Bourse : comment perdre en spéculant sur les warrants, turbos

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Bourse : comment perdre en spéculant sur les warrants, turbos
Bourse : comment perdre en spéculant sur les warrants, turbos,
options et produits dérivés
Depuis plus de vingt-cinq ans, je m’efforce de mettre en garde les épargnants
contre les risques de perdre leur argent en s’aventurant sur les marchés à termes
et autres produits dérivés à effet de levier. Une affaire récente me conforte dans
cette opinion : les options, warrants et autres certificats « turbos » augmentent les
pertes des boursicoteurs qui s’y adonnent. Ces pièges ne sont pas aussi pernicieux
que le marché des changes et des CFD, où les particuliers perdent plus qu’ils
n’investissent, mais suffisamment nocifs pour que les clients y perdent leur mise.
Le Day-trading, ou boursicotage quotidien, conduit à des prises de risques inutiles,
s’ajoutant au poids des frais, qui ruinent les épargnants-joueurs (photo © GPouzin)
Un client, ruiné par des warrants et certificats « turbos », se retourne contre son
courtier en ligne, et nous éclaire sur les risques de ces produits spéculatifs, autant pour les
épargnants que pour les intermédiaires qui les leur proposent à la légère. Le procès
concerne Boursorama, le courtier en ligne de la Société générale. En analysant
attentivement les circonstances des pertes subies par l’épargnant, et la responsabilité de
l’intermédiaire, l’incident aurait pu se produire chez bien d’autres courtiers en ligne
proposant des produits spéculatifs, qui s’exposent au même genre de revers
judiciaire. Espérons donc que cette affaire servira de leçon, autant aux épargnants
imprudents qu’aux courtiers en ligne proposant ces produits.
L’engrenage des paris « pour se refaire » mène les épargnants-joueurs à leur perte
A l’été 2007, un épargnant, plutôt matheux et à la tête bien faite (ingénieur
informatique diplômé des Ponts et chaussées), ouvre un compte chez Boursorama, leader
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français des courtiers en ligne. En réponse au questionnaire “Quel investisseur êtesvous?”, il affirme avoir une expérience des marchés financiers « Confirmé », et
vouloir mettre en œuvre une stratégie d’investissement «dynamique et spéculative »
avec un horizon de placement à « court terme (moins d’un an)», ce qui est déjà une
aberration. Tous les investisseurs expérimentés savent que les marchés financiers, et
celui des actions en particulier, sont particulièrement dangereux à court terme et
qu’il est moins risqué d’y investir à long terme. Si l’on se réfère aux notices d’information
des fonds d’investissement agréés par l’Autorité des marchés financiers, la « durée
d’investissement recommandée » est de cinq ans minimum pour les placements en
actions. Comme tous ceux que nous avons pu observer depuis des années, ce questionnaire
d’évaluation des connaissances du client manque de cohérence.
Si j’étais courtier en ligne face à un client affirmant avoir une connaissance
« confirmée » des marchés boursiers, tout en ayant un horizon d’investissement d’un
an, j’en déduirais qu’il est moins « confirmé » qu’il le croit, et je le mettrais en garde
contre ses idées fausses. Certes, je perdrais peut-être des clients sûrs de leurs convictions,
au bénéfice de concurrents moins regardants. On devine qu’un commerçant plus motivé
par son tiroir-caisse, serait davantage tenté de fermer les yeux sur les faiblesses de
ses clients, en les laissant dépenser leur argent dans son établissement, comme c’est
souvent le cas.
Ce fut le cas, d’ailleurs, avec notre épargnant. Plutôt que de gérer ses investissements
« en bon père de famille » comme une caisse de retraite, il s’adonna vite au day trading,
c’est-à-dire au boursicotage quotidien. Cette activité est une absurdité très rentable
pour les courtiers empochant les commissions d’intermédiations, mais elle conduit surtout
à des prises de risques inutiles, s’ajoutant au poids des frais, qui anéantissent les
efforts d’épargne des investisseurs, au lieu de les faire fructifier.
Les day-traders, particuliers occupant leurs
journées à boursicoter, s’exposent aux mêmes
symptômes que d’autres joueurs pathologiques.
Dans les sept mois suivant l’ouverture de son compte, cet épargnant passe en moyenne 6
ordres par jour, soit 829 ordres en 130 séances de Bourse. Multiplier les achats et
revente est souvent contreproductif en Bourse, où les décisions mûries
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d’investissement à long terme s’avèrent généralement plus judicieuses que de courir après
la tendance. Et les dégâts d’une telle frénésie sont aggravés par l’utilisation
d’instruments financiers à fort effet de levier, c’est-à-dire qui démultiplient les
pertes, davantage que les gains (si la technique financière vous intéresse, cette
asymétrie est liée à la perte de « valeur temps » des options et autre produits dérivés,
qui décroît avec l’approche de leur échéance).
Le client accélère donc sa perte dès qu’il se met à boursicoter sur les warrants. Il a
« commencé ses opérations par l’achat de “warrants” dérivés du titre Accor le 28
septembre 2007, qu’il a revendus le 2 octobre 2007, nous apprend le jugement. Sur la seule
journée du 3 octobre 2007, il a passé de nouveau douze ordres d’achat successifs de la
même valeur. Enfin, à compter du 8 octobre 2007 et jusqu’au 2 janvier 2008 sans
interruption, il s’est consacré quasi-exclusivement à des opérations sur différents
“warrants” à l’achat ou à la vente ». Oh, parfois il gagnait. A un moment, ses folles
spéculations lui procurent un « gain temporaire chiffré à 11.162,20 € », observent les
juges. Mais, patatras, à la fin, ça ne marche pas !
« Dans les vingt premiers jours de la période d’opérations portant en réalité sur des”
turbos”, soit du 3 au 24 octobre 2007, une perte de 146.382,70 € a été enregistrée par le
portefeuille », observent les juges. Il est vrai qu’entre warrants et turbos, on ne sait pas
trop, le jargon financier ayant le don d’embrouiller les clients, volontairement ou non,
à tel point que les professionnels eux-mêmes y perdent leur latin. Nous y reviendrons.
La spéculation
sur les
warrants est
un jeu
d’argent aussi
dangereux que
d’autres jeux
de hasard.
En attendant, le trader a mis le doigt dans l’engrenage du jeu. «A compter du 2 janvier
2008, il a effectué plusieurs achats-reventes de “turbo put” de la SA BNP, les 2 puis 7 et 8
janvier, repassant exclusivement à compter du 9 janvier et jusqu’au 18 janvier à des
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opérations sur des “warrants”. Sur la seule journée du 18 janvier 2008, expliquent les
juges, il n’a pas passé moins de quarante et un ordres d’investissement, dont 17 sur des
“turbo put” de la SA BNP». C’est d’ailleurs là qu’il est momentanément gagnant. Mais
pas pour longtemps.
Quand il demande réparation à la justice, le préjudice de ses pertes en spéculations
inutiles approche les 200 000 euros (196 759 € précisément).
Alors à qui la faute ? On serait tenté de dire que c’est «la faute à pas de chance », et
surtout à l’inconscience du client comme de son courtier, des risques inhérents au
boursicotage sur les warrants, turbos, options et autres bombes. Mais à qui les juges
doivent-ils imputer la responsabilité des dégâts subis par l’épargnant ? En raison de
quelles entorses, et sur la base de quelles règles juridiques ?
Le premier examen des juges porte sur la validité légale des transactions, que le client
conteste en invoquant une faille du contrat qui entraînerait la nullité de toutes ses
opérations. Pour résumer il déclare «avoir reçu, pris connaissance et accepté toutes les
clauses de conditions générales» qu’il n’a ni vues ni lues. Jusqu’ici rien
d’extraordinaire. Celui qui a lu tous les pavés de conditions générales avant de
cliquer «j’accepte» doit avoir une expertise des clauses abusives qui régalerait nos
lecteurs. Il est donc possible, et même probable, que le client n’ait pas eu ou lu les
conditions générales. Mais cela ne l’a pas empêché de savoir parfaitement utiliser les
services de son courtier sans contester aucune de ses centaines d’opérations jusqu’à
ce qu’il fasse le bilan de ses pertes, dont il était pourtant régulièrement informé sur son
compte.
Les juges ne sont pas dupes et rejettent cet argument en soulignant que l’épargnant « est
mal venu à persister en sa contestation de la passation des ordres litigieux, alors
qu’il n’a jamais contesté aucun des avis d’opéré qui lui ont été systématiquement
communiqués après chaque transaction et auxquels il avait en permanence accès sur le site
de Boursorama ». On ne la leur fait pas ! Ils notent encore que « pour passer ses ordres, il a
dû, par la double saisie et validation de ses mot de passe et identifiant, entrer dans le
système de gestion des ordres, a confirmé sur demande chaque ordre, et a vu ses ordres
enregistrés et confirmés puis transmis au marché, la société Boursorama lui adressant
ensuite systématiquement un avis d’opéré par courriel ».
Pensant avoir affaire à un client de « mauvaise foi », comme les présentent souvent les
défenseurs des commerçants, les juges du Tribunal de grande instance de Nanterre ne
cherchent pas plus loin la responsabilité de l’intermédiaire vis-à-vis des pertes de
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l’épargnant, qu’ils déboutent de toutes ses demandes, par jugement du 15 février 2013
(*), en le condamnant même à payer 5000 euros supplémentaires à Boursorama en
dédommagement de ses frais d’avocats (Art. 700 du Code de procédure civile).
Si on peut la comprendre du point de vue de la légalité du contrat entre le courtier et son
client, cette décision est pourtant injuste car elle élude les responsabilités du
courtier vis-à-vis de l’épargnant, estime son avocat, Maître Nicolas Lecoq-Vallon, qui
porte l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles.
Lire la suite : Boursorama épinglé pour défaut d’information et d’évaluation de ses
clients
(*) Jugement du Tribunal de grande instance (TGI) de NANTERRE du 15 Février 2013
enregistré au registre général N° RG : 11/00426.
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