barbe-bleue
Transcription
barbe-bleue
Interview 6 Interview barbe-bleue texte - Géraldine Rutsaert & Nicolas Gilson Nom : Ionesco Prénom : Eva Profession : Réalisatrice Film : « My Little Princess » (Rediffusion : Vendredi 07 à 13h00 - C2) « Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir sur cette période de votre enfance ? » - « J’avais surtout envie de faire un film, j’avais commencé à écrire d’autres histoires qui étaient des histoires un peu merveilleuses parce que cette histoire fut douloureuse, et j’avais besoin de cet aspect merveilleux. J’écrivais à l’époque pour Jacques Doillon et j’ai rencontré quelqu’un qui a apprécié mon travail. Il m’a dit que je pouvais lui confier mon texte, qu’il n’interviendrait pas sur l’histoire, mais que cela m’aiderait à écrire. Cette rencontre a déclenché le projet. Et puis, ça m’a permis de mettre cette histoire-là au centre d’un scénario parce qu’auparavant, elle était contenue dans plusieurs projets. » « Est-ce que vous avez souhaité vous poser des limites en écrivant cette histoire ? » - « J’avais déjà pris la distance nécessaire parce que c’est une histoire qui m’a suffisamment bousillé la tête. Avant, c’était problématique pour moi d'en faire dans quelque chose de créatif, comme un film. J’ai commencé à faire des photos, puis un moyen métrage et j’ai écrit le scénario, mais je ne me suis jamais dit : "Whaou, je vais faire un film, c’est génial !" Au contraire, c’était assez difficile, en tout cas dans l’approche du geste artistique. Le fait de raconter cette histoire-là n’était pas facile non plus, il fallait rester sur le fil, poser les bonnes questions au public, à savoir, jusqu’où l’amour peut-il aller, jusqu’où on érotise un enfant, où se situe la liberté d’une petite fille face à une mère qui se veut féministe, avant-gardiste, et qui finalement devient tout le contraire. Il y avait toujours le fil conducteur de cette femme qui se dit artiste, large d’esprit, mais qui finit par enfermer sa fille dans des porte-jarretelles, des mises en scène, un capharnaüm et ne la voit plus. Au début, tout est bien, mais par le biais de la névrose et de l’élan artistique, il n’y a plus de freins et elle broie sa fille. Je voulais raconter comment, à un moment donné, on passe la limite, et ce qui se passe lorsqu’on franchit cette limite, dans un rapport mère-fille imbriqué dans un rapport artistique. Ce film est un aveu sous forme de conte. 7 « Il y a une distance entre le film et votre histoire personnelle, au moins sur un point, c’est l’âge du personnage qui a dix ans (contrairement à vous qui aviez quatre ans) ? » - « A l’époque, beaucoup d’intellectuels prenaient de jeunes garçons de douze, treize ans sous leur aile pour faire leur apprentissage, ils étaient à la fois leur amant, leur frère et leur père. Beaucoup de choses ont d’ailleurs été écrites à ce propos. Ma mère s’est inscrite dans cette mouvance un peu avant-gardiste mais elle a fait scandale. Tous les artistes et intellectuels qui suivaient ce courant de pensée se sont tus et s’en sont éloignés. Je raconte donc l’histoire de cette femme, cette mère un peu monstrueuse comme dans les contes, qui se transforme à un moment donné en petite fille, inversant les rôles avec sa propre fille. L’élan amoureux vers un enfant est possible quand on est adulte, ça paraît inimaginable aujourd’hui, mais c’est insupportable pour l’enfant qui ne peut pas être responsable de l’adulte. C’est ça le drame. « Il y a aussi un regard amoureux par rapport à la figure de la mère. On ne sent pas une condamnation de votre part » - « En tant que réalisatrice, je ne voulais pas porter de jugement parce que je voulais laisser la liberté au public de se faire sa propre opinion. La morale arrive par la petite fille donc je ne voulais pas faire doublon. En même temps, il fallait comprendre les mécanismes de cette femme pour comprendre l’histoire. Les monstres, il faut les aimer pour les comprendre. » « Il y a aussi un travail conséquent sur la musique qui met en place le merveilleux avec une musique enfantine pour ensuite déraper vers l’horreur ? » - « Pour la musique, j’ai travaillé avec Bertrand Burgalat. Je voulais jouer avec les limites tout comme le film le fait. Est-ce de l’art ? De l’amour ? De folie ? De la pédophilie ? Du baroque ? Du kitsch ? De l’horreur ? Du misérabilisme ? Un peu de tout. Le personnage de la mère peut paraître magnifique et en même temps ressembler à une vieille sorcière. J’ai joué avec la transfiguration, un peu comme dans les contes de fée où il s’opère quelque chose de merveilleux. » « Les décors ont aussi un rôle important dans votre film. » - « Ma mère vivait vraiment comme ça, dans une chambre sans lumière, qui donnait sur un cimetière où elle allait chercher les couronnes mortuaires. Elle avait quelque chose d’un enfant qui aurait refusé de grandir. Tout était comme un jeu pour elle jusqu’au moment où le jeu est devenu réel. Elle était comme ces gens qui incarnent un personnage et qui finissent par le devenir. » « Vous jouez aussi beaucoup sur la direction photo et la composition des plans. » - « J’ai joué avec la couleur et je voulais que la lumière évolue. Du merveilleux, on passe à quelque chose de plus cadavérique pour aller vers la peur et enfin retomber vers un semblant de réalisme. » « Comment s’est passé la direction d’acteur, notamment avec la petite fille ? » « Anamaria Vartolomei n’avait jamais joué. On a donc fait beaucoup d’improvisation, en travaillant sur les bagarres, les rapports mère-fille pour qu’elle prenne possession du film par des moyens physiques. Comme ce n’était pas un rôle que la jeune comédienne pouvait incarner spontanément, puisqu’elle n’avait pas connu pareille situation, on a créé ce personnage pinceau par pinceau, instant par instant en essayant de dissocier les sentiments. Je lui expliquais par exemple que le personnage voulait séduire puis plus du tout. On a donc beaucoup répété même si on avait peu de temps parce que l’installation des décors, des lumières, le maquillage et les costumes en prenaient déjà beaucoup. » Interview Interview