Quand les jeunes gardiens de la paix s`assoient - Unsa

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Quand les jeunes gardiens de la paix s`assoient - Unsa
UNSA POLICE - 25 Rue des Tanneries, 75013 PARIS – http: / /unsa-police.fr – mail: [email protected] – Tph : 01.43.40.64.27 Fax : 01.71.18.22.90
JUILLET 2015
Quand les jeunes gardiens de la
paix s’assoient (gentiment) sur
le Code de déontologie pour
critiquer (vertement) la
hiérarchie policière
Publié le
22/07/2015
Gilles Gaetner
Quel est l’état d’esprit des jeunes recrues de la
police à l’égard de la déontologie ? De la presse ?
Du racisme ? De la hiérarchie policière ? Comment
sont perçues les relations police-population ? Dans
un rapport qui risque de faire du bruit publié sous
l’égide du ministère de l’Intérieur, qu’Atlantico a pu
lire en exclusivité, une équipe animée par Sébastien
Roché, fin connaisseur de la sociologie policière, apporte des réponses. Décapantes.
Atlantico a eu connaissance d’un rapport confidentiel d’une centaine de pages, qui s’interroge sur la
perception qu’ont les jeunes gardiens de la paix de la
déontologie et de l’éthique.
Publié sous l’égide d’un chercheur renommé, Sébastien Roché, ce document pêche sur un point : il ne dit
pas si les gardiens ou élèves gardiens de la paix sont
des anciens adjoints de sécurité (ADS).
Cette réserve faite, le rapport, effectué dans des
conditions sérieuses, montre que les futurs gardiens
de la paix n’ont pas toujours confiance dans le Code
de déontologie et mettent souvent en cause la hiérarchie policière… Ce qui est surprenant de la part de
jeunes n’ayant pas encore été en poste en commissariat
Malgré l’embellie liée aux attentats terroristes de janvier dernier, les gardiens de la paix déplorent toujours
un manque de reconnaissance de la population, qui,
en prime les accusent de racisme ou de brutalité… …
Ce que les intéressés, dans leur ensemble contestent.
Ainsi, ce témoignage : "Il n’y a pas de traitement différent. Je ne fais pas de différence entre un noir, un
jaune…Il fait une connerie. C’est pareil pour tous"
La déontologie fait-elle partie du vade mecum du
policier ? Est-elle vraiment entrée dans les mœurs ?
Le citoyen a-t-il le sentiment que ce dernier fait de
la déontologie un des axes prioritaires de son action
quotidienne ? Quel comportement le policier doit-il
adopter lors d’une interpellation ? Le policier a-t-il
conscience d’être un citoyen comme les autres, soucieux de respecter les lois de la République ? Le policier est-il suffisamment formé pour faire face à des
situations délicates ? Comment réagit-il aux accusations de racisme ? Telles sont les questions auxquelles a tenté de répondre un rapport d’une centaine de
pages écrit sous l’égide du Ministère de l’Intérieur et
piloté par Sébastien Roché,* directeur de recherches
au CNRS.
Atlantico, qui a pu lire en exclusivité ce document,
en livre ici les points les plus importants. Ce document, intitulé "Etude sociologique relative à
l’éthique professionnelle des jeunes gardiens de
la paix", ne concerne que la base policière, autrement dit les jeunes gardiens de la paix, qui sortent e l’école de police, avant d’affronter le terrain.
Autrement dit, les fonctionnaires qui auront un
contact, tantôt sympathique, détendu avec la population, tantôt conflictuel, voire un peu plus, lorsque
se dérouleront des affrontements comme ceux qui
ont eu lieu, lors de la Fête nationale, aux Ulis, à Epinay, à Paris (Porte de Saint-Cloud) etc…
Premier constat : la notion de déontologie dans la
police est désormais intégrée dans le paysage européen… Certes, quelques pays comme la Turquie, se
font parfois sévèrement rappeler à l’ordre par la Cour
européenne des droits de l’Homme de Strasbourg,
mais dans l’ensemble, les libertés publiques sont largement respectées, même si de temps à autre, lors
de manifestations d’altermondialistes en Europe ou
d’écologistes, la police est montrée du doigt. Une
chose est sûre en tout cas : depuis 1986, en France,
la déontologie est étroitement liée à l’action policière. De plus, bon nombre de rapports, depuis quelques années, ne cessent de faire des suggestions afin
d’améliorer les relations police-population. C’est ce
qu’ont fait deux membres de l’IGPN, les commissaires divisionnaires Sylvie Feucher- aujourd’hui préfète
déléguée à l’Egalité des chances dans le Val d’Oise- et
Pascal Gérard à l’occasion d’une enquête menée en
2013.
Parmi leurs recommandations : former les policiers
en zone difficile, lutter contre le sentiment d’impuissance du fonctionnaire en l’impliquant dans la vie du
territoire dans lequel il travaille, lancer une étude sur
le parcours professionnel des policiers issus des minorités, engager une réflexion sur la formation des
formateurs et sur leur rôle, faire naître une culture
d’entreprise dans les commissariats etc… Des propositions de qualité… Sauf qu’en ces temps de restriction budgétaire, elles ont du mal à être mises en
place.
Cette réserve faite, la hiérarchie ne ménage pas ses efforts pour que les "standards de comportement" soient
respectés par les gardiens de la paix. Et ça marche.
L’intransigeance répétée, à chaque fois qu’est relevé
un manquement à la déontologie, a des effets positifs : la preuve, de 2011 à 2012, les sanctions par les
conseils de disciplines ont baissé de 14,4%, passant
de 499 à 421. Est-ce surprenant ? Pas tant que cela.
En effet, selon le rapport, les jeunes, dans l’ensemble, avec quelques bémols, ont une assez bonne
perception de l’importance et du rôle du Code de
déontologie. Encore que l’estimation de son utilité
peut varier. Et leurs auteurs de constater : "Il est soit
considéré comme indispensable, car posant un certain nombre de bases et de principes, soit comme assez superflu ; non parce que les agents le considèrent
inopérant, mais au contraire parce qu’ils jugent que
les règles qu’il contient sont tout simplement des
règles de bon sens, qu’ils appliqueraient de toute
façon, de façon spontanée." En voici l’illustration, via
deux points antagonistes.
Ainsi, cet élève de l’Ecole de police de Nîmes déclare
: «Le Code de déontologie, c’est quelque chose qui
met tout le monde sur le même piédestal. On a tous
une éducation différente. La déontologie, c’est ce
qu’on doit tous être, ce sont nos traits communs.»
Son collègue, gardien de la paix en poste depuis 6
mois à la Direction de la sécurité publique des Yvelines, se montre d’un avis radicalement opposé: «Je
comprends que dans toute profession, il faut un
code. Après, notre code est un peu chez les bisounours. Si on veut l’appliquer de A à Z, il nous reste
plus grand’chose. C’est plus du travail de politicien
qui se dédouane de toute bavure policière. L’application concrète, c’est impossible. On est trop poussé
au vif, à l’excès. Ca délimite trop notre action.»
source : http://www.atlantico.fr/decryptage/quand-jeunes-gardiens-paix-assoient-gentiment-code-deontologie-pour-critiquer-vertement-hierarchie-policiere-gilles-gaetner-2248366.html
suite et fin
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JUILLET 2015
Quand les jeunes gardiens de la paix
s’assoient (gentiment) sur le Code de
déontologie pour critiquer (vertement)
la hiérarchie policière
Bref, plus l’ancienneté du policier grandit, plus il est
confronté aux exigences du terrain, et plus la déontologie a du mal à être respectée… Pour un peu, elle est
rangée aux oubliettes. Eloquent, à cet égard, est le témoignage de ce gardien de la paix affecté récemment
dans un commissariat de police : «Le Code de déontologie ? (long soupir). Qu’est-ce que j’en ai retenu ? Je
ne sais plus trop de quoi ça parle. Je me souviens du
vouvoiement, mais c’est dur à respecter, surtout face
à une personne violente. Hier j’ai eu une interpellation, le mec nous insultait, il résistait, je ne peux pas le
vouvoyer. Le code est élaboré par des personnes qui
sont dans les bureaux et ne connaissent pas le terrain.
En tout cas, la hiérarchie ne nous en parle jamais.»
Au premier abord, ces réponses pourraient inciter au
pessimisme. Eh bien, pas du tout... Simplement, ces
gardiens de la paix frais et émoulus de l’école se montrent pragmatiques. Ils savent ce qui est toléré, permis
ou ce qui ne l’est pas. Il est significatif, par exemple,
que 90% des agents interrogés lors des entretiens
collectifs estiment que l’emploi de la force est injustifié quand il s’agit d’obtenir des aveux. Tout comme
ils admettent parfaitement que la corruption est intolérable. Que les attitudes de «cow boy» ne sont pas
de mise. Ou que la perte de sang-froid ou les propos
discriminatoires sont incompatibles avec l’arsenal du
bon gardien de la paix.
Tout au long de cette étude, se dégage une constante :
la valorisation permanente des aspects traditionnels
du métier de policier, que ce soit l’application de la loi
et l’interpellation des délinquants qui en sont les deux
facettes symboliques. Les policiers sont quasi unanimes sur un point : «La capacité d’analyse à chaud
quand on est sous pression «constitue la principale
qualité du policier. Voici un exemple fourni par un gardien de la paix en poste depuis six mois dans les Yvelines : «Au château de Versailles, on a été appelé pour
un colis suspect. Nous n’étions que deux stagiaires
en patrouille. Il a fallu qu’on décide vite sur ce qu’on
devait faire. Alors, on a décidé d’évacuer le château.»
Respect de la déontologie, sang-froid lors de situations difficiles, dégoût pour la corruption, le gardien
de la paix n’oublie pas qu’il travaille en équipe.
Et que le corollaire logique a pour nom : solidarité.
Effectivement, écrit l’étude, «la solidarité passe avant
tout, pour la propre sécurité du fonctionnaire, par le
maintien des relations amicales dans le groupe». C’est
ce que constate cet élève gardien de l’Ecole de police
de Sens : «Le mec d’à côté, il peut me sauver la vie,
on le sait très bien.» Son collègue, quant à lui, n’hésite pas à mettre en cause la hiérarchie : «On nous
inculque des valeurs fondamentales, mais en fait,
on se rend compte que ce n’est pas hyper important
sur le terrain, surtout de la part de la hiérarchie qui
ne respecte pas forcément ces valeurs.» Vlan ! Une
estocade qui devrait faire réfléchir les commissaires.
D’où ce commentaire écrit noir sur blanc : «La perception d’un encadrement «peu éthique» a certainement
un effet sur l’attribution de valeur aux principes déontologiques. Il y aurait un double discours de l’organisation policière qui brandit des normes et des valeurs
d’une part, mais ne s’en soucie finalement pas tant
que cela, d’autre part.»
A côté de l’amertume à l’égard de la hiérarchie, en
surgit une autre, mais cette fois à l’égard de la population. Le gardien de la paix a le sentiment de devoir toujours se justifier. Il n’a pas à le faire. En effet,
il incarne la loi et la République, fait son métier, et
ne devrait pas voir son action entravée ou contestée
verbalement. Ecoutons ce que dit cet élève gardien
de l’Ecole de police de Nîmes : «le délit d’outrage
ou de rébellion est dur à appliquer. On représente
l’Etat, aussi, quand on insulte un policier, on insulte
l’ Etat.» Evidemment, le principal de point de crispation se situe du côté de la justice… Cette justice qui
jette systématiquement en pâture les policiers, alors
que les citoyens font ce qu’ils veulent sans jamais faire l’objet de poursuites. Une vision peut-être un peu
schématique, mais bien réelle. Glissons évidemment
sur les critiques répétées, les caricatures faites de la
politique pénale de Christiane Taubira sur laquelle le
rapport reste totalement muet…. Mais devait-il y faire
allusion ? En tout cas, les commentaires des élèves
gardiens résument parfaitement le climat. Ecoutons
cet élève de l’Ecole de police de Nîmes : «La justice ne
suit pas derrière. Les types dealent comme des fous
et ils obtiennent un sursis : ils avaient la larme à l’œil,
ils ont dit qu’ils voulaient être boulangers.» Enfin, le
rapport revient sur deux points qui font souvent débat
au sein de la police. D’abord, la discrimination vis-àvis des minorités. Un débat récurrent. Que n’entendon ! La police est raciste. Elle interpelle toujours les
mêmes. Allez faire un tour dans les cités, vous verrez
que ce n’est pas un fantasme. Sur le sujet, deux types de réponses apparaissent 1- C’est faux, la police
traite indifféremment les individus. «Je ne fais pas de
différence entre un noir, un jaune…Il a fait une connerie, c’est pareil pour nous» martèle cet élève gardien
de Nîmes. 2- Les contrôles se font uniquement sur le
comportement de la personne concernée. Comment
ne pas penser aux jeunes Roumaines qui déambulent
du côté de la Tour Eiffel ? Justification d’un gardien de
la paix de la préfecture de police, récemment titularisé : «Une groupe de Roumaines sous la Tour Eiffel,
je vais forcément les contrôler. On sait pertinemment
qu’elles ne font pas de tourisme. C’est peut-être du faciès mais aussi du discernement.» Autre commentaire
: «Si on prend les chiffres, c’est souvent des basanés.
Qu’ils soient blancs, jaunes ou noirs, c’est parce qu’ils
font des conneries qu’on les interpelle.» Pourtant, au
cours de l’enquête, quelques gardiens de la paix ne
se sont pas privés pour dire qu’il existait parfois une
atmosphère raciste véhiculée par certains collègues…
Publié le
22/07/2015
Gilles Gaetner
Enfin, les médias…Le constat est quasi unanime.
Après le feu de paille, qui a duré «deux semaines»,
lié à l’attitude exemplaire et courageuse de la police
lors des attentats de janvier dernier, l’empathie à
l’égard des forces de l’ordre est retombée. Témoin, ce
témoignage : «On s’est focalisé sur les journalistes qui
se sont fait tuer, mais le flic ou le pauvre agent d’entretien, tout le monde s’en fout.» Désolé, cher élève
gardien de la paix ! Mais sur ce point, vous n’avez ni
regardé la télévision, ni lu les journaux, ni vu votre
Ministre Bernard Cazeneuve rendre hommages aux
forces de l’ordre.
Mais surtout, ce qui horripile, c’est la propension de
certains individus à filmer les autorités policières lors
d’interpellations. Or, les films qui en ressortent, sont
souvent retirés de leur contexte…de façon à accabler
la police… Il n’empêche.
Dans l’ensemble, souligne Philippe Capon, le secrétaire général de l’ UNSA-Police, l’équipe de Sébastien
Roché a fait un excellent travail. « Peut-être, confiet-il que l’étude aurait-elle dû insister davantage sur
l’origine géographique des jeunes policiers venus de
province vers Paris et souvent déroutés dans leur
nouvelle vie personnelle et professionnelle.» A propos du code de déontologie en vigueur depuis 2014
aussi bien pour la police que pour la gendarmerie,
Philippe Capon déplore que l’administration n’ait
pas suffisamment fait oeuvre de pédagogie pour en
expliquer les impératifs. Enfin, sur le sujet crucial
des rapports entre police et population, le secrétaire
général de l’ UNSA-Police juge qu’un authentique
rapprochement ne sera possible qu’à deux conditions: 1- que la politique du chiffre soit abandonnée
2- que le citoyen comprenne toujours pourquoi il est
contrôlé et, le cas échéant, verbalisé.
«Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a sur
son bureau cette étude pilotée par Sébastien Roché.
Malgré un emploi chargé dû à la mobilisation policière
contre le terrorisme, il a sans doute pensé, à sa lecture, que faire œuvre de pédagogie chez les jeunes
recrues de la police devenait aussi urgent qu’impératif. Va-t-il lancer, pour l’automne un programme en ce
sens ? Beaucoup, parmi l’encadrement, ne sont pas
loin de l’espérer.
*Avec Romain Maneveau, référent technique, consultant ; Mathieu Zagrodzki, chercheur consultant ; Anaïs
L’hévéder, consultante
source : http://www.atlantico.fr/decryptage/quand-jeunes-gardiens-paix-assoient-gentiment-code-deontologie-pour-critiquer-vertement-hierarchie-policiere-gilles-gaetner-2248366.html

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