Le Métro de Moscou livres - l`Institut d`Histoire sociale

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Le Métro de Moscou livres - l`Institut d`Histoire sociale
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livres
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L I V R E S
Le Métro de Moscou
La construction
d’un mythe soviétique
de Josette Bouvard
Préface de Jean-Louis Cohen
Paris, Éd. du Sextant, 2005, 336 p.,
dont 32 p. de photos en couleur, 25 €
L
e livre de Josette Bouvard comble
certainement une lacune : jusqu’à
présent les historiens de la Russie
soviétique n’avaient pas considéré le
métro comme un objet en soi. Le livre
N° 32
s’ordonne autour de trois axes : tout
d’abord l’histoire « technique » – les
guillemets s’imposent parce que d’emblée le métro fut une affaire politique –
de la construction elle-même, ensuite
le mythe élaboré par la propagande du
régime, enfin l’architecture choisie et ce
qu’elle révèle.
La première partie nous fait pénétrer dans la vie de l’entreprise dirigée
par Kaganovitch, membre du Politburo
et commissaire aux Transports, sous le
regard constant de Staline. On voit
comment ce chantier ne peut progresser qu’avec l’omniprésence de la police
politique, les purges, la mobilisation
d’une main-d’œuvre gratuite (les
« samedis communistes ») et l’apport
décisif de techniciens étrangers. Les
conditions de travail et de logement
des ouvriers sont évoquées, mais il
aurait été peut-être possible d’aller un
peu plus loin dans l’étude des aspects
sociaux du « chantier d’État le plus
important », comme il fut qualifié dans
une résolution de mai 1932.
Boris Souvarine dans son livre À
travers le pays des Soviets (éditions de
France, 1936), publié sous le pseudonyme de Motus, note qu’« avec leur
métro, les bolcheviks avaient l’intention avouée d’épater le bourgeois ». Il
releve l’utilisation du « volontariat
forcé » qui permit à l’État soviétique
d’économiser des millions d’heures de
travail et, malgré cela, le tarif fort élevé
du ticket – soit un rouble pour un
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histoire & liberté
aller-retour alors que le salaire moyen
mensuel était de 130 roubles. Autant
dire que sur un mois, on dépensait en
déplacements un cinquième du salaire.
« Les bolcheviks avaient donc réussi ce
tour de force de réaliser “au pays du
socialisme”, un métro aristocratique »,
écrit-il. Par la suite le prix du voyage
fut abaissé à 30 kopecks, ce qui amène
Souvarine à douter de la rentabilité de
ce métro marmoréen.
Le pouvoir stalinien a ainsi orchestré le mythe du « meilleur métro du
monde », visant en premier lieu les
visiteurs étrangers auxquels ce métro
était présenté comme « un des signes
majeurs de la transformation socialiste
de Moscou » (p. 264). L’enthousiasme
de ces visiteurs, souvent acquis d’emblée au régime, était porté à la connaissance des Soviétiques dans ce mouvement caractéristique qui veut que
l’opinion des étrangers bluffés doit persuader les autochtones de la grandeur
de l’entreprise et des succès du régime.
Comme pour le Bielomorkal, le métro
fait l’objet d’un livre : L’Histoire du
Métro de Moscou, écrit sous la direction
de Kaganovitch et Gorki.
Si incontestablement le mythe du
métro de Moscou participa à la constitution du mythe soviétique, il est
cependant difficile d’agréer la formule
de Josette Bouvard qui, dans sa conclusion, prétend que ce mythe-ci a perduré jusqu’à 1991 (p. 269).
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