l`évaluation des compétences professionnelles

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l`évaluation des compétences professionnelles
L’ÉVALUATION DES COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES : DES
APPROCHES THÉORIQUES À LEUR MISE EN ŒUVRE DANS
L’ÉVALUATION DES COMPÉTENCES À ENSEIGNER L’ÉCONOMIEGESTION EN LYCÉE
Solange Ramond
Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, CREF – EA 1589
Email : [email protected]
Mots-clés : compétence(s) du professeur, détermination des indicateurs, échelle de niveaux de
compétences.
Résumé. Dans toutes les organisations, y compris à l’éducation nationale, l’évaluation des
compétences professionnelles des acteurs est une préoccupation majeure. Les enjeux sont
considérables : enjeux de compétitivité économique pour les entreprises, enjeux d’employabilité
pour les agents, notamment. La professionnalité des professeurs d’économie-gestion se fonde sur
un référentiel de dix compétences à partir duquel il est possible de déterminer, pour chaque
compétence, des indicateurs transversaux et disciplinaires. Pour définir la compétence à
enseigner du professeur, une échelle de quatre niveaux de compétences (ENC) est proposée.
1. Les enjeux de la compétence
Depuis de nombreuses années, la compétence professionnelle prend une place de premier plan
dans les préoccupations des organisations (entreprise, association, organisme public ou privé,…) et
des individus. Tous considèrent que la compétence peut être une ressource-clé dans l’obtention de
la performance et constitue un avantage compétitif. En effet pour faire face aux exigences
croissantes de qualité, de réactivité et d’innovation, les procédures ne suffisent plus, elles peuvent
même devenir improductives. Cela suppose que l’on puisse compter sur le professionnalisme des
acteurs de l’organisation. En effet, face à des évènements imprévus, face à l’inédit, ils devront
élaborer et mettre en œuvre des réponses appropriées, prendre des initiatives pertinentes,
construire des compétences adéquates.
La littérature propose de multiples définitions de la compétence. Cependant nous pouvons relever
dans chacune d’elles les caractéristiques notionnelles énoncées par la norme française AFNOR FD
X50-757 : la compétence est la mise en œuvre de connaissances, de savoir-faire et de
comportements en situation d’exécution.
Pour Le Boterf (2002), la compétence est un savoir-faire ou un savoir-agir validé qui mobilise,
combine, transpose des ressources (connaissances, capacités…) individuelles et de réseaux dans
une situation professionnelle et en vue d’enjeux. Agir avec compétence est au centre de la
triangulation du vouloir agir, du pouvoir agir, du savoir agir.
Pour Legendre (2004), la compétence est un savoir-agir fondé sur la mobilisation et l’utilisation
efficaces d’un ensemble de ressources. Les compétences peuvent être transversales ou
disciplinaires. Les premières sont tout autant de l’ordre de ce que requiert le développement de
compétences disciplinaires, que de l’ordre de ce qu’il produit. Elles renvoient à des outils ainsi
qu’à des valeurs et attitudes qui peuvent être sollicitées lors de multiples apprentissages et sont
appelés à se développer du fait même de leur sollicitation. Les secondes, expressions des visées de
formation disciplinaire, peuvent être plus aisément reliées à des familles de situations du fait
même de leur ancrage dans les disciplines ou les pratiques sociales de référence.
Cardinet (1986) parle de capacité pour désigner le savoir-faire transversal ou transituationnel. Pour
cet auteur, la capacité est une qualification-clé aux contenus enseignés, un savoir-faire très général.
Les capacités permettent de communiquer entre formateur et formé, entre formateurs de mêmes
disciplines ou de disciplines différentes.
Des définitions ci-dessus, il ressort qu’il ne suffit pas de posséder une liste de savoirs, et/ou de
savoir-faire et/ou de comportements ou attitudes pour être reconnu comme agissant avec
compétence. Les résultats doivent distinguer ce qui relève de l’action compétente et ce qui ressort
des ressources pour agir avec compétences. Les référentiels de compétences ne sont pas à
considérer comme des « moules » dans lesquels les compétences réelles devraient s’enchâsser avec
conformité, niant ainsi toute singularité dans les schèmes opératoires construits par les sujets. Les
référentiels sont des « partitions » à interpréter, des cadres de référence par rapport auxquels on
peut se positionner (Le Boterf).
Le professionnel compétent sait gérer un ensemble de situations professionnelles allant du simple
au complexe (Le Boterf). Il sait agir et réagir avec pertinence, combiner des ressources et les
mobiliser dans un contexte, transposer (c’est-à-dire : repérer et interpréter des indicateurs de
contexte, prendre du recul, de la distance, se décentrer, mémoriser de multiples situations et
solutions types), apprendre et apprendre à apprendre (c’est-à-dire : tirer les leçons de son
expérience, catégoriser les problèmes, formaliser, décrire comment on apprend), s’engager. Il ne
suffit pas de se déclarer compétent pour l’être. Toute compétence, pour exister socialement,
suppose l’intervention du jugement d’autrui.
2. La professionnalité du professeur d’économie-gestion
La professionnalité des professeurs du second degré de l’enseignement technique et professionnel
repose sur leur maîtrise de compétences disciplinaires, pédagogiques spécifiques, et sur des
compétences générales, transversales à plusieurs matières. Les professeurs d’économie-gestion
sont chargés de préparer des élèves (niveaux IV et V – baccalauréat professionnel, certificat
d’aptitude professionnelle) ou des étudiants (niveau III – brevet de technicien supérieur) à des
emplois dans le domaine de la gestion où tout emploi nécessite la combinaison, à des degrés
divers, de compétences de plusieurs disciplines telles que le droit civil, le droit des affaires,
l’économie, la comptabilité, l’informatique, le marketing, les techniques administratives. Mais,
comme dans les disciplines d’enseignement général, ils ont à analyser l’information, à la traiter, à
en évaluer la pertinence, à communiquer, notamment.
Pour Altet (1994), la professionnalité des enseignants reposent notamment sur leurs compétences à
préparer et mettre en œuvre une situation d’apprentissage et à l’évaluer, à gérer des phénomènes
relationnels. L’évaluation des compétences est réalisée par l’institution (inspecteur, chef
d’établissement notamment), par le professeur (autoévaluation), par le formateur de formateur
lorsqu’il s’agit de professeur-stagiaire. Elle repose sur l’existence d’un référentiel. L’arrêté
ministériel de 2006 énonce les dix compétences1 que le professeur devra maîtriser tout au long de
sa carrière, indique que les professeurs des filières techniques doivent avoir une expérience
1
Les dix compétences : agir en formateur de façon éthique et responsable, maîtriser la langue française pour
enseigner et communiquer, maîtriser les disciplines et avoir une bonne culture générale, concevoir et mettre
en œuvre son enseignement, organiser le travail de la classe, prendre en compte la diversité des élèves,
maîtriser les technologies de l’information et de la communication, travailler en équipe et coopérer avec les
parents et les partenaires de l’école, se former et innover.
significative du métier qu’ils s’apprêtent à enseigner. Le cahier des charges qui accompagne
l’arrêté précise les connaissances, les capacités et les attitudes qui sont à associer à chaque
compétence, qui la caractérisent.
2.1 La détermination des indicateurs
Pour répondre aux attentes des acteurs de l’évaluation, il est possible de déterminer, avec les
évalués, des indicateurs pour lesquels des performances pourront être observées à partir des
composantes de la compétence énoncées précédemment et des pratiques professionnelles des
professeurs. Ci-après, voici des exemples d’indicateurs pouvant être retenus pour deux
compétences –évaluer les élèves et concevoir et mettre en œuvre son enseignement- choisies parmi
les dix compétences que l’arrêté ministériel de 2006 demande aux enseignants de maîtriser, ces
deux compétences sont aussi citées par Altet :
Compétences du
professeur
(Critères de l’évaluation)
Evaluer les élèves
Concevoir et mettre en
œuvre son enseignement
Indicateurs
(Propositions élaborées à partir du cahier des charges de l’arrêté
et des pratiques professionnelles)
. Différencier l’évaluation du contrôle, de la mesure,
. Qualifier les fonctions de l’évaluation,
. Définir des critères d’évaluation, les indicateurs susceptibles de
renseigner ces critères, les performances attendues,
. Identifier le(s) destinataire(s) de l’évaluation,
.…
. Définir, à partir des référentiels, des objectifs d’apprentissage
adaptés,
. Identifier les savoirs et savoir-faire utiles pour atteindre les
objectifs fixés,
. Identifier les compétences transversales (ou capacités) à mettre en
œuvre pour réaliser une activité,
. Construire une progression des apprentissages disciplinaires
adaptée à une période d’étude,
. Pratiquer une pédagogie différenciée,
.…
Tableau 1 : Compétences et indicateurs
Les indicateurs retenus, déterminés conjointement, faciliteront l’observation de la performance, le
jugement d’évaluation qui doit dire la valeur en se fondant sur les faits et/ou les actes les plus
représentatifs de la réalité. L’indicateur est à la fois représentatif de la réalité évaluée et signifiant
par rapport à une attente précise. La signification naît du rapprochement avec le critère.
La participation de l’évalué à la définition du processus d’évaluation permet de déterminer et de
discuter, a priori, les indicateurs, de rendre les règles d’évaluation transparentes. A posteriori, lors
d’un entretien contradictoire, évalué et évaluateur auront la possibilité de préciser la valeur des
performances réalisées ou observées. En écoutant l’autre, chacun a l’opportunité de réguler son
action. Mais, pour être crédible, la compétence à enseigner reconnue à un professeur, doit résulter
de l’intrication des évaluations réalisées par des évaluateurs multiples, missionnés pour apprécier
le professionnalisme de l’enseignant.
2.2 Une échelle des niveaux de la compétence à enseigner
A partir des multiples sources d’information, les acteurs (évaluateurs et évalué) du processus
d’évaluation devraient pouvoir positionner la compétence à enseigner d’un professeur sur une
échelle composée de quatre niveaux :
Niveau
1
2
3
4
Description générique
Le professeur ne sait pas faire. Il engendre des dysfonctionnements dans son travail
et celui de ses collègues, il n’exécute pas les minima attendus.
Pratique courante, reproduction. Le professeur fait toujours pareil, reproduit,
exécute le ‘modèle’ minimal, il peut générer des problèmes pour les autres.
Maîtrise, adaptation. Le professeur sait gérer des situations, résout lui-même des
problèmes, est opérationnel, sait s’adapter.
Création, transposition. Le professeur assume la complexité des situations, il est
capable de transposer des savoirs, des savoir-faire, des méthodes, d’optimiser,
d’innover.
Tableau 2 : Matrice des échelles de niveaux de compétences (ENC)
La compétence à enseigner du formateur professionnel est ancrée dans les niveaux trois ou quatre.
Les gestes professionnels subséquents à l’action éthique et responsable, sont adaptés au niveau et à
l’environnement de formation, au public du professeur, à la matière à enseigner. Cette compétence
peut être revisitée lorsque la situation professionnelle est modifiée. Les activités du formateur
correspondent à celles énoncées dans la nomenclature des niveaux de formation2 (qualification de
niveau I ou II). Elles sont complexes, obligent le professeur à manipuler des idées et des concepts
pour créer des situations propices à la construction de compétences chez les apprenants, favorables
au développement de l’apprenance. Lorsqu’il y a reproduction pédagogique, la compétence à
enseigner se situe au deuxième niveau de l’échelle ci-dessus (tableau 2), voir au premier niveau si,
notamment, les tâches proposées incluent des apprentissages obsolètes, ou erronés, ou inadéquates
au référentiel de la formation visée. (Ramond - 2012)
L’arrêté ministériel de 2006 précise que les compétences doivent être appréciées en situation réelle
d’enseignement. Nous pouvons rassembler les informations recueillies et observées dans une grille
du type ci-dessous, qui pourront constituer une aide au positionnement :
Compétences
Evaluer les
élèves
2
Indicateurs (propositions)
Autoévaluation
(niv. 1, 2, 3, 4)
Eval. Formateur(s)
(niv. 1, 2, 3, 4)
_______________
Synthèse :
_______________
Synthèse :
. Différencier l’évaluation du
contrôle, de la mesure,
. Qualifier les fonctions de
l’évaluation,
. Définir des critères d’évaluation, les indicateurs susceptibles
de renseigner ces critères, les
performances attendues,
. Identifier le(s) destinataire(s) de
l’évaluation,
.…
Nomenclature des niveaux de formation (1969) : La qualification de niveau III correspond à des
connaissances et des capacités de niveau supérieur sans toutefois comporter la maîtrise des fondements
scientifiques des domaines concernés. Au niveau II, l’exercice d’une activité professionnelle salariée ou
indépendante implique la maîtrise des fondements scientifiques de la profession, conduisant généralement à
l’autonomie dans l’exercice de cette activité. Au niveau I, en plus d’une connaissance affirmée des
fondements scientifiques d’une activité professionnelle, cette qualification nécessite la maîtrise de processus
de conception ou de recherche.
Compétences
Indicateurs (propositions)
Concevoir et
mettre en
œuvre son
enseignement
. Définir, à partir des référentiels,
des objectifs d’apprentissage
adaptés,
. Identifier les savoirs et savoirfaire utiles pour atteindre les
objectifs fixés,
. Identifier les compétences
transversales (ou capacités) à
mettre en œuvre pour réaliser
une activité,
. Construire une progression des
apprentissages disciplinaires
adaptée à une période d’étude,
. Pratiquer une pédagogie
différenciée,
.…
Autoévaluation
(niv. 1, 2, 3, 4)
Eval. Formateur(s)
(niv. 1, 2, 3, 4)
________________
Synthèse :
________________
Synthèse :
Tableau 3 : Evaluation des compétences
Le positionnement à un des niveaux de la compétence à enseigner d’un évalué est le résultat d’un
consensus des responsables de la formation et de l’évaluation sur les « compétences-noyaux »,
« cœur de métier », pour une qualification professionnelle déterminée (professeur de lycée
professionnel, professeur de lycée d’enseignement secondaire technique, professeur de lycée de
l’enseignement secondaire classique, professeur de l’enseignement primaire). La synthèse, qui
revient à dire si telle compétence est maîtrisée ou non, est une appréciation de la qualité de
l’ensemble des indicateurs de cette compétence. Pour une compétence précise, l’évaluation de
certains indicateurs pourra être considérée déterminante par rapport à l’enseignement à dispenser
dans un cycle déterminé (lycée(s), collège, enseignement primaire), à la discipline, au contexte.
Le processus conduisant au positionnement permet :
- à l’évalué, d’apprécier ce qui est attendu de lui pour chaque compétence, d’identifier les
indicateurs susceptibles d’être observés pour apprécier sa performance, de s’autoévaluer ;
- à l’évalué et à l’(aux) évaluateur(s), de rapprocher leur point de vue, de prendre une décision.
Il suppose des cibles de professionnalisation comportant des objectifs à atteindre, des bilans
périodiques qui pourront initier un ajustement, une modification de la trajectoire de formation, une
régulation de l’action. La démarche combine à la fois des moments d’évaluation formative,
d’évaluation sommative, d’évaluation critériée, utiles à la certification.
3. Références et bibliographie
ALTET, M. (1994). La formation professionnelle des enseignants. Paris : PUF.
Arrêté du 19 décembre 2006, portant cahier des charges de la formation des maîtres en IUFM. Journal
Officiel de la République française du 28 décembre 2006.
Arrêté du 9 mai 2007, relatif aux modalités d’accomplissement et de validation du stage des personnels
enseignants. Bulletin officiel de l’éducation nationale n° 22 du 7 juin 2007.
CARDINET, J. (1986). Evaluation scolaire et pratique. Bruxelles : de Boeck Universités.
Décret n° 2006-830 du 11 juillet 2006, relatif au socle commun de connaissances et de compétences, Journal
officiel de la République française du 12 juillet 2006.
Décret n° 2007-643 du 30 avril 2007, relatif à la formation des maîtres. Journal officiel de la République
française du 2 mai 2007.
LE BOTERF, G. (2002). Ingénierie et évaluation des compétences. Paris : Editions d’organisation.
LEGENDRE, M. F. (2004). De la difficulté à opérationnaliser les compétences dans les plans d’études.
Communication. Lyon : 7e biennale de l’éducation et de la formation.
Nomenclature des niveaux de formation (1969). Commission nationale de la certification professionnelle.
Disponible sur : http://www.cnp.gouv.fr
RAMOND, S. (2012). Formation et autoformation : les boucles de reproduction pédagogique. Saarbrücken :
Editions Universitaires Européennes.