’organisent. Les familles de l’oligarchie
s’isolent dans les hôtels particuliers des beaux
quartiers. La Belle Époque y trouve ses territoires
privilégiés.
Grâce au chemin de fer, des espaces de loisirs
naissent à proximité de la capitale. Un tramway
électrique relie le centre à Quilmès. Une petite
station balnéaire se développe à quelques
encablures du centre-ville, à Costanera Sur. Les
classes moyennes viennent y échapper à la
chaleur estivale. Plus en amont du Rio de La Plata,
quelques îlots de résidences luxueuses se
construisent au milieu d’une nature sauvage. Des
clubs de régates, qui ressemblent à ceux des
bords de la Tamise, sont ouverts à proximité de
véritables palais. A la confluence des fleuves
Reconquista et Lujan, le Tigre Club attire un public
illustre, comme le Prince de Galles ou le Président
Julio Roca et une grande partie de l’élite portègne
(Bernand, 1997).
Ces espaces, fortement marqués par la
ségrégation sociale, conviennent pour des
échappées d’une journée ou de quelques jours.
Quant à devenir des lieux de villégiature, ils sont
encore trop près de la capitale. L’oligarchie
argentine multiplie les longs séjours en Europe,
dans les lieux à la mode et notamment au Pays
basque. Les facteurs de la création d’une station
balnéaire prestigieuse sont alors réunis : la
recherche d’une villégiature selon les modèles
européens, le chemin de fer qui sillonne peu à peu
la Pampa, la présence d’architectes et de corps de
métiers du bâtiment, immigrants de fraîche date.
Le littoral atlantique venté et aux eaux limpides
présente alors des centaines de kilomètres vierges.
L’essor d’entreprises de salaison à Mar del Plata
favorise le développement d’un petit village.
Quelques chemins de terre relient ce point de la
côte aux principales localités de l’intérieur de la
Province. L’extension de la voie de chemin de fer,
vers le sud, est décidée. En 1886, l’arrivée du
Ferrocaril del Sur permet d’abandonner les chars à
bancs peu confortables qui transportaient les
premiers estivants. Par la suite, l’initiative d’y
installer le premier hôtel reviendra à Pedro Luro,
archétype de l’immigrant, successivement ouvrier,
cocher puis homme d’affaires. L’hôtel Bristol est
inauguré en 1888, deux ans après l’ouverture de la
gare. La bourgeoisie portègne peut enfin accéder
au littoral atlantique dans des conditions correctes
de confort. A 400 kilomètres de la capitale, Mar del
Plata devient un pôle de la vie mondaine, voué au
culte de l’inutilité et à l’oisiveté ostentatoire
(Sebreli, 1974). Pour rentabiliser la ligne, les
compagnies ferroviaires se préoccupent de
construire et d’administrer d’autres hôtels de luxe.
Dans la décennie 1890, les premières villas se
dressent le long de la corniche. Ces villas d’été
s’inspirent de modes architecturales déjà
anciennes en Europe : styles tudor, élizabethain ou
normand. La première guerre mondiale marque
une rupture dans les habitudes de villégiature. Les
classes sociales aisées ne passent plus l’été boréal
à Biarritz, grande station à la mode dans les
milieux portègnes, et commencent à investir dans
la construction de résidences dont la plupart
s’inspirent de l’architecture "anglo-normande".
Le tournant des années 1930
La crise des exportations des productions agropastorales des années 1930 va inciter un certain
nombre de grands propriétaires terriens à
s’intéresser à l’espace littoral de leurs estancias.
C’est le cas à San Clemente del Tuyu où en 1934
les héritiers de la famille Leloir constituent l’une
des premières sociétés foncières du littoral, Las
Tierras de San Clemente del Tuyu S.R.P. La même
année, le rallye organisé par l’Automovil Club
Argentino, permet à quelques hommes d’affaires
de découvrir le littoral atlantique. En une dizaine
d’années, d’autres sociétés foncières vont faire
surgir Mar de Ajo ou San Bernardo. L’alliance
propriétaires terriens - hommes d’affaires de
Buenos Aires devient inévitable. Ainsi, avant de
pouvoir commercialiser les lots, géomètres, et
architectes dans les meilleurs des cas, conçoivent
le plan général de la station balnéaire. À la
demande de l’administration de la province, la
Direccion Provincial de Geodesia y Catastro vérifie
le tracé des rues, l’existence de routes d’accès et
d’espaces publics. Le stade de la commercialisation peut alors commencer. Elle est affaire de
Portègnes.
Les années 1930 sont aussi caractérisées par la
diffusion de l’automobile dans les classes aisées et
la classe moyenne émergente. Les lignes de cars
se multiplient, empruntant notamment la Route
n° 2 Buenos Aires - Mar del Plata, bitumée et
inaugurée en 1938. Le chemin de fer, année après
année, perd sa suprématie. A l’échelle locale, la
construction de routes secondaires le long du
littoral permet de relier les stations balnéaires
naissantes de Miramar, Necochea et les centres
urbains de l’intérieur de la province comme
Balcarce ou Tandil. Le Péronisme triomphant de la
fin des années quarante coïncide avec un début de
démocratisation des vacances et la création de
nombreux hôtels corporatifs gérés par les
syndicats (fig. 2).
frágil en un país que conoce
una crisis económica, social
y política.
PALABRAS CLAVES
Argentina, Turismo litoral,
estructuración espacial.
ABSTRACT
With more than 3000
kilometres of coastline,
Argentina offers numerous
possibilities for tourist
development. Following the
creation of the first resorts
such as Mar del Plata at the
end of the XIXth century,
based on the European
model, further developments took place in the
XXth century, notably near
the capital in the province of
Buenos Aires. Over the last
30 years resorts based on
natural resources and
"wilderness" areas of South
America have been
developed at sites along the
Patagonian coast, including
the mythical "tierra del
Fuego". However, although
tourism stimulates new
economic benefits, its
development remains fragile
in a country characterised by
economic, social and
political crises.
KEY WORDS
Argentina, coastal tourism,
spatial organisation.
Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
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des grandes villes des provinces de l’intérieur
comme Cordoba ou Mendoza.
Au même moment, l’engouement pour
l’observation des animaux marins et la découverte
d’écosystèmes particuliers va contribuer à faire
émerger un tourisme de nature notamment dans
la péninsule Valdés. Le classement d’une partie du
littoral patagonien en réserves naturelles renforce
le prestige de cette destination et suscite des flux
de touristes internationaux de plus en plus
importants. Plus au sud et plus tardivement
(années 1980), Ushuaia devient une destination
touristique majeure à caractère parfois mythique.
Ce tourisme du bout du monde n’est en rien un
tourisme d’aventure. La ville et son aéroport
drainent un flux de touristes internationaux à
hauts revenus attirés par sa position de fin del
mundo, le détroit de Beagle et ses animaux marins
et le rêve parfois concrétisé d’une croisière vers
l’Antarctique (fig. 1).
LES ESPACES TOURISTIQUES ATLANTIQUES
Le long d’un littoral étendu sur plus de 3 000 km et
20° de latitude, l’intensité de l’activité touristique se
décline en fonction de la proximité du pôle
émetteur principal qu’est Buenos Aires. En prenant
en compte les différentes phases de constitution
de cet espace touristique et le gradient Nord-Sud
d’intensité du phénomène, se dessinent trois
entités touristiques sur le littoral argentin (fig. 1) .
Tout d’abord, une suite de stations balnéaires dans
la province de Buenos Aire qui regroupent 78 %
des lits touristiques du littoral argentin, dont
certaines accueillent actuellement, à l’année, plus
du million de touristes. Puis un chapelet de
stations balnéaires isolées dans le sud de la
province de Buenos Aires, dans les provinces de
Rio Negro et du Chubut (18 % des lits touristiques
littoraux). Enfin, le littoral central et méridional de
la Patagonie où les distances trop grandes par
rapport aux pôles émetteurs septentrionaux, la
rigueur du climat et la monotonie des paysages
freinent l’émergence de véritables stations
balnéaires (4 % des lits touristiques littoraux).
Figure 1 : Les espaces
touristiques littoraux argentins
1 - Les Porteños ou Portègnes
en français sont les habitants
de Buenos Aires : littéralement
ceux qui habitent le port.
2 - La prov inc e de Buen os
Aires est l’une des 24 entités
autonomes de la République
d’Argentine. Elle est découpée
en 134 partidos.
Le développement tardif du tourisme en
Patagonie.
Les années 1970 voient émerger quelques
destinations plus australes. Au nord de la
Patagonie, dans les provinces du Rio Negro et du
Chubut, des stations balnéaires se constituent, la
plupart du temps greffées sur le tissu urbain
d’agglomérations déjà existantes comme Las
Grutas ou Puerto Madryn. Elles sont encore
accessibles par la route de Buenos Aires et surtout
Plus on s’éloigne de la capitale nationale, plus les
flux diminuent et surtout plus l’activité touristique
s’internationalise. Ainsi, si les stations balnéaires
de la province de Buenos Aires reçoivent un
étranger pour mille touristes, la péninsule Valdés
en reçoit 200 et la Terre de Feu près de 600 !
Le littoral balnéaire de la province de Buenos Aires
Le littoral atlantique de la province de Buenos
Aires est né du besoin de loisirs et de vacances de
la population vivant dans la grande métropole
voisine. Bordées de nombreuses plages et
cordons dunaires, une vingtaine de stations
balnéaires se concentrent entre San Clemente del
Tuyu et Necochea, offrant loisirs, mer et soleil aux
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Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
citadins. De décembre à février, elles accueillent
des populations nombreuses, allant jusqu’à trois
millions de touristes pour la plus vaste, Mar del
Plata. La clientèle est principalement argentine et
surtout portègne (8 touristes sur 10).
La fréquentation de ce littoral tient beaucoup aux
conditions d’accès. Avec plus de 35 liaisons
quotidiennes, par la route et le chemin de fer, entre
Buenos Aires et Mar del Plata, et jusqu’à 15
liaisons routières pour Pinamar et Villa Gesell,
l’affluence des habitants de Buenos Aires sur la
côte est évidente. Le transport par autocar assure
un tiers des arrivées de touristes, le reste étant dû
à l’automobile. L’amélioration du réseau routier et
particulièrement des routes nationales 2, 11 et 3
facilite les échanges entre la côte et la capitale (fig.
3). Pendant une à trois semaines chaque année,
les Argentins viennent profiter de la plage, du
soleil, des amis et de la famille4.
L’hébergement touristique repose pour moitié sur
la location d’un parc immobilier important
(appartements notamment à Mar del Plata, villas à
Pinamar). Les résidences secondaires représentent
un tiers de l’offre de logements saisonniers.
L’emprise spatiale est différente, horizontale dans
les stations chic comme Villa Gesell où les
maisons se cachent dans les dunes, ou verticale à
Mar de Plata avec ses immeubles de tous niveaux
rassemblés en front de mer et sur l’avenue Colon.
L’hôtellerie offre une gamme étendue d’hébergements pour un touriste sur cinq. Du 5 étoiles à
l’hôtel corporatiste, on retrouve tous les types
d’hébergements possibles, pour tous les budgets ;
Mar del Plata est, avec près de 63 000 lits hôteliers,
la station offrant la plus grande capacité d’accueil.
Les espaces balnéaires de la partie nord du littoral
atlantique peuvent se découper en quatre types
(fig. 2). Tout d’abord la Costa, de San Clemente del
Tuyu à Nuevas Atlantis, est un ensemble d’une
dizaine de stations balnéaires modestes et
populaires s’étalant sur 40 km de littoral. C’est
l’espace le plus proche de la capitale et il est
fréquenté depuis une cinquantaine d’années. La
clientèle y est populaire, en provenance du Grand
Buenos Aires. D’année en année, la plage reste le
lieu de retrouvailles et de détente. Archétype de la
station balnéaire populaire, San Clemente del
Tuyu, à l’extrême-nord du littoral balnéaire de la
côte atlantique, est installée sur une immense
flèche de sable. Construite sur la dune, dans les
années 1940, sa morphologie urbaine associe le
plan en damier à des plans urbanistiques plus
recherchés. Les promoteurs ont su proposer une
trame au caractère rayonnant au centre de la
station, organisée autour du casino et de quelques
hôtels. Au même niveau, sur la plage, une jetée à
l’anglaise permet une activité de pêche.
Parallèlement à la mer, mais légèrement en retrait
derrière la première rangée d’immeubles, la rue
principale concentre les commerces, les hôtels et
la restauration (fig. 5).
Figure 2 : Le littoral touristique de la province de Buenos Aires
Le deuxième ensemble, de Pinamar à Mar del
Azul, regroupe des stations plus argentées et
développe un tourisme presque mondain. Avec
des villas noyées dans les dunes boisées, la plage
et la mer sont là pour mettre en valeur la société
argentine aisée ; il faut se montrer, particulièrement la nuit dans les night-clubs les plus célèbres
de la côte.
Mar del Plata demeure "la" station balnéaire de
l’Argentine par excellence, attirant une clientèle
nationale. Elle est bien desservie par route, rail et
par voie aérienne. Agglomération de 622 000
habitants, Mar del Plata présente des aspects très
3 - La p ro vin ce d e Bue nos
Aires, dont la capitale est La
Plata, n’intègre pa s la v ille
éponyme comme un observate ur étrang er po urrait le
penser.
4 - Selon une étude réalisée en
1998, seulement 10 % des
touristes, sur les plages de
l ’Atl antiq ue, s e baig nen t
réellement ; 90% d’entre eux
préfèrent rester sur le sable
(MANTERO, 1999).
Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
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dans ces quartiers centraux que se concentrent la
majeure partie des appartements locatifs pour les
classes moyennes, les résidences hôtelières (apart
hotels ) et les hôtels de la cité.
À l’écart de cette agitation, les quartiers qui
dominent Playa Grande et le complexe balnéaire
de Punta Mogotes, de part et d’autre des
installations portuaires, constituent une
excroissance de l’espace touristique vers le Sud
(fig. 4). Quelques hôtels 4-5 étoiles et restaurants
prestigieux alternent avec des immeubles de
standing, le tout à proximité du golf. Les valeurs
locatives y sont les plus élevées de la station :
1000 $ US mensuels, en haute saison touristique,
pour un appartement de trois pièces, 1700 $ US
pour une villa de 4 pièces, contre la moitié dans les
quartiers de l’hypercentre (valeurs 1998-1999).
Durant les années 1950 et 1960, le boom de
l’immobilier lié à l’activité touristique va susciter
une ségrégation sociale intense, rejetant les
catégories populaires vers la périphérie. De
nombreux migrants venus des villes moyennes de
l’intérieur trouvent un travail dans l’industrie du
bâtiment ou directement lié à l’activité touristique,
dans le secteur de l’hôtellerie ou de la restauration.
Cette main-d’oeuvre nombreuse et peu argentée
s’est trouvée condamnée à se loger par ses
propres moyens sur des terrains à bon marché, en
périphérie. En l’absence de politique de logements
sociaux, ces habitants ont su créer des
lotissements bon marché (dit economico).
Les processus classiques de différenciation
spatiale liés à la spéculation immobilière vont
susciter l’émergence de trois zones bien distinctes
(fig. 4) :
- Le centre-ville densifié concentre l’activité
hôtelière, les locations saisonnières et les rues
commerçantes. L’aire centrale regroupe 50 % des
logements pour seulement le quart de la
population de l’agglomération, la différence
s’expliquant par la présence de nombreuses
résidences secondaires et d’appartements locatifs.
Figure 3 : Les transports en commun depuis Buenos Aires
divers selon que l’on se trouve ou non sur le front
de mer, illustrant très bien les processus de
fragmentation sociale en cours en Argentine. Seul
le plan orthogonal est commun à l’ensemble des
quartiers. Sur la bordure littorale, le front des
immeubles est rarement profond, à l’exception de
l’hypercentre. Ce liseré de béton s’explique par la
rente foncière très élevée en front de mer. Dès les
années 1950, la pression du tourisme de masse est
telle que les quartiers centraux, en arrière de ce
front de mer prestigieux, se densifient. Dans un
quadrilatère de 2 km2, les immeubles de 10 à 25
étages occupent les îlots d’un plan en damier
régulier. Les densités de populations permanentes
sont les plus importantes de la cité. C’est aussi
- Une première couronne entoure ces quartiers
centraux, constituée de l’ancienne périphérie de la
ville, aujourd’hui occupée par les classes
moyennes. Seul le liseré littoral est occupé par une
barre d’immeubles. En arrière, les chalets de "style
Mar del Plata" ont été construits dans les années
1930, 1940 et 1950 pour accueillir des résidants
permanents des classes aisées à proximité des
plages, et les plus modestes vers l’intérieur de la
ville.
- Les extensions plus récentes en périphérie
accueillent les activités industrielles et artisanales
ainsi que les classes populaires. A une station
balnéaire, toute en hauteur, succèdent des
quartiers périphériques horizontaux où
l’autoconstruction peut atteindre jusqu’à 75 % des
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Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
logements dans les quartiers les plus défavorisés.
Délaissés par les autorités municipales et par la
spéculation immobilière, ces secteurs sont encore
mal intégrés à l’espace urbain : services et
infrastructures de base manquent très souvent.
Avec la montée de la crise économique, la
fragmentation de l’espace urbain s’amplifie. On
assiste à une dégradation généralisée des
immeubles locatifs en péricentral, à une
paupérisation de beaucoup de quartiers
périphériques et à l’apparition de poches d’habitat
spontané, voire de bidonvilles. Le front pionnier
urbain actuel est constitué d’une alternance de ces
villas miserias et de barrios privados (lotissement
fermé), parfois seulement à quelques centaines de
mètres, les uns des autres.
Au sud-ouest de Mar del Plata, d’autres stations
commencent à peine à se développer le long d’un
littoral moins urbanisé et médiocrement desservi.
Cette côte attire plutôt des touristes originaires du
sud de la province de Buenos Aires et des autres
régions argentines venant chercher des plages
moins ensoleillées mais plus abordables
financièrement.
La fonction balnéaire s'estompe progressivement
vers le sud
En comparaison de la province de Buenos Aires,
qui regroupe l'essentiel des foyers balnéaires
nationaux, le littoral des provinces de Rio Negro,
du Chubut et de Santa Cruz n'attire que des flux
touristiques secondaires. Si les activités balnéaires
représentent l'essentiel des pratiques touristiques
sur les rivages de la province de Buenos Aires, la
situation est différente sur les côtes de Patagonie.
La fonction balnéaire s'y efface progressivement
en direction du sud (lorsque se dégradent les
conditions climatiques et s'alourdit le poids des
distances), tandis que s'affirme l'écotourisme
littoral.
Les côtes septentrionales de Patagonie bénéficient
encore de températures estivales relativement
élevées, même si le vent vient fréquemment
balayer les plages. La température moyenne des
eaux côtières y est également agréable car
l'influence du courant sud-brésilien s'y fait encore
sentir. Ainsi, du Rio Negro jusqu'à la Péninsule
Valdés s'égrènent quelques balnearios, certes de
modestes dimensions, mais offrant des conditions
de séjour et de loisirs de qualité aux populations
locales et aux vacanciers venus des villes de
l'intérieur.
Au débouché du Rio Negro, la station El Condor
propose aux habitants de la ville de Viedma, située
plus en amont sur le fleuve, des équipements
touristiques de bon niveau (hôtellerie, casino…).
Mais elle ne parvient pas à drainer une clientèle
plus large. En effet, les alluvions apportées par le
Figure 4 : Mar del Plata, ville balnéaire
Rio Negro colorent les eaux côtières de façon peu
engageante et condamnent la station à un rôle
local.
Au fond du golfe de San Mathias, Las Grutas est la
principale station de la province. Elle a connu au
cours des années 1980 et 1990 une croissance très
soutenue. La station s'étire le long d'une jolie
plage de 2,5 km, baignée par les eaux les plus
Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
Figure 5 : L'évolution de la fréquentation touristique à Mar del Plata au XXe s.
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susceptibles d'attirer une clientèle extérieure à la
région pour des activités balnéaires. La plage du
front de mer est très animée durant la période
estivale. Le Golfo Nuevo est un espace propice
pour la pratique des sports nautiques. La ville est
le premier centre argentin pour la plongée sousmarine. La gamme des loisirs de bord de mer
proposée dans la station est donc large. Mais le
principal intérêt touristique de la région et de
l'ensemble de la province du Chubut est
l'écotourisme. Puerto Madryn est la plaque
tournante de cette activité pour l'ensemble de la
Patagonie argentine. La Péninsule Valdés et le
Golfo Nuevo abritent une faune d'une extrême
richesse, que le public peut observer dans des
conditions très favorables. Les colonies de
mammifères marins (lions de mer, éléphants de
mer…) et la présence des baleines franches
australes de septembre à décembre dans les eaux
du golfe engendrent des flux de visiteurs de
grande intensité, en provenance de tout le pays et
de l'étranger. La fréquentation touristique à Puerto
Madryn se répartit de façon équilibrée entre la
période estivale (15 décembre/15 mars) durant
laquelle se pratiquent les activités balnéaires,
nautiques et la visite des réserves naturelles de la
région, et le reste de l'année, particulièrement
entre septembre et décembre, lorsque les baleines
gagnent le golfe pour s'y reproduire (fig. 6). On
observe que la fréquentation touristique à Puerto
Madryn tend à stagner ou à reculer ces dernières
années, après avoir culminé à 153 000 visiteurs en
1998.
A 170 km au sud de Puerto Madryn, la réserve de
Punta Tombo abrite une des plus importantes
colonies de pingouins de Magellan, que les
touristes peuvent observer de très près. 60 000
visiteurs s'y arrêtent chaque année. Au total, une
trentaine de réserves sont ouvertes au public sur le
littoral de Patagonie argentine, mais seules celles
de la province du Chubut enregistrent une
fréquentation importante, car elles sont
relativement bien desservies au départ de Puerto
Madryn.
Figure 6 : Evolution du nombre de touristes à Puerto Madryn de 1993 à 2001 (en
milliers)
chaudes de toute l'Argentine. Elle présente un bon
niveau d'équipement, tant en ce qui concerne
l'hébergement touristique (hôtels, campings) que
la restauration et les activités de loisirs (nautisme
en particulier). Le casino est au centre de
l'animation nocturne de la station. Les résidences
secondaires se dressent face à la mer, de part et
d'autre du cœur de la station.
Dans la province du Chubut, seule la ville de
Puerto Madryn connaît des conditions climatiques,
des équipements et un environnement touristique
Au sud de cette ville, et en dehors des réserves
naturelles, l'activité touristique se résume aux
balnearios de Playa Union et de Rada Tilly. Playa
Union offre, depuis sa création en 1923, ses
longues plages à une clientèle de proximité, issue
des villes de Rawson et de Trelew et de la vallée
inférieure du Rio Chubut. Les résidences
secondaires y sont nombreuses, mais la station
tend à devenir un lieu de résidence permanent
pour les populations travaillant dans les zones
urbaines proches. Rada Tilly, à 12 km de
Comodoro Rivadavia, est le balneario le plus
austral du pays. C'est une élégante petite station
de 3 000 habitants, qui s'étire le long d'une plage
de 3 km, aux eaux plutôt fraîches.
126
VOL 79 2/2004
Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
Les activités balnéaires des provinces du Rio
Negro et du Chubut se limitent donc à des pôles
très secondaires, en comparaison de la province
de Buenos Aires. Au-delà, dans la province de
Santa Cruz, le froid et l'isolement n'autorisent pour
ainsi dire plus les activités touristiques littorales.
Seul l'extrême sud de la province, autour de la ville
de Rio Gallegos et de son aéroport, retrouve un
intérêt touristique. La ville est en effet la porte
d'entrée de la Patagonie australe. C'est aussi une
base de départ vers le Parc national des Glaciers,
espace naturel remarquable de 600 000 hectares,
et vers la Terre de Feu.
organisées jusqu’au continent antarctique, distant
de 1 000 km, pour prendre pied sur cette terre et
peut être apercevoir une colonie de manchots
empereurs.
LA TERRE DE FEU, UN TOURISME DU "BOUT DU
MONDE"
Même si la fréquentation reste faible, autour de
120 000 touristes en 1999, pour l’ensemble de la
province et principalement à Ushuaia, les touristes
génèrent une activité économique complémentaire. En 10 ans, on constate une augmentation de
40% du nombre de visiteurs. La ciudad en el fin
del mundo est une destination essentiellement
internationale et qui le devient de plus en plus.
Actuellement, 4 touristes sur 10 sont argentins :
leur nombre a augmenté de 25 % au cours des
années 1990, alors que le nombre de touristes
étrangers a presque triplé durant la même
période. Cette fréquentation est surtout le fait
d’Américains du nord (25 %) et d’Européens
(25 %) (fig. 8).
Avec la Terre de Feu, le tourisme s’inscrit dans un
cadre mythique. Partagée entre Chili et Argentine,
elle est faite de grands espaces de plaines, de
montagnes et de forêts battus par le vent, la pluie
et le froid des hautes latitudes australes. Elle
demeure quasiment vide d’hommes avec moins
de 4 habitants au km2 soit 100 000 personnes au
recensement 2001. Deux villes argentines
rassemblent l’essentiel de la population, Rio
Grande au nord et Ushuaia au sud, point de départ
argentin pour l’Antarctique et les îles de
l’Atlantique sud.
Devenue en 1957 capitale de la province argentine
de la Terre de Feu, de l’Antarctique et des îles de
l’Atlantique sud, Ushuaia en est aussi la capitale
économique et administrative, et avec ses 45 000
habitants, le symbole de la présence humaine
permanente dans le grand sud. En dix ans, la
population de la province a progressé de 45%,
gagnant plus de 31 000 habitants, immigrés pour
l’essentiel puisque actuellement la plus grande
part de la population est originaire d’une autre
province de l’Argentine (56%), ou d’un autre pays
(14%).
Terre de Feu, terre du tourisme
Bien que distante de 3 200 km de Buenos Aires (5
heures d’avion dans le meilleur des cas ou
plusieurs jours de bus pour les plus téméraires ou
les moins argentés), Ushuaia est attirante, en
grande partie grâce à la médiatisation de son nom,
mais aussi à sa situation. Il n’est besoin de
parcourir que quelques kilomètres pour découvrir
le Parc national de la Terre de Feu et les paysages,
la faune et la flore de la Patagonie fuégienne, le
long du Canal de Beagle. Depuis 1998, à une
trentaine de kilomètres à l’est d’Ushuaia, la station
de ski Cerro Castor offre 15 pistes équipées de
4 remontées mécaniques pour pratiquer les sports
d’hiver. Pendant l’été, des agences proposent de
naviguer dans les canaux, d’aller à la rencontre de
lions de mer, de phoques, de cormorans ou de
gagner le Cap Horn. Des croisières sont également
La richesse et la qualité des nombreux cours d’eau
s’écoulant des contreforts andins font de la Terre
de Feu un site de plus en plus fréquenté par les
pêcheurs sportifs, à la recherche de truites et de
saumons. Il est courant de voir des groupes
d’hommes d’âge mûr débarquer à Rio Grande,
harnachés de leur matériel de pêche, pour aller
écumer les rios fuégiens.
Ushuaia a su s’adapter aux besoins, faisant du
centre de la ville une succession de boutiques de
souvenirs, de tee-shirts et de produits de luxe
internationaux détaxés, mais aussi en
développant l’offre en matière de restauration et
d’hébergement. Avec près de 2 000 lits
disponibles dont la moitié de 3 étoiles ou plus,
l’équipement hôtelier de la Terre de Feu peut
accueillir les trois quarts des visiteurs recherchant
un hébergement marchand. L’été concentre les
demandes particulièrement de décembre à février
(fig. 7). Quant à la saison hivernale, elle attire
encore très peu de skieurs, les stations chiliennes
concurrençant la quinzaine de pistes ouvertes en
juillet et août à Cerro Castor ou sur le glacier
Martial.
Ushuaia, porte de l’Antarctique
Depuis quelques années, le port d’Ushuaia est
devenu, avec Punta Arenas au Chili, le deuxième
port du continent pour le tourisme antarctique. Si
l’Argentine a été pionnière en organisant les
premières croisières en janvier 1958, avec une
centaine de touristes embarqués d’abord dans un
avion militaire DC-4 de Buenos Aires jusque
Ushuaia, puis sur deux navires de recherche pour
gagner les bases argentines de la péninsule
Antarctique, les tours-opérateurs états-uniens ont
rapidement pris le contrôle de ce tourisme du
grand sud, en armant des bateaux au départ de
Punta Arenas et d’Ushuaia. C’est pendant les
Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
VOL 79 2/2004
127
(généralement Port Stanley aux Malouines). Les
touristes fréquentant ces croisières sont des
touristes étrangers, pour moitié d’entre eux étatsuniens et pour un quart européens (Britanniques,
Allemands et Suisses - fig. 8). Ces voyages
concernent une population à fort pouvoir d’achat,
un séjour de dix nuits coûtant au minimum 4 000 $
US par personne, qui s’ajoutent au coût du
transfert jusqu’à Ushuaia.
Les lieux les plus visités par les touristes se
trouvent sur la Péninsule Antarctique, avec des
excursions dans les îles Shetland du Sud. La
demande va croissant pour ce genre d’excursion,
de la part d’un public en recherche d’espaces
vierges. Cette évolution pose le problème des
incidences de la fréquentation touristique sur la
faune antarctique et le milieu naturel.
DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES
CONJONCTURELLES
ET
Le tourisme littoral argentin se heurte à des
difficultés de natures diverses qui freinent son
développement et peuvent même, à terme, le
compromettre.
Figure 7 : Evolution mensuelle des arrivées à Ushuaia en 1998/1999 (en milliers de
touristes)
Eloignement ou faiblesse des foyers émetteurs
Tout d'abord, le secteur touristique dépend, pour
sa clientèle étrangère, soit de foyers émetteurs
éloignés (Europe occidentale, Amérique du nord)5,
soit de foyers plus proches mais moins
pourvoyeurs de touristes (Chili, Brésil, Uruguay).
années 1970 que sont organisées véritablement
des croisières à destination de l’Antarctique.
Dans tous les cas de figure, ce que viennent
chercher les touristes étrangers n'est pas l'offre
balnéaire du pays, car ces visiteurs disposent
souvent dans leur pays de plages et d'équipements touristiques d'une qualité au moins
comparable, sinon meilleure que celle des stations
argentines. Ce qui les attire en priorité, outre la
découverte de la capitale Buenos Aires, ce sont les
grands sites naturels dont l'Argentine est riche
(chutes d'Iguazu - province des Misiones ; le Parc
national des Glaciers - province de Santa Cruz ; les
régions andines du Nord-ouest, etc.), mais aussi le
tourisme "du bout du monde" (Terre de Feu) et le
tourisme de sports d'hiver (région de San Carlos
de Bariloche - province de Rio Negro) ; Cerro
Chapelco (province de Neuquen). Cette dernière
activité a connu, dès les années 1970, un grand
succès auprès de la riche clientèle brésilienne, ce
qui a valu à San Carlos de Bariloche le surnom de
"Brasiloche".
Avec près de 10 000 passagers pour la saison
1998/1999, l’appel du grand sud permet de réaliser
une centaine de croisières de 12 à 20 jours
pendant l’été austral, de mi-novembre à mi-mars.
Les trois quarts des croisières ont Ushuaia comme
port de départ et d’arrivée, offrant une boucle
antarctique aux passagers. Le quart restant fait de
Ushuaia son port de départ ou d’arrivée, prenant
ou laissant les passagers dans un autre port
Sur le littoral, rares sont les secteurs attirant de
nombreux visiteurs étrangers. Seul, l’écotourisme
dans la province du Chubut autour de Puerto
Madryn et de la Péninsule Valdés engendre un flux
de touristes étrangers conséquent, de l'ordre de
20 % du total des visiteurs (dont 40 % de Latinoaméricains, 40 % d'Européens, 10 % de Nordaméricains, 10 % d'autres origines géographiques).
Figure 8 : Provenance des touristes en Terre de Feu (1998)
5 - La formule appart-hôtels est
apparue depuis peu à Mar del
Plata : il s’agit d’un héb ergement intermédiaire entre
l’h ôtel et la loc ation de
v ac anc es, alli ant l’ offre de
petits appartements équipés et
de se rvic es hôte liers en
commun (réception, centrale
de rés erva ti on, s erv ice
d’entretien, salon…).
128
VOL 79 2/2004
Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
Par ailleurs, l'éloignement des grands foyers
émetteurs explique le coût élevé de la destination
argentine. Seule une augmentation du niveau de
vie dans les pays latino-américains voisins sera en
mesure d'accroître sensiblement la part des
visiteurs étrangers "proches" et de constituer un
réservoir de clientèle intéressant.
La concurrence uruguayenne et brésilienne
Le tourisme littoral argentin est également victime
de la concurrence de l'Uruguay et du Brésil, qui
proposent des foyers touristiques balnéaires de
haut niveau d'équipement (Uruguay), de grande
qualité esthétique et dotés de conditions
climatiques particulièrement favorables (Brésil, en
particulier la frange côtière du sud de l’État de Rio
de Janeiro, du nord de l’État de São Paulo et le
littoral de l’État de Santa Catarina). Une clientèle
argentine issue des classes aisées fréquente ces
espaces depuis déjà plusieurs décennies, pour fuir
l'engorgement des stations balnéaires de la
province de Buenos Aires. Mais la crise actuelle,
bien qu'elle n'affecte pas de la même manière
toutes les classes sociales, remet en cause cette
tendance. La suppression de la parité dollar-peso a
fait considérablement baisser le taux de départ des
Argentins à l'étranger. En outre, les difficultés
économiques et financières que traverse le pays
modifient grandement les pratiques touristiques
des classes moyennes, laminées par la
décomposition de l'économie nationale.
La pollution des eaux côtières
Une autre menace peut compromettre, à terme,
l'activité touristique dans quelques secteurs de la
façade atlantique : il s'agit de la pollution des eaux
côtières, dont les origines sont diverses (urbaines,
industrielles, pétrolières…). Certes, le littoral
argentin présente dans l'ensemble une qualité des
eaux côtières que bon nombre de pays
industrialisés pourraient lui envier. Rappelons que
sur une grande partie de ce littoral, l'occupation et
les activités humaines sont fort réduites, en
particulier dans les provinces de Patagonie. Même
la façade atlantique de la province de Buenos Aires
n'est urbanisée que sur 16 % de son linéaire côtier.
Il n'en demeure pas moins vrai que certains foyers
de tourisme balnéaire sont affectés par une
dégradation de la qualité des eaux de baignade.
Deux stations sont particulièrement concernées
par le phénomène : Mar del Plata et Puerto
Madryn. La ville de Mar del Plata, qui accueille
chaque année des centaines de milliers
d'estivants, concentre de nombreuses activités
industrialo-portuaires, dont un important dépôt
pétrolier. Les effluents de cette grande
agglomération ne subissent pas un traitement
satisfaisant et leur rejet en mer est à l'origine d'une
pollution bactériologique préoccupante. De même,
la mauvaise gestion des décharges urbaines est
une source de contamination des eaux côtières.
Les analyses de l'eau de mer témoignent
régulièrement de la gravité de la situation, mais
les autorités se gardent bien de diffuser la totalité
des résultats et les professionnels du tourisme ne
semblent pas vouloir y regarder de trop près. A
terme, un renforcement de cette pollution ou une
prise de conscience chez les vacanciers des
dangers d'une telle situation pourrait écarter de la
ville une partie de sa clientèle.
A Puerto Madryn, la situation est tout aussi
préoccupante. L'importante activité industrielle de
cette ville portuaire est à l'origine d'une forte
pollution du Golfo Nuevo, espace abrité où les
eaux se renouvellent peu. L'énorme usine
d'aluminium ALUAR, les entreprises de traitement
du poisson, les fabriques de matériaux de
construction sont à l'origine de rejets polluants.
L'insuffisance du réseau de collecte des eaux
usées contribue également à la dégradation de la
qualité des eaux côtières. Ici aussi, les analyses
montrent la gravité de la situation. L'activité
balnéaire risque, tôt ou tard, de souffrir de cette
évolution. Dans l'immédiat, les menaces sont bien
réelles pour la faune marine qui fréquente le golfe
et qui représente, nous l'avons souligné, un intérêt
touristique de premier ordre.
D'autres stations atlantiques sont concernées par
la dégradation de la qualité des eaux de baignade.
L'activité des ports pétroliers de Bahia Blanca, de
Comodoro Rivadavia ou de Rio Gallegos affecte
de la même manière la qualité des eaux, situation
préjudiciable aux stations balnéaires et aux
espaces naturels situés à proximité. Mais partout,
les mesures tardent à venir et on peut déplorer
une relative indifférence des élus locaux, des
responsables techniques et même de la clientèle
touristique à l'égard du problème. Seuls quelques
scientifiques et militants d'associations de défense
de l'environnement semblent avoir pris la mesure
du problème et dénoncent sans relâche la gravité
des pollutions.
La crise économique
Si, dans les premières années de la dictature
militaire (1976-1983), les grands groupes
nationaux et multinationaux ont profité de
mesures favorables à leur expansion, très vite les
déséquilibres structurels ont surgi de nouveau et
la crise économique s'est accélérée. Dans les
années 1980, le PIB argentin a reculé de 14 %.
Dans la décennie suivante, la croissance reprend,
appuyée fortement par les capitaux étrangers qui
profitent de la privatisation de la plupart des
infrastructures (+ 30 % de croissance du PIB entre
1991 et 1997). La déréglementation du travail et la
recherche de gains de productivité dans les
entreprises ne font qu'augmenter le chômage et le
sous-emploi. La crise financière mexicaine de
1995 puis brésilienne de 1998 fragilisent
6 - La non concordance dans le
calendrier, entre l’été dans
l’hémisphère sud et la période
optimale des vacances dans
l’hémisphère nord (juillet-août),
j oue e n dé fave ur de c es
contrées australes.
Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine
l'économie argentine. À la fin de l’année 2001, le
pays s’enfonce rapidement dans une dépression
économique dramatique, que les premiers mois
de 2002 ne feront que confirmer : le PIB recule de
18 % au cours du premier semestre 2002 et le
chômage grimpe dans le même temps à 25 % de
la population active (+ 15 à 20% de travail à temps
partiel), entraînant une paupérisation accélérée.
Les n u p o s (nuevos pobres, les "nouveaux
pauvres" argentins) ont fait leur apparition : 47 %
des 37 millions d’Argentins vivent désormais sous
le seuil de pauvreté (fixé au-dessous de 168 dollars
de revenus mensuels, début 2004).
Dans ce contexte extrêmement difficile, où les
privations de toute nature sont à l’ordre du jour, le
secteur du tourisme est particulièrement affecté.
Les départs en vacances ont connu un niveau
exceptionnellement bas en janvier et février 2002
(chute de 60%). Ce sont surtout les stations
balnéaires populaires de la côte atlantique qui ont
subi les effets négatifs de cette évolution. Les
séjours en bord de mer se sont alors considérablement réduits. Le nombre d'appartements et de
résidences secondaires récemment mis en vente à
Mar del Plata illustre l'ampleur du marasme.
Conclusion
Avec un littoral de plus de 3 000 kilomètres,
l’Argentine offre de vastes potentialités
touristiques. Les principales concentrations
balnéaires se sont développées à l’ombre de la
grande métropole, au rythme de la mise en place
des voies de communication et des phases d’essor
économique. Si la structure spatiale des
principales stations présente de nombreuses
variantes dans le détail, elles ont en commun des
tissus urbains récents et en damier, ainsi qu’un
front de mer constitué d’une muraille élevée
d’immeubles. Se hiérarchisant en fonction de leurs
clientèles, ces stations diffèrent fortement de leurs
homologues européennes par une fragmentation
urbaine exacerbée.
Depuis vingt ans, l’activité du tourisme sur ce
littoral nord connaît une lente détérioration. La
baisse brutale des revenus dans les années 1980,
puis la montée rapide du chômage en période de
croissance économique, enfin les crises
successives de 1995 et 2001-2002 ont engendré un
réel marasme puis un effondrement de la
consommation touristique. Les restrictions
bancaires ayant été partiellement levées en fin de
l’année 2002, les stations balnéaires de la côte
atlantique, et notamment Mar del Plata, ont connu
une fréquentation record, durant les deux
dernières saisons touristiques 2002-2003 et 20032004 : la crise économique et la dépréciation du
peso interdisant les vacances à l’étranger pour le
haut des classes moyennes et les classes aisées. Si
les taux de remplissage des différents modes
d’hébergement sont corrects, la consommation
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129
touristique est fortement en baisse : l’offre a
évolué en fonction d’une clientèle désargentée qui
a appris à consommer moins et différemment.
Le Secrétariat au tourisme annonçait dès l’été
austral 2002 une augmentation très sensible des
entrées de Chiliens, attirés par la faiblesse de la
devise argentine. Mais cette fréquentation
inattendue n’a pas profité aux stations balnéaires
de la côte atlantique. Il s’agit plutôt d’un tourisme
"opportuniste", basé sur des courts séjours
devenus bon marché et motivés par la perspective
d’achats intéressants. Quant aux touristes nordaméricains et européens, la destination
"Argentine" est devenue financièrement accessible
avec la fin de la parité peso/dollar. Les voyagistes,
comme à l’accoutumée, ont privilégié les
destinations vers la Patagonie, la Terre de Feu et
les Andes, désertées par les Argentins euxmêmes, mais proposent très rarement les stations
de la côte atlantique.
Dans un pays où les acteurs institutionnels sont
traditionnellement très discrets, la sortie de crise
dans le secteur du tourisme sera difficile. A
l’échelle des stations, la privatisation des services
publics a signifié la détérioration rapide des
réseaux d’assainissement et d’eau potable. La
faiblesse des taux d’imposition des entreprises et
des particuliers ne permet pas de rentrées fiscales
conséquentes. Il n’est pas rare, notamment dans
des stations balnéaires à la mode (Pinamar, Villa
Gesell), d’emprunter un front de mer inachevé,
plus proche de la piste que du boulevard.
A l’échelle des Provinces et de l’Etat fédéral,
l’absence de politique de marketing depuis des
décennies ne permet pas de faire connaître
suffisamment la destination "Argentine". A l’heure
où l’élite des touristes internationaux cherche de
nouvelles destinations originales pour se
démarquer de la masse, des campagnes
publicitaires dans les grands pôles émetteurs, à
l’instar de pays aussi différents que la Tunisie, la
Thaïlande ou l’Irlande, permettraient peut-être de
remédier à ce manque. Encore faudrait-il
segmenter cette promotion en produits
touristiques clairement identifiés : écotourisme,
tourisme urbain, pêche, trekking….
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Adresse des auteurs :
Université de Bretagne
Occidentale
Faculté des Lettres et Sciences
sociales – Victor SEGALEN
Département de Géographie
20, rue Duquesne CS93837
29 238 BREST cedex 3
E.mail :
[email protected]

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