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PODEMOS un verbe d’action à la première personne du pluriel Analyse et présentation du parti politique espagnol par Maria Rial (Lundi 3 Novembre 2014) La création de Podemos s’est déroulée dans un moment de crise en Espagne qui n’est pas uniquement une crise économique, mais aussi une profonde crise éthique et démocratique de toutes les institutions de l’État. On parle de cette crise comme la crise du régime de 1978. 1978, c’est l’année où la Constitution espagnole fut écrite. À ce point de l’histoire, l’Espagne sortait d’une dictature de presque 40 ans. Dans un contexte de peur sans aucune possibilité de négociation, la démocratie est arrivée en Espagne sans que les structures économiques de l’État, héritées de la dictature, soient profondément changées. On a appelé cette crise celle du régime de 1978 puisqu’elle est la conséquence d’un épuisement organique, qui se révèle par une décomposition politique et morale des élites traditionnelles de l’Espagne, avec la corruption comme fer de lance. Le mouvement 15M, en Mai de 2011, a contribué à exprimer une partie des insatisfactions qui jusque là avaient été ressenties par la population de façon non constructives et négatives. Elle a introduit dans la société de façon généralisée un sentiment d’injustice envers l’ordre établi et a désigné les élites comme responsables. Les slogans comme «on n’est pas des marchandises dans les mains des banquiers et des politiciens » ou « on appelle démocratie ce qui ne l’est pas », ont effacé les différences entre les principaux partis politiques et ont contribué à regrouper les élites dans un ensemble. Le 15M a été le premier à signaler le débat des grands partis de gauche et droite comme mensonger, et a mis l’accent sur la différence entre eux et nous, entre une classe au-dessus, de privilégiés, et un dessous, la majorité de la population. Cette idéologie enracinée dans la conscience populaire a été le terrain fertile sur lequel Podemos a germé. Pourtant le 15M a désorienté l’électorat : gagner des élections n’était plus le seul élément de légitimation politique. Le premier bénéficiaire de ce tremblement de terre, malgré l’orientation à gauche du 15M, fut le Parti Populaire (la droite) lors des élections de novembre 2011. Mais, les réseaux formés par le 15M sont restés et la mobilisation sociale a été très forte et constante pendant ces trois dernières années, à travers la Plate-forme des affectés par l’Hypothèque (1) et les Marées Blanche, Verte, Rouge (2), etc... Tandis que dans la rue augmentaient les protestations, l’austérité s’aggravait. Pendant toutes ces années, les élites dirigeantes de IU, le Parti de Gauche Unitaire (3) en Espagne, ont eu en général des réactions timides et conservatrices, assumant son rôle auto-complaisant de parti satellite, ramasseur des votes perdus du Parti Socialiste, en s’auto-positionant à « sa gauche ». Le fait que les dirigeants de la Izquierda Unita soient liés au régime de 1978 de façon générationnelle et culturelle (mode de fonctionnement traditionnel) ainsi que les alliances avec le Parti Socialiste en régions, comme en Andalousie (où ils ont continué avec les coupes dans les services sociaux), ont contribué à voir Izquierda Unita comme une partie du problème et non comme la solution. Parmi les caractéristiques de l’effondrement éthique de la classe politique, nous retrouvons : la non-réalisation systématique des programmes électoraux, la « vente » de la souveraineté du pays, la corruption de toutes les institutions de l’État (de la monarchie jusqu’aux syndicats), la non-indépendance du pouvoir judiciaire dans les cas de corruption politique, la lenteur des procès judiciaires, la prescription des délits, les condamnations insuffisantes, le non-remboursement de l’argent public détourné, l’insuffisance d’inspecteurs des impôts (surtout dans le secteur des fraudes des grandes fortunes), etc. Rajoy lors de la victoire du Parti Populaire en 2011 Tout cela dans un contexte d’une très forte augmentation des inégalités économiques : chômage à 25% depuis déjà 6 ans de crise (4), beaucoup de familles sans revenu, effondrement du niveau de vie, 5 millions de personnes en situation d’exclusion sociale (5), coupes budgétaires dans les retraites. Un jeune sur deux est sans emploi (6). Le scandale des expulsions et des actions de préférences(7)(8) ont contribué à augmenter le sentiment d’injustice en Espagne. A cela s’ajoute 2,2 millions d’enfants espagnols sous-alimentés (9). Pour expliquer brièvement la dimension de ces scandales, on parle aujourd’hui de 180 expulsions locatives par jour (10), dans le pays avec le plus de résidences vides d’Europe (11). La plupart appartient à des banques qui ont été sauvées avec notre argent. Donc, des résidences vides qui appartiennent au peuple espagnol, ne sont pas utilisées pour reloger le peuple espagnol en situation d’exclusion sociale. Le scandale des actions de préférences a été une escroquerie des banques espagnoles dont les personnes âgées ont été les premières victimes. Elles furent convaincues de mettre leurs économies dans des comptes d’épargne qui se sont révélés des actions à haut risque. Nombre d’entre elles ont perdu toutes leurs économies. LA NAISSANCE DE PODEMOS En 2003, Pablo Iglesias (porte parole de Podemos), professeur de sciences politiques à l’Université Complutense de Madrid, instaura avec d’autres amis liés à l’université un programme de débats politiques indépendant sur Internet, appelé La Tuerka. C’est à partir des mobilisations du 15M en 2011 que ce programme a commencé à être très connu entre les cercles plus actifs politiquement, et aussi ses participants. Les années suivantes (2012 et 2013), Pablo Iglesias, qui était le présentateur de ce programme, a commencé à être invité à la télévision où il débattait tout seul avec sept ou huit personnes de droite. Pablo Iglesias pendant une diffusion du programme La Tuerka. Bankia : l’une des banques les plus importantes sauvée par un apport de 19 milliards d’Euros d’argent public et accusée de «falsification de comptes» et «information frauduleuse» auprès de l’autorité de marché espagnole Chaque fois qu’il s’y est rendu, l’audience montait. Cela lui permis d’être invité à des programmes de télévision de masse. Il est devenu très connu et les programmes ont utilisé sa « figure » comme une recette pour augmenter l’audience. Une des stratégies des concepteurs de Podemos a été d’utiliser le premier instrument de socialisation politique des sociétés modernes dans lesquelles la gauche radicale a été vaincue: la télévision et les médias de masse. Il y a eu des mois de discussions et de débats entre quelques professeurs de l’université de sciences sociales et politiques de Madrid, dans laquelle se trouvait Pablo Iglesias, et où il avait étudié et analysé en profondeur les mouvements politiques récents en Amérique latine et les raisons de leur succès. Ce groupe de professeurs, avec des gens liés au groupe du programme La Tuerka ainsi que des militants de la Gauche Anticapitaliste créèrent Podemos en Janvier 2014 et lancèrent le projet sur Internet. Ils s’étaient mis comme objectif de rassembler 50.000 signatures de soutien en un mois pour lancer leurs candidatures. Ils les obtinrent en 24 heures. À partir de là, des assemblés citoyennes appelés Circulos (cercles) ont commencé a se réunir en Espagne et à l’étranger. Actuellement il y en a plus de 900 en Espagne, et autour de 50 à l’Étranger. Entre février et les élections de Mai, il n’y pas eu de communication du mouvement dans les médias de masse mais seulement dans les médias numériques. Le manque de ressource économique à pu être dépassé par l’utopisme, l’imagination collective et l’implication de milliers de personnes. La visibilité a été rendue possible grâce à : 1) à la présence de Pablo à la télévision, 2) aux réseaux sociaux, qui ont été très actifs politiquement en Espagne depuis le 15M, 3) à une campagne électorale audacieuse et créative, 4) au bouche-à-oreille. SINGULARITÉS ET LIGNES DE FORCE Tout d’abord, si les peuples europeens ont des éléments communs, chacun appelle a une solution spécifique, et les mouvements d’autres pays peuvent être une source d’inspiration, mais ne sont jamais exportables tels quels. Il y des aspects de Podemos qui ne peuvent pas être détachés de l’histoire de l’Espagne, sa culture mais aussi l’influence de la volonté d’une partie de la population de re-politiser la société notamment grâce au mouvement du 15M, même si, comme en France, il y a un terreau social et culturel fragmenté après plus de 30 ans de néolibéralisme. Il est très important pour comprendre la réussite de Podemos de ne pas sousestimer les carences des structures étatiques, et la nécessite d’un enthousiasme collectif pour qu’un projet politique puisse générer une dynamique. La construction collective est indispensable pour que les gens fassent partie d’un projet. Cette construction collective doit être à tous les niveaux. De la participation dans les décisions jusqu’aux élections des représentants, La validation de la communication et les campagnes de marketing doivent être une construction collective. Drapeau de la seconde République espagnole (1931-1939) Les singularités de Podemos jusqu’à présent sont axés sur : − la participation − transparence − le contrôle démocratique L’un des points décisif de Podemos a été d’aspirer à gagner et de ne pas à être une force d’appui. Il pourrait paraître que c’est une chose acquise pour toutes les forces politiques, mais Podemos a été construit comme un instrument avec uwn seul objectif : récupérer les institutions. Récupérer les institutions pour retrouver la souveraineté et installer une véritable démocratie dans une situation d’urgence sociale. Il est possible donc qu’après avoir atteint ces objectifs, Podemos disparaisse. L’avenir nous le dira. Mais il est important d´éviter de tomber dans le fé- tichisme d’organisation, et de chercher toujours les problèmes à l’intérieur et oublier l’extérieur. La gauche doit cesser d’être une « religion » pour devenir un instrument. Si un parti n’est plus un outil efficace, il n’a plus de raison d’être, il faut donc construire un autre outil. Un autre aspect important est que Podemos a compris la nécessité de la transversalité des messages grâce au 15M et certains mouvements d’Amérique latine comme en Bolivie ou en Équateur. Le fait d’utiliser des concepts et des devises où toute la population puisse se sentir concernée et la rupture avec les symboles et les signes traditionnels de la gauche, qui ne concernent qu’une partie minoritaire de la population, sont des facteurs de la dynamique de Podemos. Cela veut dire, que si on parle de morale, de droits de l´homme, de démocratie, de souveraineté, d’éthique, on parle de consensus. L’un des autres consensus concerne l’idée que la Démocratie ne doit pas être un système entre les mains d’une minorité, mais celles du peuple. L’une des choses très importante qu’Iglesias et les différents porte-paroles ont fait a été de redéfinir les symboles et concepts de l’État sous sa forme moderne. Symboles ou concepts qui traditionnellement ont été accaparés par la droite en Espagne. La lutte pour le sens des mots, commencé avec le 15M, est également une singularité de Podemos: « on n’est pas anti-système, le système est anti-nous ». L’un des concepts en débat actuellement est par exemple la Patrie. C’est quelque chose de très complexe pour la gauche en Espagne, parce que tous les sentiments nationaux ont été monopolisés par la dictature. Le drapeau et le fait « d’être fier d’être espagnol » sont des tabous pour la gauche en Espagne (mais pas en Catalogne, Pays Basque ou Galice). Ce sentiment ne peut être effacé de notre Histoire mais les symboles identitaires ne peuvent être le monopole de la droite. Les ennemis des Nations ne sont pas les immigrés, mais, ceux qui détournent l’argent public, ceux qui ont des comptes en Suisse, ceux qui offrent la souveraineté et le futur de son peuple aux marchés financiers. À mon avis, il faut comprendre que dans un contexte historique où les Partis Socialistes Européens, qui s’autoproclament de gauche, mais mènent les mêmes politiques économiques que la droite, et, où les régimes communistes ont fait le contraire des bases théoriques de la gauche, le mot gauche a été vidé de son sens. Le socialisme, la gauche sont devenus des termes «caoutchouc». Les gens n’associent plus la gauche aux valeurs que nous avons dans la tête, parce que la propre gauche les a détruits. Alors, si ces concepts ne sont plus utiles, alors il faut en créer de nouveaux qui rédefinissent les positions: “ceux d’en bas contre ceux d’en haut”, “les gens contre «la caste»”. C’est pour cette raison qu’on n’a pas le mot gauche dans le nom de Podemos, et qu’un verbe d’action à la première personne du pluriel est utilisé (Podemos : nous pouvons). MODE DE FONCTIONNEMENT Comme indiqué auparavant les 3 axes sont : participation, transparence et contrôle démocratique. La participation citoyenne dans les décisions est extrêmement importante ainsi que la rupture avec le concept du « militant ». N’importe quelle personne peut s’inscrire à travers le site web, avec son numéro d’identité, son nom, et un numéro de téléphone. Inclure toutes les personnes qui veulent participer, pas seulement celles qui veulent contribuer économiquement ou celles qui veulent participer plus activement, est aussi l’un des facteurs de la dynamique. Cela permet au parti de rester ouvert et ne devienne pas une structure fermée uniquement aux militants. Transparence : indépendance économique et comptes clairs. Podemos ne souscrit a aucun crédit bancaire afin de garantir son indépendance financière. Le constat de Podemos est qu’avoir des dettes peut conditionner le discours et hypothéquer les objectifs. Les comptes de Podemos sont publics et accessibles à travers le site Internet. Ils sont actualisés une fois par trimestre. Le financement jusqu’à maintenant a été effectué à travers des donations individuelles et des financements participatifs. Une autre mesure est d’en terminer avec la professionnalisation de la politique, passer à un système ou la politique est un service temporaire et pas une profession : limitation des mandats à 8 ans, 12 en cas d’exception justifiée. OÙ EN EST PODEMOS : ASSEMBLEE CITOYENNE Podemos est dans un débat très intense à travers différentes phases depuis juillet. Ces débats se déroulent à travers des Assemblées citoyennes (Si, Se Pude - Oui, on peut). On essaie de trouver une structure d’organisation qui laisse le débat populaire s’exprimer, et qui ne l’étouffe pas dans la bureaucratie interne. Cela été un processus long, duquel sont sorties les premières différences de critères pour trouver la meilleure balance entre démocratie et efficacité. Un thème a généré un débat c’est l’importance des leaderships. L’horizontalité du 15M a démontré être inefficace quand la plupart de la population reste encore dans la logique de suivre un leader avant les idées ou les projets. Fin Octobre 2014, Podemos a voté les trois documents qui vont définir sa structure et sa méthode de travail : un compromis éthique, un document de stratégie politique, et un modèle organisationnel. Il est important d’être conscient de la limite de la représentativité, et qu’aucun parti politique ne doit remplacer les mouvements sociaux et que la vigilance citoyenne doit être permanente grâce la transparence des institutions. Contrôle démocratique : − élection des représentants par tous les inscrits (tout inscrit peut aussi être élu), − choix et vote pour les alliances électorales avant et après les échéances électorales, − votes des programmes électoraux, etc., − mécanismes de révocation des élus et initiative de base pour lancer un referendum contraignant. − contrôle de l’activité des parlementaires élus par les outils informatiques. 1 http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.de/2011/11/espagne-lutte-pour-le-droit-au-logement.html 2 http://matthieugagnot.over-blog.com/article-espagne-3-ans-apres-ou-en-est-le-mouvement-des-indignes-123625278.html 3 Izquierda Unida (IU, Gauche unie) : coalition politique de gauche formée en 1986 par différents partis, le plus important étant le Parti communiste d’Espagne. 4 http://www.statistiques-mondiales.com/ue_chomage.htm 5 http://www.la-croix.com/Actualite/Europe/L-exclusion-sociale-en-forte-hausse-en-Espagne-2014-03-31-1158993 (http://www.foessa.es/noticias_tags_noticiaInfo. aspx?Id=7348) 6 http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/espagne/taux-de-chomage-des-jeunes-de-moins-de-25-ans.html 7 http://www.lesechos.fr/23/02/2012/LesEchos/21130-154-ECH_la-vente-massive-d-actions-preferentielles-tourne-au-scandale-en-espagne.htm 8 les actions de préférence sont tous les types d’actions donnant un avantage particulier à son détenteur par rapport aux actions classiques. Elles regroupent les actions à dividende prioritaire, les actions à droit de vote double ainsi que toutes autres actions donnant droit à un avantage que peut émettre l’entreprise. L’émission de ces actions de préférence se fait en assemblée générale extraordinaire (AGE). 9 Unicef-Espagne, El impacto de la crisis en los ninos, établi par rapport aux chiffres de 2011. 10 http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20140328trib000822513/immobilier-presque-70-000-expulsions-en-espagne-en-2013.html 11 http://www.idealista.com/news/archivos/viviendas-vacias-europa_0_0.png