L`Église de Scientologie Facile d`y entrer, difficile d`en sortir... Par
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L`Église de Scientologie Facile d`y entrer, difficile d`en sortir... Par
L'Église de Scientologie Facile d'y entrer, difficile d'en sortir... Par Jean-Dubreuil (QUATRIÈME DE COUVERTURE) Jean-Paul Dubreuil connaît bien les rouages de l'Église de Scientologie. De 1984 à 1989, de simple auditeur, il monte en grade en y devenant même l'un des meilleurs « thérapeutes ». Sous les promesses d'un monde meilleur, il se départit progressivement de son emploi, de tous ses biens matériels et de ses économies au profit de l'Église de Scientologie, pour ne se consacrer qu'à elle. Son « contrat » stipulait bien pour un milliard d'années... Mais après six mois de « vie religieuse » intensive à Toronto, son esprit d'indépendance reprit le dessus et il dut se résoudre à quitter la secte en y laissant femme et enfants, qui le renient depuis, afin de se refaire une place dans la société. Dans ce livre, Jean-Paul Dubreuil nous relate les circonstances qui l'ont mené jusqu'au coeur de cette secte, ses mécanismes d'approche, de recrutement et de fonctionne surtout, ses difficultés à s'en sortir... Un témoignage accablant contre une Église « brise-vie ». ISBN 2-9804270-0-4 AVERTISSEMENT Aux sceptiques et à tous ceux qui voudront faire croire que ce livre est un tissu de mensonges. Tous les documents reproduits ou mentionnés dans ce livre sont conservés dans un coffret de sécurité. Ils pourront témoigner de la véracité de mes dires à tout moment. Jean-Paul Dubreuil INTRODUCTION Au petit garçon orgueilleux que j'étais, mon père disait souvent : « On le dit quand ça fait mal ». Eh bien, ça fait mal, très mal ! Je ne veux plus souffrir en silence. Je veux crier ma douleur au monde entier. J'ai mal à ma vie, j'ai mal d'avoir perdu mes enfants, mon idéal, mes rêves. Je viens de passer trois ans sur les bancs de l'Université afin de décrocher un diplôme me permettant de repartir sur un bon pied, mais voilà que je m'aperçois qu'à cinquante-trois ans, on ne repart pas à zéro aussi facilement. Quand on a eu, comme moi, l'imprudence de se laisser berner par des beaux parleurs et de tout balancer à la poursuite des rêves des faiseurs de miracles, le réveil est douloureux à un point tel que l'on souhaiterait ne plus être. Cependant, disparaître n'est pas une solution. Ce serait laisser les briseurs de vie auxquels j'ai eu affaire continuer leur oeuvre de destruction, et ça, je ne saurais le laisser passer. Aucun des éditeurs du Québec que j'ai contacté n'a accepté de publier ce témoignage. Pour la plupart, ils se sont débinés sans donner de raison, mais quelques-uns m'ont précisé que le sujet était trop risqué. Je les comprends : la Scientologie a un système de défense très bien structuré, capable de provoquer les pires tracasseries à quiconque ose lever le voile sur ses activités. Quant à moi, je n'ai rien à perdre; la vie est la seule chose qui me reste puisqu'ils m'ont tout pris. C'est donc à compte d'auteur que je publie ce livre en y investissant mes derniers sous. On a bien tenté de me faire taire : la dernière tentative date du 13 juin 1994, par le président de l'Église de Scientologie de Montréal, Marc Daragon. Il m'a tenu pendant une heure au téléphone, en insistant pour que je demande pardon de mes fautes envers son Église. À la suite de mon refus, j'ai reçu une lettre de mon fils aîné dont voici le texte intégral : Los Angeles, 15 juin 1994 Salut, Mon but dans la vie est d'aider le plus de gens possible à se comprendre, être plus capable, plus cause et plus heureux. Je sais que je peux atteindre ce but en tant que membre de l'Église de Scientologie parce que je sais que la Scientologie fonctionne et aide les gens. Aussi, comme autres Scientologists, je travaille très fort à aider l'humanité et faire en sorte d'amener un monde meilleur. Parce que tu as, verbalement et en action, communiqué tes désaccords envers l'Église de Scientologie, et par ce fait tes désaccords avec moi, je t'écris pour te laisser savoir que j'ai décidé de ne plus avoir de communication avec toi. Si jamais tu décide de changer tes buts, en ce qui concerne la Scientologie, tu peux communiquer avec le Chef International de la Justice de Scientologie via le Chef Canadien de la Justice de Scientologie, 696 Yonge St., Toronto, Ontario, Canada M4Y 2A7. Sincèrement, Jean-François Je n’ai pas été très surpris de recevoir cette missive de mon fils. Je sais d'expérience qu'il s'agit là d'une manoeuvre de ses supérieurs me faire fléchir. Ce qui m'a surpris, c'est que, pour la première fois depuis 1990, Jean-François m'ait donné son adresse, sur l'enveloppe de sa lettre, ce qu'il n'aurait jamais fait si inconsciemment il n'avait pas eu le désir que je lui réponde. Les scientologues sont très bien conditionnés. On verra comment au cours de ce livre. Pour ma part, il m'a fallu pas mal de temps pour me soustraire à ce conditionnement. À mon retour, j'avais la nette impression que si je parlais, je courrais à ma perte, et même à la mort. Cette idée me venait directement de l'« éducation » même que j'ai reçue en Scientologie, je le sais maintenant. C'était tout simplement une sorte d'implant psychologique autoprotecteur d'une efficacité terrifiante. J'en reparlerai plus loin. La seule pensée de révéler mon aventure provoquait chez moi un malaise indéfinissable qu'il m'a fallu apprivoiser. Ce n'est qu'avec le temps que j'ai pu jeter un regard un peu plus clair sur toute l'affaire. C'est ce regard que je veux livrer à l'Humanité, avec toute la sincérité que je peux y mettre. Je n'ai pas l'intention de ménager qui ou quoi que ce soit. Mon objectif est de décrire les faits tels que vécus et tels que je les ai perçus. J'espère ainsi démontrer au lecteur qu'il n'y a pas que les idiots qui tombent dans les pièges de ces spécialistes de l'extorsion mentale. Mais commençons par le début. *** PARTIE 1 : DE SHERBROOKE À TORONTO « Tu cultiveras des âmes » Je suis né quatrième enfant d'une famille de onze, à Ascot Corner, près de Sherbrooke, en Estrie. Mes parents étaient des cultivateurs prospères, bons travailleurs et bons catholiques. Ils étaient bien en vue dans leur milieu. Tout allait assez bien pour moi, jusqu'à ce qu'arrive le moment de ma naissance. Je présentais le cul plutôt que la tête, et ça, l'accoucheur ne pouvait pas le supporter. À force de bras, il me fit faire un tête-à-queue intra-utérin. L’opération m’a brisé la colonne vertébrale, avec comme résultat une scoliose assez importante pour que mon père se dise : « Celui-là, il ne pourra jamais cultiver la terre; faudra le faire instruire. » Les années ont passé. Je suis allé à l'école. Je réussissais moyennement bien malgré mon manque de goût et de motivation pour l'étude. Je ne rêvais que d'agriculture, de grands espaces et de la paix des champs. Le vieux proverbe « Tu peux sortir un gars de la terre, mais tu ne lui sortiras pas la terre de la tête » s'appliquait très bien à mon cas. Après mes études secondaires, je n'arrivais pas à me brancher sur un choix de carrière. Il s'en suivit un certain tâtonnement entre diverses disciplines : agronomie, enseignement, pour enfin fixer mon choix sur la technologie médicale. J'ai obtenu mon premier emploi comme technologiste médical dans un petit hôpital situé à Windsor, petite ville industrielle voisine de Sherbrooke. J'y ai rencontré celle qui devint ma femme, Thérèse. Elle était merveilleuse et je l'aimais d'un amour fou. Je l'ai épousée. Avant notre mariage, elle était institutrice et elle adorait son travail. À cette époque, un homme digne de ce nom faisait vivre sa femme; c'était la loi de la convenance. C'était tout juste avant que les mouvements féministes ne viennent ébranler la vieille tradition machiste, où le mâle se posait comme chef incontestable de la famille. Elle abandonna donc l'enseignement. À la même époque, la médecine nucléaire faisait son apparition dans les hôpitaux du Québec. L’Hôtel-Dieu de Sherbrooke recrutait des techniciens pour cette discipline. J’ai posé ma candidature et j’ai obtenu le poste sans grande opposition, puisqu'à ce moment, le terme « nucléaire » faisait encore frémir à cause des bombes atomiques sur le Japon. Nous nous sommes donc, Thérèse et moi, installés à Sherbrooke, et de notre amour naquirent trois enfants : Jean-François, Philippe et Anne-Marie. À trente ans, je construisis une maison à la campagne et y déménageai ma famille. Nous vivions une vie heureuse, calme et pleine de promesses. Une petite vie bourgeoise bien remplie, douce et sympathique. Famille, maison, enfants, amis... Nous étions comblés. Les soirs d'été, combien de veillées mémorables, avec des amis ou des parents, avons-nous passées devant un petit feu de camp dans ma cour arrière, loin des bruits de la ville, à régler le sort du monde. Au même moment, en début des années 1970, j’ai commencé à cultiver des framboisiers ; d’abord comme loisir, puis, j'y ai vu une source de revenus intéressante. Mon rêve de vivre de la ferme allait se concrétiser : je cultiverais des framboises. C'est ainsi que, malgré mon père, malgré ma scoliose, malgré le sévère préjugé des agronomes régionaux sur les « petites productions » quant à la rentabilité, le vieux rêve de mon enfance me parût enfin réalisable : vivre de la ferme. J'ai employé tous les loisirs que me laissait mon travail de technicien chef en médecine nucléaire, à l'Hôtel-Dieu de Sherbrooke pour faire avancer mon projet. À quarante ans, mon rêve se concrétisait. Je voyais venir la vie, simple, sans complication. J'étais heureux. Un seul petit nuage à l'horizon : malgré ses efforts, ma femme n'arrivait pas à s'intégrer complètement dans notre nouveau mode de vie. La vie à la campagne devait lui peser beaucoup. Elle passait beaucoup de temps à dormir. La maison prenait un air d'abandon. On aurait dit que tout ce qui l'intéressait était d'être ailleurs. Après quinze ans de ménage, influencée par le mouvement féministe qui secouait alors le monde, elle m'annonça que mon rêve n'était pas le sien et que je ne lui suffisais plus. Elle avait besoin d'autre chose. Ce que je lui offrais ne lui convenait plus. Je l’ai reçu comme un coup de massue dans le front. Je ne comprenais pas la détresse de ma femme. Je ne voulais pas voir que le bonheur édifié avec elle n’était en somme qu'un fragile château de cartes. Je voulais croire que nous avions tout pour être heureux. Je ne voulais surtout pas la perdre. Il fallait faire quelque chose, mais quoi ? Elle a bien rencontré un psychologue, mais ce dernier ne lui fut pas d'un grand secours. Il lui fallait autre chose. La réponse fut la Scientologie, amenée chez nous par l'intermédiaire de sa soeur Aline. * L’Église de Scientologie de Québec Aline était la soeur cadette de Thérèse. Elle était étudiante au Cégep de Québec au moment où tout a commencé. En passant dans la rue Saint-Joseph à Québec, elle a été abordée par un scientologue qui lui offrit de passer gratuitement un test de personnalité. Les scientologues appellent ce genre de recrutement du body routing, ce qui signifie: conduire des corps de la rue dans la boutique. Elle l'a suivi, et ce fut le début pour elle de son long périple dans « la science moderne de la santé mentale ». Nous étions au printemps 1979. Ma décision de changer de carrière et de réaliser mon rêve d'enfance, c'est-à-dire vivre de l'agriculture, était prise et le projet sérieusement amorcé. J'avais déjà acquis le terrain et une partie de l'équipement nécessaire, et tout le temps libre que me laissait mon emploi à l'Hôtel-Dieu était consacré aux travaux de la terre. Je poussais mon projet avec enthousiasme et détermination. Thérèse y prit intérêt et oublia momentanément ses frustrations. Tout allait bien, les choses prenaient bonne tournure. Nous formions une équipe invincible, jusqu'au soir où j’ai reçu un étrange coup de téléphone d'Aline. La petite belle-soeur voulait m'emprunter 2 000 $ afin de suivre un cours de communication. Elle ne voulait rien entendre des restrictions financières que m'imposait le développement de ma ferme. Il lui fallait à tout prix suivre ce cours. C'était, selon ses dires, une question de survie pour elle. Elle poussa même comme argument que si je ne lui prêtais pas cette somme, je serais coupable de sa perdition. Je n'en croyais pas mes oreilles. Depuis le début de mes fréquentations avec Thérèse, j'avais toujours vu Aline comme une petite fille très réservée, d'une grande timidité, ne répondant que par oui ou non quand on lui adressait la parole. Avant ce soir-là, jamais Aline ne m'avait tant parlé, et sur un tel ton d'autorité ! Ça m'étonnait. Mais ce qui m'étonnait davantage, c'était de voir avec quel acharnement elle essayait de me soutirer de l'argent. Elle savait très bien pourtant que j'avais toutes les difficultés possibles à obtenir le crédit nécessaire à l'établissement de ma ferme. À cette époque, les médias diffusaient beaucoup d'information sur les sectes qui attrapent la jeunesse et lui ruinent la vie. J'ai tout de suite compris qu'Aline s'était fait attraper par quelque chose de ce genre. Ma femme avait cette impression-là aussi. Elle voulut aller voir de ses yeux de quoi il en retournait dans cette organisation, et si possible sortir sa soeur de là. Trois jours plus tard, elle est revenue de Québec avec un livre : La Dianétique, science moderne de la santé mentale. Elle était conquise. Il n'y avait plus rien d'autre de vrai. Elle avait enfin découvert un remède à tous ses maux, la panacée universelle, et surtout, elle avait trouvé des gens compréhensifs qui lui accordaient raison de mal se sentir, et ô merveille, ils avaient toutes les solutions à ses problèmes. De 1979 à 1983, elle multiplia ses voyages à Québec. Elle prétextait aller visiter sa vieille tante Gabrielle pour s'approcher davantage de ses sauveurs. Il lui fallait me cacher ses visites à la Scientologie, puisque je m'y opposais. Et ce que je ne savais pas ne pouvait me faire de mal, croyaitelle. Je comprenais mal son besoin d'aller visiter sa tante aussi régulièrement, mais lorsqu'elle revenait, elle semblait aller tellement mieux; je me sentais heureux qu'elle ait pu enfin retrouver un certain plaisir de vivre. Au début de cette période, mon attitude envers la Scientologie était négative au plus haut point. Je refusais catégoriquement de lire le livre de base cité plus haut. Cette édition comportait une page d'entrée en matière disant que ce livre faisait partie du matériel de l'Église de Scientologie. (À remarquer que dans les éditions ultérieures, ce texte fut gommé, afin d'éviter d'effrayer inutilement les néophytes.) Cependant, Thérèse connaissait mon appétit de lecture; elle se mit à laisser traîner son livre discrètement, aux endroits où j’étais le plus susceptible d’y jeter un oeil. J'étais réfractaire à tout ce qui s'appelle religion, et la seule vue de cette page d'introduction où il était question d'Église avivait mes soupçons sur les activités de ce groupe. J’ai fini par sauter cette page et me plonger dans la lecture du livre pour m'apercevoir qu'il n'y avait rien dans le texte qui ressemblait à quelque religion que je connaissais. À partir de là, une question n'arrêtait pas de me chicoter : « Pourquoi diable appellent-ils ça une religion ? Qu'y a-t-il de religieux dans ce livre, à part la page de présentation ? » À ça, Thérèse me répondit : « Viens à Québec avec moi, ils sauront bien te répondre. » Ce fut fait, j'étais piégé par ma propre curiosité. La Framboiserie enr. Les années 1979 à 1983 ne furent pas une sinécure pour moi; je menais de front mon travail à l'hôpital et le développement de ma plantation de framboisiers. La ferme prenait des allures de prospérité et j'entrevoyais l'avenir avec optimisme. En mars 1983, je quittais mon poste à l'hôpital pour m'adonner uniquement à l'agriculture. La seule ombre au tableau était que ma femme s'enlisait de plus en plus dans la Scientologie. Depuis que les enfants avaient commencé l'école, elle s'était inscrite comme institutrice suppléante pour la Commission scolaire régionale de l'Estrie. Ce travail lui laissait tous ses étés libres. Je pouvais alors compter sur elle alors pour m'aider pendant, la récolte, à recevoir la clientèle et à diriger les employés. Mais à partir du moment où elle s'est intéressée à la Scientologie, sa nouvelle religion lui demanda de plus en plus de temps et d'argent. Poussée par la voracité de la secte, elle aurait voulu que je mette en danger la situation financière de l'entreprise pour investir dans son « perfectionnement personnel ». Ce fut le début de la division de notre couple. Les scientologues l'incitèrent à ne pas tenir compte de mes protestations et à continuer dans la voie qu'ils lui traçaient. Les séminaires dianétiques. Une des forces de la Scientologie est d'utiliser ses membres pour en recruter de nouveaux. Dès qu'une personne s'intéresse à la Scientologie, elle est automatiquement promue au grade de FSM (Field Staff Member; traduction : Membre du personnel dans le champ ou à l'extérieur). C'est en quelque sorte une organisation pyramidale qui donne au FSM une commission de 10 % sur toutes les ventes de services ou de livres de Scientologie qu'il effectue. Ainsi promue au grade de FSM, Thérèse se mit à organiser des séminaires dianétiques à Sherbrooke. J'ai longtemps refusé de participer à ces séminaires malgré son insistance pour m'y amener. Ce n'est qu'après avoir lu le livre que je me suis laissé tenter. Elle organisait ces séminaires avec l'aide d'un dénommé Darrell, lequel commençait toujours son discours par : « Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais je souis zun anglophône. » Cela dit avec un accent abominable, ce qui ne manquait pas de dérider immédiatement l'assistance. Les séminaires étaient tenus chez des amis ou des connaissances, dans des maisons privées, et regroupaient entre quatre et dix participants. Le coût était de 20 $ pour les deux jours. L’objectif déclaré était de permettre aux participants d'apprendre à appliquer la technique de thérapie décrite dans le livre La Dianétique. L’objectif réel était d'attirer de nouveaux adeptes en Scientologie. Un beau jour de l'automne 1982, sous son insistance toujours croissante, j’ai fini par céder et je me suis inscrit pour le séminaire de la prochaine fin de semaine. Il se produisait des choses incroyables pendant ces séminaIres. La technique consistait à faire fermer les yeux du sujet et le faire retourner mentalement dans son passé. Il suffisait alors de demander au sujet ce qu'il voyait et ce qu’il ressentait, puis de laisser dérouler l'événement dans sa tête comme s'il y était. On nous disait que ce n’était pas de l’hypnotisme, mais ça en avait toutes les apparences. La suggestion, ce superbe créateur de mémoire faisait le reste. Régulièrement, en séance, les gens se retrouvaient dans des vies antérieures, décrivant des choses extraordinaires. Au cours d'un même séminaire, on pouvait voir deux Marie-Antoinette se faire guillotiner et trois Jules César se faire poignarder. En réponse à qui s'en étonne, on vous dira qu'il s'agit là d'un mystère tout à fait explicable par la dianétique. Et si vous insistez, on vous montrera le texte du fondateur où il décrit comment cela est possible. Me voilà donc pendant mon premier séminaire, à me retrouver en avion, en 1932, (à remarquer que je suis né en 1941) en panne d'essence, au dessus de l'Écosse, forcé d'atterrir en catastrophe dans une contrée découpée en petits champs entourés de murets de pierre. Ce fut la mort instantanée, bien entendu. Il n'en fallait pas plus pour me convaincre de l'efficacité de la méthode et de la véracité des résultats. Je ne croyais plus aux vies antérieures : désormais, je savais. L. Ron Hubbard, Ron pour les intimes, venait enfin de m'ouvrir les yeux. Une chose est pourtant à signaler ici : par la suite, au cours des 2 000 heures de thérapie que j'ai appliquée à différentes personnes, j'ai pu observer que le client qui n'admet pas la possibilité des vies antérieures n'y retourne jamais. Ce qui me laisse croire que l'imagination, même fortement stimulée par la suggestion, ne transgresse pas les croyances profondes du sujet. L’audition de Thérèse. Impossible de la faire démordre. Elle voulait être « auditée » et ça coûtait très cher (300 $ l’heure). Je n'avais pas les moyens de lui payer ça. Alors, elle m'a offert une voie de sortie : si je devenais auditeur, elle n'aurait pas besoin d'aller se faire auditer à Québec. Ici, quelques explications s'imposent : il y a deux catégories d'audition ; (audition, chez les scientologues veut dire thérapie) l'audition Book One ou dianétique et l'audition de Scientologie. (Les adeptes appellent Book One le livre La Dianétique, science moderne de la santé mentale; c'est le premier livre sur le sujet publié par L.Ron Hubbard.) L’audition Book One s'apparente à la psychanalyse. Elle se pratique sans artifice par quiconque a lu le livre et en a compris les principes. Elle sert d'appât afin d'amener le client à l'audition de Scientologie, fruit des recherches ultérieures de Ron sur l'esprit humain. Pour ce faire, Ron a inventé un appareil qu'il a appelé E-meter, électromètre en français. C'est une sorte de détecteur de mensonges simplifié. Le client tient entre ses mains deux canettes d'étain qui servent d'électrodes; ces dernières sont connectées à l'appareil que l'auditeur manipule. L’auditeur n’a qu'à lire des listes de questions et enregistrer les réactions de l'aiguille sans même que le client n'ait à répondre. Autre différence qui a son importance, l'audition Book One coûte environ 25 $ l'heure, alors que l'audition de Scientologie revient à environ 300 $ l’heure. En principe, le but de la thérapie est de rendre le sujet « clair », c'est-à-dire lui enlever toutes ses aberrations mentales. Il faut ajouter que l'audition se paye comptant et d'avance, par tranche de douze heures trente seulement. On ne fait pas crédit en Scientologie. Revenons à l'automne 1982. J'ai donc lu le livre, j'ai participé à un séminaire de dianétique et je suis devenu auditeur Book One. Nous avons passé l'hiver 1982 - 1983, Thérèse et moi, à nous « co-auditer ». Après avoir couché les enfants, nous fermions la télé et, à tour de rôle, nous nous appliquions mutuellement la thérapie. C'était un jeu enthousiasmant et j'y prenais un réel plaisir. Au printemps, alors que mes travaux agricoles reprenaient, j'étais moins disponible pour l'audition. Aussitôt rentré du travail, j'enfilais mes jeans pour travailler aux champs jusqu'à ce que la lune ait remplacé le soleil dans le ciel. Lorsque je rentrais à la maison, j'étais totalement crevé, de sorte qu'il n'était pas question de donner ou de recevoir de la thérapie. Alors, les gens de l'Église de Québec revinrent à la charge. Ils téléphonaient à Thérèse tous les jours et à toute heure afin qu'elle aille se faire auditer par leurs experts. Ils lui ont clairement fait comprendre que jamais elle ne deviendrait claire avec un amateur comme moi. Il lui fallait absolument aller se faire auditer à Québec, par la méthode scientologique à 300 $ l'heure. Je ne saurai jamais comment elle s'y est prise pour obtenir l'argent nécessaire, parce que je ne veux pas le savoir. Cependant, les faits sont ce qui suit : la Commission scolaire requérait de moins en moins ses services et son compte en banque était dans le rouge. Ce n'est sûrement pas en vendant des séminaires dianéniques qu'elle se faisait de l'argent, puisqu'elle donnait tout ce qu'elle récoltait à son ami Darrell, afin qu'il vienne faire le travail. Je sais seulement qu'elle avait emprunté 10 000 $ à un certain M. T. et que ce dernier entendait bien se faire rembourser d'une façon ou d'une autre. Une fois, alors que je rentrais à l'improviste à la maison, je l’ai vue se préparer à sortir. Elle était maquillée à outrance et elle portait des vêtements sexy que je n’avais jamais vus. Elle semblait drôlement gênée que je la voie accoutrée de la sorte. Je lui ai demandé : — Où vas-tu, déguisée comme ça ? — Voir M. T. J'ai besoin d'argent et tu ne veux pas ni en donner. — Comment crois-tu que je puisse te donner les 10000 $ que tu lui dois ? disponible est investi dans la ferme. Tout mon crédit — Alors, laisse-moi me débrouiller comme je l'entends. Les efforts inouïs que j'ai mis à étouffer ma colère et mon indignation à la suite de ce dialogue ont porté fruit : je n'ai jamais osé la questionner à ce sujet. Pendant les mois qui suivirent, elle disait partir à Québec pour une journée, mais elle ne revenait que trois ou quatre jours plus tard. Je me morfondais à la maison, ne sachant que penser. Ma seule espérance était que ça finisse par finir. Mais il n'y avait pas de fin. J'avais beau menacer, flatter, feindre l'indifférence et quoi encore, rien à faire. Aussitôt que j'avais l'impression qu'elle revenait un peu à la réalité et qu’elle reprenait goût à la vie familiale, elle recevait un coup de téléphone de Québec pour tout remettre à l'envers. Je ne me rendais pas compte que je luttais contre une organisation très bien rodée pour attraper ses clients sans leur laisser de chance. Puis, un jour, elle est revenue « claire ». Une claire ou un clair, selon Ron, c'est quelqu'un qui est débarrassé de toutes ses aberrations mentales et qui est parvenu l'état optimal qu’un être humain puisse atteindre. Le hic était que la « clarté » de ma femme jetait une ombre mortelle sur notre vie de couple. C'en était fini du dialogue entre nous : on ne discute pas avec une claire. Seul quelqu'un de clair peut la comprendre, échanger avec elle. Joli moyen pour me forcer à « monter le Pont » dans les plus courts délais. (Monter le Pont est l'expression employée pour désigner le passage des différentes étapes de Scientologie vers la « liberté totale ». Cette étape ultime s'appelle OT VII; à partir de ce moment, l'âme peut sortir du corps à volonté et faire bouger les choses à distance. L’état de clair n'est qu'une étape dans le processus.) « Si tu aimes ta femme, Jean-Paul, t'as pas d'autre possibilité que de devenir clair toi aussi. » Je n'en avais pas les moyens. Bon ! Elle était claire. Il fallait maintenant qu'elle fasse bénéficier toute la population de Sherbrooke de ce magnifique « don » du dieu Hubbard. Juste avant qu'elle quitte l'organisation de Québec, dans son euphorie de son nouvel état d'être, on lui a fait signer l'engagement d'ouvrir un Centre dianétique à Sherbrooke. Le Centre dianétique de Sherbrooke Automne 1983, Thérèse revient de Québec et m'annonce que « nous » ouvrons un Centre dianétique à Sherbrooke et que je serai auditeur. « Ah bon! Ainsi donc, je suis désigné volontaire ! J'aurais préféré qu'on me demande mon avis, mais enfin, puisque c'est ce que tu souhaites... » Il nous fallait un local. Ma maison était située à l'extérieur de la ville. Elle ne pouvait servir à cette fin. Une aimable adepte a gracieusement offert le sous-sol de sa nouvelle demeure. Thérèse a sauté sur l'occasion, en lui promettant que le Centre n'opérerait qu'un ou deux soirs par semaine. Mais bientôt, en utilisant les canaux de publicité que j'avais développés pour vendre mes framboises, le Centre s’est mis à fonctionner sept jours sur sept, de 8 heures à 23 heures. L’aimable adepte vit donc sa maison totalement envahie. Bientôt, le sous-sol ne suffisait plus. Il y avait des gens dans toutes les pièces qui se faisaient mutuellement de la thérapie, (du coauditing, dans le jargon de la secte). La pauvre fille n'était plus chez elle. Elle était infirmière de nuit et devait dormir le jour. On ne lui en laissait pas la chance. Il est même arrivé que pendant qu'elle dormait dans son lit, des gens se co-auditaient dans sa chambre. Après deux mois de ce régime, elle ne tenait plus. Elle a fait une crise à la patronne qui s’est vue forcée de se chercher un autre local. Thérèse a donc loué coin King et 7e Avenue, un local de quatre pièces et y déménagea ses pénates. Au moment où Thérèse a signé le contrat pour ouvrir un Centre dianétique, il s'agissait légalement d'une franchise, un peu comme MacDonald en accorde aux restaurants qui utilisent son nom. Mais peu après, Ron a décidé que le mot franchise cadrait mal dans un système religieux ; ainsi, toutes les franchises devinrent des Missions de Scientologie. Le Centre dianétique est donc devenu une Mission de Scientologie et il a dû se soumettre à l'Église la plus proche, selon les règlements édictés par le fondateur. Dès lors, les Églises de Montréal et de Québec se querellaient pour venir marauder parmi les adeptes du Centre et enrôler dans leurs rangs les plus fervents. Depuis le début, j'étais « réquisitionné » comme auditeur dianétique pour le compte du Centre. Adieu mon atelier de bricolage, adieu mes hivers tranquilles à créer des meubles. Je passais du côté des sauveurs du monde et, ma foi, je réussissais assez bien. La technique dianétique n'est en fait qu'une technique de psychanalyse rudimentaire, abandonnée par Freud lui-même, mais qui peut produire des résultats assez surprenants chez les gens qui ont des problèmes psychosomatiques. Cette technique m’a fait croire que j'avais enfin trouvé le moyen d'aider réellement mes semblables. Ma formation et ma pratique d'écoute, acquise auprès des malades à l'hôpital, ont fait de moi le candidat idéal pour auditer les gens. J’ai rapidement été promu au grade du meilleur auditeur Book One de la province. J'ai même eu, à cet effet, une reconnaissance publique au cours d'une soirée de promotion de la Scientologie à Québec. Donc, à partir de là, tous mes hivers ont été consacrés à auditer à tour de bras, et ce, sans même l'espoir de recevoir de compensation. Au contraire, je devais continuellement renflouer le bateau qui risquait de couler à tout moment, sous l'administration prodigue de Thérèse, éclairée par les données de Ron. Mes revenus de ferme étaient tout juste suffisants pour assurer la vie familiale. Je compromettais sérieusement ma situation financière en agissant de la sorte. Thérèse et moi avons alors eu de violentes discussions, mais à ce jeu-là, elle me battait à tour coup. Elle finissait toujours par me faire sentir coupable de vouloir détruire sa sacro-sainte Scientologie. Bon gré mal gré, je marchais dans ce traquenard un peu comme un automate. Il faut dire qu'elle était soutenue par ses supérieurs de Montréal et de Québec, qui lui indiquaient les moyens à prendre pour me faire marcher et je marchais comme une marionnette. Il m'arrivait parfois de me demander si tous ces procédés à la Ron ne la menaient pas à une sorte de folie. L’incident qui suit pourra rendre compte des situations bizarres auxquelles il me fallait faire face. C'était un soir d'été, avant l'ouverture du Centre. Elle avait organisé un de ses séminaires. Elle m'avait promis de rentrer tôt, car nous devions fêter notre anniversaire de mariage. À minuit, elle n'était toujours pas rentrée. L’inquiétude me tenaillait. Que faisaitelle, où était-elle? Accident ? Infidélité? Quoi encore ? Afin de me distraire de mes idées moroses et peut-être trouver le sommeil dans la grande nature, j’ai mis dans la boîte du camion un matelas de camping et je me suis rendu jusqu'à l'orée du bois, au bout du champ de framboises, espérant retrouver la paix de l'âme. J’ai fini par m'assoupir, mais voilà que vers trois heures du matin, j'ai entendu un drôle de halètement dehors. C'était ma femme, en proie à une crise d'hystérie, les yeux complètement hagards, elle battait la campagne comme un zombi. Elle semblait avoir complètement perdu l'esprit. Elle répondait à mes questions par des « heu... heu... heu... » qui m’ont fait comprendre qu'elle était complètement déboussolée. Je lai ramenée à la maison, elle s’est laissée conduire docilement sans sortir de sa torpeur. Serviettes d'eau froide sur le front, paroles rassurantes, rien à faire; elle ne réagissait qu'en émettant des « heu... heu... heu... » En désespoir de cause, je lui criai de cesser de me jouer ce jeu de fou. J'étais sur le point de la conduire en psychiatrie, ce que j'aurais dû faire et que maintenant je n'hésiterais plus à faire, sachant qu'en principe, les scientologues foutent la paix aux anciens psychiatrisés. Surprise par mon cri, elle est revenue à elle et marmonna quelques excuses plates, et par la suite, reprenant ses esprits, elle a tenté de m'accuser de l'avoir rendu dans cet état. Récemment, j'ai appris que sa version des faits de cette mémorable nuit était qu'elle m'avait trouvé à l'orée du bois, le canon de mon fusil dans la bouche, prêt à me faire sauter la cervelle. Elle disait à qui voulait l'entendre qu'elle m'avait sauvé du suicide grâce à la Scientologie. Ma phobie à moi, c’était de devenir une cause de malheur. Je me sentais facilement coupable de ce qui arrivait à mon entourage. Peut-être avais-je trop fait pleurer le petit Jésus dans mon enfance... En bonne scientologue, Thérèse a appris à utiliser cette particularité pour me faire marcher. Il lui suffisait de me faire sentir que j'agissais mal pour réveiller chez moi de vieux sentiments de culpabilité et me mettre en disposition de réparer mes fautes, fictives ou réelles. Comme mes fautes prenaient des aspects beaucoup plus graves que les siennes, je me retrouvais automatiquement dans l'obligation de céder, de faire abstraction de mes propres sentiments, de mes propres visions des choses. J’étais pris dans l'engrenage. Mes frères, mon père et plusieurs autres ont tenté de m'ouvrir les yeux, mais je ne voulais rien entendre. Au contraire, je m'éloignais de ces méchants qui ne comprenaient rien à rien. Je devenais sans m'en rendre compte un autre robot au service de la Scientologie. Les enfants. À l'ouverture du Centre, en 1983, Jean-François avait 16 ans et Philippe en avait 14. Ils étaient très près l'un de l'autre et nos absences ne semblaient pas trop les déranger. Nous n'étions presque jamais à la maison. La petite n'avait que sept ans. À partir d'avril, je pouvais m'en occuper tant bien que mal, même si le travail des champs requérait la plus grande partie de mon temps. Sa mère lui manquait terriblement. À partir de la fin d'octobre, quand je reprenais mon rôle d'auditeur au Centre, elle était laissée complètement à ellemême. Elle est devenue ce qu'on appelle au Québec une « enfant à clés ». Elle développait un drôle de caractère. Ses colères inexplicables avaient quelque chose d'effrayant. À l'école, elle arrivait difficilement à se faire des amies et lorsqu'elle en avait une, elle lui en faisait voir de toutes les couleurs par ses sautes d'humeur, de sorte que l'autre ne pouvait pas la supporter très longtemps. Il couvait en elle une montagne d'agressivité traduisant un manque d'affection que je n’ai pas su reconnaître à l'époque. Elle calquait sa vie sur celle d'une mère toujours absente et je me demandais pourquoi elle voulait toujours être ailleurs. Elle voulait changer d'école, changer de classe, changer de maison, changer de n'importe quoi, mais ce qu'il aurait fallu changer, c'est le comportement parental. Autant le mien que celui de sa mère. Elle dérangeait. Il n'y avait pas de place pour elle chez nous. Il n'y en avait que pour la Scientologie et les framboises. Dommage que je n'aie pas vu ça dans le temps. À mesure que la Scientologie nous mettait le grappin dessus, Jean-François se renfrognait de plus en plus. Il était secret et très fermé. Difficile de savoir ce qu'il pensait, contrairement à son frère qui, lui, était carrément réfractaire à la Scientologie. Philippe apportait souvent des remarques négatives sur le sujet. Il avait la parole facile et ne se gênait pas pour décrier notre « maudite Scientologie ». Un jour, je tombai sur un texte de Ron qui expliquait comment « manier » les antagonistes à la Scientologie. La technique est très simple et d'une dangereuse efficacité. Elle est basée sur le fait que seuls les vrais méchants peuvent être contre la Scientologie. Et pour être un vrai méchant, il faut avoir commis dans son passé des crimes qu'on se refuse à avouer. Il s'agit alors de poser une question, toujours la même, fermement et sans broncher, jusqu'à ce que l'autre craque : « Qu'est-ce que t'as fait pour en vouloir tant que ça à la Scientologie? » Suivi de la suggestion : « Dis-le, tu vas te sentir beaucoup mieux après. » Deux possibilités : ou l'intimé déguerpit de peur d'être découvert, vous laissant ainsi la paix, ou il essaie de répondre honnêtement à votre question en avouant son crime, réel ou imaginaire. S'il avoue, votre victoire est assurée, vous venez automatiquement de faire un nouvel adepte. Ce ne fut pas long. Après quinze minutes de cette torture, à ma grande surprise, Philippe a craqué, pris d'une sorte de danse de Saint-Guy. Les yeux exorbités, il m’a crié : « Tu le sais bien, j'ai commis trois meurtres ! » Il faut savoir, ici, qu'en Scientologie, on croit dur comme fer aux vies antérieures. Ma conviction profonde était que Philippe avait bel et bien commis ces meurtres, mais dans une vie antérieure. Après cette séance, soulagé par cet aveu, il est devenu un adepte convaincu de la Scientologie. Encore une fois, la technique de Ron a marché. Dès lors, Philippe s'est appliqué religieusement à recruter de nouveaux membres parmi ses copains de collège. Plusieurs sont venus voir de quoi il en retournait. Sur le nombre, quelquesuns ont succombé et sont même devenus des disciples très dévoués qui se joignirent au personnel du Centre. Après sa « conversion », Philippe a abandonné le cégep où il était en deuxième année. Sa mère lui confia le poste de superviseur de cours dans l'académie du Centre dianétique. Peu de temps après, il fut recruté par la Sea Org et partit pour Toronto. La Sea Org, ou Organisation Maritime, est l'organisation mère de la Scientologie. Elle est organisée comme un corps de marine dont Ron est le commodore. Les membres portent des costumes de marin. La Sea Org a pour tâche de superviser les Églises, les Missions et toutes autres branches connexes de la Scientologie sur toute la planète. Son but ultime et secret est de se rendre maître de tous les gouvernements de la Terre. À l'automne 1988, Jean-François était en difficulté dans ses études d'ingénieur mécanique à l'Université de Sherbrooke. Thérèse l’a convaincu d'abandonner l'Université pour travailler avec elle au Centre dianétique, lui disant que s'il n'aimait pas cela, il aurait tout loisir de retourner à ses études. Il devint donc à son tour le superviseur de cours au Centre de dianétique, en remplacement de son frère. Il occupa ce poste jusqu'en octobre 1989, alors qu'il rejoignit à son tour les rangs de la Sea Org. * Après l'abandon de leurs études pour suivre Thérèse en Scientologie, j'estimais que mes fils devaient apporter leur contribution personnelle au budget familial. Je leur ai proposé de s'acquitter de leur pension en travaillant sur la ferme, sachant que leur salaire à la Mission était très voisin de zéro. Je ne leur demandais pas une fortune : 20 $ par semaine, qu'ils auraient pu gagner en travaillant sur la ferme. Ainsi, à 5 $ l'heure, il leur aurait suffi de quatre heures de travail par semaine pour se sentir en règle avec moi, et même gagner plus que leur pension si le coeur leur en disait. La chose semblait bien acceptée par mes fils ; c'était un arrangement qui leur permettait de s'en tirer honorablement sans pour autant nuire à la Scientologie, du moins à mes yeux. Leur mère ne voyait pas la chose sous cet angle. Pour elle, le Centre de dianétique et l'expansion de la Scientologie avaient priorité sur la bonne marche de la ferme. Elle a donc accaparé mes deux fils de telle sorte qu'ils n'avaient plus une seule heure à consacrer aux travaux agricoles. Je me suis retrouvé seul à faire vivre le centre de Dianétique et son personnel. Philippe fonctionnait assez bien dans ce système, mais Jean-François semblait pris dans un dilemme. Vint un temps où il ne fonctionnait plus. Il était surchargé par les idées contraires qui se combattaient dans son esprit. Pour le sortir de là, sa mère décida qu'il était temps qu'il se fasse auditer à Montréal, où il y avait des auditeurs fan-tas-ti-ques. Cependant, Jean-François n'avait pas d'argent et pas de revenu lui permettant de garantir un emprunt. Il lui fallait allonger 3000 $ pour commencer sa thérapie. Thérèse, en bonne maman qui voyait souffrir son fils et qui connaissait le remède, m’a fait voir que si j'aimais Jean-François, j'endosserais son emprunt sans maugréer. Mais elle me réservait une surprise : profitant de ma disposition à signer, elle a demandé à son fils d'emprunter 2000 $ de plus, somme qu'elle a utilisée pour se payer une petite croisière sur le Freewinds, le bateau de plaisance de la Scientologie. (Nous en reparlerons plus loin.) Revenons à Philippe. Il partit pour Toronto au printemps 1988. Après un an dans la Sea Org, il se mit dans la tête d'y amener sa soeur. À partir de là, il téléphonait à la maison, à frais virés bien entendu, pour asticoter Anne-Marie afin qu'elle aille le rejoindre. La petite vivait une situation intenable à son école. Pour quelque raison obscure, des filles de son groupe s'étaient mises à la harceler continuellement et lui faisaient pousser des crises de colère comme elle seule en avait le secret. Elle revenait à la maison complètement démolie. Il me fallait de une à deux heures de patient questionnement et d'écoute, pour lui faire sortir ce qui l'avait mise dans cet état. Quand Philippe s'est mis à la talonner pour qu'elle aille le rejoindre, je me suis dit qu'un peu d'éloignement du milieu qu'elle considérait hostile ne pourrait que lui faire du bien. Un jour du printemps 1989, alors qu'elle venait d'avoir ses treize ans, sa mère a été appelée à Toronto par ses supérieurs de la Sea Org pour un stage de quelques jours. Anne-Marie, voyant là une occasion en or d'aller rejoindre son frère, décida de partir avec elle. Je l'ai laissé partir, espérant que ce soit pour le mieux. Et puis, il y avait toujours possibilité de retour, croyais-je, à tort. Toutefois fois, je m'expliquais mal les réticences de sa mère à son départ. J'aurais dû avoir la puce à l'oreille ; pourquoi voulait-elle priver sa fille des bienfaits d'une chose qu'elle prêchait comme étant la seule voie de salut de l'humanité ? L’idée qu'elle ne croyait pas un mot de ce qu'elle prêchait me faisait frissonner, je la repoussais avec horreur. Peu après le départ d'Anne-Marie, j'ai su que, sans m'en parler, ma femme avait signé pour la Sea Org un an auparavant et qu'elle projetait de partir aussitôt qu'elle se serait faite remplacée au Centre dianétique de Sherbrooke. J'ai été un peu surpris, mais j'en avais vu bien d'autres venant d'elle. Ce genre de surprise était monnaie courante depuis son adhésion à la Scientologie. N'avaitelle pas procédé de cette façon en ouvrant le Centre dianétique? Thérèse et l'argent Thérèse entretenait, à l'égard de l'argent, une sorte de pensée magique qui pourrait se résumer comme suit : « Plus on en dépense, plus il en vient ». Elle appuyait son raisonnement sur les écrits de Ron, lequel se basait, disait-elle, sur les lois de la thermodynamique... Eh oui, rien de moins ! Ainsi, elle pouvait dépenser sans compter puisque, selon Ron, l'argent dépensé en attirerait beaucoup plus. À l'usage, ce système s'avérait désastreux à un point tel que le loyer du Centre était presque toujours payé en retard, le téléphone aussi ; elle fonctionnait constamment dans le rouge et, dans ces conditions, il lui était impossible de verser des salaires à ses subalternes. L’anecdote qui suit pourra rendre compte de sa façon de régler ses problèmes. À l'automne 1986, elle m’a emprunté 800 $ pour payer les deux mois de retard accumulé pour le loyer du Centre dianétique. Somme qu'elle me remettrait « tout de suite » selon ses dires, puisqu’elle attendait une grosse rentrée d'argent. Mais sa rentrée ne se produisait pas et il devint évident que jamais elle ne pourrait me rembourser. Pour lui donner une chance de ne pas perdre la face, et pour éviter de lui faire un don direct, je lui ai offert un arrangement honorable pour la récolte de framboises de 1987. Jusque-là, je lui donnais un salaire de 200 $ par semaine pour m’aider pendant la récolte. Je lui ai offert de doubler son salaire afin qu'elle puisse me rembourser. Je me proposais de lui faire son chèque de 200 $ et déduire l'autre 200 jusqu'à ce que sa dette soit effacée, mais elle réussit à me convaincre de lui payer le montant total, me disant que je pouvais lui faire confiance, qu'elle paierait à la fin de la saison. Jamais elle ne m'a remis un sou de cet emprunt. Chaque fois que je lui en ai reparlé, elle a utilisé sa petite technique ultra efficace qui consistait à me remettre dans mon tort. À contrecœur, j’ai passé l'éponge sur cet incident déplaisant. Ses promesses et ses « vérités acceptables » me laissaient de plus en plus perplexe, mais j'encaissais. À retenir ce terme : « vérité acceptable ». Toute la crédibilité de la Scientologie repose sur ces deux mots. Si la vérité est acceptable, soyez sans crainte, votre client va la gober. Question argent, voyons un peu comment j'ai longtemps financé le Centre dianétique de Sherbrooke à mon insu. Je lui donnais 150 $ par semaine pour faire l'épicerie. À mon étonnement, elle en manquait toujours. Il lui arrivait régulièrement de partir avec l'argent et de revenir à la maison sans avoir acheté de nourriture. Bien entendu, elle n'avait plus l'argent. Un beau jour, j’ai décidé de faire l'épicerie moi-même. J'ai eu la surprise de constater que j'avais acheté autant de nourriture qu'elle avec la moitié de la somme que je lui octroyais. Elle était coincée, mais elle savait se défendre. Elle me dit que la commande d'épicerie faite une fois la semaine n'était pas suffisante ; elle devait acheter une foule de choses pour compléter, et ce montant que je n'avais pas dépensé était indispensable pour la famille et tralala. Je fermai les yeux sur sa combine, mais je n'étais plus dupe. Les « redges » Thérèse éprouvait de la difficulté à conclure ses ventes; elle arrivait assez bien à soulever l'intérêt de ses clients, mais elle n'arrivait pas à les amener jusqu'à l'étape cruciale où ils doivent ouvrir leur portefeuille. Pour pallier cet inconvénient, elle avait souvent recours aux services des vendeurs de l'Église de Québec, lesquels prélevaient 10 % sur toutes leurs transactions. Ces vendeurs, ou redges comme disent les scientologues, n’avaient cure que les services soient donnés à Sherbrooke ou à Québec. D'ailleurs, ils préféraient vendre pour l'Église de Québec, puisque le Centre de Sherbrooke n'était qu'une petite Mission où on ne fournissait que des services mineurs, donc de petites commissions pour eux, alors qu'à Québec, on dispensait des services majeurs, c'est-à-dire, pour de gros sous. À Sherbrooke, une intensive d'audition dianétique de douze heures trente coûtait environ 300 $ alors qu'à Québec, l'audition scientologique revenait à plus de 3 000 $. La vie d’auditeur De 1984 à 1989, je consacrais mes hivers à auditer les clients du Centre dianétique. J'ai passé ainsi environ 2 000 heures à appliquer cette thérapie à toutes sortes de gens, à raison de deux à vingt heures par client. J'en ai vu de toutes les couleurs. Il m'est arrivé régulièrement de faire en une journée jusqu'à dix heures de thérapie. Je n'avais pas le temps de penser beaucoup à autre chose… Le temps passait et, d'une année à l'autre, dès les premiers beaux jours du printemps, je devais retourner à mes champs. Ce faisant, je déclenchais chez Thérèse des lamentations à n'en plus finir : elle était seule, jamais personne ne voulait l'aider, sa tâche était trop lourde, etc. À chaque printemps, c'était la même chanson. Elle refusait de voir que le Centre dianétique ne survivait qu'en parasitant ma ferme, La Framboiserie, et que si je n'y travaillais pas, nous crèverions de faim. J'avais beau lui souligner qu'elle avait ouvert ce Centre de son propre chef, sans même m'en parler et qu'elle devait assumer la responsabilité de son geste, il n’y avait rien a faire. Elle refusait de considérer que je lui accordais toute l'aide qu'il m'était possible et plus encore. En plus, je l'hébergeais gratuitement, je lui fournissais une auto, je préparais même ses repas, qu'elle ne mangeait presque jamais parce que toujours en retard. En retour, elle m’engageait dans son équipe d'esclaves. Si je protestais le moindrement, j'étais accusé de dénigrer la Scientologie. Je devenais la pire chose que puisse devenir un scientologue : un SP pour « Suppressive Person ». La solution aurait été de la foutre à la porte. L’idée m’en est peut-être venue, mais je l'ai aussi vite refoulée. Le divorce et même la séparation me semblaient impensables à ce moment-là. Je m'étais marié pour la vie, et je tenais à respecter mon engagement. Je ne voulais surtout pas voir que je n'étais plus avec la femme que j'avais épousée. Il y avait aussi le fait de ma conviction que grâce à la dianétique, je pouvais aider mes semblables à avoir une vie meilleure. Il me fallait aller jusqu'au bout de la bêtise avant de perdre cette illusion. Vendre la ferme. Les activités de scientologue et de producteur agricole devenaient de moins en moins conciliables. Selon Ron, il est beaucoup plus important de sauver le monde que de le nourrir. Ainsi, dès l'automne 1988, on m’a fait à comprendre que je devais vendre la ferme pour me joindre corps et âme à la Scientologie. Ce fut un cheminement progressif; en voici les circonstances. • En 1987, l'année n'avait pas été très reluisante côté production de framboises. Le gel des fleurs au printemps m'avait frustré d'environ la moitié de ma récolte et j'avais été obligé d'emprunter pour vivre. • La récolte de 1988, quoique bonne, ne m'avait pas permis de renflouer totalement la dette contractée en 1987. Mon crédit était employé au maximum, donc impossible d'emprunter davantage pour passer l'hiver. • J'ai alors appris que le poste que j'occupais à l'Hôtel-Dieu était à nouveau disponible. Je l'ai obtenu sans grande difficulté. Suite à des coupures budgétaires, le titre du poste avait dégénéré de cadre intermédiaire à celui de chef d'équipe. Cela ne me dérangeait pas tellement. Ce qu'il me fallait, c'était du travail et j’en avais. • Cependant, après mon entrée en fonction, j’ai appris que je marchais sur les pieds de quelqu'un. La situation est donc devenue très difficile pour moi ; les intrigues se multipliaient. La vie au travail devenait impossible. J’ai senti que pour la paix de l'âme, il valait mieux que je démissionne. • Au moment où je reprenais du service à l'Hôtel-Dieu, en septembre 1988, je devais mener de front mon travail et celui de la ferme. Et à l'automne, dans une framboisière, seuls les producteurs de framboises savent qu'il y a un travail de titan à effectuer. Il faut tailler les plants au sécateur; enlever toutes les tiges qui ont porté fruits au cours de l'été et sélectionner les nouvelles tiges pour la prochaine saison. C'est un travail très exigeant physiquement. Normalement, il me fallait deux mois pour effectuer la taille de toute la plantation et deux semaines d'entraînement avant de pouvoir faire le travail sans ressentir, le soir venu, les pires courbatures. C'est après une de ces lourdes journées de travail que j’ai fait la rencontre de Lewis Schwartz, un super-redge venant de Floride, recruteur professionnel pour la Sea Org, j'étais mur pour un changement radical. Lewis découvrit rapidement la « vérité acceptable » qui me ferait marcher et il me la servit à toutes les sauces: « T'es trop vieux pour ce genre de travail, Jean-Paul, viens avec nous, tu seras bien mieux. Le travail d'auditeur te convient beaucoup mieux que le travail de la terre. De plus, dans la Sea Org, nous te ferons poursuivre tes études jusqu'à ce que tu sois promu parmi les auditeurs les plus qualifiés. » Lewis m’a fait raconter mes déboires et il m’a écouté religieusement afin de recueillir les points sensibles de mon vécu qui pourraient lui servir à mieux me convaincre. La séance a duré à peine une demi-heure ; Lewis était un spécialiste d'une efficacité redoutable. Quand j'ai eu fini de lui raconter mes misères, il m’a dit tout simplement : « Tu vois bien que tu coures à la catastrophe, à la banqueroute, ta seule planche de salut est de te débarrasser de ta ferme. Viens avec nous, nous allons faire de toi le meilleur thérapeute au monde. » Parodiant un argument du Christ lui-même pour convaincre saint Pierre de le suivre, il ajouta : « Nous allons faire de toi un cultivateur d'âmes ; tu cultiveras des âmes. » Lewis me fit admettre que ma seule voie était de tout plaquer pour me joindre à eux, et que le plus tôt serait le mieux. J'étais dans l'entonnoir et j'avais la nette impression que je n'y échapperais pas, mais je résistais encore. Au printemps 1989, voyant ma famille se désintégrer et mon poste à l'hôpital férocement contesté, mon moral était au plus bas. J'étais complètement déstabilisé. Il ne me restait plus qu'à me laisser guider par les bonzes de la Scientologie. Alors, j'ai signé mon engagement pour la Sea Org avec la promesse que je serais aux études pour deux années complètes, toutes dépenses payées, nourri, logé et habillé, avec une allocation de dépenses qui devait être de 90 $ par semaine. C'était des promesses et rien de plus. Le CCRD (Clear Certainty Round Down : parcours de la certitude d'état de clair) Entre-temps, pendant l'hiver 1988-1989, poussé par les redges, je m'étais payé quelques séances d'audition à l'Église deScientologie de Québec, dans l'espoir de retrouver un peu mon équilibre. Je sortais de ces séances plus abattu qu'avant et mon argent se volatilisait à une vitesse effroyable. J'étais écoeuré d'avoir payé si cher pour me faire duper de la sorte, mais je ne voulais pas me l'avouer. Quand on paie une petite fortune, on n'aime pas dire qu'on s'est fait avoir. L’orgueil est un levier puissant et les scientologues savent très bien l’utiliser. Aujourd'hui, je sais que j'aurais dû quitter sans discussion. Je me serais évité bien des problèmes. Mais dans le temps, ce n'était pas si simple ; d'abord, je croyais en Ron, ensuite, les vendeurs de miracles ne cessaient pas de me talonner pour que je donne plus et encore plus, pour mon bien, bien sûr. Je sentais bien qu'il me fallait sortir de ce cercle infernal, mais comment ? Je ne pouvais pas le faire en cassant tout, j'avais amené pas mal de monde dans le bateau, et refuser de marcher aurait été avouer, ne serait-ce qu'à moi-même, que j'avais dupé ces gens. Il me fallait trouver un écrit de Ron qui me mette hors circuit pour l'audition de mon cas. Je suis alors tombé sur un texte de Ron qui dit qu'on ne doit pas auditer quiconque se déclare clair. « Voilà ma porte de sortie », me suis-je dit. Et je me suis déclaré clair dans l'espoir qu'on me laisse la paix, du moins pour un certain temps. Donc, au sortir d'une séance, en passant chez l'examinateur, le gars qui vérifie les réactions des clients avec un électromètre (détecteur de mensonge) pour dépister les réactions défavorables, j’ai dit : « Je suis clair. » La réaction de l'examinateur à ma déclaration fut aussi stupéfiante que déconcertante. J'avais pensé qu'il serait heureux de découvrir un nouveau clair, étape cruciale sur le « Pont » vers la liberté totale, terre promise de la Scientologie, mais non. Il affichait la réaction d'un gars qui vient de prendre une douche froide et impromptue. Je venais de me placer à un niveau où il ne pouvait plus me presser le citron, ce. qui devait être très déplaisant pour lui. Il venait de perdre un pigeon à plumer. Cependant, son désarroi n’a pas été long à se dissiper. Ces gens-là ont plus d'un tour dans leur sac. On croit s'en être débarrassé, mais ils savent rattraper leur client au détour. J'ai alors appris qu'être clair ne simplifiait en rien mon cas ; je devais aller faire attester mon nouvel état par un procédé qui s'appelait le CCRD (Clear Certainity Round Down; en français : le parcours de la certitude d'être clair). Le redge me fit voir une nouvelle loi « post mortem » de Ron stipulant que désormais, ce service serait délivré seulement par une Église avancée. Je devais donc me rendre soit en Floride, à Los Angeles ou en Angleterre. Ron était mort depuis trois ans, mais il continuait néanmoins à promulguer de nouvelles lois Dans ma tête, il n'était pas question que je me rende à l'un ou l'autre de ces endroits. C'était impensable. L’audition dans ces endroits coûtait 1000 $ l’heure et il fallait acheter un minimum de six heures, payable d'avance. Ce montant n'incluait pas les frais de transport et de séjour. Je n'en avais pas les moyens. Ma femme, elle, avait un tout autre point de vue sur l'affaire. Premièrement, en tant que FSM, elle touchait 10 % des sommes que je déboursais pour mes auditions, et comme elle était un gouffre à argent, elle ne se gênait pas pour prendre tout ce qui passait, même au détriment de ses proches. Elle savait que mon emploi à l'Hôtel-Dieu me permettait de renflouer tranquillement la marge de crédit de ma ferme, et que de ce fait, je disposais d'une certaine marge de manoeuvre. « De toute façon, disait-elle, tu vas vendre la ferme et tu pourras rembourser à même le capital ». Aidée de ses collègues, elle finit par me faire accepter l'idée. « Après tout, me disaient-ils, l'argent n'est que de l'argent; ce qui compte, c'est que tu ne restes pas dans l'incertitude sur ton état de clair. L’incertitude est le pire ennemi du scientologue. » Sous la pression, j'ai bêtement cédé. Elle tenait à venir avec moi, et en rétrospective, je crois que c'était seulement pour profiter du voyage, puisque là-bas, nous ne nous sommes pratiquement pas vus. J'ai donc acheté les billets d'avion et, en mars 1989, je partais pour Los Angeles, après avoir obtenu un congé sans solde à l'hôpital. Mon audition à Los Angeles. Ça n’a pas été une mince affaire. Sous les judicieux conseils de Thérèse, je leur avais fait parvenir mon dossier deux semaines à l'avance, par courrier spécial, afin qu'ils puissent l'étudier et que tout soit prêt pour me recevoir et procéder à l'audition dès mon arrivée. Mais, ô surprise, quand je me suis présenté, on l'avait égaré. Il leur a fallu trois jours pour le retrouver et encore, a-t-il fallu que j'y mette la main. Je fulminais. La responsable des dossiers, une grosse fille plus large que haute et qui semblait avoir l'esprit aussi lourd que son corps, me répondait invariablement, dans un slang auquel j’ai fini par m'habituer : « Na, can't see your folder, sit down n' wait ». J’ai donc passé donc deux jours complets à patienter dans la salle d'attente tout en allant voir aux quinze minutes si l'on avait retrouvé mon foIder. Rien. La troisième journée, j'étais bien déterminé à ne pas la laisser passer sans en avoir le coeur net. Je me suis posté dans la porte des archives, bien résolu à ne lever le siège que lorsque j'aurais satisfaction. La préposée aux dossiers était là, avachie sur sa chaise, et elle répétait automatiquement les mêmes paroles sans même regarder les dossiers empilés contre le mur de fond, à croire qu'elle n'avait rien appris d'autre, « Can't see your folder, sit' n wait ». Je sentais ma patience au point de rupture. Le comportement de cette grosse fille m’exaspérait de plus en plus. De la porte, que je n'avais pas le droit de franchir, je me mis à scruter du regard les noms écrits en grosses lettres rouges sur le dos des dossiers empilés le long du mur qui me faisait face. Après un quart d'heure de cet exercice, je finis par lire mon nom sur un dossier dans la pile. J’ai alors sorti mon anglais et j’ai dit à la préposée, après avoir réussi à attirer son attention : — Écoute, mon dossier, c'est le cinquième du bas de la douzième rangée. Elle leva ses yeux de chien battu vers moi et ne bougea pas. — Écoute : je ne passerai pas l'année à attendre ici. Mon dossier est le cinquième du bas de la douzième rangée. Vas le chercher —... — Écoute, m'entends-tu? — Yeah... — Bon, tu te lèves et tu comptes les rangées. Tu t'arrêtes à la douzième et tu baisses les yeux jusqu'au cinquième dossier. C'est le mien, tu saisis ? — Can't, sit down n’ wait... J'étais sur le point de piquer une colère bleue et je l'aurais fait si quelqu'un d'un peu moins bouché n'était pas entré dans la pièce. Après de longues explications, ce préposé a fini par comprendre ce que je lui demandais. Deux jours plus tard, c’était le début de mon audition. Le thérapeute me faisait fixer un point sur le mur, marcher jusqu'à ce point, toucher ce point et revenir au point de départ. Cet exercice ridicule dura pendant plus de deux heures. À 1000 $ l'heure, ça fait un peu cher, mais s'il fallait ça pour certifier mon état de clair, j'étais prêt à jouer le jeu. Les journées s'écoulaient toujours de la même façon. Il fallait être dans la salle d'attente à 8 heures du matin, au cas où l'auditeur me ferait demander. Bien souvent, mon tour n'arrivait qu'à quatre heures de l'après-midi. Tout ce temps à attendre la bonne volonté des auditeurs... Je n'étais pas seul, dans la salle d'attente, plusieurs personnes attendaient comme moi. Nous passions le temps à jouer aux échecs ou tout simplement à bavarder. Il fallait démontrer de la bonne humeur; c'était de rigueur. Sinon, mauvaise note au dossier. Après que mon audition fut engagée, quelqu'un a décidé de me presser le citron d'avantage, c'est-à-dire, m'extorquer une autre somme. Ma résistance étant affaiblie, j’ai signé un autre chèque de 4 000 $, indispensable semblait-il, pour compléter mon audition, même si le six mille que j'avais déjà payé n'était qu'à peine entamé. Cette somme a été une perte totale pour moi; je n'en ai pas eu besoin pour être audité. On verra plus loin comment j'en ai été délesté. À ce rythme, les jours passaient et approchait la date de mon retour sans pour autant que je n'entrevoie la fin de mon audition. J'étais bien déterminé à prendre l'avion au jour inscrit sur mon billet, mais j'en ai été dissuadé par des experts qui ont fini par me faire comprendre que ça ne se faisait pas. Je serais obligé de revenir et bla, bla, bla. Thérèse a donc repris l'avion du retour seule et moi je suis resté pour terminer mon CCRD. Ça n’a pas été long. Deux jours plus tard, on m'annonçait qu'il y avait un petit quelque chose qui laissait croire que je n'étais pas clair. Je dis que j'étais bien content, parce que si être clair c'était ce que je ressentais, c'était de la foutaise... Il ne me restait qu'à ramasser mes bagages et à rentrer au pays. Mon billet d'avion était périmé. Qu'à cela ne tienne, une bonne âme de la Scientologie s'est occupée de le faire revalider. Il lui a suffi de raconter avec autorité une « vérité acceptable » à la compagnie d'aviation pour que je puisse embarquer sans trop de problèmes. Cette vérité était qu'il était mon médecin; j'avais été malade et maintenant j'allais mieux, mais il me fallait retourner chez moi rapidement parce qu'il y avait risque de rechute. Il m’a même fourni un certificat médical pour le prouver. Juste avant de partir il restait environ 4 500 $ de mon argent qui n'avait pas été utilisé en audition ; 500 $ inutilisé de ce que j'avais payé avant de partir, plus les 4 000 $ qu'on venait de m'extorquer en me disant que je risquais de voir mon audition interrompue en pleine séance si je ne déboursais pas. Inutile de croire que je puisse récupérer cette somme. Tous ceux qui ont été en Scientologie et qui ont tenté de récupérer des sommes non utilisées pour leur thérapie savent bien que s'ils essaient, ils sont immédiatement accusés de persécuteur de la Scientologie et ils risquent l'expulsion de la secte, avec la mention S.P. à leur dossier. Je suis alors devenu la cible des hyènes qui ne voulaient pas me laisser partir avec un festin semblable leur passant sous le nez. On m’a fait acheter un électromètre et quelques babioles qui, en principe, couvraient ce montant. L’électromètre devait m'être expédié par la poste afin d'éviter les droits de douanes, m’avait-on dit, je l'ai reçu six mois plus tard. Il avait été brisé dans le transport. Je l'ai retourné à l'envoyeur et je ne l'ai jamais revu. Tout ce qui me reste de cet épisode, ce sont quelques cassettes contenant les élucubrations de Ron Hubbard, dans un slang à vous casser les oreilles, rien de plus. Je me suis tiré de cette petite escapade pour la modique somme de 12 000 $, puisant à même la marge de crédit de ma ferme que mon emploi à l'hôpital avait permis de renflouer. À mes yeux, c’est une des plus belles escroqueries qui m’ont été faites. À mon retour, c'était la fin de mars, je suis débarqué à Montréal en pleine tempête de neige, pas très fier de moi. J'étais démoralisé car je venais de me délester d'une somme considérable en frais d'audition, de transport et de séjour pour absolument rien. Pendant tout le temps passé à Los Angeles, je n'ai même pas eu l'opportunité d'aller jeter un oeil sur le Pacifique. L’organisation de Los Angeles devait retourner mon dossier à Québec, mais encore une fois, ils l'ont égaré. — Ils ont perdu mon dossier pour la deuxième fois en 15 jours ! — Ma foi en leur efficacité maximale de scientologue, déjà passablement ébranlée, en prenait un autre coup sérieux. D'un autre côté ça m’arrangeait, puisqu'il n'était pas question de me remettre à l'audition pour poursuivre ma quête de l'état de clair sans mon dossier. J'étais donc, temporairement à l'abri des vendeurs de la secte. J’ai donc repris mon emploi à l'Hôtel-Dieu, le jour, et mon rôle d'auditeur dianétique, le soir. Les journées passaient sans que je ne les voie. Je ne suis pas retourné aux champs, ce printemps-là. J'avais une promesse d'achat de signée pour la ferme et l'acheteur acceptait de faire les travaux avant de prendre possession de l'entreprise. Je ne voyais ni les membres de ma famille, mes frères, mes sœurs et mon père, ni mes amis. J'avais fait le vide autour de moi. Ou plutôt, la Scientologie avait fait le vide autour de moi. Anne-Marie était partie pour rejoindre Philippe à Toronto; la maison était très vide. En début de juin, ce fut le tour de Thérèse de partir pour Toronto. À la maison, il ne restait que Jean-François et moi. Vider la maison Vint le jour où j’ai dû vider la maison ; l'acheteur en prenait possession le lendemain. Faire la narration de cet épisode m'est particulièrement pénible, puisqu'il s'agit d'un point culminant, un point de non retour comme on n'en rencontre qu'à une ou deux occasions dans une vie, sinon jamais. C'était un soir d'été. Un soir où il aurait fait bon de prendre tranquillement une bière avec des amis, devant un petit feu de camp dans ma cour, comme il m'arrivait souvent de le faire avant l'arrivée de la Scientologie dans ma vie. Il y a eu un feu ce soir-là dans ma cour, mais un feu d'une nature très différente. C'est mon passé qui brûlait, entassé par moi et des amis, venus m'aider à réduire en cendres tout ce qui avait été ma vie. Il fallait débarrasser les lieux et ça pressait. Pas question de faire du sentiment. Nous avons fait un tas de tout ce qui pouvait brûler. Je fonctionnais comme un zombi, sans avoir l'impression d'agir moi-même, mais comme mû par une sorte de volonté extérieure à moi. L’impression la plus forte qui m'en est restée, et que je ressentais alors à son paroxysme, était une impression de mort. J'avais l'impression que j'étais mort et que tout ce qui se passait autour de moi n'avait plus aucune importance. Le souvenir est flou dans ma mémoire, c'est comme un nuage. Je me souviens d'avoir eu l'impression que je participais moi-même à réduire à zéro toutes les traces de mon passé. Je voyais les gens se partager mes biens, ceux qu'ils jugeaient utiles pour eux, et empiler sur le feu tout ce qui leur semblait inutile. C'est comme ça que s'accumulèrent sur le tas à brûler, toutes sortes de choses, y compris mes patins, mon habit de noce et une foule de vieux souvenirs et j'y ai mis le feu. C'est incroyable tout ce qu'on peut ramasser au cours d'une vie; le tas devait avoir près de trois mètres de haut quand je l'ai allumé. Je regardais brûler le tout sans trop y croire, en me disant: « C'est exactement comme si j’étais mort. » Les autres choses, les meubles et les électroménagers, qui ne pouvaient pas brûler ou qui semblaient avoir encore un peu de valeur ont été entassées sur la pelouse, près de la route, devant la maison. Le lendemain, les passants arrêtaient, croyant avoir affaire à une « vente de garage ». Là, j’ai été un peu surpris, de voir que les gens s'intéressaient à mes vieilleries. Certains voulaient acheter la télé, d'autres, l'électrophone, d'autres, la machine à laver, etc. Une bonne partie de mon stock a disparu de cette façon. On a chargé le reste dans mon camion pour l’apporter au dépotoir. De l'autre côté de la maison, dans la cour arrière, il ne restait qu'un tas de cendres fumantes de tout ce qui avait brûlé la veille. Restaient aussi mes outils dans le garage, outils qui m'avaient permis d'espérer faire de mes temps libres des merveilles qui m'auraient assurées un revenu supplémentaire à la production de framboises, mais ce rêve avait été étouffé dès le départ par mon enrôlement comme auditeur dianétique. Tout ça avait perdu sa valeur pour moi. Plus rien ne me retenait; je me voyais comme une sorte d'âme sans corps qui dorénavant n'aurait plus jamais besoin de s'entourer d'autant de matériel. J'étais mort... Mort à la vie, à la réalité, j'allais sauver le monde et je n'allais pas ID embarrasser de quelque bien matériel. J'étais au-dessus de ça et rien ne pouvait m’atteindre. Je n'existais plus ; Jean-Paul Dubreuil n'était plus de ce monde, mais une sorte d'élu ayant tout sacrifié pour suivre le dieu Ron. La maison vidée, j'ai dû me louer une chambre en ville ; je devais attendre deux semaines avant de partir pour Toronto, afin de conclure le contrat de vente de ma ferme. Jean-François trouva à se loger chez un membre du personnel du Centre, lequel, soit dit en passant, a perdu sa maison quelque temps après, faute de faire les paiements. Il s'agissait d'un jeune couple avec trois enfants. L’automne précédent, Thérèse les avait enrôlés dans son équipe en leur promettant mer et monde. Sous le charme de la « vérité acceptable », le mari a quitté son emploi pour se joindre à l'équipe du Centre. Pour eux comme pour tant d'autres, ce fut le début de la chute. Mon départ de Sherbrooke En Scientologie, quand vous quittez votre poste, vous devez vous faire remplacer par quelqu'un qui a atteint votre niveau de compétence. Ron est formel là-dessus. J'étais l'auditeur numéro un du centre. Personne ne pouvait me remplacer à pied levé, et il m'aurait fallu pas moins d'un an pour former un thérapeute de ma compétence, en supposant que je découvre un volontaire pour le faire. Je voulais rejoindre les miens à Toronto et, dans ma tête, le plus vite serait le mieux. Afin de me libérer, je fis un marché avec Pierre Lacroix, le nouveau chef de la Mission de Sherbrooke, digne successeur de Thérèse. Ne pas confondre avec le célèbre Pierre Lacroix, prêcheur à la télévision. J'avais appris, de la bouche du propriétaire de l'édifice, que Thérèse avait accumulé un retard de paiement de 7 500 $ sur le loyer du Centre. Pierre était coincé avec cette dette. Je lui ai offert de lui prêter l'argent sans intérêt et sans date fixe de remise. En d'autres termes, c'était une offre qu'il ne pouvait pas refuser. J'achetais ma liberté. Après avoir fait vivre ce Centre, je me sentais forcé de payer pour ni en débarrasser. Cet argent, jamais je n'en ai revu l'ombre d'un sou. De plus, le billet que Pierre m'avait signé a comme mystérieusement disparu de mes papiers à Toronto. Par contre, il me reste une lettre de Pierre; le lecteur pourra la consulter sous la rubrique courrier, à la fin de ce livre. PARTIE II : DE TORONTO AU SAGUENAY La vie impossible de « sauveur du monde » Toronto Aussitôt arrivé à l’édifice de Scientologie, rue Yonge à Toronto, on m’a mis au travail. J'étais une nouvelle recrue. Donc, je devais faire le noviciat lequel se fait à la dure. C'est une sorte d'initiation au monde merveilleux de la Sea Org. Laver la vaisselle, laver les parquets, les toilettes, charrier la nourriture dans le métro pour les 70 membres de l'organisation, en plus de trois heures d'études par jour, sept jours sur sept. Lever à 7 h, coucher à 23 h 30. Entre les deux, pas une seconde de répit, sauf le dimanche soir, où l'on vous permet de retourner à votre chambre, à 20 h, afin que vous fassiez votre ménage et votre lessive. Ron a tout écrit; même comment laver les parquets ou la vaisselle. Tu ne dois pas faire ce travail sans savoir exactement comment le maître veut que ce soit fait. Si Ron a écrit quelque part que tu dois laver les parquets de telle manière, tu dois savoir où et quand il l'a écrit, en plus de savoir comment il dit de le faire. Tu dois être prêt à répondre instantanément de ta façon de procéder à ton supérieur immédiat et si tu déroges aux écrits de Ron, on te renvoie étudier le texte en question. Il en va de même pour le lavage de la vaisselle ou quelques autres balivernes de la vie courante. Le mot d’ordre est: « Si Ron ne l'a pas écrit, ce n'est pas vraI. » Plus tard, cet enseignement sera mis à profit, quand il s'agira de procéder dans des niveaux administratifs. Si tu peux devenir un bon robot à laver les parquets, tu en deviendras sûrement un excellent en administration. Plus le temps passe, plus le nouveau membre est robotisé, programmé, aveugle de ses propres préoccupations. Elles n'existent pas, puisqu'elles ne sont pas écrites par Ron. Il devient alors de plus en plus difficile de penser par soi-même. L’adepte se trouve bientôt, sans s'en rendre compte, captif dans sa propre tête. La vie à l'extérieur de la secte lui semble impossible. Il en arrive même à se demander comment il a pu vivre à l'extérieur aussi longtemps. Et ici, le nouveau membre, c'était moi ! Le pseudo paradis auquel je venais d'accéder me donnait des idées de fuite, et mes supérieurs savaient que de telles idées pouvaient me hanter. Au moindre signe de défaillance, on me remettait sur le système correctif qui consistait à confesser mes crimes par écrit, en cinq exemplaires, que je devais remettre à l'officier d'éthique. On appelait ça : écrire ses « overts » (lire crimes). Nourrir des pensées antiscientologiques était le crime le plus abominable de tous : c'était mettre en doute la meilleure Église du monde, la seule qui puisse assurer le paradis sur Terre, selon Ron. Je passai à travers le noviciat en six semaines. Malgré le travail à la dure que j'y ai rencontré, ce fut mon meilleur temps dans la Sea Org. Le travail physique ne m'a jamais fait peur et je peux dire que, là comme ailleurs, ça s'est avéré vrai. Il fallait améliorer mes performances au travail, et compiler sur papier graphique les résultats de chaque jour. De ce côté, tout allait très bien pour moi, mes statistiques montaient. Et pourtant, les imbécillités qu'on m'y faisait faire méritent bien d'être rapportées ici, ne serait-ce que pour amuser le lecteur. D'abord, une petite description de la façon de vivre des membres de la Sea Org s'impose. L’édifice où nous travaillions était situé au centre ville de Toronto, rue Yonge. Pour loger le personnel, l'organisation avait loué trois maisons dans les quartiers résidentiels de la ville. Dans un quartier chic, il y avait la maison des gros bonnets. Dans un autre, un peu moins huppé, il y avait la maison de ceux qui ont des enfants. Puis il y avait une troisième maison pour loger le crew, l'équipage en français ; n'oublions pas que nous fonctionnions comme dans la marine, même si on vivait sur terre. J'habitais dans la troisième maison, avec Thérèse, AnneMarie et les membres célibataires du personnel. Philippe y était aussi au début, mais il a vite monté en grade et il est passé dans la maison des gros bonnets. Il y avait une demi-heure de métro pour se rendre à la maison. Nous étions plus de 20 à habiter là. Ça faisait beaucoup de monde pour une seule salle de bain. Il fallait se lever tôt pour pouvoir prendre une douche et les traînards au lit ne se lavaient pas souvent. Il s'agissait, bien entendu, d'une maison-dortoir, car aussitôt rentrés du travail, nous tombions littéralement de sommeil. Il n'y avait pas de cuisine dans l'édifice du centre-ville. Cependant, en conformité à une règle de Ron, nous devions prendre nos repas en commun dans cet édifice. Il fallait donc transporter la nourriture à partir de la maison où logeaient les familles. C'était la seule qui avait une cuisine fonctionnelle. Cette maison se situait à quinze minutes de métro et 5 minutes d'autobus du CLO (Continental Liaison Organisation: c'était le nom donné à la division de la Sea Org chargée de routes les Églises et les Missions de Scientologie du Canada). Les gens du noviciat avaient le devoir de transporter cette nourriture chaude dans les autobus et dans le métro, dans un petit chariot à deux roues comme en ont les vieilles dames qui vont au supermarché en autobus. Le poids de ce chargement pouvait atteindre 70 kg. Est-il nécessaire de dire que pour moi, dont le poids n'a jamais excédé 57 kg, transporter ce fardeau dans les escaliers et traîner le tout à la vitesse maximale, aux limites de mes forces, tout ça me laissait croire que si ce n’était pas pour m'éprouver, j'aurais vite pensé qu’on voulait me faire crever. Dans la rue, les gens qui me voyaient venir avec mes chaudrons dans mon petit chariot me traitaient de bum, et tout ce que je trouvais à dire, c'était : « Merci d'avoir remarqué. » Il m'est arrivé, une fois, de trébucher avec une pleine marmite de 25 litres de soupe dans l'escalier du métro. Je ne sais trop comment j'ai fait, mais j'ai réussi à ne pas répandre une seule goutte de soupe sur le sol. Dieu seul sait, par contre, les bleus que j'ai récoltés un peu partout sur le corps. Pendant le noviciat, nous avions trois heures de cours par jour; de 15 h à 18 h. Une demiheure avant de passer en salle de cours, nous devions nous préparer, selon les règles de Ron : toilette, douche, détente. Il n'y avait pas de douche, je prenais donc ce temps en détente. Cependant, cela ne plaisait pas à ma supérieure, Lisette Parent, la pire microcéphale que j'ai connue là-bas. Plus tard, ses qualités indispensables l'ont propulsée au poste de justice chief. Elle venait me chercher toise parce que je m'assoyais dans un coin tranquille, pour siroter un café et griller une cigarette bien méritée, avant de passer en salle de classe. — T'as pas le droit de flâner comme ça, Jean-Paul. — Je ne flâne pas, je prends le repos prescrit dans les directives de Ron. — Ron a écrit que tu dois prendre une douche et te préparer pour ton cours. — Il n'y a pas de douche ici, ce serait difficile. — En tout cas, t'as pas le droit de flâner ! — Je ne flâne pas. Regarde mes statistiques; elles augmentent chaque jour; t'as pas un mot à dire. — Je vais faire un rapport contre toi, tu vas marcher comme je te dis ! — Très bien, fais-le. Mais avant, ri oublie pas de faire installer des douches. Inutile de dire que je n'ai jamais vu l'ombre d'un de ses rapports... ni de salle de douches. Le bureau des affaires spéciales C'est aussi au cours de mon noviciat que j’ai découvert que le monde sans serrure, sans crime et sans peur d'être volé ou attaqué, promis par Ron à ceux qui suivent ses enseignements, ce n'est pas dans les locaux de son Église qu'on le trouve. Tout y est sous clé et en particulier le Bureau des affaires spéciales qui a pour sigle OSA, pour Organisation of Special Affairs. Ce bureau occupait un étage complet de l'édifice de la rue Yonge. Il était maintenu sous verrou en permanence. Personne ne pouvait y mettre les pieds sans y être accompagné d'un membre dûment mandaté de son personnel. La première fois que j'y suis entré, c'était grâce à mes talents de bricoleur. On m'avait demandé de réparer une déchiqueteuse à papier. Il va sans dire qu’on m’a étroitement surveillé tout le temps qu’a duré la réparation. Pourquoi tant de secret dans ce bureau ? J'ai su par la suite que près du quart de tout le personnel de Toronto était affecté à cette division, dont le but est la défense de la Scientologie. Ils passent au peigne fin tout ce qui se publie de journaux à la grandeur du Canada afin de dépister tout article qui pourrait parler contre la Scientologie. S'ils trouvent quelque chose de suspect, ils dépêchent immédiatement quelqu'un sur place pour faire taire le méchant qui ose s'attaquer à leur dignité. De tous les scientologues que j'ai connus, les gens de ce bureau sont de loin les plus paranoïaques. Ils crient à la persécution pour moins que rien, ils mettent tout le personnel en alerte en commandant des vérifications de sécurité à tout moment, et ça dérange tout le monde. Les vérifications de sécurité En principe, à tout moment, quelque ennemi de la Scientologie peut infiltrer les rangs. Ron a donc mis au point un système de vérification, au moyen de l'électromètre, permettant de dépister de façon efficace de tels intrus. À un signal donné par je ne sais quel haut gradé, tout le personnel doit abandonner immédiatement ses activités pour passer le security check. Heureusement, ce n'est pas très long comme procédé. Le procédé se déroule comme suit : le sujet tient entre ses mains les boites d'un électromètre que l'opérateur manipule ; ce dernier lui adresse des questions comme : — N'as-tu jamais entretenu des pensées inamicales contre Ron ou la Scientologie ? — As-tu déjà pensé à quitter la Scientologie ? — Es-tu en contact avec quelqu'un qui est contre la Scientologie ? Le sujet n'a pas à répondre; la réaction de l'aiguille de l'électromètre le fait à sa place. Ceux qui n'ont rien à se reprocher y vont sans crainte, mais ceux qui refusent de passer le test sont immédiatement dirigés en éthique pour avouer leurs fautes. La salmonellose Au début de mon noviciat, j’ai vu arriver un bonhomme assez spécial. Il avait pour nom de famille le même que je porte comme prénom : Jean-Paul. C'était un Haïtien qui avait été enrôlé dans la Sea Org trois jours après son arrivée au Canada. Il n'a pas fait vieux os dans l'organisation. Il a disparu avec Louise, la cuisinière, en catimini, emportant avec lui tout le stock d'uniforme et d'habillement qui lui avait été fourni par la Sea Org. Quel infâme !! Peu de temps après, tout le personnel de l'organisation fut victime d’une intoxication alimentaire due à la bactérie connue sous le nom de salmonelle. Selon la Direction, il s'agissait là d'une traîtrise de quelque ennemi de la Scientologie et, à mots couverts, circulait la rumeur que ce pouvait bien être l'oeuvre du Haïtien et de la cuisinière. La maladie avait commencé à terrasser les membres de la Sea Org à la fête de Ron. Cette fête ne fut pas du gâteau pour moi. J'avais été nommé volontaire pour transporter la nourriture pour toute la bande sur une des îles du lac Ontario, juste en face de Toronto, lieu où devait se dérouler la fête. En plus, je devais assurer le transport des enfants des membres. Mon camion avait été réquisitionné par l'organisation avec promesse de dédommagement qui ne vint jamais. Il y avait là de la nourriture pour tenir un siège d'au moins deux semaines. Si les membres n'avaient pas été malades de salmonellose, ils l'auraient été de toute façon pour avoir trop mangé, victimes du syndrome du crève faim devant une table bien garnie, puisque jamais de toute l'année, ils n'avaient à leur disposition autant de vivres en même temps. J'ai donc dû ramener une grande partie de ces victuailles dans mon camion, avec en plus la douzaine d'enfants des membres de la Sea Org. Fatigué et malade, je devais faire tous les efforts pour ne pas perdre patience. Le lendemain, la maladie prenait l'allure d'une épidémie. À part les trois ou quatre gros bonnets qui n'avaient pas mangé au mess le jour précédant la fête de Ron, tous ont été atteints, du plus bas au plus haut gradé. En haute instance, on décida de réunir tous les malades dans la maison où se trouvait la cuisine. On entassa les malades dans les chambres de l’étage. J’ai provisoirement été promu au poste d'ambulancier. Je devais ramasser les malades et les conduire à l'hôpital de fortune. Il m’a fallu déployer toute l'énergie qu'il me restait pour convaincre les hauts gradés d'embarquer dans la caisse de mon camion. Ils se jugeaient trop digne pour un tel moyen de transport. Heureusement, je commençais à savoir appliquer la technique du 8C dont nous en parlerons plus loin. Il suffisait de leur crier avec autorité : — JUMP lN THIS FUCKN’ TRUCK AND SHUT UP ! Comme ils sont entraînés à ce gente de traitement, ça a marché, à mon grand soulagement, car je tenais à peine sur mes deux jambes. C'est par pleine caisse de camion que je les conduisis à l'infirmerie de fortune. Dès que mon dernier chargement de malades fut livré, j’ai pu enfin m'étendre à mon tour sur un matelas, dans la chambre réservée aux hommes de « l'équipage », pour laisser la maladie suivre son cours à travers mon corps. J'ai passé trois jours, couché sur ce matelas dans une chambre de deux mètres sur trois, où nous étions sept ou huit à nous tordre de douleur au ventre et à suer d'une fièvre implacable. Aucun médecin n'est venu nous soigner; je ne crois pas non plus que cette épidémie ait été déclarée aux autorités civiles, puisque aucun secours ne nous est venu de l'extérieur. Par contre, nous avons eu des médicaments dont la provenance reste obscure dans mon esprit. Quand, au bout de trois jours, la fièvre a commencé à me quitter, je me suis mis à faire des assists aux malades les plus gravement atteints. Les assists sont des procédés magiques inventés par Ron pour guérir les corps de leurs maladies. J’ai été interrompu par une grande patronne de la secte, parce que je ne faisais pas ça à son goût..., de toute façon, ce microbe semblait perdre de sa virulence au bout de trois jours. Puis, ce fut le grand nettoyage : j'ai été désigné volontaire pour aller laver toute cette literie, salie par des selles liquides, à la laverie automatique. Mais avant d'entreprendre cette besogne, j'ai commis un crime impardonnable. J'avais une faim de loup, et le cuisinier ayant été malade aussi, il ne préparait plus de repas. Je me suis échappé pour aller manger au restaurant le plus proche. Je me suis fait servir un steak comme il n'est pas permis dans la Sea Org. Je l'ai lentement dégusté, me promettant bien de ne jamais avouer ce crime, sans pour autant m'en sentir coupable, même si je savais mon acte plus que condamnable aux yeux de mes supérieurs. Je devais avoir une tête pitoyable, puisque je vois encore la serveuse me regarder avec un regard de pitié sans borne. Je lui étais reconnaissant de ne pas faire de remarque désobligeante sur ma tenue vestimentaire, celle avec laquelle j'avais traversé cette épreuve de fièvre. Je devais empester plus qu'une porcherie mal ventilée. Après, personne n’a plus reparlé de ce triste incident. Dès le lendemain, les activités ont repris comme si rien ne s'était passé. Il y aurait eu des morts que, j'en suis sûr, personne n'en aurait fait de cas. Au cours du plus fort de la maladie, Harold, un grand type sympathique que le conseil d'éthique avait condamné à expier ses crimes en le plaçant dans l'équipe de réhabilitation, a joué pour nous le rôle d'ange gardien. Il s'est dévoué sans borne au secours des malades, même s'il était aussi gravement atteint que les autres. Il n'a pas cessé de nous apporter de l'eau et des médicaments, et de nous aider à les prendre. Je devais lui faire un rapport favorable à la fin de l'aventure, mais j'ai oublié... Mille excuses, Harold, j'aurais pu t'aider, mais peut-être que tes crimes étaient trop graves; Ron a voulu que je t'oublie et j'en suis désolé. Le cas de Harold Le cas d’Harold m'a fait beaucoup réfléchir sur la valeur que la Scientologie accorde à un être humain. Il était en punition depuis deux ans, à ce que je sache. Peu de temps après la salmonellose, en examinant son dossier, une galonnée s’est demandé quel crime pouvait bien lui mériter un tel châtiment. Après enquête, elle a découvert qu’il s'agissait d'une peccadille. La punition n'aurait pas dû excéder deux semaines. On avait oublié ce pauvre bougre dans sa punition et personne pendant ces deux années n'a relevé l'oubli. Étant dans le Rehabilitaion Project Force (RPF, on pourrait traduire par corps de réhabilitation), Harold n'avait pas droit de parole. Il devait attendre qu'une bonne âme se souvienne de lui pour le sortir de sa triste position. Enfin gradé Six semaines après mon arrivée dans ce milieu, ce fut la fin de mon noviciat. J'ai reçu mon uniforme d'officier de marine. Cependant, il n'était pas complet. Il me manquait la cravate noire et les souliers ferrés. Mes mocassins à semelles de caoutchouc mousse et ma cravate bleue ne faisaient pas très matelot, mais qu'à cela ne tienne : tout de même, j'étais gradé. Désormais, je faisais partie de l'élite scientologique, dont la mission est de sauver ce monde de la décadence dans laquelle il s’enlise inexorablement, grâce aux techniques du grand ingénieur du mental : L. Ron Hubbard. Pour m'attirer dans la Sea Org à Toronto, on m'avait promis que mon travail consisterait à étudier à temps complet afin de perfectionner ma technique de thérapeute, jusqu'à ce que j'obtienne la qualification d'auditeur classe VIII, ce qui était le plus haut grade délivré dans l'académie de l'organisation de Toronto. Après mon noviciat, on me dit: « Oui, bien sûr, tu pourras le faire un jour, mais ce n'ést pas pour maintenant. On a besoin de toi ailleurs : en administration ». Jusque-là, je croyais que j'avais affaire à des gens sensés, honnêtes. Je ne savais pas encore dans quel milieu de fous j'étais tombé. Comme leurs arguments me semblaient logiques, je me suis laissé guider par eux. Mon fils Philippe avait participé activement à mon recrutement en m'assurant que je serais à l'étude et non sur le personnel régulier. Aussi, quand il a vu que je me laissais charrier dans d'autre chose, il a tenté bien de me prévenir de ne pas me laisser faire, mais il a perdusa peine; ses protestations ont été étouffées par ses supérieurs. Au départ, on me voulait sur un poste intitulé HAS; une sorte de superviseur de l'organisation, mais Thérèse a réussi à me récupérer dans son unité. Quelque chose me disait que je ne devais pas aller travailler avec elle ; j'avais le choix, mais encore une fois, j'ai écouté ses belles paroles, mettant de côté mon intuition. Thérèse s'avéra être une patronne insoutenable. Elle était le CO (Comanding Officer) de SMI Can (Scientology Mission International Canada); c'est la division qui s'occupe de toutes les missions de Scientologie au Canada. Nous gagnons ! Ma première surprise après avoir obtenu mon grade a été de découvrir l'inspection de routine dans la salle de rassemblement. Cette inspection se tient deux fois par jour, et nul n'a le droit de s'y soustraire, à moins de raison majeure. La scène se déroule comme suit: tous les membres du CLO sont en rang, chacun derrière son supérieur immédiat. Un petit blond à lunette portant moustache (le petit blond morveux dont nous reparlerons plus loin), dans son costume de marin surchargé de médailles et de bananes, fait l'instruction générale. Il est le CO CMO CAN: CO pour Comanding Officer et CMO pour Commodore's Messenger Organisation; ce qui signifie les messagers du commodore, et le commodore est bien entendu Ron lui-même; CAN pour division canadienne. Ainsi, le petit blond était le messager direct du défunt Ron à Toronto. Chacun fait son rapport à tour de rôle et il est obligatoire que les nouvelles soient bonnes. Le CO CMO ne veut rien entendre des mauvaises. Je suis debout derrière CO SMI CAN (Thérèse) et je me dis que cette assemblée doit ressembler en tout point aux réunions que tenait Hitler, au moment où il perdait la guerre. « Ya ! ya ! ya ! We win ! Thank you Ron ! You gave us the tech ! » Et autres cris de ralliement et de soumission du genre. Quand les esprits n'étaient pas assez échauffés, nous devions faire de la course dans les corridors, à fond de train. Peu importe qu'on se casse la gueule, c'est pour Ron qu'on le fait. Vaut donc mieux que ce soit bien fait. Le héros du jour est celui qui réussit à se faire une entorse pendant la course. Le petit blond morveux à lunettes Il vaut la peine que je lui consacre quelques lignes; c'est un personnage pittoresque et, à mon avis, très représentatif de la Scientologie. D'abord, dans toute l'organisation de Toronto, il était le seul à avoir vu L. Ron Hubbard face à face. Il faisait partie du CMO (Commodore's Messenger Organisation). Ce qu'il disait devait être pris pour les paroles même du Grand Ingénieur, puisqu'il en était le messager direct. C'est donc lui qui avait le maximum de pouvoir dans l'organisation de Toronto. Cependant, il avait des tics incroyables. Premièrement, il n'arrêtait pas de renifler bruyamment. Quand il passait dans le corridor, il se faisait précéder par son émission sonore caractéristique. — Hurff crcrcr Hurrff... pfft crr... hurffp. — Bruits difficiles à reproduire ici, mais très caractéristiques du personnage. Ces bruits de gorge et de nez se rythmaient sur ses pas, et le précédaient partout où il allait. Je me surprenais à avoir des pensées sacrilèges comme : « Bon sang ! Comment se fait-il que la thérapie si puissante de la Scientologie n'ait pas encore délivré ce bonhomme d'un problème de ce genre ! » Un jour, j’ai fait part de mes coupables réflexions à ma patronne, Thérèse. Je fus invité à écrire mes « overts » (traduire par : confesser mes crimes par écrit). J'ai donc appris que nul n'a le droit de porter une pensée critique contre Ron et ses représentants. La première fois que j'ai rencontré ce bonhomme, j'étais à faire mon noviciat. Étant une nouvelle recrue, j'étais un être négligeable, et même méprisable pour un haut gradé de son espèce. Je lavais joyeusement les planchers avec un balai à franges et un seau à roulettes, l'équipement standard pour ce genre de travail. J'attendais l'ascenseur avec mon sceau. La porte s'ouvre, et sans regarder à l'intérieur, je pousse prestement mon seau rempli d'eau sale à l'intérieur. L ascenseur n'étant pas d'une précision absolue, mon seau bute, et l'eau qu'il contient éclabousse les pieds du premier personnage à l'intérieur. C’est la première fois que j'ai entendu les reniflements caractéristiques du CO CMO. En levant les yeux, ce qui m’a frappé, ce n'est pas son uniforme surchargé de gallons, mais ses yeux de poisson derrière ses verres et sa figure contorsionnée dans une expression de dégoût inqualifiable. D'une voix aiguë d'eunuque offensé, sans même me jeter un regard, il jappa vers ses acolytes quelques paroles qui ressemblaient à des coups de fouet. Aussi surpris que décontenancé, je n’ai su que dire : « Sorry Sir ». Ce petit bonhomme était un sadique. Chaque fois qu'il en avait la chance, il fustigeait radicalement ses subalternes de cris. Il s'agissait, bien entendu, d'une technique standard mise au point par Ron lui-même, qu'il appelait 8C. Le « C » pour communication et le « 8 » pour l'infini. (La machine à écrire de Ron ne comportait pas le symbole de l'infini; il l'a donc tout simplement remplacé par le bon vieux 8 traditionnel.) Dans le langage hubbardien, 8C signifie communication infinie, mais le CO CMO semblait prendre ça pour engueulade infinie. Il aimait abuser de cette pratique. C'est, de loin, le personnage le plus maniaque que j'ai rencontré dans l'organisation. D'où une déduction de mon propre cru : « Plus t'es maniaque, plus t'es haut gradé, et vice versa. » Dans le mess des officiers, le CO CMO occupait la place d'honneur. C'est lui qui avait la plus belle vaisselle et le plus beau service. Sa femme était une petite Française; jolie, mais presque aussi maniaque que le bonhomme. Elle venait faire du 8C à Thérèse à tout bout de champ. Je me suis toujours demandé pourquoi crier comme ça ? Il me semble que la compréhension est tellement plus facile sur un ton de conversation modérée. Dans les corridors, le CO CMO et sa femme, la petite Française, se promenaient souvent bras dessus bras dessous. Ce qui n'empêchait pas le petit bonhomme de renifler. Je me demande encore s'il reniflait comme ça en faisant l'amour... Ma femme = Sir Sitôt en poste, ma première découverte a été d'apprendre que ma femme perdait son sexe pour devenir monsieur ; Sir dans la langue sacrée de Ron. Dorénavant, je devais l'appeler Sir. La raison en est que lorsque vous êtes dans la Sea Org, votre corps ne compte plus ; vous êtes un esprit et les esprits, désolé pour les femmes, sont toujours de sexe masculin selon Ron. * ** Mon rôle dans la Sea Org J'avais pour tâche d'ouvrir de nouvelles Missions de Scientologie et de donner de la vigueur aux anciennes. J'en ai ouvert une sur la Rive Sud à Montréal, la seule d'ailleurs qui a été ouverte depuis les cinq années précédant mon arrivée en poste. Aux yeux de mes supérieurs, il aurait fallut que j'en ouvre une par semaine pour maintenir ma statistique. Sinon, je devenais un saboteur. Je suis donc devenu un saboteur, du moins, c'est ce qui est écrit sur mon ordre d'expulsion de la Scientologie. (Voir sous la rubrique Courrier) La fête de papa Mi-septembre 19S9, j’ai reçu une invitation à participer à une fête, organisée chez mon frère Pierre, à l'occasion du soe anniversaire de mon père. Il s'est passé des choses bizarres autour de cet événement. Selon Thérèse, en premier lieu, il n'était pas question d'y assister. Nous étions occupés à sauver le monde et nous n'avions pas de temps à perdre avec les profanes (les wogs, en termes scientologiques) de ma famille. Elle était la patronne et je ne lui contestais aucunement son autorité. On n'y va pas ? D'accord. Quelques heures plus tard, elle vint me faire miroiter l'idée qu'on pouvait peut-être y aller, mais qu'il ne fallait en parler à personne et surtout pas aux enfants. Pendant les deux semaines qui ont suivi, je l'ai vu changer d'idée sur le fait qu'on y allait ou qu’on n’y allait pas en moyenne deux fois par jour. Je crois qu'elle essayait d'utiliser mon désir de revoir les miens comme moyen de pression pour m’avoir encore plus à sa main. Comme j'étais déjà devenu un bon scientologue, je restais froid devant ses changements d'idée aussi subits qu'inexplicables. Bien sûr, je voulais y aller à cette réunion de famille, mais je n'étais pas prêt à me mettre dans tous mes états ou à me sentir frustré à cause des changements d'humeur de ma patronne. Je sentais bien qu'elle tentait par tous les moyens d'utiliser mon appartenance à ma famille comme moyen de pression sur moi, mais je jouais très mal le jeu. Ce n’est que deux jours avant la fête qu'elle m’a dévoilé sa stratégie. D'abord, il ne fallait en parler à personne car si jamais le CO CMO découvrait le projet, il viendrait nous vilipender à grands coups de 8C. Ensuite, elle décida que nous partirions tous les deux en mission spéciale à Sherbrooke, mais j'étais averti que cela ne voulait pas dire que nous irions à la fête de papa. « Yes Sir, c'est toi qui commandes, Sir. On fera comme tu dis, Sir. » Le matin de la fête, nous étions à la Mission de Sherbrooke. Elle m'a annoncé : « On ira à la fête, mais deux heures seulement. Nous mangerons, et ne t'attends pas à ce que nous traînions sur place tout l'après-midi. Nous avons trop à faire pour nous prélasser avec cette bande de wogs ». « Yes Sir. Thank you Sir ». En bon scientologue, je prenais ses paroles exactement pour ce que j'entendais. Aussi, chez mon frère à 14 heures, je lui signalai discrètement que nous devions partir, selon ses propres décisions. Quelle ne fut ma surprise de l'entendre répondre : « Quoi ? Je ne travaille pas pour le diable, moi ! Je resterai aussi longtemps que ça me chante ! Puis, je la vis jeter de la poudre aux yeux à tous ceux qui voulaient l'entendre : elle faisait de l'argent comme de l'eau, elle jouissait d'une liberté d'action comme jamais elle n'en avait eu, elle dirigeait une entreprise d'une capacité extraordinaire et quoi encore. Elle vivait dans un monde merveilleux, à l'abri de tous les besoins, elle avait enfin tout ce dont elle rêvait. Je la regardais servir ses « vérités acceptables » à la ronde sans oser réagir. J'étais tellement soufflé que je n'ai pu réellement profiter de la rencontre avec les membres de ma famille. J’espérais seulement qu'elle ne se laisse pas prendre à ses propres mensonges. Qui voulait-elle tromper, elle-même ou ses interlocuteurs ? Elle me faisait pitié mais je me sentais incapable de réagir. J’aurais voulu crier : « Regardez la meilleure menteuse que je connaisse! » J’en étais incapable. Je restais bouche bée. Afin d'éviter de faire des bêtises, je me suis éloigné d'elle pour le reste de l'après-midi. J'étais songeur et pas très volubile. Mes frères me l’ont fait remarquer, mais je n'ai pas osé m’ouvrir la trappe sur ce que j'aurais eu à dire. Ce n'est que vers 17 heures qu'elle est venue me retrouver pour me dire que nous avions eu tort de rester aussi longtemps. Je lui ai signalé, que selon ses ordres, je l'avais averti à 14 heures qu'il était temps de partir, mais elle a préféré réfuter et me faire endosser sa propre faute. En retournant à Toronto, elle a bien essayé de me torturer avec l'idée que c'était très mal d'avoir assisté à cette fête, mais je lui ai retourné le compliment en lui disant qu'il s'agissait-là de sa décision, et que je n'ai fait que la suivre dans ses changements d'idées successifs, sans prendre part à la décision. Elle a fini son discours en avertissement : je ne devais parler de cette fête à qui que ce soit, même pas aux enfants, car nous courrions un grand risque d'être traduits en cour d'éthique pour notre petite escapade. Au moment où la chose s’est produite, je ne savais pas encore à quel point ces gens deviennent paranoïaques. Pourquoi autant de secret autour d'une chose aussi simple qu'une visite à la parenté ? Ce n'est qu'en voyant le gars, qui avait déserté pour voir sa mère malade sur son lit de mort, être puni par deux semaines de réhabilitation en travaux domestiques, que je compris. Quand vous êtes dans la Sea Org, plus rien ne doit exister pour vous que la parole sacrée de Ron. Ce qui ne serait pas si mal, si elle n'était pas interprétée par des individus de la trempe du petit blond morveux à lunettes. Toutes les menteries que j'avais entendues de la bouche de Thérèse au cours de cet aprèsmidi-là ont eu l'effet d'une douche froide sur ma conviction d'être du bon côté de la réalité. Mille questions se bousculaient dans ma tête : comment peut-on mentir avec autant de front et se sentir bien ? Combien de mensonges m'a-t-elle raconté pour me mener dans ce bateau ? Et combien de fois me ment-elle encore ? Pourquoi sent-elle autant le besoin de mentir ? Elle se dit claire et capable d'affronter toutes les réalités possibles, ses réalités ne seraient-elles que des leurres ? La seule réalité qui semblait lui tenir à coeur était d'être bien vue du CO CMO et de sa femme, ses supérieurs immédiats. La Mission de la Rive Sud Il y avait, à l'Église de Scientologie de Montréal, un couple de scientologues qui poursuivaient leurs études en technique d'audition : Pauline et Jean-Charles. Pauline était auditeur Book One chevronné. Elle avait quelques miracles à son crédit, auprès des gens qu'elle avait guéris en leur faisant sauter leur maladie psychosomatique grâce à la thérapie dianétique. Jean-Charles était un ingénieur au chômage. Il avait des difficultés à se trouver de l'emploi dans un monde en pleine récession économique. Ma mission : leur faire ouvrir une Mission de Scientologie dans leur patelin. Pauline ne voulait rien entendre ; elle avait eu une expérience malheureuse par le passé. Pendant qu'elle était auditeur autonome, l'Église de Montréal lui avait chipé des clients sans même lui donner les commissions auxquelles elle avait droit selon les données de Ron. Elle voulait à tout prix éviter de retomber dans le piège car elle connaissait la voracité de ses coreligionnaires. J’ai pris le problème à l'envers, et j'ai réussi à convaincre Jean-Charles que c'est lui qui devait prendre responsabilité de la Mission. Il l’a fait, mais il m'a fallu le convaincre qu'en ouvrant une Mission de Scientologie, il débloquerait ses « flux énergétiques » et que les emplois lui tomberaient dessus comme par enchantement. Entraîné à la pensée magique par ses études de scientologue, il a acheté l'idée. Jean-Charles était un gars absolument sincère dans tout ce qu'il faisait, et moi je ne suis pas sûr que je l'étais au moment où je l'ai fait chuter dans ce piège. Déjà, j'avais la vague impression que je participais à quelque chose de pas très catholique, mais j'avais comme excuse que les ordres sont les ordres... La Mission italienne Tony avait déjà été scientologue en Italie . Il avait immigré au Canada et il s'était marié. Il tenait un petit commerce. Je crois me souvenir qu'il s'agissait de vente itinérante de bijoux. La première fois que j'ai rencontré Tony, il venait de prendre en main une ancienne Mission, dans le quartier italien de Toronto. Son prédécesseur avait pourri son champ, c'est-à-dire qu'il avait tellement fraudé ses concitoyens dans le quartier que plus un seul ne voulait entendre parler de Scientologie. La relève risquait de s'avérer très difficile. De ça, Tony ne fut pas informé, bien entendu, sinon, il aurait pris ses jambes à son cou et on ne l'aurait jamais revu. J'étais encore novice à ce moment-là. Thérèse m'avait ordonné de transporter un tas de livres de dianétique en traduction italienne, du sous-sol de l'édifice de la Scientologie au local de la Mission de Tony. Elle était tout sucre avec lui, lui promettant que s'il faisait marcher sa Mission convenablement, il n'aurait pas à parcourir la ville en essayant de vendre sa camelote. De plus, le fait que Toronto compte plus de un million d'Italiens permettait de faire miroiter un florissant commerce. Après deux mois d'effort, Tony se rendit bien compte qu'il n'y avait rien à faire pour gagner son pain avec sa Mission de Scientologie. Il se faisait rire au nez par ses compatriotes, qui ne manquaient pas de le taquiner avec ses méthodes miracles, quand il ne se faisait pas menacer directement, parce qu'il dérangeait sa communauté avec ses idées bizarres. En peu de temps, il se vit donc forcé de fermer boutique; il n'arrivait pas à payer le loyer. De plus, il recevait les comptes astronomiques de téléphone que ses prédécesseurs avaient négligé de payer. Tony a donc décidé d’opérer une prudente retraite dans le sous-sol de la maison de sa bellemère. C'est là que je l’ai vu pour une des dernières fois. J'avais réussi à retracer son adresse et je m'y suis rendu en autobus. J'y ai découvert un petit couple terrorisé par mon apparition impromptue dans leur domaine. Peut-être s'attendaient-ils à ce que je les fustige au 8C, ou que je traîne Tony dans la rue pour lui administrer une raclée. Rien de ça. Je lui ai dit tout simplement que je comprenais son attitude, mais que je pourrais peut-être l'aider à repartir sur une base plus conforme à ses moyens. Il paraissait encouragé, mais au cours des semaines suivantes, ses résultats ne se sont pas améliorer. Je détestais ce travail de survolteur. Je ne savais pas convaincre mon client. Ma patronne me menaçait des pires calamités si je ne parvenais pas à des résultats convenables avec lui, et je m'en trouvais tout confus. J'étais responsable de la « négligence » de Tony. S'il ne voulait pas aller vendre des livres porte à porte, c'était de ma faute. Je savais très bien que tout ce qu'elle me disait n'avait aucun rapport avec la réalité, mais je ne pouvais pas me soustraire à une certaine culpabilité. J'étais un fainéant, puisque mes efforts ne menaient à rien. Ce sont les résultats qui comptent, me disait-elle. Tony produisait, pourtant. Il ne se passait pas une semaine sans qu'il vende un livre ou deux, parfois même davantage. J'essayais de faire comprendre à ma patronne qu'il était préférable d'avoir un vendeur peu productif que pas de vendeur du tout, mais ma vision des choses lui déplaisait royalement. Il aurait fallu que je pousse Tony au maximum de ses capacités, sans me soucier de ce qu'il mettrait dans les assiettes de sa femme et de ses enfants. Sans compter que la Scientologie ne se gênait guerre pour lui tenir le portefeuille aussi plat que possible en vendant de la thérapie à sa femme, qui en avait un urgent besoin, selon les redges. La Mission de Mississauga J'aimais bien me rendre à cette Mission. Elle était tenue par un gars assez spécial. Sa femme faisait partie de la Sea Org. Comme elle était cantonnée en Floride, chaque mois il allait lui rendre visite en auto : 24 heures pour se rendre et 24 heures pour revenir. Il faisait le trajet tout d'une traite, sans dormir en route. C’était un sacré gaillard. Il était appuyé dans sa Mission par un ancien de la Sea Org, resté membre de la secte après sa démission de l'organisation mère. Ce dernier ne s'en faisait pas trop avec les règlements restrictifs de la Scientologie. Il avait déjà vu de quoi il en retourne et il ne se laissait pas impressionner par les menaces de Thérèse. Il était auditeur dianétique et aimait bien ce boulot, mais comme il savait qu'on ne gagne pas sa vie avec ce genre d'activité, il utilisait les locaux de la Mission pour faire un peu de commerce; des produits de « santé naturelle », si ma mémoire est bonne. Pour ma part, je trouvais cela tout à fait correct. Rien n'interdit de gagner sa vie dans ce bas monde, même si on a un idéal élevé. Mais il en allait assez différemment dans la tête de mes patrons et surtout de mon « Sir ». À croire que pour eux, ceux qui ne crèvent pas de faim pour les bénéfices de la secte sont des ennemis. Ainsi, chaque mardi soir, je faisais mon petit voyage à Mississauga : en métro jusqu'à la dernière station de Toronto et ensuite en autobus. Pour moi, c'était la détente de la semaine. De plus, je me retrouvais avec des gens avec qui il était possible de parler métier sans soulever d'interminables polémiques sur le bien-fondé de la conversation. S'il n'y avait pas eu la Mission de Mississauga, je suis persuadé que j'aurais foutu le camp bien avant. Ce petit voyage hebdomadaire était pour moi une sorte de bouffée d'air frais dans ce monde totalement refermé sur une idéologie que je n'arrivais pas à intégrer totalement. Mais Thérèse a également réussi à me gâter cette sauce. Mes voyages ne rapportaient rien en termes financiers. Il aurait fallu qu'il y ait des résultats, que les ventes de la Mission doublent à chaque semaine et que l'argent fuse comme par magie. Je me suis toujours un peu foutu de l'argent, j'ai toujours été persuadé que jamais je n'en manquerais. Si on en veut, on n’a qu'à en gagner honnêtement. Et à mon avis, vendre du ciel de cette façon n'a rien d'honnête. Alors, je ne vendais rien et c'était très en accord avec mes principes de base. Les gars de Mississauga faisaient leur gros possible pour faire marcher leur affaire. On fonctionne avec les moyens qu'on a et, à mon avis, ils dépassaient même un peu les leurs. Ils avaient loué un local dans un petit centre commercial et ils payaient le loyer de leurs propres deniers. Ils cherchaient à faire de la promotion avec tous les moyens dont ils disposaient : publicité dans les feuillets locaux, vente de livres par les portes, mais comme le centre commercial n'était pas très achalandé, il ne leur servait à rien de faire du recrutement sur la rue, du body routing comme on dit dans leur jargon. Thérèse leur reprochait donc de ne pas faire cette « action à succès » tant préconisée par Ron. Cependant, n'importe quel imbécile aurait pu comprendre qu'il s’agissait là d'une pure perte de temps, puisqu'il n'y avait pas un chat à aborder sur le trottoir, devant le local. * * * Los Angeles, novembre 1989 À mesure que le temps passait, je m'enlisais dans une sorte de mélasse. Je ne savais plus très bien qui j'étais et mon « Sir » ne savait plus comment me faire réagir. Elle envisagea donc la possibilité de se débarrasser de moi. L’occasion s’est présentée lorsque des gens de Los Angeles sont venus à Toronto dans le but de recruter du personnel pour leur département d'ordinateurs. J’ai été nommé volontaire pour aller faire un stage qui, en théorie, devait durer deux semaines. L’histoire de ce voyage est quelque chose en soi. D'abord, dans la Sea Org, vous n'êtes jamais prévenu de vos déplacements plus de douze heures d'avance. C'est une question de stratégie, afin de ne pas se faire avoir de vitesse par l'ennemi. Je n'ai jamais su exactement qui était ce terrible ennemi qu'il fallait à tout prix battre de vitesse, mais passons. Donc, à 23 h, on m'annonça que j'étais volontaire pour aller à Los Angeles, étudier le projet des ordinateurs. Trois ans après sa mort, Ron venait tout juste de mettre au point de nouveaux ordinateurs et une lettre de règlement stipulait que chaque Église devait s'en prémunir. Mon rôle était d'apprendre le fonctionnement de ces appareils pour ensuite les installer dans chacune des Églises du Canada et en enseigner le fonctionnement aux usagers. Je n'étais pas fâché de quitter Toronto, ne serait-ce que pour deux semaines, sauf que j'ai su par la suite, que la période de formation n'était pas très bien délimitée. Les deux semaines n'étaient stipulées qu'en termes de « vérité acceptable » pour déjouer les lois de l'Immigration américaine. Le séjour aurait tout aussi bien pu se prolonger pendant six mois et davantage. Je partais avec deux autres gars qui devaient travailler sur le même projet. Je ne le savais pas, mais j'étais leur officier. Ils me regardaient comme si j'étais le Bon Dieu ; chose que je déteste par dessus tout. Il faut dire que je portais l'uniforme mais eux pas : ils n'avaient pas terminé leur noviciat. L’uniforme, c'est quelque chose tout de même. Nous avions ordre d'aller chercher nos valises à nos chambres et de revenir à l'édifice de la Sea Org. Nous devions prendre l'avion à sept heures du matin et il fallait être à l'aéroport deux heures d'avance. Nous voilà donc, à quatre heures du matin, dans un taxi en direction de l'aéroport, accompagnés par une sorte d'armoire à glace surmontée d'une sale gueule chargée de nous surveiller, ainsi que par l'officier trésorier de l'organisation. Au guichet, le chèque de l'officier trésorier fut refusé. En voyant le mot Scientology sur le chèque, la caissière s’est méfiée. Elle exigea qu'il soit certifié et les banques n'ouvraient qu'à dix heures. Nous avons donc raté l'avion de sept heures. À partir de ce moment, nous avons fait l'objet d'une étroite surveillance de la part de notre geôlier à la sale gueule. Nous attendions, assis dans un restaurant et, chaque fois que l'un de nous devait aller aux toilettes, notre pauvre bougre de geôlier se mettait dans un état pitoyable. Il avait sûrement pour consigne de ne pas nous quitter des yeux une seule seconde ; quand l'un de nous devait se rendre au petit coin, notre geôlier était forcé d'abandonner un tantinet sa surveillance. Il semblait tout à fait perdu dans un dilemme inextricable : devait-il suivre le pisseur ou surveiller les non-pisseurs ? Quand enfin l'officier trésorier a fini par obtenir les billets, nous avons pu décoller dans l'avion de onze heures. Au moment de l'embarquement, il s’est produit encore une scène cocasse : notre geôlier avait l'ordre de nous suivre jusque dans l'avion, mais l'officière des douanes a refusé de le laisser franchir la barrière. Il lui a fait promettre de venir l'assurer que nous étions bel et bien à bord. Elle était étonnée de ce comportement inusité. Elle m’a même demandé si nous étions des gens dangereux pour qu'il se croie obligé de nous traiter avec autant de précautions. Je lui ai répondu que c'était un grand nerveux et qu'il avait tout simplement à coeur que nous ne manquions pas l'avion. Elle a eu un petit rire bizarre ; ma réponse la laissait perplexe. Ce qui semblait déranger et irriter notre geôlier par dessus tout, c'était le fait que nous étions trois joyeux french-canadians; il ne comprenait absolument rien à nos conversations ni à nos blagues. Arrivé à Los Angeles, j'ai tout de suite constaté que je ne faisais plus partie des invités, comme au printemps précédent, mais du petit personnel sans importance. Personne pour nous accueillir à l'aéroport. J'avais de la monnaie dans mes poches, mais le téléphone l’a refusé : c'était de la monnaie canadienne. Nous étions arrivés vers 19 heures et impossible de trouver une boutique ouverte pour me faire de la monnaie. Étonnant pour un aéroport comme celui de Los Angeles. Finalement, un de nous a réussi à mendier à un passant les sous nécessaires pour téléphoner. Nous avons attendu près de deux heures avant qu'une voiture de l'organisation ne vienne nous prendre. Heureusement que le climat là-bas n'est pas le même qu'ici, sinon ce serait trois cadavres congelés qu'ils auraient récupérés. L’organisation de Los Angeles ne m'était pas étrangère puisque j'y étais venu le printemps précédent pour mon CCRD, mais je voyais les lieux avec un oeil différent; j'étais passé de l'autre côté du miroir. Mon arrivée coïncidait avec le Thanksgiving Day des Américains. Aussi, on m’a dit que le repas serait super, mais que je ne devais pas m'attendre à un festin semblable tous les jours. Au menu, de la dinde rôtie et des patates en purée, avec des petits pois et des canneberges. Rien à sauter au plafond, en somme. Je n'ai pas eu l'occasion de vérifier ce qu'était leur menu ordinaire ; on verra pourquoi plus loin. Il y a quand même eu quelque chose qui m'a surpris à Los Angeles. J’ai été traité avec le respect dû à un officier, à l'inverse de Toronto. Dès mon arrivé à l'édifice, quelqu'un s'empressa de me montrer ma chambre. Je voulais aller coucher dans la même chambre que les gars avec qui j'avais voyagé, mais on m'a fait comprendre que mon statut était bien supérieur au leur. Cette discrimination m'a toujours paru un peu suspecte. Il faut dire que je n'ai jamais fait d'armée et que le régime de la Sea Org est un régime pseudo-militaire. On m’a donc conduit à une chambre remplie à craquer de lits superposés. Pas des lits à deux étages, mais à trois. Le gars me dit en me désignant le troisième étage d'un lit : « It's the only one you can have ». Il dut lire la consternation sur mon visage; ma première pensée fut : « Il faut être un acrobate pour grimper là-haut. » Le matelas de mon lit se trouvait à environ huit pieds du sol et à deux pieds du plafond. Tomber en bas d'un tel lit, c'est la mort certaine et se réveiller en sursaut c'est s'assommer au plafond. Et j'allais être obligé de monter là-haut tous les soirs et moi qui ai besoin d'aller pisser au moins une fois par nuit, ce ne sera pas une sinécure ; aussi bien m'équiper d'un urinal. J'étais debout depuis plus de 36 heures ; j'aurais dormi n'importe où. Je n’ai donc pas protesté et j’ai voulu me préparer pour la nuit. Mais les formalités ne s'arrêtaient pas là : il me fallait passer au bureau d'identification pour obtenir ma carte d'identité avec photo, et une clé pour ma chambre, et une clé pour les toilettes, et une clé pour la salle de douche, etc. Environ une heure plus tard, quand j'ai enfin pu escalader mon lit, j’ai sombré dans un lourd sommeil qui n’a pris fin qu'à midi le lendemain. À mon réveil, j’ai été pris de vertige en regardant en bas. Comment diable avais-je fait pour grimper à une telle hauteur ? Il n'y avait pas d'échelle pour grimper ou pour descendre. J'allais donc être obligé de risquer encore une fois de me casser le cou pour retrouver le plancher des vaches. Tant bien que mal, j’ai fini par atterrir. Trouver la cafétéria, prendre une bouchée : finalement, j’ai dû aller déjeuner au restaurant parce que l'heure du repas était passée. Il y avait, pas très loin de l'édifice de la Scientologie, un petit restaurant que je connaissais pour y avoir déjeuné chaque jour pendant mon séjour du printemps précédent. Je m'y suis rendu. La serveuse me regardait d'un air soupçonneux. Peut-être se questionnait-elle sur les capacités de payer d'un scientologue en uniforme et sa question aurait été des plus pertinentes puisque les membres de la Sea Org ont une réputation de sans-le-sou. N'étant pas encore au fait de ce détail, je mis le compte de son étonnement sur le fait que le dépaysement devait me donner une allure bizarre. Ensuite, il me fallait trouver le local des ordinateurs. Je venais tout juste de repérer leur enseigne dans la rue, lorsqu'un membre du personnel me rattrapa à la course, pour me dire que je devais immédiatement prendre tous mes bagages avec moi et aller rencontrer l'officier commandant de toutes les Missions de Scientologie du monde (CO SMI INT), nulle autre que la grande patronne de Thérèse. Pour ce faire, je devais me rendre à Hollywood, dans un ancien hôtel que la Scientologie avait récupéré et où elle avait installé une bonne partie de ses bureaux, dont ceux de SMI International. Il n'y avait pas de transport disponible à l'organisation, j'ai donc dû me débrouiller avec l'autobus. Dès mon arrivée à ce fameux hôtel, j’ai été reçu par un petit bonhomme qui me conduisit à la grande patronne en me disant que j'avais une chance incroyable : « Depuis trois ans que je suis à son service et jamais je n'ai eu la chance d'avoir un entretien privé avec elle », me confia-t-il. Pour bien marquer que j'étais à sa disposition et non le contraire, elle me laissa poiroter une quinzaine de minutes à la porte de son bureau. À voir marcher le personnel les fesses serrées, je me disais que la patronne devait être un tigre passablement intraitable. Quelle ne fut pas ma surprise, en entrant, de découvrir un joli « Sir » féminin, dans la trentaine, qui me sourit en m'invitant à m asseoir. Elle a commencé par me faire lire la directive de Ron disant que nul n’a le droit de quitter son poste sans se faire remplacer d'abord, ce que je n'avais pas fait en quittant Toronto. Ensuite, elle m’a fait comprendre que sans moi, il n'y aurait rien qui marcherait à SMI Canada. Elle m’a démontré, statistiques à l'appui, que depuis mon entrée en fonction, la production des Missions canadiennes avait augmenté régulièrement, alors qu'elle était en baisse jusqu'à mon arrivée. Ça me faisait un petit velours d'entendre ça; c'était bien la première fois que mon travail semblait apprécié. Alors, elle me donna l'ordre de retourner à Toronto sur le champ, et elle commanda une fourgonnette pour me reconduire à l'aéroport. Ce fut le retour à Toronto. Quand je suis rentré au bureau, Thérèse ne prit même pas la peine de me saluer. On aurait dit que mon retour lui déplaisait à l'extrême. Pourquoi ? Remâchait-elle son échec de m'éloigner ? Je l'ignore. Il est des questions qui resteront toujours sans réponse; ça fait partie des mystères de la vie... Glanures au hasard de mon séjour en Scientologie Les textes qui suivent pourront paraître un peu décousus au lecteur, car je les ai rédigés au hasard de mes souvenirs. Il me serait difficile de les mettre dans un ordre chronologique précis, puisque plusieurs de ces anecdotes se sont déroulées simultanément avec ce qui précède ou ce qui suit, dans un enchevêtrement plus ou moins serré, alors que d'autres sont des observations personnelles du mode de fonctionnement des scientologues. Implants ou lavage de cerveau Comment faire marcher un individu contre lui-même ? J’ai eu la réponse par Ron lui-même, dans son roman Tèrre, champs de bataille. Le jeu consiste à lui installer un IMPLANT. Dans le roman précité, il s'agissait d'un bidule électronique que les méchants installaient dans la tête de chaque nouveau-né, mais le résultat est le même avec un implant psychologique. On nous implante dans l'esprit une façon de penser qui a son propre mécanisme de protection. Le résultat en est que nous ressentons une menace indescriptible à enfreindre la loi du silence. Les premières fois que j'ai voulu examiner de près ce qui m'empêchait de parler de ma vie de scientologue, j'avais l'impression très nette que je pouvais en mourir. Dès que, par la pensée, j'abordais ce sujet, des sueurs froides me coulaient dans le dos et j'étais en proie à des serrements de poitrine et des étourdissements qui me forçaient à abandonner l'idée même d'y voir clair. J'en ai déduit que j'étais aux prises avec une sorte d'implant psychologique, une force latente contre moi-même activée par les pensées antiscientologiques, au moment même de leur formation dans mon cerveau. Un tel conditionnement amène les ex-scientologues à se mettre eux-mêmes hors circuit quand ils essaient de révéler les déboires de leur aventure scientologique. C'est comme si l'idée implantée contenait son propre moyen de défense contre sa divulgation. La pierre angulaire de ce conditionnement est une lettre de règlement intitulée « Pour que la Scientologie continue à fonctionner ». l’auteur de cette perle est bien entendu L. Ron Hubbard luimême. Tout scientologue doit l'étudier et en assimiler le contenu jusqu'au point où sa pensée soit devenue une copie conforme des idées qu'elle contient. La première fois que j'ai lu cette lettre, j'en suis presque tombé à la renverse. Malheureusement, je n'en ai pas de copie sous la main et comme je n'ai nullement l'intention d'aller en demander une à un scientologue, je devrai donc tenter de transmettre ce que ma mémoire peut en restituer. Le lecteur me pardonnera s'il se glisse quelques inexactitudes dans mon texte, mais qu'il se rassure sur le contenu du message, puisque c'est avec la technique d'étude de la Scientologie qu'on me l’a fait entrer dans le crâne, et qu'en plus la rectitude de mon apprentissage a été maintes fois vérifiée à l'électromètre (détecteur de mensonge) par des superviseurs « compétents ». Cette lettre, il fallait démontrer qu'on la possédait à fond avant de commencer quelque cours que ce soit. Il y avait dix points majeurs à observer : 1- Avoir la technologie correcte. 2- Connaître la technologie correcte. 3- Savoir qu’elle est correcte. 4- Enseigner correctement la technologie correcte. 5- Fermer la porte à toute technologie incorrecte. 6- Appliquer la technologie correcte. 7- Annihiler la technologie incorrecte avec acharnement. 8- Anéantir les applications incorrectes. 9- Fermer la porte à toute possibiliét de technologie incorrecte. 10- Fermer la porte à l’application incorrect. La lettre continue sur un ton dictatorial. Ron y dit qu'il est le seul à avoir développé la technologie correcte, et que quiconque ne l'applique pas est contre lui. Il faut faire la guerre aux « dilettantes efféminés » et les extirper des rangs de la Scientologie avant qu'ils ne fassent trop de trouble. Il ajoute que la démocratie n'a produit que des ruines dans le désert et l'impôt sur le revenu. C'est pourquoi il n'a aucun scrupule à jouer les dictateurs. Il déclare être le seul à avoir compris comment sortir ce monde du bourbier où il croupit. Il est la seule source à laquelle nous devons nous abreuver, si l'on veut sauver à temps cette planète. Tous ceux qui ne suivent pas ses enseignements sont voués à leur perte, car ils empruntent la spirale descendante qui attire ce monde vers la décadence. Il dit aussi que, si un individu ne comprend pas cette lettre, il faut faire en sorte qu'il lui obéisse par la peur, ou qu'il en crève, car il est une menace pour tout le groupe des scientologues. Quand ça fait dix ou quinze fois que vous apprenez cette chose, de force parce que c'est la condition première pour poursuivre votre cours, le côté excessif finit par vous pénétrer de sorte que ça devient un automatisme incontournable. Voilà l'implant ; dès lors, il est opérationnel. La technique d'étude = lavage de cerveau Ron a découvert, dans sa grande perspicacité, que la meilleure façon de nettoyer un cerveau, c'est de le remplir de façon systématique. Il a donc développé une façon d'étudier qui ne laisse aucune place à l'errance; pas question de picorer un peu partout dans les textes. Il faut suivre méthodiquement le chemin qu'il a tracé. De plus, les connaissances de l'étudiant sont constamment vérifiées au détecteur de mensonge (électromètre), afin de s'assurer qu'elles sont en conformité avec le texte. Encore faut-il que l'étude soit menée en conformité avec ce que l'étudiant peut prendre; il faut procéder par étapes. C'est pourquoi il existe des académies (ce terme prend ici le sens militaire de salle de cours) de différents niveaux dans les organisations. Il n'y a pas de professeurs dans les académies, mais des superviseurs de cours. L’étudiant lit ses textes, les assimile et doit être capable de démontrer à son superviseur qu'il en a compris le principe et l'application. Comme lavage de cerveau, c'est très efficace; l'élève ne peut apprendre que ce qu'on veut qu'il apprenne. J'ai connu plusieurs académies différentes. Elles étaient toutes standardisées au modèle prescrit par Ron. Les Églises de Montréal et de Québec en avaient chacune deux. Les petits centres comme la Mission de Sherbrooke ne pouvaient s'en offrir qu'une. À Los Angeles, j'en ai connu une, bien que je sache qu'il y en avait beaucoup plus. À Toronto, il y en avait une pour le public et une autre pour les membres de la Sea Org. Parlons un peu de celles de Montréal et de Québec, puisqu'il s'agit des deux Églises que j'ai le mieux connues. Ces Églises avaient deux académies à cause de deux clientèles différentes : une académie de premier front pour les nouveaux membres et une autre, plus rigide, pour les initiés. L’académie de premier front est la porte d'entrée des nouveaux adeptes recrutés dans un but d'amélioration personnelle. Souvent, ils ne savent pas qu'ils viennent d'adhérer à une religion. Ils savent encore bien moins que cette religion n'a qu'un but: leurs biens. Les nouveaux membres sont traités avec beaucoup de ménagement. Dans leur académie, il n'est pas question du rituel salut à Ron après chaque session d'étude. Les élèves peuvent parler de leurs expériences d'étude entre eux. Tout nouveau tout beau. Et surtout, on n'attire pas les mouches avec du vinaigre. Donc, il y a une façon d'étudier beaucoup plus souple dans l'académie des débutants. Il faut surtout éviter de leur faire voir la rigidité du système, sinon, ils risquent de prendre peur et de fuir à tout jamais. Ce régime souple n’a qu'un seul but : pousser le nouvel adepte dans un entonnoir. Les scientologues savent très bien que le client peut rebrousser chemin à la moindre alerte. En isolant les débutants des adeptes convaincus, on évite ainsi de leur foutre la frousse. Il y a, à la fin de chaque session d'étude, en guise de renforcement positif, une séance de félicitations pour les « gains »obtenus dans le cours. Les gains, ce sont les connaissances ou les méthodes que le client croit avoir acquis pendant son cours pour améliorer son sort. Dès que le client a compris que dorénavant, il ne lui serait plus possible de vivre sans les secours de la Scientologie, il est admissible à l'académie des initiés. Dès lors, l'étudiant découvre que les joyeux bavardages pendant les pauses ne sont plus admis. Personne n'a le droit de citer Ron s'il ne sait pas exactement où trouver la référence. L’étudiant qui se risque à faire une citation de mémoire s'expose au crime terrible de dégrader la parole du maître ; il est passible d'être traduit en cour d'éthique. Bref, ses communications amicales avec son entourage doivent se résumer à parler de la pluie et du beau temps, sinon, gare! À ce stade, l'étudiant doit étudier son texte jusqu'à ce qu'il pense exactement comme l'auteur. S'il riy arrive pas, il doit le reprendre jusqu'à ce que sa pensée devienne une copie conforme de la pensée de Ron. Pour l'aider à soumettre son esprit, il y a la table à pâte à modeler. C'est une trouvaille de Ron. L’étudiant doit modeler chaque phrase, chaque mot avec de la pâte, jusqu'à satisfaction du superviseur de cours. On peut donc voir, dans un coin de l'académie, un groupe de grandes personnes se donner un mal de chien à fabriquer des petits bonshommes en pâte et à leur coller des étiquettes de papier. S'il le faut, l'étudiant peut passer 20 heures à modeler une seule phrase. Il ne passera pas à une autre étape sans avoir parfaitement réussi à démontrer en pâte ce qu'il a compris dans son texte, à la satisfaction du superviseur. Ce dernier, pour s'assurer que l'étudiant ne lui joue pas de tour, complète sa vérification au détecteur de mensonge afin de dépister toute fraude. Grâce à ce système, bientôt l'étudiant ne différencie plus sa propre pensée de celle de Ron. S'il déroge et qu'on s'en aperçoit, il est immédiatement dirigé vers un système correctif pour le remettre dans le droit chemin. Le superviseur est entraîné à détecter toute manifestation d'incompréhension de l'étudiant : sourcils froncés, position nonchalante, nervosité. Il peut donc, sans tarder, débloquer les cerveaux empêtrés et les remettre en route dans leurs matériaux didactiques. Il en résulte que les scientologues ont les cerveaux les plus propres au monde! Le lecteur trouvera dans la partie intitulée « Vous », à la fin de ce livre, un aperçu plus étoffé de la technique d'étude hubbardienne. Question d'argent J'ai vendu la ferme 115 000 $. Une fois toutes les dettes de l'entreprise payées, il me restait 38 000 $. J'estimais que les intérêts de ce petit capital, additionné à l'allocation hebdomadaire promise de 90 $ par semaine m'assureraient une vie très décente, puisque la nourriture, le vêtement et le logis nous étaient fournis. C'était compter avec des « vérités acceptables » qui ne traduisaient en rien la réalité. D'abord, il fallut que j'achète ma liberté du Centre de Sherbrooke : 7 500 $ (voir p.50). Ensuite, en bon père, je me devais de régler les dettes des membres de ma famille. Thérèse avait des dettes personnelles dont je ne connaissais pas l'existence. Elle avait vendu la franchise de sa mission à Pierre Lacroix pour 4 500 $, mais ce montant ne couvrait pas toutes ses dettes; elle devait encore près de 2 000 dollars. De plus, il y avait les dettes d'études de Jean-François et de Philippe; le tout devait se chiffrer à près de 11 000 $. Je suis donc parti pour Toronto avec 18 000 $ dans mon compte de banque. La nourriture à la Sea Org était infecte. J'allais régulièrement manger au restaurant avec la famille, et ce n'était pas gratuit. Ensuite, j'ai acheté un ordinateur pour Thérèse: 2 000 $. Puis, la patronne de Thérèse voulut s'en procurer un aussi. Je lui ai prêté l'argent, mais j'ai laissé Thérèse récupérer la somme, donc, perte sèche pour moi. De plus, j'ai dû financer un voyage en Floride pour deux : transport et frais de séjours dans le luxueux hôtel de la Scientologie : 3 000 $. Je devais aussi, financer mes propres missions au Québec. Frais de transport, de nourriture, etc. J'ai effectué pas moins de trois missions à Montréal, deux au Lac Saint-Jean, une dans la Beauce et deux à Sherbrooke. Six mois plus tard, ma fortune était engloutie. En voyant qu'il ne me restait plus que 2 000 $, je réalisai que si je voulais foutre le camp, je devais agir sans délai, puisque sans argent pour partir, je risquais de devenir définitivement prisonnier de la secte. L'argent des scientologues Parlant d'argent, on pourrait s'étonner de l'état de pauvreté où se trouvent les scientologues, étant donné les prix excessifs de leurs services. À mon avis, c'est justement à cause de leurs prix excessifs qu'ils sont pauvres : les prix font fuir ou découragent la clientèle. Lors de mon séjour à Toronto, il y avait, à travers tout le Canada, une dizaine d'Églises et environ une quinzaine de Missions plus ou moins actives. Chacune de ces Églises et de ces Missions devaient envoyer dix pour cent de son revenu brut à Toronto. On pourrait croire que la Sea Org recevait ainsi des sommes considérables, mais il n'en était rien. D'après ce que j'ai pu observer, le total des revenus bruts hebdomadaire pour tout le Canada se situait exceptionnellement à 40 000 $, mais il oscillait habituellement entre 20 000 et 25 000 $. La quote-part de Toronto sur ces montants était d'environ 2 000 à 2 500 $, ce qui est peu pour faire vivre 70 personnes, payer l'entretien d'un édifice de neuf étages, les loyers des trois maisonsdortoirs, les factures d'énergie, etc. En plus, de ce montant, il faut soustraire le 10% de dîme payée à Los Angeles et le 10% payé pour le fond de défense de la Scientologie. La première dépense coupée était l'allocation aux membres. C'est ainsi que le 90 $ promis pour dépenses personnelles fut escamoté. Durant toute la période de mon séjour, je n’ai reçu de l'argent de poche qu'à deux reprises,et encore, l'allocation n’a jamais dépass 35 $. Les redges. Il existe en Scientologie, un type d'individu qu'on nomme redge. Le mot hubbardien est registrar, mais les scientologues francophones l'ont un peu malmené et en ont fait ce néologisme. Ce sont les vendeurs. C'est une classe à part en Scientologie. Ron les chérissait comme la prunelle de ses yeux et avec raison puisque ce sont eux qui apportent l'eau au moulin. Ils sont les seuls à être bien payés. Leur qualité principale est d'être capable de vendre du ciel sans vergogne. Un bon redge commence par trouver votre « bibitte », la petite bête noire de votre vie. Dans leur jargon, ils appellent ça votre ruine. Avec un peu d'expérience, un bon redge devient d'une efficacité dangereuse à ce jeu. Vous arrivez devant un redge parfaitement heureux et fier de vous et, une demi-heure plus tard, vous vous sentez le plus malheureux des hommes. Que s'est-il passé? Il vous a questionné, mine de rien, et sans que vous vous en soyez rendu compte, vous avez parlé de ce qui vous dérange dans la vie. En douce, il vous a fait régresser dans le plus vif d'un vieux conflit intérieur que vous vous efforciez d'oublier. Maintenant, vous êtes prêt à payer cher pour pouvoir vous en débarrasser. Voilà comment ça se passe. S'il n’arrive pas à découvrir votre ruine, le redge vous demande de compléter un test de personnalité. Ce dernier révélera quelques petits travers de votre caractère, que le redge pourra interpréter en vous regardant dans les yeux et vous serez tellement sûr qu'il a raison que vous goberez tout sans dire un mot. Le test de personnalité Ce test comporte 200 questions. Il fut mis au point par Ron lui-même, pour dépister les lacunes des clients éventuels. Grâce aux résultats, le redge peut ensuite vendre à son client « l'aide » nécessaire à le tirer des mauvais draps dans lesquels il s'est mis depuis le début de son existence. Et selon Ron, l'existence des êtres humains a commencé il y a 75 millions d'années, au moment où les esprits ont été condamnés à vivre sur la Terre, prisonniers de leur corps. Le test vous dira, en dix points bien précis, vos points forts et vos points faibles. Selon Ron, c'est le meilleur test au monde pour évaluer les besoins d'amélioration d'un client. Bien entendu, le redge ne s'occupe pas des points forts; ce sont les points faibles qui ont besoin d'amélioration. Il est arrivé de curieuses histoires avec ce test, au Centre de Sherbrooke. Je me souviens d'un cas où le test d'une personne avait été mêlé avec celui d'une autre. Les deux tests étaient tout à fait différents comme résultats. Cependant, le redge a néanmoins réussi à faire croire aux deux clients que c'était bien d'eux qu'il s'agissait. Un des deux clients accepta les résultats comme siens, fasciné par la grande maîtrise du redge. Lautre, cependant, ne voulut pas se reconnaître tout de suite dans le tracé qu'il avait devant les yeux. J'ai eu connaissance de l'incident puisque c'est moi-même qui avais interverti les deux tests par erreur en compilant les résultats. J'allais corriger mon erreur quand j'ai entendu le redge dire à son client récalcitrant : « Écoute, c'est ton test; c'est toi qui l'as rempli, ce n'est pas moi. Ce test parle de toi et de personne d'autre que de toi. De plus, regarde bien ici, le test dit que tu ne cesses de critiquer : c'est exactement ce que tu es en train de faire! N'est-ce pas? Cela doit de causer beaucoup d'ennuis dans ta vie ! En Scientologie, on peut t'aider à résoudre ce problème. » Après cet incident j’ai dû faire taire mes doutes sur la validité de ce test. Il était assez évident que c'est exactement le même processus que pour l'horoscope ; les résultats collent à tous ceux qui veulent bien y croire, pour peu que vous soyez convaincant. À partir de là, j'ai compris qu'un bon redge doit toujours aller dans le sens du client. Ne jamais contredire, mais approuver, sauf dans le cas, comme dans celui du test, où il a la « preuve » de ce qu'il dit. Si le client est en colère, suite à ce que le redge vient de lui révéler sur lui-même, il faut lui dire qu'il a parfaitement raison de l'être; d'ailleurs son test prouve bien que la colère est un problème avec lequel il a souvent à négocier. Heureusement pour lui, la Scientologie peut le sortir de ce mauvais pas. Quand le client aura exprimé sa colère et qu'il se sera suffisamment calmé, il ne reste au redge qu'à lui glisser subrepticement un petit mot plein de « bon sens », une « vérité acceptable » que le client gobera en douce et qui modifiera sans trop paraître son point de vue. Un bon redge doit garder en tête que Ron a écrit tellement de choses contradictoires qu'il pourra toujours trouver un passage qui répondra spécifiquement au besoin de son client. Les redges appellent ça « avoir de la tech. » Avec la tech, un bon redge conduira immanquablement son client vers la libération totale... de son portefeuille. Si vous êtes redge, votre objectif est d'amener votre client à se piéger lui-même. Vous commencez par lui servir des écrits de Ron qui disent la même chose que lui, pour lui prouver qu'il a raison, et là, le miracle s'accomplit. Votre client dira: « Enfin, quelqu'un qui me comprend. » C'est subtil et efficace. Récapitulons: • Le premier objectif d'un redge consiste à prouver à son client qu'il a besoin de la Scientologie. On appelle cette étape amener le client à « besoin d'aide ». • Le deuxième objectif consiste à prouver au client qu'il doit se payer de la Scientologie, sous peine de passer à côté de la seule planche de salut qui soit valable sur Terre. Les autres (Bouddha, Jésus Christ et Mahomet) ont essayé de tirer le monde du bourbier où il croule présentement, mais le redge démontrera très clairement qu'ils ont échoué lamentablement. Il mettra même le client à contribution pour qu'il confirme ses dires. Le redge le moindrement habile apportera toutes les preuves du monde de ce qu'il avance. Il ira même chercher les témoignages de gens qu’il a lui-même « sauvés » d'une déchéance certaine et il prouvera à son client qu'il fera de même pour lui. • Le troisième objectif est le plus important : faire payer le client. Sans cette étape cruciale, tout le travail précédent n’est que perte de temps. Aussi, un redge avisé ne s'occupera de vous que si vous « qualifiez ». Le verbe qualifier, ici, se rapporte directement à l'épaisseur de votre portefeuille. Si vous pouvez payer, vous qualifiez, sinon, vous êtes une quantité négligeable. Que faire ? Si jamais vous êtes aux prises avec un de ces redges, voilà ce que je conseille : aussitôt qu'il vous parle d'argent, dites-vous que c'est le temps de déguerpir. N'écoutez plus ce qu'il vous dit, ne répondez pas à ses questions, car tout ce que vous direz sera dirigé contre vous. N'oubliez jamais que le vendeur devant vous connaît tous les trucs pour vous faire tresser votre corde pour vous amener à vous pendre vous-même. Il conserve les mains propres, car il utilise vos propres arguments, qu'il aura glanés durant les deux premières étapes. À cette étape, le salut est dans la fuite. Mettez le maximum de distance entre lui et vous. Bouchez-vous les oreilles s'il le faut, mais ne restez pas là à écouter vos propres arguments vous revenir par la bouche de ce beau parleur; son seul objectif est de vous dépouiller. Vous aurez beau fuir, n’allez pas croire qu'il abandonnera si facilement. Il vous téléphonera à votre travail, ou en pleine nuit, il sera à votre porte sans que vous ne l'ayez invité, il fera tout pour reprendre contact, en vous disant que c'est pour votre bien, et qu'aucun autre ami que lui, sur cette Terre, n’est prêt à faire autant pour votre bien. Et il aura raison; c'est bien pour avoir votre bien, et plus encore si possible, qu'il vous poursuit de ses assiduités. Comment s'en débarrasser ? D'abord, vous n'avez pas à être poli avec ce type de vendeur. Je crois qu'à l'heure actuelle, la manière la plus efficace de leur faire lâcher prise, est de les menacer de poursuites judiciaires. Et que ce ne soit pas seulement des menaces; ils en ont vu d'autres. Consultez un avocat, et ayez-en la preuve. L’avocat vous prendra peut-être un peu d'argent, mais ce n'est rien comparativement à ce que vous coûtera la Scientologie si vous vous laissez prendre. Les ex psychiatrisés Selon les préceptes de Ron, les gens ayant un passé psychiatrique ne sont pas admis en Scientologie. La raison non avouée repose sur le fait que la plupart des poursuites judiciaires intentés contre la Scientologie le furent par des expsychiatrisés. La « vérité acceptable » en est que : s'ils sont allés se jeter dans les griffes de ces suppressive person de psychiatres, c'est qu'ils ont commis des crimes qui les rendent indignes de la Scientologie. Cependant, si vous avez de l'argent, on se fera un plaisir de vous l'extirper, même si vous êtes un ex psychiatrisé ; pour votre plus grand bien, bien entendu. Ce qui suit est réellement arrivé à un petit bonhomme sympathique qui s'est laissé tondre en douceur sans même protester. C'était un fils de papa riche. Appelons-le Brad. Il avait 32 ans et il était étudiant à l'Université de Toronto. Dans sa jeunesse, des problèmes d'ordre psychiatrique avaient beaucoup retardé ses études. Un beau jour, en marchant sur la rue Yonge, il est abordé par un recruteur de l'Église de Scientologie. Il entre et remplit le questionnaire de 200 questions du test de personnalité. Un type excessivement sympathique, un redge, lui donne les résultats et lui prouve hors de tout doute qu'il avait terriblement besoin d'aide. Le redge lui vend la thérapie de Scientologie pour 50 000 $. Ce n'est pas un problème pour Brad. Il dispose d'une somme de 150 000 $ que son papa a mis à sa disposition pour qu'il puisse poursuivre ses études universitaires. Quand vient le temps de commencer la thérapie, on lui signale qu'il ne peut pas être audité : les anciens cas de psychiatrie ne peuvent bénéficier de l'audition ; c'est Ron lui-même qui l'a écrit et comme il l' a écrit, c'est vrai. Mais Brad est un sacré veinard, puisqu'il peut quand même faire quelque chose pour luimême. N'est-ce pas en aidant les autres qu'on s'aide le mieux soi-même ? Il est chanceux, selon son redge, puisque le 50 000 $ qu'il vient d'investir pourront servir à acheter du matériel pour ouvrir une Mission de Scientologie. Brad est tout heureux d'apprendre cela, mais là ne s'arrête pas sa responsabilité : 50 000 $, ce n'est que le coût du matériel de Scientologie nécessaire pour ouvrir une Mission ; c'est le prix du starter package seulement. Son devoir ne s'arrête pas là. Il doit maintenant trouver un local, le louer de ses propres deniers, l'aménager et faire de la publicité pour attirer les gens dans sa nouvelle entreprise. Le redge ne manque pas de lui dire qu'il s'agit pour lui d'un investissement qui sera très rentable. Il lui démontre, preuve à l'appui, que les Missions de Scientologie génèrent un revenu de 49 000 $ par semaine. Cependant, il omet de lui dire que la chose ne s'est produite qu'une seule fois, à un seul endroit, en une seule semaine, dans toute l'histoire de la Scientologie au Canada. Brad suit donc scrupuleusement les étapes que le redge lui indique et il finit par apprendre qu'il n'a pas le droit de posséder une Mission de Scientologie, puisqu'il est un ancien psychiatrisé. Mais il peut faire encore quelque chose pour son salut ; il lui suffit de se trouver quelqu'un qui opérera la Mission à sa place. Le redge est maintenant un très bon ami de Brad. Il lui emprunte sa voiture à la semaine. Brad n'a qu'à prendre le métro; il n'a pas réellement besoin d'une auto. Le redge le lui affirme et comme c'est un ami excessivement précieux, Brad n'ose pas le contredire. Tout ça, selon le redge, n'a qu'un seul but : faire progresser le cas de Brad. Il lui vend donc un second starter package de Mission de Scientologie ce qui, en théorie, propulse Brad parmi les héros, les sauveurs extraordinaires, les piliers de la Scientologie. Dans sa vie future, tout ça sera porté à son compte pour lui permettre de faire une naissance beaucoup plus conforme à sa personnalité. Le redge lui fait comprendre que si sa vie présente est si décevante, c'est à cause de ses crimes commis dans ses vies antérieures ; il est donc parfaitement normal qu'il ait à payer dans sa vie présente. Grâce à ses généreux dons, Brad a la chance de se racheter et avoir une perspective de vie future extraordinaire. Voilà donc ce brave Brad propriétaire de deux starter packages avec lesquels il ne sait que faire. Le matériel est là, dans le sous-sol de l'édifice de la Scientologie, rue Yonge, et le magasinier lui signale qu'il doit l'emporter maintenant qu'il l'a payé. Sinon, on devra lui charger des frais d'entreposage. Brad est embarrassé au superlatif avec tout ce bric-à-brac. Il y a là des piles de livres, des projecteurs et des films 16 mm (à ce moment, Ron n'avait pas encore inventé le magnétoscope), des cassettes audio, des présentoirs à livres, etc. Le tout occupe un espace assez imposant pour que Brad ne songe même pas à le mettre dans son petit appartement de trois pièces, où il n'y a pas assez de place pour loger les deux tiers de tout ça, même en sortant tous les meubles. Brad se voit donc forcé de louer un local au plus vite, afin de faire taire le magasinier qui ne rate jamais une occasion de lui asticoter les oreilles avec ce problème. Régulièrement, il va voir son tas de bric-à-brac et il finit par s'apercevoir qu'il diminue un peu à chacune de ses visites. Il s'en inquiète, mais le magasinier lui dit qu'il n'a vu personne se servir dans ses affaires. Il en parle à son ami le redge qui lui dit : « Ne t'inquiète pas Brad, je veille moi-même sur tes affaires. S'il manque un projecteur ou un magnétophone, ou quelques films 16 mm, il ne faut pas t'alarmer, puisqu'au nom de notre très grande amitié, je me suis permis de prêter ces choses en ton nom à un autre grand ami que tu ne connais pas, mais avec qui, j'en suis persuadé, tu serais sûrement très ami aussi. » Brad est rassuré. Après tout, à quoi servent les amis ? Cette histoire, pour aussi absurde qu'elle puisse être, n'est pourtant qu'un pâle reflet d'une réalité que j'ai pu observer de mes propres yeux. J'ai aidé ce pauvre bougre à se trouver un local pour mettre son stock de marchandise et j'ai essayé de lui ouvrir les yeux sur la réelle valeur de l'amitié de son redge, mais ce dernier avait une bien meilleure gueule que la mienne ; je n'étais pas de son calibre. On m'a même signifié très clairement que j'étais mieux de faire mon travail sans me mêler de ce qui ne me regardait pas. À partir de là, j'ai commencé à comprendre que la Scientologie est un organisme d'une incroyable voracité ; elle n'hésite pas un instant à transgresser ses propres lois pour de l'argent; elle est sans pitié pour ses victimes. Pendant qu'on exploitait la crédulité de Brad, on tenait à l'écart un autre ancien psychiatrisé, Kevin, à qui on avait aussi vendu un starter package de 50 000 $. Cependant, Kevin était moins fortuné que Brad : il n'avait que 30 000 $ dans son compte de banque. Sous la pression de son redge, il fit un chèque sans fonds pour le 20 000 $ manquant, entrevoyant de transférer l'argent de son fonds de pension dans son compte de banque, mais son fonds de pension n’était pas transférable. Entre temps, le starter package fut commandé de Los Angeles et arriva dans le sous-sol de l'édifice à Toronto. Kevin se trouvait aux prises avec un problème très grave. Il devait maintenant 20 000 $ à la Sea Org, et s'il ne payait pas, il était menacé des pires calamités. Il voulut briser le contrat et récupérer le 30 000 $ déjà versé, mais c'était impossible. La Scientologie ne rembourse jamais en argent. Le mieux qu'elle peut faire est de vous donner une valeur équivalente de ses produits. La vie personnelle d'un scientologue IL N'Y EN A PAS. Un scientologue est quelqu'un qui ne vit plus. Il est sauvé de ça. Il vit dans le monde de Ron et il n'a besoin de rien d'autre. Ron est la seule source ; conséquemment, le scientologue doit passer une période minimale de deux heures par jour connecté à la source. Et la source, ce sont les histoires de science-fiction de Ron. Quand vous regardez un Scientologue, vous êtes devant quelqu'un qui n'est qu'une apparence d'être humain. Vous êtes devant un extra-terrestre déguisé en être humain. Ce que le scientologue possède, il ne le possède pas. Son propre corps, il ne le possède pas. Il est une sorte de pensée magique et il en est convaincu. Il n'est pas ce corps. Le scientologue est quelqu'un de totalement dévoué à sa cause, il est prêt à n'importe quoi, à renier sa famille et même à mourir, pour obéir aux préceptes de Ron. Le scientologue peut toujours écrire à Ron; ce dernier, même s'il est mort depuis février 1986, va lui répondre. Qui répond pour lui ? Personne; il répond lui-même. Malheur à ceux qui oseraient penser le contraire. De toute façon, quand il aura atteint les hautes sphères de la libération totale, le scientologue pourra converser directement avec Ron. Ron lui dictera ses volontés par télépathie. Ron est une sorte de conscience universelle. On avance même l'idée qu'il serait la réincarnation de Bouddha. Le sexe et le mariage en Scientologie Ron n’pas écrit grand-chose sur la vie sexuelle que doivent mener les scientologues. Selon ses théories, nous ne sommes pas des corps, et les âmes n’ont pas de sexe. Il a pourtant écrit quelque chose sur la bonne marche du mariage. D'abord, les fréquentations entre jeunes gens sont interdites. « Si elle te plaît, tu la maries sans autre préambule ». Les fréquentations sont une perte de temps qu'il faut éviter. Selon Ron, l'homme est le chef de la famille et sa femme n'a pas le droit de le contester. Elle doit se soumettre à son mari. Le flirt est totalement interdit. Quiconque s'y adonne est passible d'une cour d'éthique. Les distinctions de genre, féminin ou masculin, n'existent pas en Scientologie, lorsque vous êtes en poste. Vos supérieurs, qu'ils soient hommes ou femmes s'appellent « Sir », même si c'est votre propre épouse. À Toronto, il était interdit aux couples mariés d'avoir des enfants. Ceux qui en avaient voyaient bien pourquoi : ils n'avaient pas le temps de s'en occuper. Ceux qui n'en avaient pas s'en félicitaient, lorsqu'ils voyaient les pauvres petits laissés sous la garde du cuisinier qui devait en plus faire la cuisine pour les 70 membres de l'organisation. Lors de mon noviciat, quand j'allais chercher le dîner à la maison où ils étaient gardés, les larmes me montaient aux yeux à les voir, les pauvres enfants. Ils étaient environ douze. Ils devaient se débrouiller presque seuls. David, le cuisinier faisait bien son possible pour les débarbouiller et séparer les bagarres, mais la tâche était trop lourde pour une seule personne. En voyant ce spectacle pitoyable, l'interdit d'avoir des enfants prenait tout son sens. Le mariage en Scientologie peut très bien servir de « vérité acceptable » afin de soutirer de l'argent aux parents des membres de la Sea Org. Au cours de mon séjour, j’ai été témoin d'une escroquerie de ce genre. Il y avait une jeune femme à qui les parents avaient promis une grosse somme, le jour où elle convolerait en juste noce. Quand le redge eut connaissance de cette promesse, il employa toute sa matière grise à trouver un moyen de mettre la patte sur cette somme. Force lui fut de reconnaître que l'argent ne serait versé que si la jeune femme prenait mari. La situation était un peu embarrassante pour elle; elle n'était pas amoureuse et, dans son entourage, elle ne voyait aucun scientologue avec qui elle aurait pu l'être. Le redge se chargea de lui trouver un volontaire et de lui faire comprendre que les mariages de raison existent depuis que le monde est monde. Il n'y a pas de honte à ça. De toute façon, elle ne vivrait pas avec son mari puisqu'il était cantonné à Toronto et elle, à Montréal. Argument supplémentaire : le divorce n'est pas interdit en Scientologie. Le Free Winds Le Free Winds, c'est le bateau de la Sea Org. Le seul, d'ailleurs, pour une organisation qui s'appelle l'organisation maritime... C'est un vieux rafiot que les scientologues ont retapé et remis à l'eau. En principe, c'est l'endroit par excellence où vivre sur la Terre. Tout y est facile et le climat est très théta (mot des scientologues qui signifie spirituel). On vous dira que Ron a voulu créer sur ce bateau un microcosme de ce que sera la vie ici-bas quand la Scientologie aura conquis tous les gouvernements de la Terre. Ça va être le paradis pour ceux qui sont fortunés, mais pour ceux qui servent, ça va être l'enfer. Les serviteurs, j'allais dire les esclaves, sur ce bateau, ont subi un entraînement extraordinaire. S'ils voient que votre verre est à moitié vide, ils viennent le remplir sans que vous ne l'ayez demandé. S'ils voient que vous voulez vous lever, ils sont prêts à venir vous soulever de votre chaise. Vos moindres caprices sont anticipés avant même que vous ne les ayez exprimés. Imaginez un peu l'entraînement à la dure que ces serviteurs ont dû subir avant d'en arriver là. Le plus drôle est qu'ils semblent heureux de leur sort. Il faut savoir que s'ils font la gueule, ils sont immédiatement « réhabilités », remis dans le moule, remis en condition par l'éthique de Scientologie. L’éthique de Scientologie C'est l'outil par excellence pour maintenir les troupes pas et pour les y ramener au besoin. Son but principal est de faire taire tout esprit critique, tout antagonisme à la Scientologie; qu'il soit à l'intérieur ou extérieur à la secte. Les antagonistes à la Scientologie sont déclarés SP (Suppressive Person) alors que ceux qui subissent l'influence des SP sont des PTS, abréviation de source potentielle d'ennuis (potential trouble source). Ces deux dénominations, SP - PTS, sont les pires calamités qui peuvent choir sur un scientologue; il n'y a que l'éthique pour l'en sortir. Comme la plupart des procédés de Scientologie, l'éthique est quelque chose de très mécanique. Elle est basée sur une échelle de valeurs qui permet de mesurer l'efficacité du sujet dans son milieu, en compilant ses statistiques de production sur son poste de travail. Cette échelle est constituée de différents échelons dont le plus bas est la confusion et le plus élevé est la pleine puissance de l'être. Des statistiques à la baisse sont une menace pour la Scientologie. L’adepte aux prises avec des statistiques basses est classé parmi les sources potentielles d'ennuis (PTS) et, si la situation perdure, il devient SP. L’officier d'éthique lui fera écrire ses actes néfastes, ses crimes contre la Scientologie pour lui faire remonter sa condition. Si l'adepte refuse, il devient automatiquement un SP et il risque l'expulsion de la secte. Ron recommande d'agir en douceur avec l'éthique, car elle a des effets foudroyants sur les adversaires de la Scientologie. C'est magique. On peut rendre quelqu'un complètement fou en lui appliquant l'éthique et, pire encore, on peur le priver de son éternité, ce qui est encore pire que de le tuer. À ce sujet, Ron écrit, dans son livre sacré Scientologie, Introduction à l'éthique, page 151 : « Une personne suppressive, qui avait commis un crime majeur d'importance (crime majeur : une action ou une omission entreprise sciemment pour opprimer, réduire ou gêner la Scientologie ou les Scientologues), devint complètement folle après avoir quitté la Scientologie et après avoir pris conscience de ce qu'elle avait fait. » Que le lecteur se rassure, ce système ne fonctionne que si l'on y croit ; sa seule magie réside dans la tête de l'adepte conditionné par l'étude des textes de Ron. Cependant, le système est monté avec une telle logique qu'il est facile, et même tentant, de s'y laisser attraper. Du riz et des bines Après la fuite de Louise, la cuisinière, dont nous avons parlé plus haut, la charge de cuisine revint à David, un brave garçon. Tout comme Louise, David avait répondu à l'appel de la Sea Org, mais il n'avait jamais réussi à passer l'examen de promotion, à la fin de son noviciat. Il se retrouvait donc coincé, loin de son Alberta natale, sans argent, sans ressources et sans endroit où aller. On lui confia donc la garde des enfants ainsi que la cuisine pour toute l'organisation, avec pour tout salaire un bon coup de 8C à l'occasion. Peu de temps après, le CO CMO CAN (le petit blond morveux) avait décrété qu'à cause de ses mauvaises performances financières, tout le personnel de l'organisation serait nourri au riz et aux bines (haricots). Il appliquait ainsi un des décrets de Ron pour les organisations qui se retrouvent en baisse de statistiques. David était un champion des bines. Il en connaissait tous les secrets. À chaque repas, nous pouvions voir dans nos assiettes des bines de différentes couleurs et de différentes formes. Je n'aurais jamais pu croire qu'il puisse en exister autant de catégories avec autant de variétés dans les recettes. Sauf qu'au bout de trois mois de ce régime, malgré tous les efforts du cuistot, nous n’en pouvions plus. Pour ma part, j'avais l'impression que mes tripes se nouaient à chaque bouchée que ma fourchette approchait de ma bouche. À la fin, la seule odeur du riz et des bines me donnait la nausée. Je ne sais pas combien de temps aurait duré ce régime, si un beau jour, une bonnefemme de Los Angeles, grande, rousse et très sexy, mais surtout très haut gradée avec des gallons partout, n'était pas venue mettre le nez dans nos assiettes. Elle a découvert que la cause même de notre manque d'ardeur à l'ouvrage provenait de ce que l'on mangeait. Elle a montré au CO CMO CAN que Ron avait bel et bien écrit de servir du riz et des bines aux gens de mauvaises statistiques, mais pas plus que pendant une semaine, sinon, il y a risque de découragement par perte d'appétit et d’une chute de production progressive. Guy Guy était un officier supérieur de la Sea Org. Je ne sais pas quel était son crime, mais les performances de sa division étaient à la baisse depuis un certain bout de temps. C'est alors qu'il est entré dans le collimateur du CO CMO CAN. Guy n’a pas tenu le coup. Il s’est dirigé lui-même dans le corps de réhabilitation (RPF). Il estimait sans doute que la vie dans ce corps était plus humaine que celle des galonnés. Liberté d'action, horaire libre, etc. Le problème majeur des gens en réhabilitation semblait être de ne pouvoir manger que lorsqu'il restait de la nourriture, mais grâce au régime de bines et de riz que nous imposait le CO CMO CAN, ils n’en ont pas manqué pendant un bon bout de temps. Je me souviens de l'air triomphant du CO CMO CAN quand il a prononcé la sentence de Guy devant tous les membres, dans la salle de rassemblement. Il y avait dans son expression une sorte de jouissance malsaine qu'il est difficile de décrire avec exactitude. À la place de Guy, j'aurais plutôt quitté l'organisation, mais il était bien accroché. Les moyens de pression jouaient probablement encore très fortement sur lui. L’accident de mon camion Un jour, quelqu'un s'avisa qu'il était inhumain de faire transporter le dîner dans le métro par les novices. Dans leur grande sagesse, les membres de la haute direction décidèrent qu'il s'agissait là d'une tâche que le cuistot devait assumer. Personne n'avait remarqué que le pauvre bougre en avait déjà plus que plein les bras avec la cuisine et la garde d'une douzaine d'enfants. David supportait le tout comme un bon esclave, mais il arrivait périodiquement que le dîner soit en retard. Le CO CMO CAN ne supportait pas que son dîner soit en retard. Il a donc convoqué une réunion spéciale de tous les commandants des différentes divisions de l'organisation afin de résoudre ce problème majeur. Alors, CO SMI CAN, c'est-à-dire Thérèse, ma femme, décida, dans sa grande générosité avec mes biens, que mon camion viendrait à la rescousse. Je n'étais pas d'accord, mais je risquais de me retrouver avec l'étiquette de SP si je ne marchais pas. Dès sa première sortie, David emboutit trois voitures. Et après l'accident, comme il regardait les dommages qu'il venait de causer, un motard distrait entra de plein fouet dans le côté du camion qui obstruait la rue. En guise de dédommagement, je reçus un blâme pour avoir « postulé » cet accident. Postuler, chez les Scientologues, fait partie d'une sorte de conception magique de l’univers : il suffit de penser une chose pour qu'elle se produise. Celui qui pense à un malheur en est responsable. C'est ainsi que je fus tenu magiquement responsable de l'accident, pour avoir pensé qu'il puisse survenir. Il ne me restait qu'à en assumer les frais. Encore une fois, j'ai ravalé ma salive, me promettant bien de ne plus me laisser prendre. De plus en plus, je perdais confiance dans la façon dont était menée la Sea Org. J'avais la nette impression que quoique je fasse, j'en sortirais perdant. L’échec d'une arnaque C'était en octobre 1989. Le jeu consistait à piéger un millionnaire afin de lui faire cracher ses sous. Riche de l'expérience d'avoir vendu deux starter packages de mission au petit bonhomme crédule qu'était Brad, les autorités de l'organisation projetaient de faire la même passe à un millionnaire qui avait été séduit par la thérapie dianétique. Attraper un nigaud est chose facile, mais attraper un millionnaire averti, c'est un tour de force. Après de longues délibérations, les gros bonnets ont supputé que ce millionnaire, que je nommerai Bill, serait peut-être sensible à la flatterie. On a donc organisé autour de lui un cirque comme il n'en avait jamais vu. D'abord, il fallait préparer une cérémonie de remise de awards pour les adeptes les plus valeureux et les plus généreux donateurs. C'est ainsi qu’on été récompensées des personnes affichant nettement leur désaccord avec les principes de la Scientologie et des idiots du type de celui qui s'était offert deux starter packages. Sans le savoir, je crois bien que j’ai fait avorter cette arnaque. Je ne sais pas très bien comment a démarré l'affaire. Je n'étais pas dans le secret des dieux. Pour moi, la chose débute au moment où mon « Sir », Thérèse, m’a dit de revêtir mon plus bel uniforme pour assister à un événement important qui aurait lieu dans les 30 minutes. Comme je n'avais qu'un uniforme, cela simplifiait les choses. Sur son ordre, je l’ai suivie dans l'académie. Elle avait mis son képi d'officier et ses épaulettes dorées. Tous les hauts gradés étaient garnis de leurs plus beaux gallons. La salle était bondée de tout ce qui avait figure humaine dans l'organisation et que les autorités avaient réussi à rassembler. On avait même loué une caméra de télévision et déguisé quelques personnages en journalistes avec bloc notes et minis magnétophones en main. La salle avait été décorée pour donner l'apparence de fête. Puis, le CO CMO CAN, croulant sous le poids de ses multiples décorations, a pris la parole. Je vous fais grâce de son discours oiseux, mais ce fut, comme il se doit, long et ennuyeux. Il y a alors eu la remise de plaques commémoratives. Bill fut le récipiendaire le plus applaudi, selon les ordres. Il semblait étonné d'un tel déploiement mais, de toute évidence il n'était pas dupe. Après la fête, quand il est venu me demander à quoi lui servirait l'achat d'un starter package, je lui ai répondu avec toute l'honnêteté qu'il m’était possible. Je lui ai dit qu'il s'agissait d'ouvrir des Missions de Scientologie, et qu'on avait besoin de personnes comme lui pour ce faire. À sa question, combien cela pouvait lui rapporter, je n’ai pu répondre que les revenus de sa Mission dépendraient directement des efforts qu'il y investirait. Il a tourné les talons et je ne l’ai revu que beaucoup plus tard, alors qu'on essayait encore de le piéger dans une autre branche de la Scientologie nommée WISE. Cette division est spécialisée dans le recrutement des gens d'affaires. Après cet incident, on m’a gardé à l'oeil lors de mes contacts avec les pigeons à plumer. J'étais le méchant qui fait avorter les arnaques nourricières de la Scientologie. Le téléphone Les scientologues aiment bien soutirer de l'argent, mais quand vient le temps de payer leurs comptes, ils ont la fâcheuse habitude d'étirer l'échéance jusqu'aux extrêmes limites de la patience de leurs créanciers. Bell n'est pas une compagnie à se laisser tenir la dragée haute tellement longtemps, aussi, vint un temps où plus une seule division de la Sea Org de Toronto n'avait le téléphone, faute de paIement. SMI CAN, dont Thérèse était le commandant, avait absolument besoin du téléphone pour ses affaires. J’ai donc été sollicité pour payer les frais d'ouverture de ligne. Comme la compagnie de téléphone s'était fait avoir à quelque reprises par les scientologues, elle exigea un dépôt de 1000 $ en garanti. Comme un bon petit gars, je payai le dépôt, sous promesse d'être remboursé. Déjà, je ne me faisais pas d'illusion sur la valeur de cette promesse, mais que ne ferait-on pas pour être bien vu ? Le téléphone de SMI est vite devenu le téléphone de toute l'organisation. Vers la fin de novembre, les comptes d'interurbains montaient aux environs de 4000 $. La compagnie Bell, dont les réflexes étaient déjà aiguisés par une longue pratique avec la Sea Org, voyant cette dépense insensée, a exigé une garantie de 4000 $, en plus du paiement total de la facture. Là, j’ai refusé de payer malgré l'insistance de mon « Sir ». C'est à partir de ce moment-là que les choses ont réellement commencé à se gâter pour moi. J'avais commis un crime d'omission en ne mettant pas tout mon avoir au service de la Scientologie. Fin des glanures. * * * Première mission au Lac Saint-Jean, novembre 1989 C'était juste après mon retour de Los Angeles. Un prénommé Yvon venait d'ouvrir une Mission de Scientologie à Jonquière et son développement marquait le pas. Mon « Sir » m’a désigné volontaire pour aller l'aider à démarrer. Naturellement, je devais subventionner mon voyage moi-même. Je suis donc parti, à mes frais, pour le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le local de la Mission était une vielle maison qu'Yvon avait louée à rabais. En guise de personnel, il avait recruté trois personnes : une ancienne adepte de l'Église de Scientologie de Montréal qui travaillait comme serveuse dans un restaurant, le conjoint de la serveuse, à la recherche d'un emploi, ainsi que leur colocataire, sans travail elle aussi. C'est chez eux que j’ai logé. Je voyais ces gens vivre simplement et librement. Ils n'étaient soumis à aucune contrainte excessive et ils organisaient leur vie à leur convenance. Ils avaient un appartement confortable et toute la bouffe nécessaire à leur santé. En comparaison avec ma vie à Toronto, c'était le paradis. Je me serais pris pour une espèce de dingue à essayer de leur faire croire que la vie d'un scientologue était plus édifiante que la leur. Je me serais senti coupable de les tirer de ce monde bien organisé pour les amener dans le merveilleux monde de la Scientologie, où tout n’est que compétition féroce, cris de guerre et mortification. Je me demandais pourquoi secouer ces gens heureux et les lancer dans un univers merdique ? Avec de telles dispositions, j'ai loupé ma mission, et je n’en éprouve aucun regret. J'ai quand même tenté de faire du recrutement, dans ce pays du Nord, mais comme je ne suis pas un missionnaire, je n'ai jamais été un missionnaire et je n en serai jamais un, je n’ai convaincu personne. J'avais pourtant avisé mon « Sir » à plusieurs reprises que je n’avais pas les aptitudes nécessaires pour être missionnaire, mais elle ne voulait rien entendre. Une semaine après mon arrivée au Lac-Saint-Jean, juste au moment où je commençais à me familiariser avec les gens et les lieux et que je commençais à avoir des résultats, je recevais l'ordre de rentrer au bercail. Les ordres sont les ordres, que voulez-vous ! * * * Illusions perdues À mesure que le temps passait, je perdais mes illusions. Je croyais trouver des gens de bonne volonté, dans cet organisme ; tout ce que j'y ai vu, c'est un ensemble d'individus qui se jalousent les uns les autres et qui faisaient l'impossible pour s'arracher la galette mutuellement. La vieille loi de la jungle prédomine. « Vous devez être des tigres, et même ceux-là en verront de toutes les couleurs », disait Ron. Mais il a oublié de leur dire que les tigres se respectent entre eux. Vers la mort de mon identité Les jours passaient dans cette atmosphère insoutenable de combat contre la spirale descendante de l'humanité, que la Scientologie livrait à grands coups de technologie magique inventée par Ron. Ma volonté périclitait de jour en jour et je devenais une sorte d'automate qui ne demandait qu'à se laisser manier. Mon « Sir » semblait heureuse de ce comportement docile et sans réplique, quoi qu'elle aurait voulu en plus que je devine ses moindres désirs avant même qu'elle ne les exprime. Comme je n'avais pas encore atteint le stade où mon esprit devient s’ouvre à la télépathie, je restais pantois devant ses remontrances que je ne comprenais pas. Elle aimait donner des ordres, pour le plaisir de me voir obéir. Elle me confiait un travail d'une heure et, cinq minutes plus tard, elle venait me donner un contrordre. Je ne savais pas où donner de la tête. Je voulais tout faire, mais j’étais trop obnubilé pour comprendre que ma patronne elle-même était déboussolée par ses patrons. J'essayais de satisfaire à ses ordres comme un bon petit soldat : j'obéissais comme un cadavre. * * * La loi de la nécessité À la mi-décembre 1989, il me restait à peine 2 000 $ dans mon compte de banque. J'avais l'impression qu'aussitôt qu'il serait réduit à zéro, je perdrais le seul lien qui me permettait de me retrouver avec mes enfants pendant nos courtes escapades au restaurant. Ce n'était que dans ces fuites furtives au resto que nous pouvions nous retrouver un peu. Je dis bien un peu, puisqu'il nous fallait manger très rapidement ; nous avions rarement plus d'une demi-heure pour les repas. L’argent allait manquer et je m'en inquiétais. C'est alors qu'en douce, ma patronne a tenté de me faire accepter l'idée de vendre le camion. L’argent obtenu nous aurait permis de poursuivre nos escapades au restaurant pendant peut-être quelques mois, tout au plus. À mes yeux, ce camion était ma seule porte ouverte vers une liberté que j'avais besoin de sentir possible. Comment s'évader, sans argent ni véhicule ? Je ne voulais surtout pas en arriver à être pris au piège, bloqué sur place, comme ce pauvre David, sans aucun autre moyen de survivre que de me conformer au bon vouloir de mes supérieurs. Thérèse tentait tout simplement de me soumettre à la « loi de la nécessité » énoncée par Ron. Cette loi s'énonce à peu près comme suit: « Plus votre sujet sera démuni, plus ses besoins seront grands; alors plus il sera productif ». Mais je n'étais pas du tout consentant à servir de cobaye pour prouver le bien-fondé de cette loi. Au contraire, je sentais que le jour où je ne disposerais plus d'aucun moyen personnel, je deviendrais un zéro face à l'infinie puissance de la Scientologie. Cette pensée me jetait dans un profond désarroi. C'est alors qu'on m'attribua une condition de PTS. (PTS pour potential trouble source ; en français, source potentielle d'ennui.) Plus les jours passaient, plus je devenais PTS. Un scientologue devient PTS quand quelqu'un exerce une certaine forme d'oppression sur lui. Le PTS se met alors à réagir de façon non conforme aux enseignements de Ron. S'il n'est pas remis dans le droit chemin, il risque de contaminer les autres membres par ses agissements fautifs. Je m'enfonçais de plus en plus dans une sorte de léthargie. Je fonctionnais comme un zombi, en obéissant sans discuter aux ordres les plus stupides, sans même me poser de question. Puis nous avons eu le party de Noël. Quelques-uns ont pu partir dans leur famille, mais le grand nombre est resté sur place. Nous étions de ce nombre, ma famille et moi. Les autorités avaient loué un appareil télé et quelques films sur vidéo (en anglais bien entendu même si les trois quarts du personnel était d'origine francophone), afin de nous garder l'esprit occupé, évitant ainsi d'éveiller en nous la nostalgie des Noëls d'une autre catégorie. J’ai même eu droit à deux petites bières, mais je n'en ai bu qu'une, voulant éviter de m'enivrer et faire scandale par des propos qui n'auraient sûrement pas manqué d'être en complet désaccord avec la vie infernale que nous vivions. J’essayais de me convaincre que je vivais le plus beau Noël de ma vie et j’ai dit aux miens que j'étais parfaitement heureux de vivre ça avec eux. Je commençais à me mentir moi-même assez bien pour que je finisse par me croire. Et je me croyais presque. Deuxième mission au Lac-Saint-Jean Le surlendemain, la grande rousse de Los Angeles, celle-là même qui nous avait sauvé du riz et des bines, était revenue à Toronto. Elle a pris une semaine pour examiner les problèmes de l'organisation, et le lendemain du Jour de l'An, dans la salle de rassemblement, elle a dévoilé les résultats de ses recherches et son plan pour redonner à l'organisation de Toronto le brio d'antan. Elle m’a déclaré volontaire pour une mission au Lac Saint-Jean. J’ai reçu l'ordre de partir immédiatement, sur le champ. J’étais complètement abasourdi Après la réunion, je me suis retiré dans le bureau de ma division, suivi de mon « Sir », c'est-à-dire Thérèse. Elle m’a dit que je semblais trop fatigué pour quitter Toronto immédiatement comme le commandait la grande patronne. Elle m'a ordonné de rentrer tout de suite à la chambre pour me reposer et préparer mes bagages pour partir tôt le lendemain. Elle m'a assuré qu'elle me rejoindrait au plus tard vers 22 heures. Il était 19 heures au moment de cette conversation. Je suis donc rentré à la chambre, j’ai fait ma lessive, j’ai préparé mes valises et j’ai attendu patiemment le retour de ma femme en lisant. À minuit, elle n'était pas encore rentrée. Il me devenait de plus en plus difficile de me concentrer sur ma lecture, mais j'insistai jusqu'à 1 heure. À partir de là, une sourde colère commençait à m'étreindre le coeur. Encore une fois, je me suis senti piégé par ses mensonges éhontés et je me suis dit que c'était la dernière fois que j'endurais ça. J'ai essayé de me calmer en éteignant la lumière et en appelant le sommeil, mais il n'y avait rien à faire. La colère grondait maintenant si fort que je ruisselais de sueurs. Quand un peu après trois heures, elle fit son entrée, en douce pour ne pas me réveiller, je lui ai dit en réprimant toute ma colère : « Je t'attendais bien avant ça... » Elle s’est mise dans une colère inexplicable, me traitant de tricheur qui faisait semblant de dormir et quoi encore. Alors, je lui ai annoncé que c'était fini entre elle et moi. Elle n'était plus ma femme à mes yeux. Je ne voulais plus rien avoir de commun avec elle. Que de toute façon, depuis qu'elle ne se lavait plus, elle était plutôt repoussante, surtout quand elle se déshabillait, à cause de l'odeur. Je ne me souviens pas exactement de tout ce qu'elle m'a débité comme injures à ce momentlà, mais je me souviens de sa figure complètement défigurée par la colère. Je me suis habillé et j’ai ramassé mes valises pour partir. Ses menaces ont redoublé. Elle m’a sommé de ne pas partir, sans quoi elle ferait un rapport d'éthique contre moi. Elle a ajouté que je n'étais qu'une source potentielle d'ennuis, et qu'il fallait que je reste pour faire « manier » mon cas. Je lui ai répondu que je tenais mes ordres d'une personne supérieure à elle, et que je me devais d'obéir. Si j'étais PTS, je l'étais bien avant ce soir, alors, il fallait me manier quand il en était temps. Pour le moment, j'avais une mission à remplir, et comme de toute façon il me serait désormais impossible de dormir à ses côtés, je préférais partir tout de suite. De toute façon, ai-je fini par lui dire, elle puait trop pour qu'il me soit agréable de rester avec elle une minute de plus. J'ajoutai que je voulais qu'elle me fasse préparer un lit dans le dortoir des célibataires pour mon retour. Il était trois heures trente du matin quand j’ai pris le volant à destination de Chicoutimi. Après quelques heures de route, je tombais radicalement de sommeil. J’ai fait halte dans une aire de repos et je me suis m'allongé sur la banquette pour roupiller un petit coup, sinon, la route pouvait devenir mortelle, surtout que depuis une demi-heure, la brume commençait à être de plus en plus épaisse sur l'autoroute. En passant à Drummondville, j’ai dû me cramponner à deux mains sur le volant pour éviter de tourner vers Sherbrooke. Je réussis à me convaincre que j'avais quitté ma femme, mais pas la Scientologie. J'avais une mission à remplir et je me disais que ce n'était pas parce que mon couple était chose du passé que je devais laisser tomber Ron; il avait tellement fait pour moi... J’ai fait halte à l'Église de Scientologie de Québec. J'avais des documents à y prendre pour la Mission de Jonquière. Je devais avoir une sale gueule du tonnerre, tous les gens de l'Église me regardaient d'une façon bizarre. Je me sentais gêné par leur façon de me regarder, ils semblaient en savoir plus sur mon compte qu'ils n'en disaient. J'ai donc évité de m'attarder trop longtemps à Québec. Comme un bon automate, j’ai repris le volant, en route vers Jonquière. Un peu comme un chien dans un jeu de quilles, je suis arrivé chez les gens qui m'avaient hébergé l'automne précédent. J’ai été reçu poliment, mais je voyais bien que je dérangeais. Ces gens étaient de bonnes personnes. Ils n’étaient pas riches, mais généreux. J’avais l'impression d'être une sorte de parasite pour eux. Mais selon ma patronne, il aurait fallu que je voie mon intrusion chez eux comme une grande faveur que Ron leur faisait. J'étais incapable d'envisager les choses sous cet angle. De plus, je tenais une forme désastreuse. J'avais besoin de me refaire, de refaire mes forces, et aucun truc que Ron m'avait enseigné jusque-là ne fonctionnait. J'avais beau me dire que je pouvais faire faire à mon corps tout ce qu'un corps pouvait faire, il ne le faisait pas. Le lendemain, je me suis rendu à la Mission. J'étais seul. J'en ai profité pour pousser un petit roupillon dans un grand fauteuil. J’ai été réveillé par le téléphone. C'était ma patronne à l'autre bout du fil. Elle s’est mise à m'engueuler comme du poisson pourri. « Qu'est-ce que tu fais, tu te poignes le...? T'es là-bas pour produire, pas pour dormir ! » Je l'ai écouté pendant quelques minutes, et je lui ai rappelé que c'était moi qui payais ses frais d'interurbains ; si elle n'avait rien de plus intéressant à me dire, j'allais raccrocher. Elle s’est calmée un peu et je l’ai écouté me débiter une foule de conseils que je ne voyais pas comment appliquer. Quand j’ai raccroché l'appareil, toute la stupidité de la situation m’a sauté aux yeux. Je me suis dit que ces pauvres gens que je devais « sauver » étaient beaucoup moins perdus que moi, que je serais bien mieux de faire comme eux plutôt que d'essayer de leur faire partager mon paradis de merde. J’ai mis la main dans ma poche et j’ai trouvé une pièce de 25 cents. Je l’ai lançée machinalement en l'air en disant: Face je reste, pile je pars. La pièce est tombée pile… pile ! ! PARTIE III : DU SAGUENAY À SHERBROOKE Le retour à la vie humaine La fuite Sans me poser de question, je me suis mis à ramasser mes affaires en m'efforçant de ne penser à rien. J'avais été entraîné à obéir comme un cadavre et là, c'est exactement ce que je faisais : j'obéissais, mais pour la première fois depuis six mois, j'obéissais à moi-même. Je suis sorti de la Mission et je me suis dirigé vers l'appartement de mes hôtes. À mon soulagement, il n'y avait que la co-locataire à la maison et je n'avais aucun compte à lui rendre. Cependant, l'entraînement reprenant le dessus, je me sentis obligé de lui servir une vérité acceptable pour expliquer mon départ précipité. J’ai ramassé mes valises et je lui ai dis : « Je dois partir, mon père n'est pas bien. » J’ai coupé court à ses questions, me contentant de lui répéter en la regardant dans les yeux: « Je dois partir, mon père n'est pas bien ». Je me suis précipité dehors, j'ai empoigné le volant et en route vers Sherbrooke. Avant de traverser le parc des Laurentides, il me fallait faire le plein d'essence; je n'avais rien avalé depuis le matin et il était déjà près de 17 heures, mais je ne sentais pas la faim. Le soir tombe très tôt, l'hiver, dans la région du Saguenay. Aussi, la route était incertaine, masquée par le voile blanc d'une neige abondante. Le voyage n'allait pas être facile; d'autant plus que le pompiste en faisant le plein m'avait dit qu'il était possible que le ministère des Transports décide de fermer la route du parc des Laurentides à cause de la tempête qui venait. Raison de plus de ne pas tarder à franchir la barrière, sinon, il aurait fallu faire le tour par Tadoussac, ce qui aurait allongé considérablement le trajet. Il y avait bien au fond de moi une petite voix qui voulait se faire entendre pour me retenir, mais je refusais catégoriquement de la laisser s'exprimer. Rien à faire, je ne retournerai jamais, jamais ! Jamais plus personne ne pourrait me contraindre à faire ce que je ne désire pas. Et ce que je refuse par-dessus tout, c'est d'obéir à des ordres qui me semblent complètement stupides. Il n'y eut pas de combat en moi-même au cours du voyage; je refusais le combat. Je ne voulais rien savoir de lutter contre moi-même. Paradoxalement, ce qui m'a facilité la tâche c'est la difficulté de la route. Une neige abondante, tombant du ciel par gros chiffons, venait masquer une route déjà glissante dans une nuit noire comme de l'encre. L’instinct de survie me forçait donc à mettre toute mon attention à la conduite de mon véhicule, ne laissant aucune prise aux pensées contradictoires qui auraient pu m'assaillir. Ce n'est qu'arrivé au relais de mi-chemin, dans le parc des Laurentides, devant un bol de soupe bien chaude que je me suis permis d'évaluer mon geste. Changer de vie sur un coup de pile ou face, ce n'est pas très sérieux, mais qu'est-ce qui est sérieux dans la vie ? Et de plus, quand les deux côtés d'une alternative semblent dénués de sens, le choix au hasard n'est-il pas ce qui est encore le plus logique ? Et que se serait-il produit, si la pièce de monnaie était tombée face ? Je ne voulais pas y penser. P ile je pars et la pièce est tombée pile. Voilà la réalité. Elle n’est pas tombée face, cette pièce. Voilà tout. Au fond de moi, je me dis que je venais de décider de vivre comme un être humain, pas comme un robot. Je choisissais de vivre libre malgré l'incertitude des lendemains. Je voulais surtout échapper à la robotisation complète de ma conscience. Pour le reste de la route du parc, la neige tombait moins abondante. J’ai donc pu conduire plus à l'aise. Puis, j’ai vu arriver les lumières de Québec avec une certaine satisfaction. J’ai traversé la ville et je me suis dirigé vers Sherbrooke sans faire escale. Il me restait moins de trois heures de route avant de revoir mon lieu d'origine. Retour à la vie Ma première visite a été pour mon frère Pierre à Ascot Corner, mais comme il n'y avait personne à la maison, j’ai e décidé de faire les quinze kilomètres de plus pour me rendre chez mon père à Sherbrooke. Je ne savais pas comment il me recevrait. Il avait toujours été très à cheval sur les principes, surtout quand il s'agissait de vie familiale et comme je venais de quitter la mienne, j'avais un peu peur qu'il le voie d'un très mauvais oeil. J'arrivais chez lui à l'improviste, interrompant une partie de cartes avec des amis. Les amis ont dû deviner, à me voir, qu'il y avait quelque chose d'irrégulier dans la situation qui demandait à être discutée en famille seulement, car malgré mes protestations, ils se sont éclipsés sans délai. Aussitôt la porte refermée sur eux, Papa s'est empressé de me demander : — Es-tu en vacances ou es-tu revenu pour de bon ? — Je suis revenu pour de bon. — Ben mon gars, je suis content que tu t'aies ouvert les yeux avant que je ne meurs. Il nous quittait trois mois plus tard, terrassé par une crise cardiaque. Je ne me souviens pas très bien du reste de la veillée, sauf que je crois avoir laissé libre cours à mes larmes réprimées depuis si longtemps. Mon père a évité de me servir le vieil adage « Un homme, ça pleure pas », au contraire, je crois me souvenir qu'il a pleuré avec moi. Je lui étais énormément reconnaissant de ne pas s'être laissé aller à se poser en juge, comme il savait si bien le faire tout le temps de mon enfance et de mon adolescence. Ma belle-mère m'a invita à coucher dans la chambre d'amis et j’ai passé une nuit très reposante. Au déjeuner, le lendemain, mon père a voulu connaître mes projets d'avenir. Je n'en avais pas. Puis, j’ai cru comprendre qu'il voulait surtout savoir où j'allais loger et qu'est-ce que je ferais pour gagner ma vie. Je n'en avais aucune idée, et j'étais incapable de m'en faire une, si vague soit-elle. J'avais besoin de me récupérer. On ne passe pas six mois à se faire laver le cerveau sans qu'il ne soit si propre qu'il puisse y rester quoi que ce soit d'utile pour réorganiser une vie. J’ai compris aussi, que mon père ne voulait pas que je m'incruste chez lui. Alors j'ai appelé Jacques, mon frère; il m’a reçu à bras ouverts. J'aurais pu rester chez lui aussi longtemps que je le voulais, mais il était aux prises avec une femme qui lui en faisait voir de toutes les couleurs et je sentais que ma présence n'arrangeait pas les choses. De plus, j'avais un réel besoin de solitude ; je venais de passer six mois sans avoir un seul instant à moi, moi qui me suis toujours plu dans la solitude d'un champ ou d'un bois, j'étais en manque de me retrouver seul avec moi-même. Trouver un appartement n’a pas été difficile et, comme je n'étais pas difficile, le premier visité a très bien fait l'affaire. Il était situé dans un vieux quartier tranquille de la ville, dans une rue bordée d'arbres. L’appartement était meublé. Il n'y manquait rien. Même la vaisselle et les draps de lit étaient fournis. Moi qui n'avais rien, c'était pour moi une véritable aubaine. Il n'y manquait que le téléphone et c'était tant mieux puisque je ne voulais rien savoir de cet appareil dérangeant par lequel mon ex-femme aurait pu tenter de me faire «entendre raison». Je m'y donc installé donc, et je devais y rester pendant un an et demie. * * * Les efforts de la Scientologie pour me récupérer Trois jours après ma fuite de la Sea Org, mon père a reçu un appel téléphonique de Thérèse. Il a appris de sa bouche que je venais d'abandonner lâchement ma famille. Elle l’a sommé de m'ordonner de retourner au bercail dans les plus brefs délais, sinon, il y aurait une déclaration de suppressive person émise contre lui et autres menaces dont il ne comprenait pas très bien le sens, n’étant pas un familier du jargon scientologique. J'étais chez Jacques, à ce moment-là. Mon père m’a téléphoné pour me dire ce qui venait de lui arriver. Il m'a exprimé sa surprise d'entendre Thérèse se comporter comme une furie à l'autre bout du fil. Il m’a demandé si elle était folle comme ça depuis longtemps. Jamais il n'aurait soupçonné que cette petite femme, d'apparence si calme et condescendante puisse devenir un tel monstre d'agressivité. Je lui expliquai qu'il venait de subir une séance de 8C, ce qui est monnaie courante dans la Sea Org. Je lui dis aussi qu'il était bien normal qu'elle perde les pédales, puisqu'elle venait de perdre son esclave. Elle tenait à le récupérer par tous les moyens. Mon père était très visiblement ébranlé par la conversation qu'elle lui avait tenue. Il s'est vite aperçu qu'il ne lui servait à rien d'argumenter contre elle; elle était en proie à une crise d'hystérie comme jamais il n'en avait vu avant. Il me dit: «Je te comprends parfaitement de t'être soustrait à un tel régime de vie, si c'est comme ça que ça se passe dans ce patelin. » L’absence de téléphone dans mon appartement me protégeait contre ses tentatives de me relancer à tout moment, ce qui me permit de me récupérer un peu. Les semaines qui suivirent furent la période la plus sombre de ma vie. Je me sentais lâche et indigne de vivre. Je restais des jours entiers, prostré dans mon appartement, sans oser sortir, de peur d'être pointé du doigt dans la rue comme étant un déchet de la société. Le travail des lavages de cerveau faisait son oeuvre. « Hors de l'Église, point de salut ». Pour me distraire, j'entrepris d'écrire un roman de science-fiction où il était question de fuir un régime de fou. Il s'agissait de l'histoire romancée de ma fuite de la Sea Org, transposée dans un contexte interplanétaire, qui pourra éventuellement faire l'objet d'une publication si jamais j'arrive à la compléter. Pierre et Jacques, mes frères, me visitèrent beaucoup, pendant les mois qui suivirent. En douce, ils venaient me secouer de ma torpeur afin de m'aider à me raccrocher à la vie. Je leur en serai toujours reconnaissant; sans eux, je crois que je me serais laissé couler vers la mort sans trop réagir. Je dois beaucoup aussi à ma soeur aînée, pour sa grande patience à écouter mes jérémiades pendant des après-midi complets. Un ami de mon frère Pierre, Charles, dépositaire de machines agricoles se cherchait un vendeur. Pierre m'incita à me porter candidat et j'obtins le poste. Charles m'avait connu plein de vie et très dynamique au moment où je cultivais la terre. Il était alors mon principal fournisseur de machineries agricoles. Il s'attendait à trouver en moi un individu capable de faire augmenter les ventes substantiellement. Il eut la désagréable surprise de ne trouver qu'une coquille vide, un semblant d'être humain, tout juste bon à figurer dans la salle de montre sans pour autant vendre quoi que ce soit. Pourtant, je faisais des efforts inouïs pour me secouer et produire, mais je n'arrivais pas à situer mes clients. Je les laissais filer sans rien leur vendre. Après deux mois de ce régime, comme je n'étais pas tout à fait inconscient de mon état, je fis remarquer à Charles que rien ne l'obligeait à me garder à son service si je ne faisais pas l'affaire. Je crois qu'il attendait cette conversation depuis un bon moment. Il me dit: « Je suis content que tu m'en parles, ça me gênait d'aborder le sujet à cause de la considération que j'ai pour toi, mais je ne puis te garder plus longtemps; j'ai besoin de quelqu'un qui fasse augmenter les ventes, et de toute évidence ce ri est pas ton cas. » Je ne me retrouvais pas tout à fait à la rue; même que l'assurance chômage me donnait un revenu plus élevé que ce que je gagnais chez Charles, et je pouvais compter sur un an de prestation, donc un an pour me trouver un boulot afin d'assurer ma subsistance. Entre temps, avant même que je n'entre au service de Charles, Philippe mon fils était venu me visité. Il me dit que je ferais bien de retourner à Toronto, non pas pour réintégrer la Sea Org, mais pour me remettre en bon terme avec la Scientologie, ainsi, nous pourrions communiquer, ce qui était totalement interdit dans le cas contraire. Il me dit aussi que je n'aurais pas à discuter avec Thérèse, qu'il s'occuperait lui-même de moi et que grâce à ce voyage, tout rentrerait dans l'ordre afin que nous puissions communiquer sans enfreindre les lois de la Scientologie. Je me laissai convaincre et me rendis à Toronto. Quelle ne fut ma surprise d'être reçu par Thérèse elle-même; Philippe ni avait pourtant assuré que je n'aurais pas affaire à elle. La rencontre fut pénible pour nous deux. Je me retrouvai devant elle, ne sachant que dire ni que faire. Je voyais très bien qu'elle se retenait terriblement de venir se jeter dans mes bras, mais je ne fis aucun mouvement pour l'y encourager. Je vis aussi, qu'on lui avait enlevé son beau grand bureau pour la localiser dans le coin d'une autre division de la Sea Org, où elle était étroitement surveillée par un grand type blond au regard d'acier. Elle me faisait affreusement pitié, mais je sentais bien qu'il n'y avait rien à faire pour elle. Ne m'avait-elle pas dit, au cours de l'automne précédent qu'elle préférait passer le reste de son existence à laver les parquets de l'édifice, à quatre pattes avec une brosse à dent si on le lui commandait, plutôt que de quitter la Scientologie? Elle me commanda de mettre mes jeans et aller laver les parquets. Je lui dis que je n'étais pas venu pour me soumettre à l'esclavage, mais pour parlementer afin de trouver une formule d'entente pour que je puisse communiquer librement avec les enfants. Alors, elle appela la Justice Chief à sa rescousse. Cette dernière me somma de quitter les lieux sans autre forme de procès. La justice chief n'était personne d'autre que cette Lisette Parent, avec qui j'avais eu des difficultés au cours de mon novicIat. Sachant très bien qu'on ne lutte pas contre la stupidité, je lui dis que je partirais aussitôt que les choses que j'avais à régler le seraient. Il fut alors question des dettes que SMI avait à mon égard, ainsi que du montant que la femme du CO CM a CAN (le petit blond morveux à lunettes) me devait pour l'achat de son ordinateur. Thérèse me faisait tellement pitié que je lui signai un papier afin de lui faire cadeau des argents que la Sea Org me devait. Je quittai ces lieux maudits plutôt bouleversé. Il ne me restait qu'à aller récupérer mes vêtements et le maigre butin qu'il me restait à la maison-dortoir et à rentrer à Sherbrooke. Encore une fois, je me sentais trompé par leurs manigances hypocrites. À mon retour de ce voyage éclair, je prenais mon poste chez Charles. J'étais plus mort que vif; mes maigres performances au travail n'ont donc rien de surprenant. Le divorce Peu de temps après, Thérèse me téléphona (je m'étais abonné au téléphone pour mon travail) pour me dire qu'elle voulait divorcer parce qu'elle voulait se remarier. Elle eut l'obligeance de me signaler qu'elle ne me demanderait rien en fait de pension. « De toute façon, lui dis-je, tu peux toujours demander, il ne me reste rien. » Le divorce fut prononcé sans que je ri aie eu à m'en occuper. Au nom de notre grande amitié Au cours de l'été 1990, elle revint à Sherbrooke pour visiter la Mission de Scientologie. Elle me téléphona pour me dire qu'elle voulait me rencontrer. Je pris rendez-vous avec elle, au centre de HELp, une autre division de Scientologie qui avait fait apparition dans la région. Je mis mes plus beaux vêtements et m'y rendis. Elle avait engagé un expert afin de me « manier ». Il s'agissait du fameux Darrell des séminaires dianétiques du début. Darrell était un maître dans l'art de la conviction. Quand j'arrivai au centre, Thérèse, qui m'avait paru si affable au téléphone, me fit la gueule. Elle me dit que je devais d'abord rencontrer Darrell, et qu'ensuite on pourrait se parler. Je passai donc dans le bureau où siégeait en maître le dénommé Darrell. Il aborda la conversation dans ces termes: - Au nom de notre grande amitié, Jean-Paul, je veux te parler. - Parle, je t’écoute… - Tu sais, Jean-Paul, il est permis de prendre des vacances, mais il faut revenir au travail... - Qui est en vacances? Je ne suis pas en vacances, moi! - Mais au nom de notre grande amitié, moi qui t'ai fait connaître la dianétique, je me permets de... - D'abord, quelle amitié, je ne suis pas ton ami! - Mais la dianétique a apporté de grands changements dans ta vie... - Je rn' en serais bien passé de ces changements, c'est depuis que je connais la dianétique, justement, que ça va mal. - Mais tu as profité de la dianétique... - Profité? T'appelles ça profiter toi? Je me suis laissé emmerder jusqu'à perdre tout ce qui m'intéressait dans la vie. Ma famille, ma ferme, mon travail, mon enthousiasme devant la vie, tout ça réduit à zéro. Si c'est ce que tu appelles en profiter, je veux bien, mais merci, j'ai déjà donné. - Mais pense à ta femme... - Elle? Ce n'est pas celle que j'ai épousée... - Et tes enfants... - Ils rn' ont été soufflés, ils ne veulent même plus répondre à mes lettres... - Alors on n'a plus rien à se dire... - De toute façon, ce n'est pas toi que je venais rencontrer; je me rends compte que j'ai encore été dupé par vos ruses de scientologues. Je sortis du bureau et vis Thérèse, préoccupée à classer des papiers. Je lui demandai si elle avait quelque chose à me dire, elle me répondit d'un air maussade par la négative. Je l'invitai à venir prendre un café, elle refusa. En juillet 1991, j'eus des nouvelles d'elle par l'entremise de son frère à qui elle avait emprunté cent dollars. Elle lui avait promis de le lui remettre le lendemain, mais elle avait déguerpi sans même lui laisser un mot d'excuse. Il fulminait, le pauvre; il était venu me voir pour savoir où la rattraper. Je n’en savais rien. En décembre 1991, la Sea Org fit un autre effort pour me récupérer. Je reçus un coup de téléphone de Lisette Parent, la « Justice Chief ». Elle voulait savoir quand je paierais mon compte. Je lui signalai que la Scientologie m'en devait beaucoup plus, et que s'il fallait faire les comptes, ça risquait de lui coûter cher. Je n'ai cessé, depuis, d'envoyer des cartes de fête et de Noël aux enfants. Je n'ai reçu aucune réponse jusqu'à ce que j'écrive à Jean-François, pendant l'été 1993, que j'étais à écrire un livre qui aurait l'effet d'une petite bombe. Cette lettre n'a pas manqué de provoquer des remous chez les scientologues. Deux semaines plus tard, je recevais un appel téléphonique de mon ex-épouse. Elle ni apprit que Philippe était père d'un petit garçon de huit mois, et qu'elle voulait me le montrer. Mais avant que je ne vois l'enfant, elle voulait me « parler ». J'étais très heureux de la nouvelle, jusque là, je ne savais même pas que j'étais grand-père, mais je sentais qu'elle voulait utiliser l'enfant comme moyen de pression, afin de ni empêcher de poursuivre mon projet d'écrire ce livre. Face à mon refus de la rencontrer sans la présence du petit-fils, elle a quand même accepter un rendez-vous en terrain neutre, dans un parc de Sherbrooke. J'ai eu le plaisir de tenir mon petit fils dans mes bras pendant une heure trente. Elle a tenté de me tirer les vers du nez, mais je ne lui ai laissé aucune indication sur le sujet de ce livre, lui disant qu'elle devrait attendre la publication pour en connaître le contenu. Quelques semaines plus tard, c'est Jean-François luimême qui me rejoignait par téléphone. Il était à Los Angeles. Il insistait pour que je lui dévoile le sujet de mon livre, ce que je refusai. Son appel, malgré son but intéressé, me fit grand plaisir; c'étais la première fois que je pouvais lui parler depuis décembre 1989. Le dernier signe de vie que j'ai eu de lui, c'est la lettre reproduite dans l'introduction de ce livre. CONCLUSION Plus de quatre ans ont passé depuis ma décision d'échapper à ce tourbillon de folie qu'est la Scientologie. Le retour à la vie n'a pas été facile. J'ai vécu des heures, que dis-je des jours, des semaines sombres, mais tout ça est derrière moi maintenant. Il m'arrive souvent de me surprendre à rêver à ce que serait devenu ma famille sans cette pollution mentale qu'est la Scientologie. Aujourd'hui, Jean-François serait sans doute ingénieur, Philippe agent de la faune et Anne-Marie étudierait au Cégep, comme les jeunes filles de son âge. Moi, je serais à préparer la prochaine saison de framboises, qui j'en suis sûr sera la meilleure de toutes; c'est toujours la saison prochaine qui sera la meilleure dans ce métier de producteur agricole. Mais tout ça, c'est du rêve, du possible brisé, dérouté par les voleurs de vie de la Scientologie. Il me reste à ramasser les morceaux et tâcher de me reconstruire une existence potable. C'est ce que je rn' acharne à faire depuis mon retour de Toronto, mais ce n'est pas si facile; la blessure est profonde et la douleur est toujours cuisante. De tout cela, la leçon que je tire pourrait s'énoncer comme suit: dorénavant, je serai mon propre guide et malheur àquiconque tentera à nouveau de me conduire dans des avenues que je n'aurai pas choisies. J'espère que la lecture de ce récit pourra aider quelques personnes à éviter le piège dans lequel je suis tombé. On n'en sort pas facilement; il en subsiste toujours une certaine honte de s'être laissé avoir de la sorte, mais surtout, une douleur que Je n'arrive pas à apprivoiser. En fin de compte, mon plus grand espoir est de pouvoir dire à mes enfants ce que mon père m'a dit à mon retour: - « Je suis heureux que vous vous soyez ouvert les yeux avant que je ne meurs. » FIN Annexe I COURRIER Le courrier est un mode de communication passablement négligé par les scientologues. À preuve, les écarts entre les dates de rédaction des lettres et les dates de réception. En janvier 1990, j'envoyais à la Mission de Sherbrooke une proposition d'arrangement pour le remboursement des 7500 $ que je leur avais prêté à mon départ pour Toronto. En mars, je recevais la réponse reproduite ci-dessous. ÉGLISE DE SCIENTOLOGIE Mission de Sherbrooke Sherbrooke, le 1 Mars 1990 M.Jean-Paul Dubreuil 185, 5ième Avenue, Apt 1 Sherbrooke, Qc J1G 2L4 Salut Jean-Paul, Comment ca va toi? Je suis content d'avoir de tes nouvelles. Pour ce qui est de l'arrangement, il est entendu que nous n'avons pas oublié ce que nous te devons. L'entente que tu proposes est correct à $100.00 par semaine. Maintenant, le seul bug est que présentement, étant donné les revenus de la mission, nous poussons nos créanciers pour avoir plus de jeu. Une chose que je peux te dire c'est qu'aussitôt que nous pourrons honorer l'arrangement, nous le ferons avec grand plaisir. Je compte donc sur ta compréhension et ta patience et je fais tout ce que je peux pour honorer l'arrangement que tu nous propose. Merci pour ta comm et au plaisir de te revoir bientot. Salutation Pierre Lacroix, MH SHB La mission de Sherbrooke a fermé ses portes avant de pouvoir honorer sa dette à mon endroit. Pierre Lacroix , le MH (Mission Holder) était un type absolument sincère et je ne doute pas qu'il m'eut remboursé s'il en avait eu la possibilité. Je me doute un peu qu'il devait être harcelé par plus d'un créancier, alors je n'ai pas poussé l'affaire plus loin. *** La communication suivante me parvint de Toronto en juin 1990. Il s'agit de la « SP déclare »; en d'autres termes, la déclaration officielle de mon état de personne suppressive, ce qui correspond à mon ordre d'expulsion. Le texte est en anglais, puisqu'il s'agit de la langue sacrée de Ron. Ce texte était accompagné par un petit mot gentil de Lisette Parent, écrit à la main, dont voici la reproduction intégrale : 8 june 1990 Cher jean-Paul, Voici la SP declare qui a été fait sur toi. Ceci est pour te donner une route pour revenir sur le pont. La première chose que tu dois faire est d'arrêter de commettre des overts de temps présent et de cesser tout attaque et suppression, ceci va te permettre d'avoir des gains de cas. Donne-moi ta réponse la dessus. ML Lisette Parent SNR HAS CAN (ML est l'abréviation de Much Love.) Ce texte était agrafé à une feuille jaune datée du 15 mars 1990, sur laquelle était rédigée en anglais la « SP declare » et dont voici reproduction. SEA ORGANISATION CLO CANADA ETHICS ORDER 140 15 March 1990 ALL ORG & MSN HCOs CLO CANADÀ EXECS AND CREW SUPPRESSIVE PERSON DECLARE JEAN-PAUL DUBREUIL Jean-Paul Dubreuil, CLO CAN crew and former ACE TEAM I/C is hereby declared a Suppressive Person. In the biginning of January 1990 Jean-Paul deserted his post and blew CLO Canada. Many attemps were done to recover him. He finally accepted to come to CLO but once there he refused to route off standardly and just walked out, and created enturbulation on CO SMI CAN lines. Investigatin into Jean-Paul's ethics record following his blow has revealed that while Jean-Paul was on his post in SMI in CLO Canada, he created enturbulation and upset in the area and sabotaged organization actions by refusing to wear his hat and backflashing to seniors. Jean-Paul is guilty of the following suppressive acts: 1. VIOLATION OR NEGLECT OF ANY OF THE 10 POINTS AS LESTED IN HCO PL 7 FEB 1965 KEEPING SCIENTOLOGY WORKING. 2. WHERE À PERSON IS SECRETELY PLANNING TO LEAVE AND MAKING PRIVATE PREPARATION TO DO SO WITHOUT INFORMIN THE PROPER TERMINALS IN AN ORG AND DOES LEAVE (BLOW) AND DOES NOT RETURN WITHIN À REASONABLE LENGTH OF TIME AN AUTOMATIC DECLARE IS TO BI ISSUED. (REF: HCO PL 7 DEC 1976, LEAVING AND LEAVES.) Any certs and awards Jean-Paul may have received by the Church are hereby cancelled. Any trademarks lecense Jean-Paul may have signed is hereby cancelled and he may not use these marks for whatever reason. His only terminal is the International Justice Chief via Cont Justice Chief. Should Jean-Paul come to this senses ans wish to seek the mercy of the Church he may start on his À to E steps as laid aout in HCO PL 23 Dcember 65RA, SUPPRESSIVE ACTS, SUPPRESSION OF SCIENTOLOGY AND SCIENTOLOGIST. Lisette Parent CJC CAN Approved by INT JUSTICE CHIEF Autorized by LRH COMM CAN for CHURCH OF SCIENTOLOGY OF TORONTO En février 1991, je recevais la missive suivante. Je la reproduis en conservant les fautes de français, y compris l'absence d'accent; soulignons qu'ils travaillent avec un clavier anglais. Jean Paul Dubreuil 8/02/91 CJC CAN Cher Jean paul, J'ai ici les cartes que tu envoies a tes fils. Par la HCO PL sur les actes suppressifs qui se trouvent dans le livre d'ethique a la page 196 ton seul terminal est le IJC via CJC. de plus par la meme reference c'est un acte suppressif que de continuer a etre attache a une personne ou a un groupe declare suppresif par HCO. Ils ne veulent plus avoir de communication de toi jusqu'a ce que tu aies manie ta situation. Je veux que tu m'ecrives et que tu me dises comment ca va, et n'importe quelle question que tu peux avoir et je vais t'aider a passer a travers tes etapes À a E. Ce n'est vraiment pas complique. Ne reste pas muet. ML Lisette Parent CJC CAN Cette lettre me laisse croire que le courrier de mes fils est ouvert par la CJC CAN (Continental Justice Chief Canada). Les étapes À à E sont des processus de récupération de membres dissidents. Essentiellement, il s'agit d'avouer ses crimes contre la Scientologie et d'expier en travaillant comme un esclave docile, à des besognes de nettoyage, de lavage, etc. *** En juin 1991, je recevais la lettre suivante : Jean Paul Dubreuil 18/06/1991 CJC CAN Dear Jean Paul, D'apres les donnees que j'ai eu de Therese tu as donne ton accord pour qu'elle puisse conserver l'E-meter. Therese a besoin de quelque donnees afin de retracer cet E-meter. Ce qu'elle a besoin c'est: 1) Le numero de serie du E-meter. 2) Ou tu l'as envoye. 3) Le way bill number du colis dans lequel il a ete envoye 4) Si oui ou non il y avait une guarantie du colis. J'attends ta reponse la dessus bientot. ML Lisette Parent CJC CAN Il s'agit ici du E-meter que j'avais acheté à Los Angeles, au printemps 1989. À ma visite de mars 1990 à Toronto, j'avais dit à Thérèse que si elle pouvait le récupérer, je le lui donnais. Je n'avais aucune des données que Lisette Parent me demandait. On remarquera que cette missive ne fait aucune allusion à mon salut. *** La lettre qui suit était accompagnée d'un compte, Elle est datée du 18 octobre 1992, mais je ne l'ai reçue qu'en fin de janvier 1993. Et encore, elle fut adressée chez ma soeur Yvonne. Ils auraient donc perdu mon adresse. Pourtant, chaque fois que j'écris à mes enfants, je la leur redonne. Puis-je en déduire que leur courrier est étroitement surveillé et jeté à la poubelle sans même être ouvert? Et que dire du délai entre la date inscrite sur la lettre et celle de l'oblitération postale, le 19 janvier 1993? L'organisation manque-t-elle d'argent au point où elle n'arrive pas à se payer des timbres-poste afin d'expédier le courrier sitôt écrit? Voici le texte intégral; à remarquer que, comme pour les lettres précédentes, je le reproduis en respectant toutes les fautes et les anglicismes qu'elle renferme, en plus des « scientologismes ». Jean Paul Dubreuil 18 Oct 1992 CONT JUSTICE CHF CANADA Cher Jean-Paul. Je veux t'aider. Tu as recu notre aide. Par contre, tu es en train de retenir un retour de flux d'aide a la Scientologie. Tu devrais tres bien savoir maintenant que tu ne peux monter l'echelle quand tu retiens consciamment. Tu es en train de retenir une quantite considerable d'argent de la Scientologie: c'est l'argent que du dois, que tu as signe et temoigne. Pourquoi fais-tu cela? Est-ce que tu as fais tant d'overts sur nous que tu nous as oublie? Ou tellement sur toi-meme que tu es casse financierement? Tu as paye et va payer plusieurs fois cette somme d'argent sur des babioles et des bibelots de l'existence de l'Homo Sapiens. Est-ce que tu estimes la valeur de ton eternite si basse que tu retiendrais consciamment de la Scientologie? Je ne me sers pas d'agent de collection pour t'aider a ne plus retenir. Je veux ton propre determninisme, pas ton esclavage. Paie, je te le dis: NE retiens PAS. La survie de la Scientologie n'est pas a risque. La tienne l'est. Peux-tu confronter et etre responsable pour l'overt conscient de retenir de l'argent qui est necessaire et du à la Scientologie? Reponds oui seulement si tu es Clair, Clair completement. Tu ne pourrais pas si tu ne l'etais pas, je te le guarantie. À toi de jouer maintenant. Paie et sois honnete avec toi-meme - et sois content que quelqu'un veuille te le dire franchement. Je serais un tres pauvre ami si je ne le faisais pas. Je veux que tu sois autour en condition de communication pendant les longues billion d'annees a venir. Donc fais de l'outflow et debloque ce flux, au meilleur de tes abilites. Ta liberte et bonheur futurs vont etre directement proportionnels a combien tu peux faire d'outflow et vaincre les pressions du GPM qui dicte cette retenue. Aucun auditeur ne peux le faire pour toi - il peut seulement aider. C'est ce que je fais. Paie! Avec amitie, Lisette Parent CONT JUSTICE CHF CANADA Le mot clé de la lettre est l'impératif « paie! » Le reste n'est que menaces et tentatives de réactiver chez moi les implants psychologiques qu'ils ont tenté de m'installer dans le cerveau, au cours de mon séjour parmi eux. Ils ont besoin d'argent. Il ne faut donc pas se surprendre du ton impératif de la lettre, afin que je leur expédie un chèque couvrant la dette qu'ils m'imputent. La réalité, est qu'ils m'en doivent énormément plus que ce qu'ils me réclament. En faisant un bilan rapide, j'ai calculé être en mesure de leur réclamer une somme dépassant largement les 200 000 dollars. Examinons maintenant le compte joint à la lettre et dont la Parent exige si impérativement le paiement : d'abord, il y a le cours « Welcomme to S.O. Tapes » 456 $, et ensuite le « Basic Sea Org Member Hat » 884 $ ; total 1340 $. Ces deux cours sont des lavages de cerveau ayant pour but de produire chez l'adepte une fierté démesurée d'être un membre de la Sea Org. Ils sont obligatoires pour être admis comme membre. C'est un peu comme un patron qui chargerait à ses employés les cours qu'il les oblige à suivre pour la bonne marche de leur travail. Reprenons la lettre, et tentons d'en dégager les grandes lignes; d'abord, elle veut m'aider. J'aurais été aidé (?) et je retiens (retenir, pour eux, c'est un peu comme un péché d'omission pour les catholiques; c'est très vilain.) Ensuite, il y a l'échelle à monter, et selon elle, je devrais la monter et mon attitude m'en empêcherait. Elle explique ensuite la retenue : c'est l'argent qu'elle croit que je leur dois. Elle essaie de soulever l'idée qui pourrait me faire marcher si j'étais encore membre de la secte; je commets un « overt »; lire un crime. Dans le paragraphe suivant, elle essaie de me faire peur avec mon éternité, qui est perdu selon elle, si je ne marche pas dans leur combine. Ensuite, elle me fait la charité de ne pas mettre le compte dans les mains d'une agence de collection. Cela semble très gentil de sa part, mais il y a un hic; personne ne pourrait me forcer à payer pour des cours imposés par un employeur. Même l'agence de collection la plus malhonnête refuserait de prendre ce genre d'affaire en main, puisque n'importe quel tribunal jugerait l'affaire en ma faveur, et ça, elle le sait très bien. Elle dit aussi, qu'elle veut mon propre « déterminisme »; c'est à dire, qu'elle entend bien faire en sorte que je sente que je n'ai pas le choix de payer ou pas, si je veux sauver mon âme. Elle ajoute que la survie de Scientologie n'est pas à risque. Ici, il faut savoir que la Scientologie à un code d'éthique très mécanique, avec une échelle de valeurs. « Risque » est une valeur très basse sur leur échelle. Elle me dit aussi, que si je ne suis pas Clair, je ne puis « confronter » d'être responsable de l'overt de retenir l'argent qu'elle estime appartenir à son organisation. Ici, je pourrais lui répondre que je m'en fous littéralement, puisque pour moi, il n'y a aucun péché à éviter la stupidité. Le reste, c'est une question de technique à la Ron. Si je fais du « outflow », il me reviendra nécessairement du « inflow »; donc si je paie, je serai plus riche sans savoir pourquoi; c'est une promesse de Ron, basée sur sa connaissance de la thermodynamique. Il y a aussi ce GPM à vaincre. Un GPM, c'est un « Goal Problem Mass ». C'est une « masse mentale » qui m'empêche de voir que le seul but de ma vie est d'être un scientologue. C'est très méchant quand on a ça, c'est la méchante chose qui m'empêche d'être un bon petit pantin qui paierait sans se soucier de rien de plus. La lettre finit par la preuve de sa grandeur d'âme à mon égard; elle croit m'aider en me brandissant l'impératif paie! Je n'en ferai rien, c'est bien entendu, mais si jamais j'obtempérais, ce serait le début d'une autre technique de récupération d'ancien membre, afin de me remettre dans le « droit chemin ». J'en ai vu d'autres se faire manoeuvrer de la sorte, je ne suis pas candidat. Elle se permet de signer avec amitié. Je retiens de ça que son amitié pour moi se mesure à l'épaisseur de mon porte-feuille et de ma crédulité qui pourrait éventuellement le vider vers son organisation sangsue. J'allais passer sous silence, ce passage qui pourra paraître bizarre au lecteur; celui où elle parle des « longues billion d'années ». Il s'agit-là d'une forme de pensée magique greffée à l'idée de la réincarnation. Un bon scientologue va revenir sur la planète pendant des milliards d'années, en bonne condition d'existence s'il fait partie de la Scientologie, mais en mauvaise s'il n'y participe pas. Et pour ma part, la situation est d'autant critique que j'ai vu un jour la lumière, et que je l'ai refusée. Je suis donc un excommunié de la pire espèce; et mes propres enfants sont conditionnés à renier mon existence tant et aussi longtemps que je ne demanderai pas le pardon de mes égarements. *** Annexe II En conjecture : « VOUS » Tous les scientologues furent d'abord des gens ordinaires, à la recherche d'amélioration personnelle. Tous les jours des gens de bonne foi se font attraper, et ce ne sont pas nécessairement des imbéciles. Cela pourrait arriver à n'importe qui. C'est pourquoi, je propose au lecteur de suivre l'évolution d'un scientologue moyen avec un personnage hypothétique, un portrait robot, que j'appellerai - « Vous! ». Attention : il ne s'agit pas de mon cheminement personnel en Scientologie, même si j'ai moi-même subi à peu près les mêmes pressions que le « Vous » en question. Il s'agit d'un cheminement général que chaque scientologue est susceptible de parcourir, à quelques détails près. Les détails rapportés ici ont été vécus par différents adeptes que j'ai rencontré et je garantis qu'ils sont tous authentiques pour surprenant que cela puisse paraître. Le scénario se déroule presque toujours comme suit : vous venez d'être recruté dans la rue afin de remplir un test de personnalité gratuit. Ou encore, vous avez trouvé dans votre boîte aux lettres une copie du questionnaire avec invitation à y répondre et le retourner au Centre dianétique pour évaluation gratuite. Ou encore, une vieille connaissance vous relance pour vous inviter à une conférence extraordinaire au sujet de la santé mentale, après quoi vous êtes invité à remplir un test de personnalité. Le but est de vous amener dans la boutique et vous faire rencontrer un redge qui saura vous convaincre que vous avez besoin de la Scientologie. Le spécialiste qui vous a donné les résultats vous a fait découvrir ce qui ruine votre vie. Vous êtes touché en plein dans le bobo. Il vous laisse poiroter un moment, jusqu'à ce que vous lui demandiez quoi faire avec cela. Tout bonnement, votre examinateur se transforme en conseiller et vole à votre secours. Il a ce qu'il vous faut pour régler le problème. Remarquez que vous amener à vous poser la question sur ce que vous pourriez faire pour améliorer votre sort, fait partie intégrante de la technique de votre examinateur. Ainsi, vous avez l'impression que c'est vous qui demandez de l'aide, et non lui qui vous pousse dans l'affaire. Son but est de vous amener à demander de l'aide. Ils appellent cette étape amener le client à « besoin de changement ». Donc, vous avez besoin de changement, et votre examinateur vous dit que beaucoup de choses peuvent être faites pour un cas comme le vôtre; il va vous nommer une foule de chose qui se fait et que vous ne pouvez accepter, pour finalement vous décrire ce que lui a fait pour son propre cas, qui, par le plus grand des hasards, ressemblait beaucoup au vôtre. Il sera sympathique comme jamais personne ne l'a été avec vous. Il vous comprendra comme jamais auparavant vous n'avez été compris. Selon son expérience, il vous classera dans l'une ou l'autre catégorie : ou vous avez besoin d'audition dianétique, ou vous avez besoin d'un cours de base qui vous aidera à résoudre votre problème. Si vous vous qualifiez, c'est-à-dire, si vous avez 300 $, il vous proposera un forfait de 20 heures d'audition dianétique. Sinon, il vous offrira un cours de base, selon votre qualification; entre 20 $ et 90 $. À noter que vous qualifiez quand vous avez l'argent pour payer; c'est le seul critère de sélection, mais jamais on ne vous le dira. Disons que vous êtes qualifié pour un cours de base. On vous introduit dans l'académie, où un certain nombre de personnes sont à l'étude. Vous êtes présenté à l'assistance qui applaudit à votre sage décision. Vous vous retrouvez dans un milieu très sympathique. Il n'y a pas de professeur dans l'académie, mais un superviseur de cours. Ce dernier vous trouvera un « jumeau », un autre élève qui a acheté le même cours que vous, et avec qui vous devrez étudier vos matériaux. Pendant les pauses, vous écoutez les adeptes se raconter comment l'application des techniques de Ron a apporté des changements favorables dans leur vie quotidienne, et vous êtes un peu sceptique devant tant d'enthousiasme. Ils appellent ça des gains. Vous lisez les textes de votre cours écrit par Ron, et vous démontrez à votre jumeau ce que vous en avez compris. Pour ce faire, vous disposez d'un « démo kit », qui est en sorte une panoplie de petits objets auxquels vous identifierez les différentes composantes du texte à étudier pour démontrer votre compréhension. Quand votre jumeau est certain que vous avez compris la parole de Ron, il en avertit le superviseur qui vérifiera à son tour votre connaissance. Si vous échouez, vous reprenez votre texte, et si vous passez, vous poursuivez. Les jumeaux sont responsables de leur apprentissage mutuel. Ainsi, vous avez avantage à être jumelé avec quelqu'un qui a à peu près votre rapidité d'esprit, et c'est aussi l'avantage du superviseur, sinon, il risque fort de perdre un client, ou même les deux. Ainsi, on vous initie à une méthode d'apprentissage ultra efficace, et qui deviendra, dans l'académie des initiés, une formidable méthode de lavage de cerveau. Dans l'académie des débutants, la photo de Ron occupe la place d'honneur, mais personne n'y fait réellement attention. Elle est là comme pour vous acclimater à l'omniprésence de cette image. Quand vous levez la tête de votre cahier, vous l'avez sous les yeux et ce, quelque soit la direction où vous dirigiez votre regard. Il y en a sur tous les murs. Au début, ça vous agace un peu, mais à la longue, vous vous y faites. Ça vous entre dans le cerveau sans en avoir l'air, à votre insu. Vous êtes déjà sous le regard du dieu L. Ron Hubbard. Vous venez de terminer votre premier cours. On annonce en grande primeur votre promotion dans l'académie, et vous êtes applaudi à chaudes mains. Vous êtes très fier de vous. Avant de quitter la salle, le superviseur vous signale que votre redge veut vous rencontrer, question de voir si le cours que vous avez suivi a rapporté ce que vous en attendiez. Comme vous avez encore les oreilles pleines des applaudissements que vous vous êtes mérités par votre succès en académie, vous lui témoignez beaucoup d'enthousiasme. Il vous invite alors à refaire le test de personnalité, afin que vous puissiez mesurer « scientifiquement » votre progrès. Vous vous prêtez de bonne grâce à ce petit jeu; vous allez lui en faire voir à ce redge. Puis, c'est la lecture de votre test. Bien sûr, il y a eu amélioration de votre personnalité, mais il reste des zones qui on besoin d'être maniées. Et si vous ne le faites pas, vous passerez à côté de la seule chance de votre vie de combler vos lacunes. Vous vous devez à vous-même de prendre le cours qu'il vous conseille; après tout, n'êtes-vous pas le meilleur ami que vous ayez sur la Terre? Refuseriez-vous à un ami l'aide dont il aurait besoin? Non? Alors, ne vous la refusez pas. Vous vous laissez donc influencer par ces belles paroles, et vous revoilà de retour dans l'académie. Maintenant, vous faites partie des heureux bénéficiaires des techniques de Ron. Vous devenez de plus en plus familier avec la technique d'étude de la Scientologie. Vous aidez les nouveaux à l'acquérir tout à fait gratuitement, ce que d'autres ont fait pour vous à vos débuts. Maintenant, l'image de Ron sur les murs vous sourit et vous sécurise de plus en plus. Quel génie ce Ron! Merci Ron d'être là! Pendant les pauses, vous parlez abondamment des bienfaits de la Scientologie dans votre vie personnelle, à la maison, au travail, et vous vous pavanez d'aise devant les nouveaux qui sont encore un peu sceptiques. C'est le jeu de : « T'aurais dû me voir hier, toi! » Votre ami le redge (bien entendu, il est devenu le meilleur ami que vous avez sur Terre) viendra même vous chercher dans l'académie, pour que vous témoigniez de vos progrès au bénéfice d'un « prospect » difficile à convaincre. Comme vous aurez l'impression très nette de devenir de plus en plus maître de votre vie, vous deviendrez plus avide d'augmenter vos connaissances. En même temps, les biens terrestres vous paraîtront de plus en plus dérisoires; votre femme et vos enfants deviendront des « wogs » s'ils ne veulent pas vous suivre dans cette folie. Un wog, dans le langage de Scientologie, est un « worthy occidental gentleman », ce qui voulait dire, pour Ron, quelqu'un qui ne fait jamais rien pour améliorer sont sort; ironiquement, un « bon gars ». Avant même que votre second cours soit terminé, poussé par votre redge qui est désormais votre seul ami véritable, vous aurez signé pour un autre cours tout à fait indispensable pour votre amélioration personnelle. Entre temps, on vous aura accordé une séance de deux heures d'audition dianétique gratuitement, afin de vous mettre l'eau à la bouche. Sans vous permettre de toucher le fond de vos problèmes, ces deux heures de thérapie auront suffit pour vous faire comprendre qu'il y a là un moyen terriblement efficace pour vous débarrasser de vos vieilles bibittes mentales. On vous vendra donc, pour 300 $, un forfait d'audition de 20 heures, que vous ferez alterner avec vos séances de cours. Si votre auditeur est habile, il aura tôt fait de vous faire régresser, toute conscience ouverte, dans des souvenirs que vous croyiez avoir oubliés depuis longtemps. Vous aurez vite compris que la plupart de vos problèmes de vie vous viennent de ce que Ron a appelé des engrammes. Vous rêverez alors du jour où tous vos engrammes auront été mis en lumière, étape cruciale où vous serez devenu clair. À partir de ce moment, toutes vos énergies seront consacrées à atteindre cet état supérieur. Dès lors, c'en est fini pour vous de la dianétique et des cours de base. Vous êtes accroché. Votre meilleur ami, le redge, vous dira alors qu'avec la dianétique « Book One », qui n'est en fait que la technique expérimentale qui a permis à Ron de développer la Scientologie, il vous faudrait des centaines, voir des milliers d'heures de thérapie pour atteindre l'état de clair. Mais grâce à la Scientologie, fruit des plus récentes recherches du fondateur, vous pouvez atteindre l'état de clair en un rien de temps. À partir de là, si vous marchez encore dans la combine, vous aurez probablement toute votre famille à dos. Vos frères et vos soeurs feront tout ce qu'ils peuvent pour vous faire entendre raison, rien à faire; ils ne savent pas, ils ne comprennent pas. Un jour ou l'autre, ils finiront bien par voir la lumière à leur tour. Vous ne vous en faites pas trop; vous savez qu'un jour ou l'autre, tout le monde sera scientologue. C'est la seule voie de salut sur cette Terre. Vous le savez maintenant. Vous commencez à être reconnaissant à Ron, et vous êtes mûr pour passer à l'académie des gens les plus avancés. Et rendu là, à la fin des séances d'étude, vous serez du nombre de ceux qui font religieusement le salut de remerciement à la photo de Ron, le coeur plein d'admiration pour votre sauveur. Votre redge vous aura dit que vous devez maintenant purifier votre corps. Il vous dira que vous êtes un sacré chanceux, parce qu'il y a maintenant un rabais extraordinaire sur le prix du parcours de purification; le purif pour les initiés. Le purif est une sorte de cure au sauna, aux vitamines et à l'exercice physique. Sa durée moyenne est de deux semaines, mais il se peut que vous le réussissiez en une semaine ou en six mois; cela dépendra de vous. De toute façon, c'est le même prix. Normalement, il en coûte 3 850 $, mais il y a présentement un prix spécial, pour les gens de haut niveau comme vous; vous l'aurez pour la modique somme de 1925 $. Quelle chance vous avez! vous dira votre redge; lui, il a dû payer le plein montant pour cette étape cruciale sur le Pont de la liberté totale. Vous voilà donc dans le sauna, quatre heures par jour, bourré de vitamines qui vous rendent radicalement malade, mais vous vous faites dire que c'est le méchant qui se manifeste avant de vous quitter définitivement. On a raison de vous dire ça, puisque Ron l'a écrit; vous ne le croyez pas? On vous montre le texte et on vous le fait lire jusqu'à ce que vous en soyez convaincu. À un certain moment, votre corps s'habitue à ce régime; c'est extra-ordinaire comme un corps humain peut s'habituer à n'importe quoi, vous vous dites qu'enfin, vous êtes sur le point d'atteindre le phénomène final : à chaque étape du Pont, le client doit atteindre le phénomène final pour être reçu. On vous passe à l'électromètre pour être sûr que vous ne mentez pas, et on vous force à faire une ou deux journées de plus dans le sauna, afin de s'assurer que vous ne jouez pas le jeu de la personne qui va mieux pour vous tirer d'une situation intolérable. Quand vous sortez de cette pénible étape, vous êtes tellement content que vous croyez avoir un corps neuf. Les bienfaits du purif ressemblent drôlement à ceux des souliers trop petits : ça fait tellement de bien quand on les enlève. Vous faites votre entrée à l'académie nø 2, et vous vous apercevez que le régime est très différent. On ne parle à personne de ce qu'on étudie. Vous vous ennuierez un peu de ne pas pouvoir parler à vos confrères d'étude des choses merveilleuses que vous venez d'apprendre. Au début, vous aurez tenté de le faire, mais vous vous êtes sévèrement fait avertir qu'il ne fallait pas, car vous risquez de citer Ron de travers, sans être capable de retrouver où vous avez pris la référence. Il y aurait risque, alors que la parole de Ron soit dégradée, ce qui serait un crime impardonnable, un terrible « overt ». Nul n'a le droit de dégrader la sainte parole de Ron. Donc, pas de conversation sur ce que vous êtes en train d'étudier, au risque d'être expulsé de l'académie. Entre temps, l'état de vos finances se sera détérioré à un point tel qu'aucune institution prêteuse ne voudra plus vous faire crédit. Vous vous tournerez alors vers votre parenté ou vos anciens amis, tous ces gens qui ont perdu tout importance à vos yeux, sauf pour vous prêter de l'argent afin que vous puissiez poursuivre votre chemin vers la perfection promise par Ron. Vous aurez de la difficulté à les faire fléchir, puisque les changements d'attitudes que vous affichez dans la vie n'ont rien qu'on pourrait qualifier de souhaitable pour le commun des mortels. Si vous avez une maison, c'est le moment rêvé de la vendre. D'ailleurs, votre redge vous trouvera un ami-scientologue-agent- d'immeuble qui se fera un plaisir de vous rendre ce service. Le prix que vous en retirerez n'aura aucune importance. Il vous faut de l'argent et vite, parce que les prix des services de Scientologie grimpent de 10 % par mois. (L'inflation galope vite en Scientologie, mais périodiquement, ils ramènent leur prix au plus bas pour recommencer l'escalade de plus belles.) Ce qu'il vous faut c'est du comptant pour poursuivre votre chemin sur le Pont, et qu'importe que votre famille se retrouve à la rue. Votre super-agent-d'immeuble-scientologue vous trouvera vite un client de ses amis qui sera prêt à acheter votre maison, à rabais bien sûr, vous savez comment les choses sont difficiles de nos jours, il vous rendra donc ce service parce que c'est vous et personne d'autre. Vous en viendrez donc à considérer que vous devez cacher la vérité à vos proches pour leur soutirer de l'argent. Vous leur servirez des « vérités acceptables », poussé en cela par votre ami le redge. Le redge ne le fera jamais à votre place, mais il vous donne un tas de bons tuyaux que vous n'auriez jamais pu imaginer vous-même. Le salut coûte cher chez les scientologues et il vous faut de l'argent à tout prix. Vous prétexterez donc l'achat d'une voiture ou d'un mobilier neuf pour votre salon, afin d'obtenir que votre créancier vous fasse crédit. Dans votre fort intérieur, vous êtes convaincu que grâce aux nouveaux pouvoirs que vous aurez acquis par la Scientologie, vous pourrez remettre la somme dans un rien de temps. Vous en êtes sûr, puisque votre redge l'affirme en vous donnant un tas d'exemple, et même des témoignages. En étant convaincu, vous servirez cette salade à votre créancier avec tellement de conviction qu'il finira par céder. Si vous ne trouvez personne pour croire vos histoires, vous irez acheter une voiture à crédit, vous la revendrez un ou deux mois plus tard, à rabais bien sûr, afin d'avoir l'argent liquide nécessaire pour vous payer votre lavage de cerveau. On est si bien, quand on a le cerveau propre! Vous êtes maintenant dans l'académie des " professionnels". Vous faites d'abord le « Chapeau de l'étudiant »; ce cours vous permettra de savoir réellement comment étudier. Avec ça, vous serez apte à vous laisser emplir en faisant taire tout esprit critique en vous. Normalement, ce cours est gratuit pour ceux qui ont payé le Pont par la technique d'étude. (Le Pont est le cheminement pour atteindre la « liberté totale »; vous pouvez le parcourir en étudiant pour 18 000 $ ou comme client pour environ 50 000 $.) C'est à la fin du chapeau de l'étudiant que vous aurez le privilège d'apprendre pour la première fois la fameuse lettre de règlement intitulée « Pour que la Scientologie continue à fonctionner. » À la première lecture de ce texte, vous tomberez en bas de votre chaise, mais après, vous constaterez qu'on s'y fait très bien. Si vous êtes fortuné et que vous n'avez pas le temps d »'étudier, vous choisirez l'audition de Scientologie. On vous installe dans un fauteuil avec les deux cannes d'un électromètre dans les mains, et on vous lit des listes de questions préparées par Ron. L'opérateur enregistre la réaction de l'aiguille de l'électromètre sans même que vous n'ayez à dire un mot. Selon les réactions de l'aiguille, on change les listes de questions, jusqu'à ce qu'on en ait trouvé une qui vous fasse titiller. Les listes sont faites par le fondateur, bien sûr, étant donné qu'il n'y a qu'une seule intelligence en Scientologie, et il se trouve que c'est celle de Ron. Dans ces hautes sphères technologiques, seul le maître sait quoi poser comme question. Et comme il a tout écrit et qu'il n'y a que ce qu'il a écrit de vrai, inutile de penser que l'auditeur pourrait vous poser des questions plus intelligentes que celles qu'il a sur sa liste. Grâce à ce procédé, le miracle doit se produire; vous deviendrez clair. Pour moi, et pour une foule d'autre, ça n'a pas marché, mais semble-t-il que mon cas était quelque chose de particulièrement difficile à manier et que je manquais d'argent, c'est-à-dire que je ne qualifiais pas. Mais comme vous n'êtes pas très riche, vous décidez d'aborder le Pont par l'étude. Vous deviendrez clair en étudiant pour être auditeur de Scientologie. Le coût est minime, par rapport à l'autre voie. À peine 18 000 $, si vous êtes éligible à la bourse à laquelle tous les étudiants à cette étape sont éligibles. Au moment où il vous fera signer votre contrat d'étudiant, votre meilleur ami, le redge, oubliera très malencontreusement de vous signaler que le 18 000 $ ne couvre que les frais de cours. Comment n'aviez-vous pas deviné que vous deviez vous procurer un électromètre et des volumes pour une somme supplémentaire de près de 6 000 $ ? Où aviez-vous donc la tête? Croyez-vous que ces choses-là se paient toutes seules. Vous venez d'apprendre qu'à cause de votre étourderie, vous ne pouvez pas commencer vos études immédiatement. Il y a une loi dans l'académie qui dit que tout étudiant doit être muni de son propre matériel didactique pour être admis. Il vous reste donc à taper un ami éloigné pour obtenir la dérisoire somme de 6 000 $. Comme cet ami vous avait connu prospère, au moment où vous meniez votre vie avec succès, et de plus, vous voyant pleinement sûr de vous, il fera l'erreur de vous avancer la somme, avec promesse de gros intérêts. Sa surprise sera grande, quand viendra le temps d'être remboursé, mais rien de tout ça ne vous préoccupe. Ce connard s'est fourré dans de mauvais draps en vous prêtant cet argent et vous n'y êtes pour rien. S'il menace de vous poursuive en justice, vous le classerez comme un ennemi de la Scientologie, un SP, et votre conscience sera ainsi sans tache. Vous travaillez maintenant à sauver le monde, et ce monde ingrat ne veut même pas s'en apercevoir. C'est à partir de là que vous commencerez à souffrir de persécution. Tout le monde en veut aux scientologues, c'est bien connu. Ce monde a tué tous ses sauveurs avant vous, vous êtes persuadé qu'il fera de même avec vous, puisque vous êtes passé du côté des sauveurs. Vous vous surprenez à rêver d'un monde qui tournerait selon les principes de Ron. Passe alors un vendeur qui fait la promotion du Free-Winds, le bateau de la Scientologie. Il vous raconte qu'il n'y a qu'un seul endroit au monde, où la vie se vit intégralement selon les principes de la Scientologie. Il vous vend donc une croisière d'une semaine sur le bateau, pour la modique somme de 1 600 $. Il omet bien involontairement de vous dire que le billet d'avion pour rejoindre le bateau dans les mers du Sud n'est pas compris dans ce prix, mais vous comprenez bien qu'il ne pouvait pas y penser à votre place, même si, comme votre redge, il est votre meilleur ami; d'ailleurs, ne sont-ils pas des amis très sincères l'un pour l'autre? Le vendeur est compréhensif; il vous a fait signer un chèque sans fonds, mais il ne l'encaissera pas tant que vous ne lui en donnerez la permission. Le chèque est daté pour dans quinze jours, ce qui vous donne tout le temps pour localiser et taper un ancien ami que vous n'avez pas revu depuis votre transformation, ou votre salut, si vous préférez. Votre super-dynamisme vous permet d'atteindre votre but, et vous voilà prêt à partir pour le Free-Winds, où vous pourrez enfin vivre selon le monde merveilleux du dieu Hubbard. Vous n'avez pas encore abandonné votre travail dans le « wog » (à noter que wog s'emploie autant pour qualifier la vie des gens ordinaires que les gens qui la vivent) et vous avez besoin d'une semaine de vacances. Vous en parlez à votre patron qui ne peut pas vous laisser partir à si courte échéance; il menace de vous mettre à la porte si vous y allez, car c'est le temps de l'année où il a le plus besoin de vous. Votre départ en une période si stratégique met en risque son entreprise, et comme il remarque que depuis quelque temps, votre rendement au travail diminue graduellement, il songe très sérieusement à se séparer de vous. Votre paranoïa de scientologue vient confirmer que vous êtes persécuté, que votre patron est un ennemi de la Scientologie, un SP. Vous quittez son bureau en claquant la porte, avec la conviction très nette qu'en le quittant, vous le privez du meilleur employé qu'il n'a jamais eu sous la main. Ça lui montrera... Pas question d'amener votre femme sur le Free-Winds; elle n'y comprendrait rien. D'ailleurs, depuis la vente de votre maison, elle vous fait la gueule; quelle SP! Vous aimez autant ne plus la voir. Tous les soirs après votre travail, vous vous rendez à vos cours et vous y passez toutes vos soirées et vos fins de semaine. De plus, elle a son travail, votre femme, et il faut bien qu'elle s'occupe des enfants; c'est son rôle, Ron l'a écrit. Une femme qui dérange son homme alors qu'il est en train de sauver le monde est une SP, tous les scientologues savent ça. Sur le Free-Winds, vous êtes reçu comme un prince. C'est la vie de rêve. Bien sûr, il y a bien de temps à autre quelques uns des serviteurs qui se font engueuler, mais quoi de plus normal que les esclaves soient remis à leurs places périodiquement? Il ne vous vient même pas à l'idée que ces pauvres bougres, qui bossent pour vous assurer tout le confort dont vous jouissez ne sont pas payés, qu'ils travaillent comme des forçats et qu'en plus, ils sont forcés de vous sourire afin que vous gardiez l'illusion que vous vivez enfin dans l'utopie que sera l'univers quand la Scientologie aura conquis la Terre. Vous revenez chez vous pour vous rendre compte qu'il n'y a plus personne. Votre femme s'est offert un logis en conformité avec son budget, et elle a apporté avec elle tous les meubles pouvant lui être utiles, vous laissant seulement un petit mot d'adieu et une ou deux vieilles chaises que vous négligiez de réparer depuis votre adhésion à la Scientologie. Vous vous dites : « Bon débarras, je vais enfin pouvoir monter mon Pont sans avoir à lutter contre cette maudite SP. » Vous avez une pensée tendre pour vos enfants et vous vous dites que quand ce sera possible, vous viendrez les chercher pour les mener dans la lumière de la Scientologie, mais maintenant, il ne vous sert à rien de vous apitoyer sur leur sort. Vous avez la vérité, et quand le temps viendra, vous la ferez éclater au grand jour. Vous abandonnez votre logis sans laisser d'adresse, puisque vous devez déjà trois mois de loyer et pas d'argent pour payer. Tant pis pour ce SP de propriétaire; encore un autre qui met des bois dans les roues de la Scientologie. Un collègue de l'académie vous héberge chez lui, de toute façon, vous n'êtes jamais à la maison. Il vous suffit d'un grabat dans un coin de chambre, et une douche pour vous laver de temps à autre, quand vous y pensez, ou quand on vous dit qu'il serait temps que vous y songiez, à cause de l'odeur. Vous êtes maintenant sans travail; ce n'est pas grave, de toute façon il s'agissait d'un travail stupide et vous n'auriez pas de difficulté à en trouver un meilleur, plus conforme à vos nouvelles aptitudes. Question argent, ce n'est pas un problème, puisque vous retirez votre fond de pension et que vous avez largement d'argent pour tenir encore pendant six mois, grâce au régime frugal que vous vivez. Dans l'académie, vous avez maintenant terminé le « Chapeau de l'étudiant » et vous êtes prêt à commencer les « Pro TRs » (professional training routines) : il s'agit d'un cours qui doit amener l'adepte à être capable de voir se dérouler devant ses yeux les pires catastrophes sans se sentir dérangé. À ce propos, Ron écrivait : »Vous devez être capable de voir Rome brûler sans même sourciller. » Maintenant que vous maîtrisez la tech d'étude, vous êtes prêt à commencer sérieusement votre apprentissage. Et rien de mieux que les « Pro TRs » pour faire de vous un maître du monde. D'ailleurs, la publicité pour cette étape ne montre-t-elle pas un petit bonhomme en pâte à modeler assis sur un globe terrestre? Depuis déjà quelques mois, le recruteur de la Sea Org a l'oeil sur vous. Il vient de Toronto à tous les mois pour recruter de nouveaux membres, et vous êtes sur sa liste depuis un bout de temps. Il a d'abord commencé par semer l'idée que vous êtes le candidat idéal, que vous ferez merveille dans la Sea Org et que vous y serez à votre place, puisque dans la Sea Org, on est comme si on était OT III (OT III est l'étape sur le Pont vers la liberté totale où vous êtes en totale affinité avec vos semblables et votre environnement, selon Ron). Bien entendu, vous avez beaucoup d'importance pour lui. Il est devenu votre ami, au même titre que votre redge, pour qui il est également un très grand ami. À part votre vie, il n'y a plus grand chose à prendre de vous. Par contre, il y a votre vie, et c'est encore une richesse qui peut être utile à la Scientologie. De plus, vos créanciers vous cernent de plus en plus près. Vous avez intérêt à disparaître de la circulation; vous recevez des lettres qui menacent de vous poursuivre en justice, et la fuite dans la Sea Org vous semble le salut inespéré qui vous sourit le plus. Quand le recruteur de la Sea Org veut savoir si vous avez des dettes, vous lui répondez par la négative, puisque vous considérez désormais vos créanciers comme des persécuteurs qui n'ont pas raison de réclamer leur dû. Vous empruntez donc le montant du billet d'autobus à un scientologue un peu demeuré qui ne sait pas encore qu'on ne prête même pas un sou à un autre scientologue, sous peine de n'être jamais remboursé, et vous voilà parti pour la plus grande aventure de votre vie. Vous vous dites heureux de ne pas avoir accepté de vous joindre au personnel de l'Église locale, puisque vous seriez forcé de vous trouver un remplaçant sur votre poste avant d'avoir la permission de partir. Dès votre arrivée à l'organisation de Toronto, on vous annonce que vous faites partie de l'EPF, pour Estate Project Force, et on vous met au travail. Vous êtes en quelque sorte en noviciat. On s'occupera de vous désigner une couchette quand le temps sera venu, après votre journée de travail qui se terminera vers 23 h. On vous explique sommairement que pour être admis dans la Sea Org, vous avez un certain nombre d'épreuves à subir. D'abord, vous devez prouver que vous êtes capable de manier du mest ( Matière, Énergie, eSpace, Temps.) On qualifie de mest, tout ce qui est composé des quatre ingrédients entre parenthèses. Ensuite, vous avez un certain nombre de cours à suivre et surtout à passer avec succès avant d'être un membre régulier de la Sea Org. Ces cours sont bien entendu une suite au lavage de cerveau que vous devrez payer gros prix, si jamais vous quittez la Sea Org. Vous vous retrouverez alors avec un compte qui va chercher dans les un à deux mille dollars si tout va bien; beaucoup plus si vous avez des difficultés d'apprentissage. Le EPF peut durer de deux semaines à six mois, selon la dureté de la crasse qui encombre votre cerveau. Pendant ce stage d'initiation, vous aurez le plaisir de vous arracher l'âme à travailler comme un esclave à laver les planchers, les toilettes, la vaisselle, charrier les repas de la cuisine qui se situe à une demi-heure de métro de l'édifice de l'organisation, et ce, de plus en plus rapidement pour prouver que vous pouvez vous améliorer. Votre recruteur vous avait fait miroiter que vous seriez à l'étude, logé, nourri et habillé pour les deux prochaines années. Après votre noviciat, vous aurez la surprise de constater que ce n'est pas comme ça que les choses se passent. Vous pourrez, un jour ou l'autre, devenir auditeur, si vous faites bien votre travail, mais en attendant, vous devez prouver que vous pouvez accomplir toutes les tâches qu'on jugera bon de vous confier quelle qu'en soit la stupidité. Vous vous dites qu'il y a tellement à faire, qu'ils ont parfaitement raison, et vous embarquez dans la galère sans trop vous rendre compte dans quoi vous vous enlisez. Pour ce qui est de la nourriture et du logis, vous vous rendrez vite compte que votre chien était beaucoup mieux traité que vous ne l'êtes. Vous constatez qu'il y a des scientologues qui ont amené leurs enfants avec eux dans la grande aventure. Quand vous allez chercher le dîner, à la cuisine de l'Org, vous les voyez, vivant comme des petites bêtes à l'abandon. Ils n'ont pas l'air malheureux; les enfants ont une très grande capacité d'adaptation. Cependant, vous pensez aux vôtres, restés avec votre femme, et vous vous dites que jamais vous ne voudriez les voir dans un état aussi déplorable. Ces enfants sont sales et mal habillés. Ils s'envoient des noms par la tête, teintés des termes de Scientologie : « PTS! SP! » Ah! Les braves petits! Ils sont déjà dans le moule. Puis, vous apprenez qu'il sera désormais interdit d'avoir des enfants, si vous êtes un membre de la Sea Org cantonné à Toronto. Tout cela vous laisse songeur, mais vous finissez par vous dire que ce ne sont pas vos oignons et vous vous efforcez de ne pas y penser. *** Si vous avez mal aux dents, c'est que vous avez commis des crimes ou des actes néfastes contre la Scientologie. Vous avez donc intérêt à taire vos petits malaises physiques, sinon, vous risquez de passer à la cours d'éthique. Puis, il y a réunion de tous les effectifs disponibles, deux fois par jour. Au cours de ces réunions, vous apprendrez que la Scientologie est en train de gagner la planète. Sauf que si vous avez la curiosité d'aller vérifier les statistiques de production, vous verrez qu'elles sont toutes à la baisse. Vous portez maintenant l'uniforme de marine de la Sea Org. Vous êtes quelqu'un. Vous avez des souliers à semelles de cuir qui font un bruit d'enfer partout où vous passez, afin de vous faire reconnaître comme quelqu'un de fort, d'important, sinon aux yeux des autres, du moins aux vôtres. Vous aurez de la chance si vous réussissez à faire reconnaître votre production par vos supérieurs, vous ferez la triste découverte que vous ne faites jamais assez ni assez bien. De plus, attendez-vous à être manié à coup de 8C. Le 8C est une technique d'engueulade, mise au point par Ron pour réveiller les paresseux, qui consiste à leur crier après jusqu'à ce qu'ils disent avoir compris. Vous serez un peu agacé par les « security check » à l'électromètre que vous devrez subir à tout moment, mais vous comprendrez vite qu'ils sont absolument nécessaires, parce que des espions peuvent se glisser à tout moment dans l'organisation. Le monde est tellement méchant, et il y a tellement de gens qui veulent détruire la Scientologie. Si vous n'avez rien à vous reprocher, vous n'avez donc rien à craindre. Vous vous rendrez vite compte qu'il y a des classes, dans ce ciel en puissance qu'est la Scientologie. Les grosses huiles ont droit à tous les égards, mais si vous êtes un simple membre de l'équipage, alors là, c'est au plus fort la poche. Les grosses huiles ont des couteaux et des fourchettes pour tout le monde. Les petites doivent se battre entre elles pour en avoir. Pour les grosses huiles, la table est mise dans un coin tranquille, le mess des officiers; pour les petites, vous devez manger parmi une foule grouillante et déchaînée, qui ne manquera pas une occasion de vous jouer de sales tours, comme de vider la salière dans votre unique potage, vous forçant à retourner au boulot sans avoir mangé, ou si votre estomac est capable de le supporter, avaler votre soupe et risquer d'en être malade. Vous devrez être constamment sur vos gardes; il y aura toujours quelqu'un qui sera prêt à vous couillonner si vous lui en laissez la chance. Vous saisirez alors la signification des paroles de Ron, quand il disait qu'« il faut être des tigres, et que même ceux là en voient de toutes les couleurs ». Il y aura toujours le risque que quelqu'un fasse un rapport contre vous; cela vous tombera dessus pour vous emmerder au moment où vous vous y attendrez le moins, et vous devrez vous débrouiller pour faire entendre votre point de vue en cour d'éthique. Si vous faites une gaffe terrible ou une étourderie impardonnable, comme abandonner votre poste parce que votre mère est mourante et que vous voulez vous rendre à son chevet, on vous placera, à votre retour, dans le corps spécial de réhabilitation. Vous serez alors membre du Rehabilitation Project Force (RPF). Quand vous en êtes là, vous avez perdu toute valeur humaine. Vous êtes moins qu'un chien, et n'importe qui dans l'organisation a le droit de vous traiter comme de la merde et même, de vous cracher dessus sans s'excuser. Vous devez alors vous soustraire aux yeux des galonnés; ils ne supporteraient pas de vous voir. Vous êtes donc forcé de travailler la nuit, à des besognes sales et astreignantes. Par contre, vous devez continuer de vous soumettre au lavage de cerveau, en passant cinq heures par jour dans l'académie; le seul endroit où vous êtes considéré comme appartenant encore à l'humanité, et encore, si vous ouvrez les yeux, vous vous rendrez compte que vous n'êtes qu'un cerveau à laver parmi ceux qui sont là. Il peut s'écouler quelques années et vous serez toujours dans le RPF. Quand vous êtes dans le RPF, vous êtes un criminel en quête de son pardon. Vous ne vous plaignez pas, puisque vous êtes encore mieux qu'un « wog » aux yeux de Ron. Un jour ou l'autre, vous savez que vous serez pardonné, si vous faites bien vos tâches et que quelqu'un finisse par se demander pourquoi vous aviez été soumis à une punition si sévère. Mais ces choses-là ne risquent pas de vous arriver à vous; vous êtes un bon scientologue, et que votre mère meurt seule, c'est le cadet de vos soucis. Elle n'avait qu'à ne pas commettre de crime. Vous êtes en train de sauver le monde, et ce n'est pas un petit détail de ce genre qui va vous distraire. Dans la Sea Org, vous ne serez plus appelé par votre nom, mais plutôt par le nom de votre poste. Vous trouverez étrange, au début, d'entendre une bonne femme appeler sa subalterne « cuty ». -- Cuty par-ci, cuty par-là, vous vous demanderez même si le lesbianisme est permis dans l'organisation. Même si la fille en question est bien « cute », vous vous dites que ce n'est pas une raison pour que sa patronne affiche ses tendances sexuelles de la sorte. Puis, vous apprendrez qu'elle ne dit pas cuty, mais KOT (les lettres sont prononcées à l'anglaise), qui veut dire Keeper of Tech; c'est son poste, dans la hiérarchie hubbardienne. Un de ces jours, plus rien ne va pour vous dans l'organisation. Vous voulez partir. Vous avez deux voies de sortie disponibles : ou vous quittez sans demander votre compte, sans tambour ni trompette, ou vous sortez avec toutes les honneurs de la guerre. Si vous choisissez la première alternative, c'en est fini pour vous. On vous place dans la « dead file » et vous n'existez plus pour la Scientologie. On tentera bien de vous récupérer périodiquement, en essayant de vous faire peur avec le danger d'être hors de l'Église. On vous enverra le compte de vos dettes envers la Scientologie, mais on vous envoie d'abord un papier jaune, disant que vous êtes un SP de premier ordre, et pourquoi vous l'êtes. Mais à part ça, on vous laisse la paix. Vous leur avez signalé que vous n'êtes plus leur chose, et on semble l'avoir compris. Il ne vous reste qu'à réorganiser votre vie, en évitant de tomber dans le piège des implants mentaux qu'on vous aura installés pendant vos nombreux lavages de cerveau, c'est-à-dire vos études en Scientologie. Si vous prenez la deuxième alternative, c'est le début d'un esclavage pratiquement aussi pire que d'être resté dans l'organisation. Vous pouvez vous remarier, retrouver un emploi, avoir d'autres enfants, bref reprendre une vie considérée normale dans notre bonne société, vous restez toujours la propriété de la Sea Org. Les redges vous courront après pour vous faire poursuivre votre Pont. Vous essayez d'être prudent et de n'acheter que ce que vous pouvez payer, et vous parviendrez peut-être à vous composer une vie presque vivable. Une dizaine d'années plus tard, vous avez maintenant une belle petite famille; trois beaux enfants qui vont bien à l'école et qui sont votre fierté. Vous avez poursuivi vos études de scientologue en douce, un ou deux soirs par semaine, et vous arrivez maintenant au grade d'auditeur classe VIII. C'est alors que le téléphone sonne dans votre chez-vous douillet. C'est la Sea Org qui a absolument besoin de vous et ça presse. Vous aviez signé pour un milliard d'années, et votre signature tient toujours. On vous remet votre engagement sous le nez et on vous force à voir que si vous ne revenez pas, vous êtes perdu. Vous marchez car vous avez suffisamment étudié Ron pour savoir que c'est la pure vérité. Vous devez abandonner femme et enfants sur le champ et vous rendre à Toronto, sous peine d'expulsion définitive de la Scientologie. Vous savez que votre seule place dans ce monde est dans la Sea Org, et qu'il est temps de regagner votre poste. Vous vous êtes vautré dans le wog assez longtemps; maintenant, fini les folies, vous êtes auditeur classe VIII et vous savez qu'on ne badine pas avec les volontés de Ron, sinon touts vos grades et vos diplômes seront abolis. Il ne vous vient même pas à l'idée qu'en dehors de la Scientologie, ils ne vous servent absolument à rien. Vous vous sentez forcé de regagner le bercail et d'un très mauvais gré, vous abandonnez votre famille pour reprendre la lutte contre le wog. Vous sentez bien que quelque chose cloche, mais vous n'arrivez pas à mettre le doigt dessus. Bien sûr, on manie votre cas. Abandonner une famille, ce n'est rien à côté d'abandonner la Sea Org. Votre nouvelle femme a peut être des rudiments de dianétique, et elle comprend que vous travaillez pour le bien de l'humanité. Elle aurait préféré élever sa famille avec vous, mais on lui fait comprendre que quelques enfants sans père ne sont rien, comparé à l'humanité privée d'un de ses sauveurs. Car que vous le vouliez ou non, vous êtes désormais de cette catégorie, et ce, pour les milliards d'années qui viennent. Surprenant tout ça, n'est-ce pas? Ce n'est pourtant que le résumé de nombreuses choses que j'ai pu observer de mes propres yeux.