La part des anges, l`innovation passée à l`alambic
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La part des anges, l`innovation passée à l`alambic
ECONOMIE La part des anges, l’innovation passée à l’alambic Clicanoo.re / publié le 13 décembre 2012 / 05h30 Elle est sommelière, lui, issu d’une famille de distillateurs de Cognac. Après une carrière dans l’hôtellerie de luxe en métropole et à la Réunion, Céline et Ludovic Maufras se sont lancés, en 2009, dans la distillation de fruits tropicaux. Bien que leur entreprise, la Part des Anges, soit prête à se lancer dans l’export, banques et collectivités restent aux abonnés absents quand il s’agit de les aider à financer leur outil de production. Le nom de leur entreprise n’est pas tiré du titre du dernier film de Ken Loach. « La part des anges » est le terme qui désigne les vapeurs qui s’échappent des fûts lors du vieillissement des alcools. Céline et Ludovic Maufras ont créé leur société en septembre 2009. Originaires d’Alsace et de Cognac, ils ont tous les deux reçu une formation en école hôtelière, avec une mention en sommellerie pour elle, avant de débuter une carrière dans l’hôtellerie de luxe. Arrivés à la Réunion en 1994, ils ont poursuivi dans cette voie, travaillant notamment pour le Saint-Alexis, à Saint-Gillesles-Bains. Jusqu’à ce qu’ils décident de prendre un virage à 180° en 2009. Cette année-là, son père annonce à Ludovic Maufras qu’il est sur le point de prendre sa retraite. Dans la famille, on est distillateur ambulant de père en fils. C’est la cinquième génération successive à exercer le métier, en Charentes. « Mon père fabriquait les eaux-de-vie des bouilleurs de cru, explique Ludovic Maufras. Les détenteurs de vergers lui confiaient des fruits fermentés qu’il transformait en eaux-de-vie à l’aide de son alambic. Raisin, pomme, poire, abricot... Il faisait un peu de tout. Quand il m’a informé qu’il arrêtait, j’ai trouvé dommage que ce savoir-faire disparaisse de la famille. Alors j’ai décidé de monter la Part des Anges avec mon épouse, histoire de reprendre le flambeau familial », ajoute-t-il. Ludovic Maufras ayant souvent aidé son père dans l’enfance, il est rôdé à l’exercice de la distillation. Le couple peine cependant à trouver un local pour se lancer. « Mais nous avons eu la chance de rencontrer un élu de Saint-Paul, Guito Crescence. Il recherchait justement un distillateur pour perpétuer la culture de l’alcool qui avait alors disparu sur Vue Belle », explique Ludovic Maufras. C’est dans un local de 200 m2 sur la zone artisanale de la Saline que le couple peut finalement installer son matériel. Pièce maîtresse, l’alambic en cuivre à clavier numérique a été importé d’Allemagne, un investissement de 40 000 euros. « Il a fallu le dessiner et le faire fabriquer, explique le distillateur. Chaque artisan doit concevoir son propre alambic pour donner sa signature à l’alcool. Le nôtre permet de distiller les fruits entre trois et six fois, contre deux classiquement. Il permet aussi d’ôter le méthanol et de ne conserver que l’éthanol. Il ne garde que le meilleur des fruits et de l’alcool. » Cuves de fermentation, broyeur de fruits... Le montant des investissements s’établit à 55 000 euros, financés sur fonds propres et par un crédit-bail. La SARL familiale a débuté son activité en mars 2010. Elle fabrique des eaux-de-vie (45° d’alcool) et des mistelles ou vins de liqueur (17°) à base exclusivement d’épices et de fruits locaux : banane, letchi, ananas, goyavier, mangue, tangor, patate douce, gingembre, carambole, curcuma, papaye... « Nous faisons régulièrement de nouveaux essais dont nous testons à la fois le goût et la rentabilité », souligne Ludovic Maufras. En 2011, la Part des Anges a produit 30 tonnes de fruits. Ce chiffre devrait être de 40 tonnes cette année, soit 2 000 litres de boissons, à raison de 20 kg de fruits pour un litre d’alcool. La Part des Anges a réalisé un chiffre d’affaires de 40 000 euros en 2010, 65 000 euros en 2011 et 80 000 euros cette année. « Nous atteignons le seuil de rentabilité de l’entreprise, mais nous ne pouvons pas encore en vivre, affirme Ludovic Maufras. L’accueil des Réunionnais est enthousiaste, mais l’export va être le seul moyen de développer notre activité. » Le distillateur a participé au salon Sial (Salon international de l’agroalimentaire), à Paris, en octobre dernier, ainsi qu’au « Wine Spirit » à Cologne. « Présenter mon eau-de-vie auprès des plus grands distillateurs du monde, j’ai vécu cela comme une belle reconnaissance. C’est aussi très positif pour l’image de l’île. » Le distillateur cherche plusieurs distributeurs en métropole, seul moyen rentable pour lui de vendre ses produits hors des frontières de l’île. « Si nous exportons directement par petites quantités, le prix du fret aérien est prohibitif. Par voie maritime, il faut fournir au moins 500 bouteilles pour une palette. C’est trop. Nous ne souhaitons pas nous industrialiser. » Ludovic Maufras n’a pas protégé ses créations. « Nous avons mis au point des procédés de fermentation spécifiques selon les fruits, mais nous préférons garder nos recettes totalement secrètes plutôt que de les rédiger pour les faire breveter. » Il projette de développer chaque année de nouvelles eaux-de-vie et décliner une variété de produits. Mais, privé des subventions d’abord promises, le chef d’entreprise a dû renoncer jusqu’ici à de précieux investissements. « J’aurais besoin en urgence de matériel de traitement des fruits car aujourd’hui, je fais tout à la main avec l’aide de mon épouse », explique Ludovic Maufras. S’il pouvait financer une machine à éplucher les letchis, par exemple, cette étape de la production ne lui prendrait plus qu’une journée au lieu de cinq... « La chambre de commerce et Ubifrance nous demandent d’être prêts à exporter, rapporte le distillateur. Et ils constituent de superbes leviers pour nous mettre en avant et nous tirer vers le haut. Mais l’absence d’aide au niveau du financement des outils de production nous freine." Et d’insister sur un fait évident qui échappe selon lui à certains : "Il faut avoir du stock pour exporter. Il faut tout simplement produire pour vendre." Séverine Dargent