L`avenir de la limitation de la déductibilité des intérêts dans un

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L`avenir de la limitation de la déductibilité des intérêts dans un
Tribune libre
L’avenir de la limitation de la
déductibilité des intérêts dans un
contexte luxembourgeois
par
Me Jan Neugebauer
Avocat à la Cour, Partner, Arendt & Medernach S.A.
et
Me Yves Philippart de Foy
Associate, Arendt & Medernach S.A.
Faisant suite aux travaux relatifs à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices1 (« BEPS »)
menés depuis plusieurs années par l’OCDE, le Conseil de l’Union européenne a adopté en juillet 2016
une directive établissant des règles pour lutter contre certaines pratiques d’évasion fiscale2 (la « Directive »). La transposition au Luxembourg de l’une de ses mesures phares, la règle dite de « limitation
des intérêts » (la « Règle »), mérite une attention particulière.
Directement inspirée de l’Action 4 du projet BEPS, la Règle vise à limiter la déduction des surcoûts d’emprunt engagés par un contribuable à un maximum de 30 % de son résultat imposable avant
intérêts, impôts, dépréciations et amortissements3 (« EBITDA »).
La notion centrale de « surcoûts d’emprunt » est à comprendre
comme étant la différence entre (i) les coûts d’emprunt déductibles supportés par le contribuable (charges d’intérêts au sens
large et autres frais liés à ses emprunts) et (ii) ses revenus d’intérêts imposables.
Au Luxembourg, la Règle s’appliquera aux entreprises, aux
groupes internationaux ainsi qu’à un certain nombre d’acteurs
de la place financière.
Comme souvent en matière de fiscalité directe européenne, le
fait d’opter pour une directive a pour but d’établir une règle de
portée générale et de laisser le soin aux Etats membres de sa
mise en œuvre afin que celle-ci soit la plus adaptée aux différents systèmes d’imposition. A cet égard, le texte de la Directive
précise d’ailleurs que la Règle ne constitue qu’un socle minimum
de protection des bases imposables nationales et que les Etats
membres sont libres d’adopter des dispositions plus strictes.
Dans le cadre de la transposition de la Directive, le Luxembourg
disposera donc d’une certaine flexibilité et pourra notamment :
- Autoriser une déduction des surcoûts d’emprunt aux contribuables jusqu’à un montant de 3 millions d’euros ;
- Calculer les surcoûts d’emprunt et l’EBITDA soit au niveau d’un
contribuable seul, soit au niveau d’un groupe fiscal auquel appartiendrait ce contribuable ;
- Permettre aux entités autonomes, c’est-à-dire aux contribuables qui ne font pas partie d’un groupe avec une comptabilité consolidée et qui n’ont pas d’entreprise(s) associée(s)
ou d’établissement(s) stable(s), de déduire l’intégralité de leurs
surcoûts d’emprunt ;
- Accorder, aux contribuables faisant partie d’un groupe avec une
comptabilité consolidée, la faculté de déduire (i) intégralement
leurs surcoûts d’emprunt lorsqu’ils disposent d’un ratio fonds
propres / total de leurs actifs égal ou supérieur au même ratio
au niveau du groupe ou (ii) de manière proportionnelle, par
référence aux surcoûts d’emprunt du groupe envers des tiers ;
- Prévoir une clause de maintien des droits acquis4 pour les emprunts contractés avant le 17 juin 2016 pour autant que leurs
conditions ne soient pas modifiées après cette date ;
- Laisser hors champ les entreprises financières telles que définies par la Directive et notamment les établissements de crédit, les entreprises d’investissement, les gestionnaires de fonds
alternatifs et les entreprises d’assurance ;
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- Etablir des règles de report, sur des exercices antérieurs ou futurs, des surcoûts d’emprunt qui n’ont pu être déduits lors d’une
période d’imposition donnée et / ou de la capacité inemployée
de déduction des intérêts.
Les Etats membres doivent transposer la Directive au plus tard
le 31 décembre 2018. Néanmoins, ceux déjà pourvus de règles
nationales ciblées aussi efficaces que la Règle pourront continuer
à les appliquer telles quelles jusqu’en 2024, pour autant qu’aucun
accord relatif à la limitation des intérêts ne soit conclu avant cette
date entre les membres de l’OCDE.
Fidèle à sa tradition, il est attendu que le législateur luxembourgeois implique les acteurs du marché dans son exercice de transposition de la Directive afin de tenir compte des particularités du
système fiscal luxembourgeois, favoriser le rayonnement des
entreprises luxembourgeoises et maintenir l’attractivité de sa
place financière. Il conviendra également d’observer l’attitude des
autres Etats membres dans le but de pérenniser la compétitivité
du Luxembourg dans un contexte commercial international, en
particulier face à des juridictions proposant des taux d’imposition
a priori plus attrayants.
1 Base Erosion and Profit Shifting.
2 Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.
3 Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortisation.
4 Grandfathering clause.
N°15 | SEPTEMBRE 2016