L`art difficile du vin de paille - Vins du Jura
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L`art difficile du vin de paille - Vins du Jura
cultur Alcoolémie le glaive du taux zéro A la recherche du couvert idéal Lavinia un mégastore du vin A Argenteuil, un rosé urbain Noces de cristal VIT L’art difficile du vin de paille Des goûts et des couleurs Laisser le temps au temps, tel est le principe que Bernard Badoz, viticulteur à Poligny dans le Jura, suit à la lettre pour peaufiner l’art, difficile, d’élaborer le vin de paille. Vin de paille Dans les tonneaux du temps I En 2000, 1 122 hl de vin de paille en AOC côtes du Jura, arbois et l’étoile ont été produits sur 241 ha. Il faut 100 kilos de raisins pour un peu moins de 20 litres de jus. ans, Bernard Badoz peaufine sa conduite, notant scrupuleusement, pour chaque millésime, les moindres gestes opérés, de la récolte à la mise en bouteille. Tout commence à la vigne, avec le choix des raisins. Ils sont récoltés au début des vendanges sur de vieilles vignes, pas trop chargées, avec un rendement ne dépassant pas 20 hl/ha. Seules les grappes à maturité physiologique les plus saines, intactes et dépourvues de toute trace de pourriture sont ramassées. “Un grain contaminé, c’est une cagette entière fichue”, insiste Bernard Badoz. Ses vendangeurs ont pour mot d’ordre de prendre leur temps et pour consigne de reposer toute grappe douteuse. Les grappes sélectionnées sont délicatement placées dans des cagettes, ensuite entreposées en palettes dans un grenier bien ventilé. Certains viticulteurs suspendent les raisins à des fils tendus au plafond d’une grange. D’au- noubliables, les arômes que le vin de paille laisse en bouche : de subtiles notes de fruits secs d’abord, des nuances de coing, de mandarine, de pruneaux et de marmelade d’orange, avec une pointe de miel. Puis, la sensation veloutée de l’abricot fraîchement croqué. Inoubliable aussi sa couleur, non pas jaune paille, mais discrètement orangée comme un lever de soleil un matin d’hiver. Nez de raisin frais, douceur au palais, bouche grasse, le vin de paille, dont Hésiode et Brillat Savarin vantaient déjà la voluptueuse générosité, a l’élégance du chardonnay, la charpente solide du savagnin et le fruité du poulsard. Point de trousseau quatrième cépage autorisé pour le vin de paille dans celui qu’élabore Bernard Badoz, viticulteur à Poligny en Franche-Comté. La réussite d’un tel nectar dépend d’un processus d’élaboration délicat nécessitant mille attentions et précautions. Depuis cinq J E A N - PI E R R E B O R D E , O E N O LO G U E «Une originalité gustative» L’ŒNOLOGUE JEAN-PIERRE BORDE A AIDÉ BERNARD BADOZ À maîtriser la fermentation lente à basse température. “Les levures sont stressées par la concentration élevée en sucre et empoisonnées par l’alcool produit. A 20° C, la fermentation est plus rapide. Mais les degrés alcooliques atteints seraient moins élevés, avec un rendement en alcool moindre et une volatilité plus forte. Le démarrage de la fermentation du moût de paille est relativement difficile”. Pour le favoriser, Bernard Badoz réalise un pied de cuve. “Ensemble, nous avons mis au point un levain à base de deux levures sèches actives : l’une colonise le milieu, l’autre fermente à des degrés plus élevés. Cette technique apporte une originalité gustative aux vins, peut-être moins puissants, mais plus fins, plus aromatiques et longs en bouche.” 10 tres, peu nombreux, les mettent à sécher sur de la paille. “Il paraîtrait que c’est de là que le vin de paille tient son nom.” Mais Bernard Badoz préfère la version selon laquelle la paille jouait le rôle d’amortisseur au fond des charrettes. “Tant que la rafle est verte, il faut traquer l’humidité.” Les premiers jours, le viticulteur actionne deux ventilateurs pour renforcer l’aération. “Ensuite le risque est moindre. Il suffit de laisser les cagettes reposer au grenier. Sans y toucher.” Mais pas question de les laisser sans surveillance. Lampe de poche en main, le viticulteur les inspecte tous les jours, contrôle qu’il n’y a pas de foyer de pourriture naissant et vérifie que le grillage qui les encercle n’a pas été endommagé par des loirs, très friands de raisin. laisser le temps au temps : c’est la clé de la réussite”. Lorsque les raisins commencent à être passerillés, il les mesure régulièrement au réfractomètre. Et ne décide de les presser que lorsqu’ils atteignent 20°, soit 360 g/l. Il installe alors une glissière à partir du grenier et y déverse précautionneusement le contenu des cagettes qui s’écoule dans le pressoir installé dans la cour. Pour extraire le jus de ces baies rôties, il faut un pressurage lent, non brutal, et une pression élevée. Si les pressoirs verticaux à cage donnent de bons résultats, Bernard Badoz a préféré s’équiper d’un pressoir pneumatique : “Plus facile d’emploi, il lacère moins les pellicules”. Après une première presse de huit heures, il faut lancer un second programme, afin que les baies les plus concentrées livrent leurs dernières gouttes. Mais l’étape de loin la plus délicate reste la fermentation. Bernard Badoz est un des seuls producteurs de vin de paille à avoir opté pour une fermentation lente - en général six mois - et à basse température - entre 9 et 13° C. Une fois la fermentation aboutie, le vin est élevé en fûts pendant trois ans. “Le paille est le vin liquoreux le plus naturel de France, puisqu’il n’a subi aucun mutage. 14,5° à 15° d’alcool acquis, 90 à 100 g de sucre résiduel naturel, une acidité volatile de 0,7 à 0,9 g font sa qualité pour tenir, sans rougir, sa place aux côtés des autres grands liquoreux.” ■ B ien fermes, la peau tendue, les raisins commencent d’abord à se ramollir ; puis les premiers signes de flétrissement apparaissent ; et ils n’en finissent pas de se plisser et de se rabougrir. Les grappes perdent leur eau et concentrent leurs sucres. “Le choix de la date de pressurage est important.” Les raisins doivent sécher au moins pendant six semaines et afficher une richesse en sucre supérieure à 306 g/l avant la pressée. Bernard Badoz, lui, ne suit d’autre calendrier que celui fixé par les baies. “Il faut M U R I E L L E C H A P P AT T E 11 8 ha Bernard Badoz et son fils, Benoît, exploitent 8 ha en AOC côtes du Jura sur des sols argileux et des marnes bleues : c’est la superficie du domaine des Roussots. Ils souhaitent progressivement passer de 1 à 2 ha pour la production de vin de paille.