Prime d`installation - L`atelier des droits sociaux

Transcription

Prime d`installation - L`atelier des droits sociaux
Prime
d’installation :
les revenus pris
en compte par
le CPAS
Fiche juridique
Aide sociale
I.
Introduction
Afin d’aborder ce sujet, nous sommes partis de la situation de Madame Mercedes qui s’est
retrouvée sans-abri à un moment de sa vie. Elle introduit une demande de prime
d’installation au CPAS le 8 octobre 2009 après avoir bénéficié d’un logement via une
Agence Immobilière Sociale (AIS). Le montant de la prime d’installation, équivalant au
revenu d’intégration sociale pour « personne vivant exclusivement avec une famille à sa
charge », s’élève à 1 047,48 €.
En date du 4 novembre 2009, Mme Mercedes reçoit une réponse négative du CPAS qui ne
conteste pas sa qualité de sans-abri mais rejette sa demande en invoquant le motif suivant:
« le cumul de vos ressources, soit un salaire de 603,66 € et un complément chômage de
351,23 €, dépasse de plus de 10 % le plafond fixé, soit 789,37 € (revenu d’intégration taux
isolé + 10 %) ».
Dans le calcul de la rémunération, certains CPAS se permettent effectivement de tenir
compte de montants tels que les frais de déplacement...
L’octroi de la prime d’installation repose sur deux réglementations. La première est prévue
par la loi sur le droit au revenu d’intégration sociale et vise uniquement les bénéficiaires du
revenu d’intégration sociale.1 La deuxième relève de la loi organique des CPAS du 8 juillet
1
Loi sur le droit à l’intégration sociale du 26 mai 2002, article 14, §3, M.B. du 31 juillet 2002.
1976 (ou loi CPAS)2. Madame Mercedes est concernée par la deuxième réglementation qui
prévoit que la personne doit remplir plusieurs conditions :
1. La personne doit être bénéficiaire :
Soit :
 d’une aide sociale financière équivalente au revenu d’intégration sociale ;
 ou d’un revenu de remplacement à charge d’un régime de sécurité sociale, comme
par exemple des indemnités d’incapacité de travail, une pension de retraite, une
pension de survie, des allocations de chômage, des indemnités d’interruption de
carrière et de crédit-temps, une indemnité dans le cadre de la prépension ;
 ou d’une allocation à charge d’un régime d’assistance sociale comme les allocations
pour personnes handicapées, la garantie de revenu aux personnes âgées (GRAPA) ;
Soit :
 d’un revenu inférieur au montant du revenu d’intégration sociale prévu à l’article 14, §1er,
de la loi sur le droit à l’intégration sociale pour la catégorie à laquelle elle appartient, majoré
de 10%.
2. La personne doit perdre sa qualité de sans-abri en occupant un logement qui lui sert
de résidence principale.
Est considérée comme sans-abri « la personne qui ne dispose pas de son logement, qui
n’est pas en mesure de l’obtenir par ses propres moyens et qui n’a dès lors pas de lieu de
résidence, ou qui réside temporairement dans une maison d’accueil en attendant qu’un
logement soit mis à sa disposition ».3
Suite à ce refus, Madame Mercedes introduit dans les 3 mois un recours auprès du Tribunal
du Travail de Nivelles4 afin de contester la décision du CPAS. Le jugement du Tribunal du
Travail et l’arrêt récent5 de la Cour du Travail de Bruxelles nous apportent des précisions
quant au revenu salarial dont les CPAS doivent tenir compte pour l’octroi éventuel d’une
aide.
2
Loi organique des CPAS du 8 juillet 1976, article 57 bis, M.B. du 5 août 1976 et A.R d’exécution du 21 septembre 2004
visant l’octroi d’une prime d’installation par les CPAS à certaines personnes qui perdent leur qualité de sans-abri, M.B. 5
ème
.
octobre 2004, mod. A.R. du 18 janvier 2005, M.B. du 9 février 2005, 2 édition.
3
A.R du 21 septembre 2004, article 1.
4
N° 2010/2180 – audience du 25 mai 2010.
5
R.G. N°2010/AB/623.
II.
Le jugement du tribunal du travail
1.
La position du tribunal est la suivante :
Une prime d’installation est due par le CPAS au moment où une personne sans-abri
trouve un logement et donc perd sa qualité de « sans-abri ».
Madame Mercedes ne rentre pas dans la première catégorie (elle ne perçoit ni aide
sociale équivalente au revenu d’intégration sociale ni revenu de remplacement ni
allocation à charge d’un régime d’assistance sociale) mais bien dans la deuxième catégorie
car elle perçoit une rémunération. Il faut donc vérifier si ses revenus sont inférieurs au
montant du revenu d’intégration majoré de 10%.
Pour déterminer si ce plafond est atteint :
Le tribunal relève que la législation est obscure, elle n’indique pas la période qu’il faut
prendre en considération ni le calcul des revenus. Elle ne précise pas non plus ce qu’il faut
entendre par revenus et quels seraient les revenus immunisés.
Le tribunal a estimé qu’à défaut d’autres critères, ce sont les revenus du mois de la
demande dont il faut tenir compte et la rémunération effectivement perçue, c’est-à-dire le
montant perçu en contrepartie de l’exercice du travail. Il ajoute que certaines sommes ne
constituent pas de la rémunération :
les remboursements de frais de déplacement car ils ne constituent pas des
rémunérations mais des remboursements de dépenses que le travailleur a dû consentir en
raison de son travail,
les sommes payées à titre de « bonus à l’emploi » qui sont accordées aux travailleurs
qui perçoivent un bas salaire, parfois proche des montants des allocations sociales, afin
d’encourager la reprise d’un travail.
Le tribunal insiste sur le fait :
que la législation sur le bonus à l’emploi entend éviter « les pièges à l’emploi » qui
maintiennent les travailleurs dans le système de la sécurité sociale ;
que si la perception de ce bonus avait pour effet de priver une personne sans-abri de
la prime d’installation, l’objectif poursuivi dans ce cas précis serait réduit à néant puisque
cette personne aurait intérêt à rester au chômage plutôt qu’à travailler. Ce bonus doit donc
être immunisé.
Le tribunal a pris sa décision sur base de la rémunération perçue durant le mois de la
demande, soit octobre 2009.
Le détail du calcul :
Montant net perçu :
973,52 €
Il faut déduire :
Les frais de déplacement :
119,20 €
Le bonus à l’emploi :
56,00 €
Total :
798,32 €
Pour le tribunal, le plafond n’est pas atteint car le montant du revenu d’intégration taux
isolé majoré de 10 % s’élève à 798,37 €.
2.
Décision du tribunal :
Le CPAS a été condamné au payement de la prime d’installation prévue par l’article 57bis
de la loi du 8 juillet organique des CPAS.
III.
Arrêt de la Cour du travail
En date du 1er juillet 2010, le CPAS a introduit sa requête d’appel.
1.
L’objet de l’appel
Le CPAS a demandé à la Cour du travail de mettre le jugement à néant et de déclarer que
Madame Mercedes n’a pas droit au bénéfice de la prime d’installation.
Madame Mercedes a demandé à la Cour de déclarer l’appel irrecevable car tardif et, à titre
subsidiaire, de confirmer le jugement.
2.
Discussion
Selon l’article 57bis de la loi du 8 juillet 1976, « les centres d’action sociale octroient une
prime d’installation à la personne qui perd sa qualité de sans-abri pour occuper un
logement qui lui sert de résidence principale ».
Selon l’article 2, § 1er, de l’arrêté royal du 21 septembre 2004 visant l’octroi d’une prime
d’installation par le centre public d’action sociale à certaines personnes qui perdent leur
qualité de sans-abri :
« La personne qui :
Soit, ne bénéficie que d’un revenu de remplacement à charge de la sécurité sociale ou
d’une allocation à charge d’un régime d’assistance sociale ;
Soit, dispose de revenus inférieurs au montant prévu à l’article 14 § 1 erde la loi du 26
mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale majoré de 10%,
a droit, une seule fois dans sa vie, à une prime d’installation lorsqu’elle perd sa qualité de
sans-abri en occupant un logement qui sert de résidence principale ».
3.
Décision de la Cour
La Cour a pris la décision de souscrire entièrement au raisonnement du premier juge.
Le montant payé à titre de frais de déplacement ne constitue pas une contrepartie du
travail mais le remboursement de dépenses supplémentaires générées par l’activité
professionnelle et dont la charge incombe à l’employeur. Il ne s’agit pas d’un revenu au
sens de l’article 2, § 1er, de l’arrêté royal du 21 septembre 2004.
Par ailleurs, compte tenu de l’objectif poursuivi, le bonus à l’emploi (qui pour l’essentiel
vise à éviter les pièges à l’emploi) ne constitue pas un véritable revenu.
Il en est d’autant plus ainsi que si Madame Mercedes avait été bénéficiaire d’un revenu
d’intégration, une partie de son revenu professionnel aurait été exonérée conformément à
l’article 35, § 1er, de l’arrêté royal du 11 juillet 2002.
Ainsi, lors du calcul comparatif du revenu d’intégration sociale et des revenus du travail
auquel il faut procéder en vertu de l’article 2, § 1er, second tiret de l’arrêté royal du 21
septembre 2004, le souci d’éviter une différence de traitement injustifiée entre un
bénéficiaire d’un bas salaire et le bénéficiaire du revenu d’intégration justifie de ne pas
considérer comme revenus, les sommes qui, comme le bonus à l’emploi, ne sont destinées
qu’à favoriser l’insertion socioprofessionnelle des personnes précarisées.
IV.
Analyses et conclusion
Cet arrêt est très intéressant à plusieurs titres. Il apporte des précisions sur les montants
que les CPAS ne doivent pas prendre en compte comme dans ce cas-ci, les frais de
déplacement et les bonus à l’emploi.
Nous sommes régulièrement confrontés de la part de certains CPAS à une application
stricte de la prise en compte des ressources des personnes, que ce soit, comme dans ce
cas-ci, pour la prime d’installation mais également pour les personnes qui travaillent à
temps partiel ou en intérim et qui peuvent prétendre à une exonération
socioprofessionnelle sur base de l’article 356.
Le fait que le tribunal considère les frais de déplacement non pas comme contrepartie du
travail mais comme remboursement de dépenses supplémentaires générées par l’activité
professionnelle et dont la charge incombe à l’employeur, est une innovation.
La Cour va encore plus loin et considère qu’un bonus à l’emploi ne constitue pas un
véritable revenu car ces bonus ont été imaginés afin de favoriser la sortie du système
d’allocations sociales et ainsi, l’insertion professionnelle.
La Cour souligne également le fait que si cette dame était bénéficiaire d’un revenu
d’intégration sociale et qu’elle trouvait du travail à temps partiel, elle pourrait prétendre à
l’avantage de l’exonération socioprofessionnelle de l’article 35. Dans ce cas, ses revenus,
grâce à cet avantage, seraient supérieurs à ceux perçus uniquement par son salaire.
En effet, l’article 35 stipule qu’en vue de favoriser l’intégration socioprofessionnelle du
bénéficiaire du revenu d’intégration sociale qui commence à travailler ou qui entame ou
poursuit une formation professionnelle, les revenus nets qui résultent de cette activité sont
6
er
Art. 35, § 1 de l’A.R du 11 juillet 2002.
pris en considération sous déduction d’un montant de 229,95 €7 par mois pendant une
période prenant cours le premier jour pour lequel il bénéficie de l’immunisation et se
terminant 3 ans plus tard.
Afin d’encourager l’intégration professionnelle, la rémunération doit être égale ou
légèrement supérieure au revenu d’intégration sociale.
Afin de mieux comprendre l’implication de l’article 35, nous partirons de l’exemple
suivant : une jeune femme isolée est engagée comme employée à raison de 19 heures par
semaine. Elle perçoit 727,38 € de revenu salarial.
1ère situation : Madame avait cet emploi avant de s’adresser au CPAS et ne peut donc pas
prétendre à l’avantage de l’article 35.
Elle pourrait en plus de son revenu faire une demande de complément de revenu
d’intégration sociale car elle se trouve en dessous du montant de sa catégorie qui est de
785,61 €.
Au total, elle perçoit un montant de 785, 61 €8.
2ème situation : Madame est bénéficiaire d’un revenu d’intégration sociale avant de
travailler.
Le calcul est le suivant :
785,61 € (revenu d’intégration sociale taux isolé)
-727,38 € (revenu salarial minimum garanti)
58,23 €
+229,95 € (exonération socioprofessionnelle)
+ 20,83 € (exonération supplémentaire taux isolé)
309,01 €
309,01 € + 727,38 € = 1036,39 €
Madame percevra un montant total de 1036,39 €/mois et ceci pendant une durée de 3 ans.
Différence entre les deux situations : un montant de 309,01 € par mois.
Nous pouvons effectivement regretter que des personnes qui désirent sortir du système
d’assistance tel que le revenu d’intégration sociale, se trouvent pénalisées par la nonapplication ou la mauvaise application de l’article 35.
Les allocations sociales sont insuffisantes pour faire face au coût de la vie, de même que
certains salaires le sont pour vivre dignement. Nombre de personnes doivent assurer le
payement de leur loyer, de leur facture d’énergie et essayer de manger avec seulement
785,61 € par mois (= revenu d’intégration sociale au taux isolé)…
7
er
Montant au 1 février 2012.
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Montant isolé au 1 février 2012. Taux cohabitant : 523,74 €. Taux pour une personne vivant exclusivement avec une
famille à charge : 1047,48 €.
8
Il ne faut pas seulement dénoncer, nous semble-t-il, le montant déplorable des allocations
sociales et de certains salaires mais également les conditions de travail et les contrats de
plus en plus précaires auxquels sont confrontés les travailleurs à l’heure actuelle. Nous
n’allons pas entrer ici dans une description détaillée des situations difficiles que nous
rencontrons sur le terrain mais elles mériteraient d’être développées ultérieurement.
Nursen Gunduz
L’Atelier des Droits Sociaux
Mars 2012
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