Le Métro de Moscou livres - l`Institut d`Histoire sociale
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19.9.2007 14:16 Page 115 livres 05-LIVRES_103-118 L I V R E S Le Métro de Moscou La construction d’un mythe soviétique de Josette Bouvard Préface de Jean-Louis Cohen Paris, Éd. du Sextant, 2005, 336 p., dont 32 p. de photos en couleur, 25 € L e livre de Josette Bouvard comble certainement une lacune : jusqu’à présent les historiens de la Russie soviétique n’avaient pas considéré le métro comme un objet en soi. Le livre N° 32 s’ordonne autour de trois axes : tout d’abord l’histoire « technique » – les guillemets s’imposent parce que d’emblée le métro fut une affaire politique – de la construction elle-même, ensuite le mythe élaboré par la propagande du régime, enfin l’architecture choisie et ce qu’elle révèle. La première partie nous fait pénétrer dans la vie de l’entreprise dirigée par Kaganovitch, membre du Politburo et commissaire aux Transports, sous le regard constant de Staline. On voit comment ce chantier ne peut progresser qu’avec l’omniprésence de la police politique, les purges, la mobilisation d’une main-d’œuvre gratuite (les « samedis communistes ») et l’apport décisif de techniciens étrangers. Les conditions de travail et de logement des ouvriers sont évoquées, mais il aurait été peut-être possible d’aller un peu plus loin dans l’étude des aspects sociaux du « chantier d’État le plus important », comme il fut qualifié dans une résolution de mai 1932. Boris Souvarine dans son livre À travers le pays des Soviets (éditions de France, 1936), publié sous le pseudonyme de Motus, note qu’« avec leur métro, les bolcheviks avaient l’intention avouée d’épater le bourgeois ». Il releve l’utilisation du « volontariat forcé » qui permit à l’État soviétique d’économiser des millions d’heures de travail et, malgré cela, le tarif fort élevé du ticket – soit un rouble pour un 115 05-LIVRES_103-118 19.9.2007 14:16 Page 116 histoire & liberté aller-retour alors que le salaire moyen mensuel était de 130 roubles. Autant dire que sur un mois, on dépensait en déplacements un cinquième du salaire. « Les bolcheviks avaient donc réussi ce tour de force de réaliser “au pays du socialisme”, un métro aristocratique », écrit-il. Par la suite le prix du voyage fut abaissé à 30 kopecks, ce qui amène Souvarine à douter de la rentabilité de ce métro marmoréen. Le pouvoir stalinien a ainsi orchestré le mythe du « meilleur métro du monde », visant en premier lieu les visiteurs étrangers auxquels ce métro était présenté comme « un des signes majeurs de la transformation socialiste de Moscou » (p. 264). L’enthousiasme de ces visiteurs, souvent acquis d’emblée au régime, était porté à la connaissance des Soviétiques dans ce mouvement caractéristique qui veut que l’opinion des étrangers bluffés doit persuader les autochtones de la grandeur de l’entreprise et des succès du régime. Comme pour le Bielomorkal, le métro fait l’objet d’un livre : L’Histoire du Métro de Moscou, écrit sous la direction de Kaganovitch et Gorki. Si incontestablement le mythe du métro de Moscou participa à la constitution du mythe soviétique, il est cependant difficile d’agréer la formule de Josette Bouvard qui, dans sa conclusion, prétend que ce mythe-ci a perduré jusqu’à 1991 (p. 269). J.-L. P. 116 AUTOMNE 2007