Bertrand Collomb - Lafarge

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Bertrand Collomb - Lafarge
Bertrand Collomb - Lafarge
Introduction:
Lafarge est un groupe français de matériaux de construction, leader mondial dans son secteur (qui vient
de fusionner avec Holcim, son grand concurrent, pour créer LafargeHolcim)
La société produit et vend dans le monde entier principalement du ciment, des granulats et du béton prêt
à l'emploi. Lafarge a développé des ciments spéciaux et des bétons innovants de renommée
internationale.
Questions:
 1 : Quel a été votre parcours depuis votre sortie du Corps des Mines ?
Après avoir travaillé en Lorraine au Service régional de l’Industrie, j’ai été faire un PhD de
management à l’université du Texas à Austin, avec une bourse de la FNEGE. En rentrant à Paris
j’ai donné des cours à l’ESSEC et j’ai fondé le « Centre de recherche en gestion » à l’Ecole
Polytechnique. J’ai ensuite travaillé dans des cabinets ministériels : celui d’Alain Peyrefitte puis
celui de René Haby, avant d’intégrer Lafarge en 1975. J’ai été nommé en 1985 DG de Lafarge
Corporation, la branche nord-américaine du groupe. Je suis ensuite devenu en 1989 PDG du
groupe, puis seulement Président de 2003 à 2007.
 2 : Vous travailliez chez Lafarge Corporation aux Etats-Unis ? Pourquoi les Etats-Unis tout
particulièrement ? Etait-ce un choix personnel ou bien l’entreprise vous y a incité?
A l’époque, l’Amérique du Nord (Etats Unis et Canada) était le principal développement
international du groupe, et mon expérience américaine m’y avait préparé. Mais c’est la
nécessité de remplacer le patron américain qui créa l’opportunité, que j’acceptais très
rapidement, car ma femme et moi avons toujours beaucoup aimé les Etats Unis.
 3 : Lorsque vous êtes arrivé aux Etats-Unis, quelles ont été pour vous les différences
majeures avec la France du point de vue professionnel et dans la vie publique ?
Les États-Unis sont un pays où il y a de l’espace, physiquement et psychologiquement. Tout
est possible, et tout doit changer. Le changement, quelle que soit sa direction, est vu
positivement. Et il faut souvent aller aux extrêmes avant de corriger les erreurs…
Cette culture a des conséquences dans la façon de gérer les entreprises et leurs équipes.
Lorsqu’il faut réduire les effectifs, ou licencier quelqu’un pour une performance insuffisante, c’est
souvent fait très rapidement, d’une façon qui nous paraît brutale, alors qu’ici elle parait
« virile » !
Mais j’ai pu observer que, lorsqu’on gère des équipes américaines avec une plus grande
attention, un plus grand respect des personnes, les gens apprécient, ici comme ailleurs. Et c’est
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aux Etats Unis que la « théorie Y » de Mc Gregor, qui prône un management par la motivation et
non par la contrainte, a été inventée
Et ce qui est vrai aux Etats Unis est vrai aussi dans d’autres pays. Même en Chine, pays à
tradition de management très autocratique, les chinois nous disaient qu’avec nous ils
travaillaient plus, mais qu’ils comprenaient mieux pourquoi ils travaillaient, et que finalement, ils
préféraient cela !
Une autre différence dans la vie des affaires est l’importance du légal et du juridique. Les
procédures américaines sont d’une complexité incroyable et Lafarge, avec, à l’époque, 25% de
son chiffre d’affaires, y dépensait 75% de ses frais d’avocats. L’extrême sévérité du droit de la
concurrence a été maintenant imitée par l’Europe.
Enfin, sur un sujet très sensible aux Européens, la protection sociale est moindre. Ceux qui
travaillent pour des grandes entreprises sont assez bien couverts. Et l’Etat a organisé une bonne
assurance santé pour les retraités, et pour les indigents. Mais il y a encore beaucoup
d’américains sans protection sociale. Cela choque les européens, mais la réforme décidée par le
Président Obama pour une couverture générale se heurte encore à une très forte opposition
idéologique.
 4 : Vous-êtes-vous adapté rapidement ? Et comment ?
Oui, parce que j’aime les Etats Unis et que les américains sont ouverts et pragmatiques. Ceuxlà même que la nomination d’un français avait surpris, voire choqué, m’ont ensuite bien accueilli.
J’apprécie le dynamisme et la volonté d’avancer de la culture américaine, surtout quand je les
compare aux blocages français, et à l’excès de protection qui a engendré un chômage élevé
depuis quarante ans !
Mais au fond je suis toujours resté très européen. J’ai conservé notamment un souci du long
terme et l’importance donnée aux relations humaines dans l’entreprise. C’est la culture Lafarge,
dont je vous ai dit que, même si elle est au départ française ou européenne, elle est appréciée
partout.
Je suis souvent considéré en France comme un Américain et aux Etats-Unis comme un
Français
 5 : Vous avez fait un PhD de Management à l’université du Texas, en quoi cela a-t-il consisté ?
En France, à l’école des Mines, j’avais fait de l’économie d’entreprise, mais j’étais intéressé
par la « gestion ». Or à l’époque cela n’existait pas vraiment en France et ça se développait aux
Etats-Unis. En faisant un PhD, j’ai évité de reprendre des cours des différentes matières de base,
comme dans un MBA, et j’ai pu m’intéresser aux recherches sur le fonctionnement des
organisations. Ma thèse portait sur le problème de la décentralisation, mais le plus intéressant
était l’analyse des comportements dans l’entreprise qui la sous-tendait. De retour à Paris j’ai
d’ailleurs donné un cours de théorie des organisations à l’ESSEC
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 6 : Pensez-vous qu’il soit nécessaire de faire un PhD aux Etats-Unis ?
Ce n’est pas obligatoire, mais un passage par la recherche et la réflexion personnelle, en
approfondissant un point particulier, me parait très enrichissant. Surtout qu’un PhD américain
est souvent moins long qu’un doctorat français, et qu’il est sans doute mieux compris et reconnu
par les entreprises. Sur ce point la culture américaine est différente de la culture française,
encore que nous sommes nombreux à vouloir développer l’embauche de docteurs par les
entreprises françaises, et à souhaiter que le doctorat n’éloigne pas des entreprises.
Et bien sûr l’expérience américaine reste très intéressante en soi. Même si dans le monde de
demain la Chine, l’Inde ou l’Afrique joueront un rôle croissant, les Etats Unis continueront à être
une référence internationale !
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