le droit au respect de la vie privee aux etats-unis
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le droit au respect de la vie privee aux etats-unis
Source : Le droit au respect de la vie privée au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, F. Sudre (Dir.), Bruylant, Coll. Droit et Justice n° 63, 2005, pp. 35-67. LE DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVEE AUX ETATS-UNIS Elisabeth Zoller Professeur à l’Université Paris II (Panthéon-Assas) Aux Etats-Unis comme en Europe, la vie privée des personnes est susceptible d’être violée de deux manières distinctes qu’il importe de bien distinguer parce que la distinction est centrale à une juste compréhension des vraies différences qui séparent les deux continents en la matière. La vie privée peut être violée, tout d’abord, par l’Etat et ses agents, c’est-à-dire concrètement les soldats, la police, ou les agents du fisc. Cette forme de violation de la vie privée est la plus ancienne et c’est d’ailleurs contre elle que s’est affirmée, lors des révolutions américaine et française, l’idée même de ce qui deviendra par la suite le droit au respect de la vie privée sous le double couvert du droit à la liberté et du droit de propriété. Les révolutions du 18e siècle ont été menées à bien des égards contre les atteintes illégitimes et non librement consenties de l’Etat aux deux piliers de la vie privée, le domicile et le patrimoine. Mais la vie privée peut aussi être violée par d’autres personnes privées, c’est-à-dire soit tout simplement par ceux que nous côtoyons tous les jours comme nos employeurs ou nos collègues de travail, voire nos voisins, soit par ceux qui pensent avoir des raisons légitimes de s’intéresser à la vie privée de leurs semblables comme les journalistes. Cette deuxième forme de violation de la vie privée est beaucoup plus récente que la première ; du fait de la très forte médiatisation de la société, elle a pris aux Etats-Unis des proportions sans commune mesure avec ce qui est considéré comme acceptable en Europe comme l’a démontré la désapprobation générale avec laquelle les Européens ont reçu les révélations du rapport Starr sur les relations intimes du président Bill Clinton avec une jeune stagiaire à la Maison Blanche, Monica Lewinsky. Quand on dit, comme on l’a si souvent dit au moment de l’affaire Lewinsky, que la vie privée est moins bien protégée aux Etats-Unis qu’en Europe et que les intrusions dans la vie privée des hommes politiques sont monnaie courante, c’est au regard de la société, c’est-à-dire à la curiosité de tout un chacun et à la protection que les lois (statutory law) et le droit commun (common law) apportent contre ce genre d’intrusions qu’on fait référence. Car c’est dans la société civile, c’est-à-dire quand il s’agit d’atteintes à la vie privée des personnes par d’autres personnes privées, que la différence de protection de la vie privée entre l’Europe et les EtatsUnis est la plus visible, la plus frappante et, dans certains cas, la plus choquante.1 Ce n’est 1 Nonobstant les apparences, c’est la société et non l’Etat qui, dans l’affaire Monica Lewinsky, s’est ingérée dans la vie privée du Président Clinton. Que les questions du procureur indépendant, représentant du gouvernement fédéral, aient été très intrusives dans la vie privée des deux personnes mises en examen pour fausse déposition et obstruction à la justice, à savoir le Président américain et la jeune stagiaire qui s’était éprise de lui, cela n’est pas douteux. Et, dans la mesure où le procureur indépendant qui mena l’instruction était un organe de l’Etat fédéral (l’institution a été supprimée et la charge de procureur indépendant n’existe plus), on peut être tenté, à première vue, de conclure que c’est le regard de l’Etat qui a violé la vie privée du président et de la jeune stagiaire. Mais ce serait s’égarer car ce qui a fait la véritable intrusion dans la vie privée des deux inculpés, c’est le regard de la société sur elle, l’instruction de l’affaire ayant été rendue publique et le procureur ayant choisi, pour des raisons politiques, de mettre l’intégralité du dossier sous le regard avide et gourmand de la société toute entière. Il faut être prudent avant d’affirmer, comme l’ont fait certains, qu’en France, un interrogatoire du type de celui subi par le président Bill Clinton ne pourrait jamais avoir lieu et que les questions d’un juge d’instruction n’iraient jamais pas que la common law et le droit législatif qui vient la compléter, ne soient pas en euxmêmes de nature à pouvoir protéger la vie privée, comme le droit civil la protège dans les Etats du continent européen, mais c’est qu’aux Etats-Unis, le droit constitutionnel, notamment la liberté d’expression et la liberté de la presse, peut faire obstacle à la protection du droit commun et des lois, de sorte que le citoyen américain est, en fait comme en droit, beaucoup plus exposé que le citoyen européen au regard de la société sur sa vie privée (I). En revanche, s’agissant du regard de l’Etat sur la vie privée des individus, la protection du droit américain, au niveau fédéral ou fédéré, n’est pas fondamentalement différente de celle qui est garantie aux citoyens européens, nonobstant les présentations avantageuses que les juristes américains font des garanties du Bill of Rights. Qu’il s’agisse de l’Europe ou des Etats-Unis, le réalisme oblige à reconnaître que la vie privée des citoyens n’est plus et, peut-être, ne peut plus être protégée contre le regard de l’Etat comme elle pouvait l’être à l’époque de l’Etat libéral (II). I – LE REGARD DE LA SOCIETE Alors qu’en Europe, le droit au respect de la vie privée en tant que tel s’est affirmé, d’abord, contre l’Etat, et ceci, de manière assez récente puisque ce droit est apparu pour la première fois, semble-t-il, dans la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, aux EtatsUnis, le droit au respect de la vie privée fut revendiqué bien plus tôt, dès la fin du 19e siècle, et ce, nullement contre l’Etat comme en Europe, mais contre la société, plus précisément contre la curiosité de la foule. En 1890, deux jeunes avocats de Boston, Samuel D. Warren et Louis D. Brandeis publièrent dans la Harvard Law Review un article qui suggérait à ceux qui font le droit dans les pays de common law, entendez les juges, d’admettre un nouveau droit dans la common law, le right of privacy, le droit au respect de la vie privée. 2 Certes, il fallut du temps, la réponse de la justice ne fut pas immédiate, mais l’appel des deux avocats fut entendu. Progressivement, affaire après affaire, les juges américains ont façonné le droit des torts et sanctionné les atteintes à la vie privée contre les intrusions indésirables. De son côté, le législateur est intervenu dans les Etats pour compléter ce que la common law ne parvenait pas à protéger et, au niveau fédéral, le Congrès a adopté plusieurs lois dont l’objet est d’organiser, dans la limite de ses pouvoirs énumérés, une certaine protection de la vie privée. Au terme de cette évolution séculaire, il est possible de dire qu’il existe aujourd’hui aux Etats-Unis un principe de droit commun selon lequel l’individu a droit au respect de sa vie privée contre les intrusions des autres (A). Mais la protection du droit commun s’efface et la vie privée n’est plus protégée si l’atteinte qui lui est portée peut se réclamer du droit à la liberté d’expression garanti par le 1er Amendement à la Constitution (B). A Le principe de la protection de la vie privée jusqu’à s’introduire aussi profondément dans la vie privée des individus mises en examen. La vérité est que nul n’en sait rien parce qu’en France l’instruction est secrète. Tout au plus peut-on imaginer qu’il est probable que, dans des affaires de pédophilie par exemple, les questions du juge d’instruction ne se limitent pas à la surface des choses. 2 Samuel D. Warren et Louis D. Brandeis, « The Right To Privacy », Harvard Law Review, vol. 4 (1890), pp. 193-220. Dans leur article, Warren et Brandeis ne disaient rien des atteintes à la vie privée venant des personnes publiques parce qu’il n’y avait pas à leur époque grand chose à dire, quoique le sujet déjà commençait à poindre. Par exemple, on s’était rendu compte devant les tempêtes de protestations sur les questions posées qu’il y avait des limites à ce que l’on pouvait demander aux citoyens à l’occasion des recensements nationaux : en 1890, de nombreux Américains avaient refusé de répondre à des questions comme celles sur les antécédents de maladies vénériennes ou le montant des remboursements de l’emprunt contracté pour l’achat de la résidence principale. Dans leur article devenu légendaire, Warren et Brandeis s’étaient attachés à démontrer que l’exploitation industrielle des découvertes et inventions de l’époque comme la photographie, ainsi que les nouvelles méthodes de vente telle la publicité, avaient favorisé le développement de toutes sortes d’atteintes à ce qu’ils appelaient, en reprenant une expression forgée, huit ans plus tôt par le juge Thomas Cooley, « le droit à être laissé tranquille » (the right to be let alone). 3 Selon eux, les nouvelles techniques de leur temps avaient permis l’apparition de nombreux dommages d’atteintes à la vie privée (par la presse à scandale4 ou la publicité5) que la common law n’arrivait pas à réparer correctement parce que le droit atteint n’était fondé ni sur un contrat, ni sur un trust, ou encore ne dérivait pas d’une propriété privée strictement entendue. Autrement dit, il y avait vide juridique et les deux avocats s’adressaient aux juges pour les inciter à réparer le dommage civil (tort) causé par des tels agissements. Quelques années après que l’appel eût été lancé, les juges d’Etats commencèrent à réparer le dommage résultant d’une atteinte à la vie privée.6 En 1960, de très nombreuses cours d’Etats avaient enrichi la common law de leurs Etats de manière à sanctionner les atteintes à la vie privée dans le cadre des torts. Chaque Etat ayant sa propre common law, la jurisprudence variaient selon les Etats ; mais tous reconnaissaient une forme de common law privacy tort, c’est-à-dire une responsabilité civile de droit commun pour atteinte à la vie privée, selon les suggestions faites par Warren et Brandeis soixante dix ans plus tôt. La très grande diversité des solutions retenues selon les Etats a fait l’objet d’un important effort de synthèse dans le Restatement (Second) of Torts qui a substitué au tort unique d’atteinte à la vie privée qui était prévu dans le premier Restatement la classification quadripartite établie en 1960 par le professeur William P. Prosser, rapporteur général. 7 Selon cette classification, la common law dans tous les Etats reconnaît que quiconque s’ingère dans la vie privée d’autrui est responsable des dommages causés par son fait. 8 Sur le fondement de ce principe général, le Restatement distingue quatre torts d’atteintes à la vie privée: 1) l’intrusion, matérielle ou non (physically or otherwise), dans l’intimité ou la solitude de l’individu à condition qu’elle soit manifestement offensante pour toute personne raisonnable [ce tort est reconnu dans tous les Etats, sauf six d’entre eux] ; 9 2) l’appropriation de l’image d’une personne ou de sa ressemblance avec autrui [ce tort est reconnu dans les deux tiers des Etats, mais la plupart d’entre eux exigent que l’appropriation 3 Thomas Cooley, Torts, 2d ed., 1882, p. 29. Les rotatives venaient d’être inventées et la presse à grand tirage connaissait un formidable développement qui générait des profits gigantesques pour tout ce qui concernait la presse des potins, des ragots et autres agréments de même nature. 5 Par exemple, il était arrivé qu’une jeune femme, « ravissante » de l’avis des juges qui pourtant la déboutèrent, voit un jour sa photographie reproduite à 25.000 exemplaires sur une réclame pour une marque de farine sans qu’elle ait été consultée ni qu’elle ait acquiescé à la divulgation de son image avec un encarté annonçant « The Flour of the Family », Roberson v. Rochester Folding Box Co., 171 N.Y. 538 ; 64 N.E. 442 (1902). 6 Quinze ans après la publication de l’article de Warren et Brandeis, la Cour suprême de Georgie condamna une compagnie d’assurances pour avoir utilisé à son insu la photographie d’une personne dans une publicité vantant les mérites de ses polices d’assurance-vie, Pavesich v. New England Life Ins. Co., 50 S.E. 68 (Ga. 1905). 7 William L. Prosser, Torts, 4e ed., St Paul, Minn., West Publishing Co., 1971. La classification des dommages résultant d’une violation de la vie privée d’autrui en quatre catégories a été présentée pour la première fois dans son important article, « Privacy », California Law Review, vol. 48 (1960), pp. 383-423. 8 Restatement (Second) of Torts, § 652A (1976) 9 Id, § 652B (1976) 4 ait été faite à des fins lucratives comme, par exemple, un avantage publicitaire ou un gain commercial] ;10 3) la révélation au public de faits qui relèvent manifestement de la vie privée d’autrui à condition que ces faits soient de nature à choquer toute personne raisonnable et qu’ils ne présentent pas d’éléments de nature à éveiller un intérêt légitime dans le public [ce tort est reconnu dans tous les Etats sauf six, mais le nombre des condamnations prononcées pour divulgations fautives d’informations privées au public est infime] ;11 4) la publication d’informations fausses et inexactes faisant apparaître l’individu sous un jour défavorable (false light tort) [moins de deux tiers des Etats reconnaissent ce tort].12 La common law a donc évolué de manière à protéger la vie privée, mais cette évolution s’est faite comme toutes les évolutions de la common law, c’est-à-dire de manière incrémentielle, à partir de l’existant, en construisant sur ce qui est acquis. Le droit au respect de la vie privée a reçu la protection de la common law, non pas en tant que tel, mais plutôt en tant qu’extension du droit naturel déjà protégé par elle, à savoir, le droit de propriété. En d’autres termes, pour que le droit au respect de la vie privée soit reconnu et sanctionné par le droit commun, il a fallu que les juges acceptent d’étendre les intérêts juridiques protégés par le droit de propriété, comme on peut le vérifier à partir des quatre catégories de torts d’atteinte à la vie privée qui sont énumérés dans le Restatement. Tous trouvent leurs lointaines origines dans la protection que la common law accorde à la propriété privée. Le point faible de cette construction est que lorsque l’individu n’est pas, ou n’est plus, propriétaire des éléments qui concernent sa vie privée, il n’est plus protégé. En 1976, la Cour suprême a jugé dans une affaire United States v. Miller que le droit à la vie privée ne pouvait plus être invoqué lorsque les éléments de la vie privée étaient entre les mains de tiers. Miller était un contribuable qui avait fraudé le fisc à propos des droits d’enregistrement sur les alcools et taxes sur le whiskey. Pour mener son enquête, le fisc avait requis les deux banques dans lesquelles il possédait des comptes de lui communiquer tous les documents retraçant les opérations et mouvements enregistrés et les banques s’étaient exécutées. Miller fit appel de sa condamnation en invoquant le caractère illégitime des preuves ainsi obtenues au regard des dispositions du 4e Amendement.13 La Cour suprême rejeta sa prétention ; elle considéra que le 4e Amendement était inapplicable en l’espèce parce que les documents requis ne faisaient plus partie des « papiers et effets personnels » de Miller dans la mesure où celui-ci ne pouvait en revendiquer ni la propriété ni la possession (respondent can assert neither ownership nor possession). 14 Elle estima que les pièces litigieuses faisaient partie de ce qu’elle appela les « documents internes » de la banque, qualificatif qui donne à penser qu’ils sont la propriété de la banque, non celle du client, avec pour conséquence que les banques ne sont pas tenues de protéger des éléments de la vie privée de leurs clients. Avec un réalisme presque cynique, la Cour expliqua que quiconque ouvre un compte en banque prend le risque, en divulguant l’état 10 Id., § 652C (1976) Id., § 652D (1976) 12 Id., § 652E (1976) 13 Le 4e Amendement, dont nous parlerons plus loin, interdit les perquisitions et saisies déraisonnables frappant les individus dans leurs personnes, domiciles, papiers et effets personnels. Pour en assurer le respect effectif par les autorités de police, fédérales, puis fédérées, la Cour a décidé que toute preuve obtenue en violation de ces garanties doit être réputée irrecevable en justice. Voir les explication données dans Elisabeth Zoller, Grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis [ci-après Grands arrêts], PUF, 2000, pp. 617-618 à propos de l’arrêt Mapp v. Ohio, 367 US 643 (1961). 14 425 US 435, 440 (1976) 11 de ses affaires à des tiers, de voir les informations qu’il donne volontairement, communiquées à l’Etat et, nécessairement aussi, à des tiers. Il n’y a donc pas d’espoir légitime de droit à la vie privée à propos d’informations légalement détenus par des tiers et la Cour de conclure : « Le 4e Amendement n’interdit pas que l’information révélée à un tiers soit transmise au gouvernement, nonobstant le fait que l’information ait pu être livrée avec l’idée que les renseignements ne serviraient que des objectifs limités et que la confiance placée dans le tiers ne serait pas trahie ». 15 La jurisprudence Miller est révélatrice de l’ancrage intellectuel, commandé par la logique du système de common law, du droit au respect de la vie privée dans le droit de propriété. Une information sur la vie privée d’un individu qui est détenue par des tiers n’est plus privée et elle n’est plus protégée. Il n’est pas douteux que de telles conséquences sont destructrices de toute protection de la vie privée à une époque où, du chef de la complexité de la vie sociale, d’innombrables tiers, les banques, les sociétés d’assurances, les institutions de crédit, les organismes de santé, les opérateurs de services publics (téléphone), les fournisseurs d’accès à Internet possèdent une foule d’informations sur la vie privée des individus. Ces informations sont le plus souvent détenues sous forme électronique, donc aisément transférables. 16 Or, la common law ne peut pas prévenir l’usage que feront les tiers de ce qui est légalement devenu leur propriété. Seul le législateur peut le faire et assurer la protection des données à caractère personnel détenues par les tiers. Aussi bien, peu après la jurisprudence Miller, le Congrès estil intervenu pour remédier à ces inconvénients en créant un droit législatif à la confidentialité des comptes bancaires.17 La common law étant impuissante à assurer une protection complète de la vie privée, elle doit être relayée par la loi. Au niveau des Etats, le législateur est souvent intervenu pour protéger la vie privée des individus contre les intrusions de leurs semblables.18 Généralement, il s’agit de lois qui codifient tout ou partie des quatre catégories de torts du Restatement. Seuls deux Etats, le Massachusetts19 et le Wisconsin,20 ont adopté des lois générales sur le principe du droit de toute personne au respect de sa vie privée. Partout cependant, le droit au respect de la vie privée est ressenti comme un problème qui appelle des mesures adéquates et, au cours des cinq dernières années, les législatures d’Etats ont discuté plus de 400 propositions de lois destinées à protéger la vie privée. Au niveau fédéral, le Congrès est intervenu d’abord en matière de transactions financières qui sont capitales dans une économie comme l’économie américaine fondée sur le crédit.21 Plusieurs lois fédérales font obligation aux institutions bancaires ou financières qui détiennent des renseignements sur les personnes de garantir une parfaite exactitude des informations détenues sur leurs clients et de limiter la dissémination des renseignements sur leurs avoirs et crédits (crédits immobiliers, crédits à la consommation) à ce que la loi dénomme les « légitimes exigences des affaires ».22 Au cours de la dernière 15 Ibid, p. 443 Daniel J. Solove, « Digital Dossiers and The Dissipation of Fourth Amendment Privacy », Southern California Law Review, vol. 75 (2003), pp. 1083-1167, notamment p. 1087 17 Right to Financial Privacy Act, 12 USCA §§ 3401-3422 18 Voir Fred H. Cate, Privacy in the Information Age, Brookings Institution Press, Washington, D.C., 1997, p. 88 19 Massachusetts Annotated Laws ch. 214, § 1B (1996) 20 Wisconsin Statutes Annotated § 895.50(1)(a) (1995) 21 Sur les atteintes au droit au respect de la vie privée qu’entraîne le système du crédit, voir Fred H. Cate, Robert E. Litan, Michael Staten, Peter Wallison, Financial Privacy, Consumer Prosperity and the Public Good, AEIBrookings Joint Center for Regulatory Studies, Washington, D.C., 2003 ; Fred H. Cate, The Privacy Problem, A broader view of information privacy and the costs and consequences of protecting it, A First Amendment Center publication, Vol. 4 (no. 1), March 2003, 28 pp. 22 Il s’agit du Fair Credit Reporting Act (1970), du Consumer Credit Reporting Reform Act (1996) ; pour une description détaillée de leur contenu, voir Fred Cate, Privacy in the Information Age, op. cit. supra n. 18, p. 81 16 décennie, le Congrès a adopté plusieurs lois, par exemple, pour limiter la collecte des données à caractère personnel auprès des jeunes enfants et pour permettre aux parents d’exercer un droit de rectification,23 ou pour protéger la confidentialité des données à caractère financier en permettant aux clients de choisir « pour » (clause dite opt-in) ou « contre » la divulgation par les banques des renseignements qu’elles détiennent sur leur solvabilité et leur historique en matière de crédit.24 Le Congrès est aussi intervenu pour limiter la vente par les Etats à des fins lucratives des données recueillies sur les titulaires de permis de conduire.25 Enfin, dans le prolongement des interventions législatives du Congrès,26 les administrations fédérales sont aussi intervenues par la voie réglementaire pour réglementer la collecte et la diffusion des données à caractère personnel recueillies par les professionnels de la santé.27 Incontestablement, le droit au respect de la vie privée existe aux Etats-Unis. Il est consacré par la common law et par les lois. Toutefois, il n’a pas la portée qu’il a en Europe. D’où vient cela ? La cause en est dans ce seul fait. Le droit à la vie privée tel qu’il est protégé par le droit commun doit s’incliner devant les exigences constitutionnelles, en particulier, devant le 1er Amendement qui prévoit dans ses dispositions ici pertinentes : « Le Congrès ne fera aucune loi […] qui restreindrait la liberté d’expression ou de presse ». Applicable à l’origine seulement au gouvernement fédéral, cette interdiction de légiférer est aujourd’hui considérée comme « incorporée » dans la clause de due process du 14e Amendement et donc applicable aux Etats. B L’exception du 1er Amendement Tel qu’il est interprété, le 1er Amendement interdit au gouvernement fédéral comme aux Etats d’adopter et de faire appliquer des lois qui limitent la liberté d’expression. 28 Le résultat est que, le plus souvent, un conflit entre le droit à la vie privée et le droit à la liberté d’expression se solde par la défaite du premier et la victoire du second. Tel a toujours été le cas dans les innombrables affaires portées devant la Cour suprême par des justiciables qui tentaient de faire cesser, par voie de référé, la distribution ou la diffusion d’informations relative à leur vie privée ou, à défaut, d’obtenir la condamnation du fautif à des dommages intérêts. Lorsque l’information sur la vie privée d’une personne est vraie, qu’elle a été obtenue par des moyens légaux et qu’elle présente un caractère d’intérêt public (speech of public concern), la Cour suprême a dit et redit que l’Etat fédéré ne peut pas en principe en interdire ou en punir la publication. L’Etat ne peut limiter la liberté d’expression qu’à la condition de satisfaire aux exigences du contrôle strict (strict scrutiny), c’est-à-dire à condition de prouver que la mesure est, d’une part, justifiée par un intérêt gouvernemental impérieux (compelling governmental interest) et, d’autre part, étroitement ajustée (closely tailored) aux circonstances de l’espèce. A ce titre, la Cour a annulé les lois d’Etats qui interdisaient la révélation du nom des mineurs mis en examen29 ou celui des personnes victimes de viols.30 La doctrine américaine considère 23 Children’s Online Privacy Protection Act (1998), 15 USC §§ 6501-6505 (1999) Gramm-Leach-Bliley Financial Services Modernization Act, Title V, 12 USC § 1811 (1999) 25 Drivers’s Privacy Protection Act (1994), 18 USC § 2721 (b) (1994), modifié par 18 USC § 2721 (b) (11) (1999) 26 Health Insurance Portability and Accountability Act of 1996 (« HIPAA ») qui réglemente la collecte de l’information médicale, PL 104-191, Aug. 21, 1996, 110 Stat. 1936, codified 42 USC § 300gg. 27 Standards for Privacy of Individually Identifiable Health Information, 45 CFR §§ 164.502, 164.506 (2000) 28 Sur le 1er Amendement et la liberté d’expression, voir les thèses récentes de Laurence Grosclaude, La liberté d’expression dans la jurisprudence constitutionnelle des Etats-Unis, Thèse Paris II, 2003 ; Laurent Pech, La liberté d’expression et sa limitation, PU Clermont-Ferrand, 2003. 29 Smith v. Daily Mail Publishing Co., 443 US 97 (1979) 24 que la Cour a pratiquement mis fin à tout espoir pour les victimes de révélation par voie de presse de faits exacts relatifs à leur vie privée d’obtenir réparation. 31 Le droit du public à l’information et à la vérité sur des affaires qui sont d’intérêt public l’emporte toujours sur le droit au respect de la vie privée. Une information sur un sujet d’intérêt public, dès lors qu’elle a été légalement obtenue et qu’elle est vraie, ne peut jamais donner lieu a responsabilité civile ; la protection que la common law garantit à la vie privée doit s’incliner devant ce que la Cour a appelé dans une affaire Philadelphia Newspaper, Inc. v. Hepps, « la nécessité de toujours créer les conditions d’un débat sur les affaires qui sont d’intérêt public » (the need to encourage debate on public issues).32 La même solution s’applique à la protection législative de la vie privée qui résulte des lois du Congrès et notamment de la loi fédérale de 1968 qui interdit et punit de sanctions pénales l’interception des communications téléphoniques privées. L’interception, suivie de la diffusion sur les ondes radio, d’une conversation téléphonique entre deux personnes privées portant sur une affaire d’intérêt public (en l’espèce, une grève d’enseignants) ne peut pas ouvrir de droit à réparation pour les victimes parce que, selon la Cour, « dans de tels cas, le respect qu’on peut avoir pour la vie privée s’efface quand on le met en balance avec l’intérêt de rendre public tout ce qui est d’intérêt public ».33 En revanche, lorsque l’information n’est pas d’intérêt public, mais de portée purement privée, la common law reprend ses droits et la victime peut prétendre à des dommages intérêts.34 La question est évidemment de savoir ce qu’est « une affaire d’intérêt public » (a matter of public concern) ; la majorité ne l’a jamais expliqué et les dissidents le lui ont sévèrement reproché en considérant qu’il s’agissait d’un « concept amorphe »,35 auquel on peut donner la forme que l’on souhaite. Il est certain que ce ne peut être qu’une notion très large proche de toute affaire qui intéresse, ou est susceptible d’intéresser, la société. Par ailleurs, il faut savoir qu’aux Etats-Unis, la notion « d’affaire d’intérêt public » ne peut être que largement entendue, d’abord, parce que le clivage « privé – public » n’existe pas dans le droit, mais aussi et surtout parce que là où il n’y a pas d’Etat, pour ainsi dire,36 tous ont un droit de regard sur tout. Non seulement le gouvernement ne peut pas empêcher la presse de rapporter des faits exacts d’intérêt public sur la vie privée des gens ; mais encore, même lorsque l’information rapportée n’est pas rigoureusement exacte, voire fausse,37 la Cour est réticente pour en sanctionner la publication. Deux hypothèses doivent être distinguées. L’information peut concerner la vie d’une personne publique (public figure) ou d’une personne privée (private figure). S’il s’agit d’une personne publique, les choses sont assez simples. Telle qu’on la perçoit aux Etats-Unis, une personne publique, surtout si elle est élue, est par hypothèse et par définition exposée au 30 Florida Star v. B.J.F., 491 US 524 (1989); Cox Broadcasting Corp. v. Cohn, 420 US 469 (1975) Voir l’excellent bilan de Peter B. Elderman, “Free Press v. Privacy: Haunted by the Ghost of Justice Black”, Texas Law Review, vol. 68 (1990), pp. 1195-1234, notamment p. 1198 32 475 US 767, 777 (1986) 33 Bartnicki v. Vopper, 523 US 514, 534 (2001) 34 Dun & Bradstreet, Inc. v. Greenmoss Builders, Inc., 472 US 749, 751-2 (1985); Cantrell v. Forest City Publishing Co., 419 US 245 (1974) 35 Opinion dissidente du juge Rehnquist, rejoint par les juges Scalia et Thomas, Bartnicki v. Vopper, 523 US 514, 542 (2001) 36 Sur l’absence d’Etat aux Etats-Unis, voir Laurent Cohen-Tanugi, Le droit sans l’Etat, Sur la démocratie en France et en Amérique, Paris, PUF, 1984, passim, ainsi que les éléments d’analyse liés au fédéralisme présentés in Elisabeth Zoller, « Aspects internationaux du droit constitutionnel, Contribution à la théorie de la fédération d’Etats », Recueil des cours, tome 294 (2002), notamment §§ 19-22. 37 Naturellement, une parodie caricaturale qui n’a rien à voir avec la réalité, n’est pas une information vraie sur la vie privée d’un prédicateur et ne peut donner lieu à indemnité, aussi blessante et cruelle soit-elle, Hustler Magazine, Inc. v. Falwell, 485 US 46 (1988) 31 regard du public ; elle doit accepter de vivre sa vie privée comme sa vie publique, au grand jour, sous le regard de la société à laquelle elle doit tout, qui l’a mise là où elle se trouve et au service de laquelle elle travaille. Une personne publique ne peut jamais obtenir de réparation pour ce qui se dit ou s’écrit sur elle et, en particulier, pour l’information rapportée sur la manière dont elle exerce ses fonctions publiques, même si l’information est fausse, sauf à démontrer selon l’exigeante jurisprudence New York Times v. Sullivan (1964) que l’auteur de l’information était animé par une « intention de nuire caractérisée » (actual malice).38 S’il s’agit d’une personne privée, les choses sont plus complexes. Pas plus qu’une personne publique, une personne privée ne peut empêcher qu’on parle de sa vie privée dès lors que les faits rapportés sont d’intérêt public. Par ailleurs, les faits rapportés sur sa vie privée n’ont pas non plus à être d’une rigoureuse exactitude pour que celui qui les rapporte soit condamné à réparation et la victime doit toujours prouver un élément fautif dans l’atteinte faite à sa vie privée. Mais, à la différence d’une personne publique qui ne peut espérer obtenir la protection de la common law, c’est-à-dire concrètement réparation pour diffamation, qu’à la condition de prouver l’intention de nuire caractérisée, c’est-à-dire la faute lourde, aggravée par l’intention dolosive, commise par l’auteur des faits rapportés, la personne privée peut obtenir réparation à condition de prouver la faute simple.39 En tout état de cause, chaque fois que le fait rapporté présente un intérêt public (a matter of public concern), le 1er Amendement autorise à en parler publiquement, même s’il concerne la vie privée des personnes, publiques ou privées. Si les faits rapportés sont vrais, ces personnes ne peuvent pas s’en plaindre en justice ; et, s’ils ne sont pas vrais ou ne le sont qu’a moitié, elles ne peuvent obtenir des dommages intérêts pour diffamation qu’à la condition de prouver la faute de l’auteur de l’information, étant ici précisé que le fardeau de la preuve qui incombe à la personne publique est si lourd qu’à la différence de la personne privée, ses chances d’être indemnisée pour ingérence dans sa vie privée sont virtuellement proches de zéro. II – LE REGARD DE L’ETAT Comme dans tous les pays qui ont été marqués par la tradition du droit public anglais, le droit des Etats-Unis contient de solides garanties contre l’intrusion de la puissance publique dans la vie privée des citoyens, particulièrement lorsque l’ingérence étatique prend la forme d’une intrusion au domicile. Non seulement les Etats-Unis ont repris le principe anglais selon lequel la maison d’un homme est son château (a man’s house is his castle), 40 mais ils en ont très sensiblement renforcé les garanties et la portée dans le 4e Amendement sur l’interdiction des perquisitions et saisies déraisonnables. Dirigé à l’origine contre le seul gouvernement fédéral, le texte du 4e Amendement a été incorporé en 1949 dans la clause de due process du 14e Amendement et est aujourd’hui applicable aux Etats.41 Il est incontestablement le fondement du droit au respect de la vie privée contre l’Etat aux Etats-Unis (A). C’est à partir de lui, de l’esprit qui s’en dégage et des autres dispositions qui le côtoient dans le Bill of Rights, que la Cour suprême a crée de toutes pièces en 1965 le concept de right of privacy, c’est-à-dire le 38 L’arrêt New York Times v. Sullivan, 376 US 254, 270 (1964) rejette la plainte en diffamation d’un officier de police contre le quotidien New York Times pour avoir rapporté des faits le concernant qui n’étaient pas tout à fait exacts au motif que, quand il s’agit de personnages officiels, la diffamation ne peut être retenue que si l’auteur des faits rapportés dans la presse a fait preuve « d’une intention de nuire caractérisée », reproduit et traduit dans Grands arrêts, supra note 13, p. 643-660, surtout p. 656. 39 Gertz v. Welch, 418 US 323, 347-8 (1974) 40 Le principe a été illustré en 1765 par l’un des grands arrêts de la common law, Entick v. Carrington rendu par Lord Camden, 19 Howell’s State Trials, 1030. 41 Wolf v. Colorado, 338 US 25 (1949). droit à la vie privée qui n’est pas mentionné dans la Constitution en tant que tel.42 Le nouveau droit a commencé une grande aventure quand la Cour suprême en fit le fondement du droit à la liberté des choix individuels fondamentaux qui intéressent la procréation ou la sexualité. Les vives controverses qu’il a suscitées, augmentées des potentialités redoutables qu’il génère dans le domaine de la bioéthique, ne sont sans doute pas étrangères à la période de mutation et de relatif déclin dans laquelle la jurisprudence la plus récente de la Cour semble vouloir le faire entrer (B). A La protection du 4e Amendement Sur le plan historique, les origines du 4e Amendement tiennent aux pratiques suivies par les autorités britanniques qui, pour lutter contre la subversion dans les colonies, se munissaient de mandats de perquisitions formulés dans les termes les plus généraux (general warrants), sans précision aucune, de manière à ce que les fouilles de la police soient les plus larges possibles. Il dispose : « Le droit des individus d’être garantis dans leurs personnes, domiciles, papiers et effets, contre des perquisitions et saisies déraisonnables ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré, si ce n’est pour un motif plausible, soutenu par serment ou déclaration solennelle, ni sans qu’y soit décrit avec précision le lieu à fouiller et les personnes ou choses à saisir ». La plupart des décisions de la Cour suprême qui ont consacré le droit à la vie privée se sont fondées sur ses dispositions.43 C’est en 1886 que, pour la première fois, la Cour suprême invoqua la notion de privacy en relation avec le 4e Amendement. Elle considéra que l’objet de ce texte était de protéger le caractère sacré de l’inviolabilité du domicile et des affaires personnelles (the sanctities of a man’s home and the privacies of life).44 Et, de fait, le 4e Amendement a été conçu d’abord pour protéger le domicile, donc le droit de propriété, le 5e Amendement protégeant pour sa part le droit à la liberté. Le droit de propriété est ainsi la pierre fondatrice de l’interdiction faite au pouvoir de s’introduire au domicile, lieu par excellence de la vie privée, sans motif valable et à des conditions soigneusement définies et contrôlées par un juge. Le lien logique qui s’établit naturellement entre protection du domicile, droit de propriété et vie privée permet de comprendre pourquoi la jurisprudence a longtemps estimé qu’il ne pouvait pas y avoir « perquisitions ou saisies déraisonnables » au sens du 4e Amendement sans intrusion physique et matérielle au domicile, ou encore pénétration directe à l’intérieur de la maison de la personne et atteinte directe à ses biens (papiers et effets personnels). Dans un premier temps, la mise sur écoute d’une ligne téléphonique parce qu’elle ne nécessite aucune intrusion matérielle au domicile de la personne et qu’elle n’implique aucune atteinte au droit de propriété entendu au sens strict, ne fut pas considérée comme relevant du 4e Amendement [Olmstead v. United States (1928)].45 La solution retenue dans l’arrêt Olmstead suscita une vibrante et passionnée opinion dissidente du juge Brandeis qui fit valoir que les pères fondateurs avaient voulu avec le Bill of Rights assurer aux citoyens américains des 42 La Constitution fédérale ne parle pas de droit à la vie privée (privacy). Le right of privacy est une création prétorienne. Toutefois, si le texte constitutionnel ne mentionne pas explicitement le droit à la vie privée, il est incontestable que plusieurs dispositions du Bill of Rights peuvent être lues comme protégeant de nombreux aspects de la vie privée des individus ; ainsi, le 3e Amendement qui interdit les réquisitions forcées de logements au profit de l’armée, le 4e Amendement, bien entendu, qui interdit les perquisitions et saisies déraisonnables, le 5e Amendement qui garantit à tout accusé le droit de ne pas témoigner contre lui-même, le 9e Amendement sur les droits réservés du peuple, et même le 14e Amendement qui garantit le droit à la liberté. 43 Fred H. Cate, Privacy in the Information Age, Washington, D.C., Brookings Institution Press, 1997, p. 57. 44 Boyd v. United States, 116 US 616, 627-630 (1886) 45 277 US 438, 466 (1928) conditions d’existence propices à la recherche du bonheur. Et le juge Brandeis d’expliquer dans son opinion très célèbre : « [Les Pères fondateurs] ont cherché à protéger les Américains dans leurs croyances, leurs pensées, leurs émotions et leurs sensibilités. Ils leur ont donné contre le gouvernement le droit d’être laissé tranquille (to be let alone), droit qui subsume tous les autres et qui est le plus chéri parmi les hommes civilisés. Pour protéger ce droit, toute intrusion non justifiée du gouvernement dans la sphère privée de l’individu, quels que soient les moyens employés, doit être présumée constituer une violation du 4e Amendement. Et l’utilisation, dans une procédure criminelle, de moyens de preuve obtenus en violation du 4e Amendement, doit être regardée comme une violation du 5e (NdT : c’est-à-dire, frappée de nullité et sans effets juridiques) ».46 Il a fallu attendre près de quarante ans pour que la Cour suprême se range à l’avis du juge Brandeis. En 1967, dans une décision Katz v. United States, la Cour a reconnu « qu’une fois admis le principe selon lequel le 4e Amendement protège des hommes – et pas seulement des endroits – contre des perquisitions et saisies déraisonnables, il est clair que sa mise en œuvre ne peut pas dépendre de l’existence ou de l’absence d’une intrusion physique dans une sorte quelconque d’espace clos et fermé ».47 Katz est une décision importante parce que, pour la première fois, le right of privacy, le droit à la vie privée, a été nettement dissocié de sa base juridique originaire qui est le droit de propriété. La Cour le dit très clairement : la doctrine du trespass (entrée illégale, non autorisée) qui est intrinsèquement liée au droit de propriété dans la common law et qui était autrefois requise pour déclencher la protection du 4e Amendement ne l’est plus. Le droit à la vie privée vole désormais de ses propres ailes, pour ainsi dire. Il en résulte que la mise sur écoute d’une cabine téléphonique, comme dans l’affaire Katz, ou, de manière plus générale, la mise sur écoute de toute ligne privée (qui peut se faire sans intrusion ou pénétration matérielle à l’intérieur de la propriété de l’abonné) est constitutive d’une violation du droit à la vie privée. Katz a certainement voulu couper le cordon ombilical qui relie le droit à la vie privée au droit de propriété dans la culture de common law. Mais la séparation n’est pas facile et aujourd’hui encore, le droit américain porte trace des difficultés à conceptualiser les implications de cette scission. En premier lieu, dès l’affaire Katz, il est apparu que, nonobstant l’affirmation de la Cour selon laquelle le 4e Amendement protège des hommes et non des endroits ou des lieux, les juges, selon toute vraisemblance, l’appliqueraient certes aux hommes, mais toujours à des hommes « situés », situés dans des espaces. Ce point est éclatant dans l’opinion individuelle du juge Harlan. Explorant ce que pourrait être la signification de l’opinion de la Cour, celuici s’interroge sur la protection que la nouvelle interprétation du 4e Amendement offrira aux « hommes » par opposition aux « espaces » et il a cette réponse révélatrice, selon nous, de la prégnance de l’interprétation spatiale du droit à la vie privée : « Généralement, […] la réponse obligera à faire référence à un espace » ; et il précise qu’il s’agira d’un espace présentant deux caractéristiques, c’est-à-dire « un espace dont l’individu est persuadé en son for intérieur qu’il est de nature privée et que la société considère légitime de tenir pour tel ».48 La Cour suprême a retenu et retient toujours les deux critères du juge Harlan pour déterminer les espaces ou les lieux qui doivent être réputés « privés » au sens du 4e Amendement. C’est ainsi qu’elle considère « raisonnable » de tenir pour « privé » un appartement situé au rez-dechaussée d’un immeuble municipal en principe réservé à un usage commercial, mais utilisé en 46 Ibid., p. 478 389 US 347, 353 (1967) 48 Ibid, p. 361 47 fait comme résidence privée,49 le bureau d’un directeur de société soupçonné de fraude fiscale, 50 une malle fermée avec un cadenas et enregistrée au train,51 la valise du client d’un taxi,52 ou encore des cartons d’emballage hermétiquement fermés et envoyés par erreur à une mauvaise adresse.53 En revanche, n’ont pas été considérés comme de nature à faire naître un espoir de propriété ou d’espace privés, un échantillon de voix enregistrée,54 la liste de tous les numéros de téléphone composés à partir d’un poste privé,55 les bandes magnétiques de conversations enregistrées à l’intérieur d’un domicile privé à l’aide d’un microphone caché sur la personne d’un visiteur,56 le coffre57 ou la boite à gants58 d’une voiture que l’on ne possède pas soi-même, ou enfin des sacs–poubelle placés sur la voie publique (donc, souligne la Cour, abandonnés et volontairement placés hors de la propriété privée de la personne) et en attente d’être collectés par les services de ramassage des ordures.59 « L’espace dont l’individu est persuadé en son for intérieur qu’il est de nature privée et que la société considère légitime de tenir pour tel » est une notion relative, contingente et dépendante du contexte où elle est invoquée. Car c’est toujours le contexte qui détermine le sens subjectif et objectif de la notion.60 Tout dépend du point de savoir si ce contexte est de nature ou non à faire naître une « attente légitime de vie privée » (legitimate expectation of privacy). Certains espaces réduisent ces espérances de façon dramatique ; ainsi de l’espace carcéral dans lequel les détenus ne peuvent se plaindre de la fouille gantée de toutes leurs cavités corporelles après un contact physique direct avec une personne de l’extérieur ;61 ou encore, l’espace des jeunes sportifs engagés dans des compétitions scolaires qui doivent obligatoirement se soumettre aux analyses d’urine qui leur sont imposées de manière à ce que l’administration de l’école puisse contrôler leur éventuelle consommation de drogues, même douces.62 La doctrine américaine ne se prive pas de mettre en exergue et de railler les incohérences de cette jurisprudence. Il faut toutefois reconnaître que, depuis le dérapage de l’arrêt Olmstaed à propos des écoutes téléphoniques ultérieurement réparé par la solution de l’arrêt Katz, il y a un lieu que la Cour suprême semble vouloir très fermement protéger contre les intrusions du pouvoir, c’est le domicile. A plusieurs reprises, elle a laissé entendre que le domicile était par excellence le sanctuaire de la vie privée, le lieu où chacun peut choisir de vivre comme il lui plaît et d’en faire à sa guise.63 Non seulement l’Etat ne peut pas fouiller et perquisitionner directement le domicile sans un mandat délivré par l’autorité judiciaire, mais encore il ne peut 49 Camara v. Municipal Court of the City and County of San Francisco, 387 US 523 (1967) G. M. Leasing Corp. v. US, 429 US 338 (1977). 51 United States v. Chadwick, 433 US 1 (1977) 52 Arkansas v. Sanders, 442 US 753 (1979) 53 Walter v. United States, 447 US 649 (1980) 54 United States v. Dionisio, 410 US 1 (1973) 55 Smith v. Maryland, 442 US 735 (1979) 56 United States v. White, 401 US 745 (1971) 57 United States v. Ross, 456 US 798 (1982) 58 South Dakota v. Opperman, 428 US 364 (1976) 59 California v. Greenwood, 486 US 35 (1988) 60 « Overview of the Fourth Amendment », Georgetown Law Journal, vol. 91 (2003), pp. 5-18 61 Bell v. Wolfish, 441 US 520, 559-560 (1979) 62 Vernonia School District 47J v. Acton, 515 US 646, 658 (1995) 63 Même dans le contexte de la liberté d’expression, le caractère sacré de l’inviolabilité du domicile apporte une certaine dimension spatiale à la liberté de penser. Ainsi, à propos d’une loi de Georgie qui punissait de sanctions pénales la simple possession au domicile de choses, matériaux ou documents obscènes, la Cour suprême estime : « Quelles que puissent être les justifications des lois réprimant l’obscénité, nous ne pensons pas qu’elles puissent pénétrer dans l’intimité du domicile (privacy of one’s own house). Si le 1e Amendement signifie quelque chose, c’est certainement que ce n’est pas l’affaire de l’Etat que de dire à un individu, assis seul chez lui, quels livres il peut lire ou quels films il peut regarder. », Stanley v. Georgia, 394 US 557, 565 (1969) 50 pas s’y introduire à l’insu de l’occupant comme le permettent les nouvelles technologies de surveillance thermique que la Cour a récemment distingué de la surveillance visuelle du domicile qui, elle, reste légale sans mandat. 64 L’inviolabilité du domicile est au cœur de la conception américaine du droit à la vie privée opposable à l’Etat ; c’est le lieu où chacun peut se retirer et vivre en sûreté contre les intrusions illégitimes du pouvoir.65 Le 4e Amendement protège la vie privée des citoyens contre les intrusions du pouvoir à leur domicile et même, on l’a vu, dans des espaces qui débordent le domicile strictement entendu puisque sont couverts des bagages ou une voiture. Mais il ne protège la vie privée que contre certains types d’intrusions, celles qui sont liées à des poursuites pénales. Réserve faite de la matière pénale, l’Etat peut s’ingérer dans la vie privée des citoyens ; il peut requérir qu’ils lui communiquent des informations et des renseignements sur eux-mêmes (disclosure of personal matters). La protection limitée que le 4e Amendement garantit à la vie privée est clairement apparue en 1977 dans une affaire Whalen v. Roe.66 Il s’agissait, dans cette affaire, d’une loi de l’Etat de New York qui obligeait à tenir un registre, dans un ordinateur centralisé à la capitale de l’Etat, des malades qui recevaient sur ordonnance des médicaments contenant des substances psychotropes. Des patients invoquèrent l’inconstitutionnalité de ce texte au motif, entre autres, que le 4e Amendement protègerait le citoyen de révéler à l’Etat des éléments de sa vie privée. Ils furent déboutés ; la Cour suprême releva (certes, dans une note de bas de page, mais rédigée suffisamment clairement pour ne laisser place à aucune ambiguïté) que le 4e Amendement concerne les poursuites pénales.67 Obiter dictum, elle offrit toutefois un lot de consolation aux plaignants en indiquant qu’il existait une zone de droit au respect de la vie privée (zone of privacy) incluant un « intérêt » à ne pas voir des données à caractère personnel communiquées au gouvernement. Toutefois, cet intérêt n’est pas l’« intérêt fondamental » (fundamental interest) qui appelle un contrôle strict de constitutionnalité et la Cour ne le protège que par un contrôle intermédiaire, très proche du simple contrôle de base rationnelle. Plusieurs lois du Congrès, notamment celles organisant les recensements nationaux, autorisent le gouvernement fédéral à recueillir des informations sur les citoyens auxquels il est demandé de faire état de ce qu’ils veulent voir tenu comme étant leur race, leur religion, ou leur origine ethnique, et les citoyens sont tenus de répondre. Il en va de même, mais sur ce point les EtatsUnis ne se distinguent en rien des Etats européens, des lois fédérales qui autorisent les agents du fisc, l’IRS (Internal Revenue Service), à requérir en cas de contrôle fiscal la production de tous les documents nécessaires à l’établissement de l’impôt. La Cour n’a jamais eu l’occasion d’appliquer le contrôle intermédiaire à l’une de ces lois et elle n’a jusqu'ici jamais annulé une loi qui requiert des citoyens la communication de données personnelles à l’Etat. Les informations et données à caractère personnel que le gouvernement fédéral et les autorités administratives possèdent sur les citoyens sont soumises aux dispositions du Privacy Act de 1974.68 La loi oblige les agences fédérales à ne stocker que les informations pertinentes et nécessaires pour accomplir leurs fonctions ; à recueillir l’information, par priorité, des sujets concernés eux-mêmes ; à tenir des fichiers exacts, complets, à jour et pertinents ; à en garantir la sécurité par des contrôles administratifs, physiques et techniques. Le Privacy Act interdit le transfert à d’autres agences fédérales des données à caractère personnel qui sont contenues 64 Kyllo v. US, 533 US 27 (2001) rendu à propos de la surveillance (inconstitutionnelle en la circonstance) d’une maison avec un appareil de thermo vision qui permet de détecter les sources de chaleur et la culture éventuelle, à l’intérieur ou en sous-sol, de marijuana. 65 Silverman v. United States, 365 US 505, 511 (1961) 66 429 US 589 (1977) 67 Ibid., p. 604, note 32. 68 5 USC §§ 552a(e)(1)-(5). dans les fichiers informatisés, si ce n’est à la demande ou avec le consentement des intéressés et pour des besoins spécifiés par la loi. Mais il existe plusieurs exceptions. Les unes (pas moins de douze) sont prévues par la loi ; une agence peut révéler le contenu de ses fichiers au Bureau du recensement, aux Archives nationales, au Congrès, au contrôleur général des comptes (Comptroller General), aux institutions d’analyse de la consommation ; les informations peuvent aussi être révélées dans le cadre de procès civils ou criminels ; il existe enfin une exception pour les transferts de routine (routine use) qui requièrent une publication préalable dans le Federal Register et qui sont limités à des usages autorisés par la loi. Les autres exceptions résultent de l’interprétation judiciaire ; les cours fédérales ont jugé que n’étaient pas des « agences » couvertes par le Privacy Act, les institutions fédérales de crédit, les agences des Etats fédérés et des collectivités subordonnées, l’office de la Maison Blanche, les grands jurys, et les banques nationales. Parallèlement au Privacy Act, il existe de très nombreuses autres lois fédérales qui limitent la portée du regard de l’Etat sur la vie privée des individus.69 Par exemple, la loi qui fut adoptée après la décision Miller pour garantir le droit à la confidentialité des comptes bancaires (Right to Financial Privacy Act) limite l’accès des autorités fédérales à l’information détenue par les banques. La loi sur le câble de 1984 (Cable Act of 1984) interdit aux fournisseurs du câble de communiquer au gouvernement des informations concernant leurs clients à moins que celui-ci ne puisse se prévaloir d’un mandat délivré par un juge. Le USA PATRIOT Act adopté après le 11 septembre 2001 pour lutter contre le terrorisme a limité cette interdiction uniquement aux services de télévision, mais a exempté les services de téléphone et d’accès à internet.70 Sur un plan plus général, ce texte auquel il faut ajouter le Homeland Security Act,71 a renforcé, dans des proportions que certains jugent inquiétantes, les pouvoirs de surveillance de l’Etat sur la vie privée.72 En particulier, la loi PATRIOT a étendu la portée du droit de regard de l’Etat sur les communications téléphoniques et électroniques des citoyens. L’accès de la police comme des autorités de poursuite à ces communications est facilité par la substitution du standard des « besoins d’une enquête criminelle en cours » (relevant to an ongoing criminal investigation) au traditionnel standard beaucoup plus exigeant de la « probable cause » (qui requiert des preuves de soupçons sérieux, étayés et concordants pesant sur la personne surveillée) pour obtenir les autorisations et les mandats nécessaires. La loi étend la possibilité d’enquêtes et de perquisitions menées en secret à l’insu de la personne surveillée qui peut n’être avertie qu’après la clôture de l’enquête dans un délai dit raisonnable. Enfin, la loi permet à l’autorité de police d’obtenir des autorisations générales de surveillance de tous les instruments et moyens de communications utilisés par un individu, et pas seulement comme autrefois d’un seul à la fois, chacun couvert par un mandat défini.73 B L’aventure du « droit à la vie privée » (right of privacy) Le droit à la vie privée (right to privacy) en tant que droit constitutionnel autonome est né en 1965 dans un arrêt rendu par la Cour suprême, Griswold v. Connecticut, à propos des moyens contraceptifs pouvant être mis à la disposition des couples mariés par les centres de 69 Sur tous ces points ainsi que sur le Privacy Act, voir le rapport très complet Safeguarding Privacy in the Fight Against Terrorism, Report of the Technology and Privacy Advisory Committee, March 2004, pp. 25-28. 70 USA PATRIOT Act of 2001, Pub. L. No. 107-56, Title II, § 211. 71 Homeland Security Act of 2002, Pub. L. No. 107-296. 72 Pour une critique ‘libertarienne’ de ces dispositions, voir Jim Harper, « Understanding Privacy – and the Real Threats to It », Policy Analysis, No. 520 (August 4, 2004), Cato Institute, p. 7. 73 Sur ces innovations, voir Kathleen M. Sullivan, « Under A Watchful Eye : Incursions on Personal Privacy » in TheWar on Our Freedoms, Civil Liberties in an Age of Terrorism [Richard C. Leone & Greg Anrig, Jr. (Eds)], The Century Foundation, New York, 2003, pp. 127-146, notamment pp. 137-8. planning familial dans l’Etat du Connecticut.74 Dans cette affaire, la Cour était confrontée à l’une de ces lois adoptées à la fin du 19e siècle dans les Etats sous l’influence des courants bien pensants souvent menés par des prédicateurs religieux. 75 En l’espèce, la loi déférée à la censure de la Cour, non seulement punissait de sanctions pénales l’utilisation de moyens contraceptifs, mais encore interdisait à quiconque de donner des conseils en la matière. Elle ne correspondait plus à l’évolution des idées et des mœurs. Pour en disposer comme l’opinion publique majoritaire le souhaitait, la Cour aurait pu s’appuyer sur une interprétation de fond de la clause du 14e Amendement qui interdit aux Etats de priver leurs citoyens de liberté [sans le bénéfice des garanties prévues par le droit (due process of law)]. Pour des raisons historiques remontant à la période honnie du début du 20e siècle dite du substantive due process, illustrée par l’arrêt Lochner,76 pendant laquelle la Cour annulait à tour de bras les lois qui restreignaient la liberté de manière qu’elle jugeait déraisonnable, et pour des raisons politiques tenant à l’accusation de gouvernement des juges que cette jurisprudence lui valut, la Cour n’aurait pas pu recourir à l’interprétation de fond de la clause de due process sans provoquer une crise constitutionnelle. Le juge Douglas contourna la difficulté en lisant le droit à la liberté non pas dans la seule clause de la Constitution où elle est expressément prévue contre l’Etat (le 14e Amendement), mais dans toutes les clauses où elle n’est pas mentionnée. Et, pour écarter de façon sûre toute accusation d’un retour au substantive due process, il eut le génie de donner un nouveau nom à cette forme de liberté. Il l’appela right of privacy, droit à la vie privée, en faisant visiblement un lien, au fond assez logique, entre la chambre des époux (lieu de la sexualité du couple), le domicile (lieu de la vie privée) et le 4e Amendement (lieu par excellence du droit à la vie privée aux Etats-Unis). La reconnaissance d’un droit à la vie privée a émancipé la femme américaine du carcan de l’ordre moral qui pesait sur elle dans de très nombreux Etats et il a puissamment servi le mouvement de libéralisation de la femme. Le point culminant de l’évolution fut la décision Roe v. Wade (1973) qui reconnut à la femme le droit d’interrompre volontairement une grossesse77 et que la Cour, nonobstant la majorité conservatrice qui la domine, a confirmé.78 Mais quand on veut prendre la mesure de ce que le right of privacy recouvre concrètement aujourd’hui, la question qu’il faut poser est celle-ci : au terme de quarante ans de présence dans le champ constitutionnel et en dehors de la maîtrise qu’il a donnée à la femme sur sa sexualité, quelles autres conséquences le droit à la vie privée a-t-il eu dans la jurisprudence de la Cour et quelles conséquences serait-il susceptible d’avoir? A la lumière de la jurisprudence récente de la Cour, il est permis de répondre que le droit à la vie privée semble promis à un avenir plus modeste que celui initialement envisagé. Dans le prolongement de la jurisprudence Roe, le droit à la vie privée fut d’abord invoqué pour abattre les lois d’Etats qui faisaient de l’homosexualité un crime passible de peines de prison et d’amendes. En 1986, dans une affaire Bowers v. Hardwick,79 la Cour rejeta la requête d’un homosexuel qui soutenait que le droit à la vie privée incluait le droit d’avoir des relations homosexuelles ; avec beaucoup d’habileté, la Cour ne se prononça pas sur le point de savoir si la Constitution contenait ou non un droit à la vie privée ; elle jugea de manière 74 Griswold v. Connecticut, 381 US 479 (1965); Grands arrêts, supra note 13, pp. 677-698. Ces lois sont toutes, comme celles du Connecticut dans l’affaire Griswold, « d’une rare stupidité » selon le qualificatif heureux retenu par le juge Stewart dans son opinion dissidente, 381 US 527 ; Grands arrêts, supra note 13, p. 695. 76 Lochner v. New York, 198 US 45 (1905); Grands arrêts, supra note 13, p. 321-344. 77 Roe v. Wade, 410 US 113 (1973); Grands arrêts, supra note 13, p. 745-757. 78 Planned Parenthood of Southeastern Pennsylvania v. Casey, 505 US 833 (1992); Grands arrêts, supra note 13, p. 1121-1156. 79 Bowers v. Hardwick, 478 US 186 (1986); Grands arrêts, supra note 13, p. 1055-1066. 75 plus étroite que la Constitution ne contenait pas un droit à pratiquer l’homosexualité. En 2003, dans une affaire Lawrence v. Texas, la Cour a renversé l’arrêt Bowers, nullement sur le fondement d’un droit à la vie privée comme les plaignants le lui demandaient, mais sur le fondement de la liberté.80 En s’appuyant sur la liberté explicitement mentionnée dans le 14e Amendement auquel la Cour fait référence et en ignorant le droit à la vie privée qui n’est mentionné nulle part dans la Constitution, la Cour a donné une meilleure base juridique, plus solide, au droit de l’individu de prendre les décisions qui intéressent sa vie privée, librement, de manière autonome et sans ingérence illégitime de l’Etat. La décision Lawrence v. Texas est importante pour juger du contenu actuel du right of privacy aux Etats-Unis, nullement parce qu’elle en parle, mais justement parce qu’elle n’en parle pas, ou presque pas. Ce silence mérite commentaires, car c’est sur le right of privacy, le droit à la vie privée que les mouvements gays et lesbiens avaient mené leur combat. La Cour ne les a pas suivis ; elle leur a toutefois donné satisfaction, mais sur une autre base juridique, la liberté dont elle a défini dans le tout premier paragraphe de son opinion la portée en ces termes : « La liberté (liberty) protège l’individu de toute intrusion illégale de l’Etat, là où il habite ou tout autre lieu privé (into a dwelling or other private places). Dans notre tradition, l’Etat n’est pas omniprésent à la maison (in the home). Et, en dehors de la maison (outside the home), il existe d’autres sphères dans nos vies et notre existence, à l’intérieur desquelles la présence de l’Etat ne devrait pas être dominante. Le droit d’être libre (freedom) va au-delà de limites spatiales. Il présuppose l’autonomie du sujet (autonomy of self) qui comprend la liberté de pensée, la liberté de conscience, la liberté d’expression et la liberté de comportement dans l’intimité. La présente affaire concerne la liberté de la personne dans sa double dimension, spatiale et plus transcendantale ».81 Pourquoi la Cour suprême insiste-t-elle à réserver un cadre spatial précis à une certaine forme de liberté (la liberté dont chacun jouit au domicile qui est au cœur du 4e Amendement) et pourquoi tant de précautions pour dissocier cette forme de liberté, de la liberté en général ? Comment expliquer ce compartimentage de la liberté dans une « double dimension, spatiale et transcendantale » ? Une interprétation possible serait la volonté de limiter la liberté subsumée sous le droit à la vie privée à la liberté d’agir dans un lieu (le domicile) et non sur une chose (par exemple, le fœtus ou le corps humain dans un prolongement possible de la jurisprudence Roe v. Wade). Dans les années 1980, plusieurs courants d’opinion se sont appuyés sur le droit à la vie privée pour revendiquer le droit à disposer de son corps, analogue, laissaient-ils entendre, à celui dont la femme enceinte dispose sur le sien et le fœtus qui l’habite. En 1992, dans l’affaire Casey qui confirma la décision Roe, la Cour avait pris soin de tenir le droit à la vie privée à distance de toute connexion avec le droit de propriété et elle l’avait fermement ancrée dans la liberté protégée par le 14e Amendement: « L’essence de cette liberté réside dans le droit de définir sa propre conception de l’existence et de la signification de l’univers et du mystère de la vie humaine ».82 De cette liberté, elle avait déduit le droit de la femme de déterminer, sans interférence illégitime de l’Etat, les choix qui sont déterminants pour sa dignité et l’autonomie de sa personne. C’est exactement la même idée, avec référence expresse à la jurisprudence Casey, qu’on retrouve dans l’arrêt Lawrence qui fonde le droit à l’homosexualité dans la liberté protégée du 14e Amendement, laquelle implique pour toute personne engagée dans une relation homosexuelle le droit de rechercher son autonomie (seek autonomy) de la même manière qu’elle l’implique pour toute personne engagée dans une relation hétérosexuelle.83 80 Lawrence v. Texas, 539 US 558 (2003) Ibid., p. 562 82 505 US 833, 851 (1992); Grands arrêts, supra note 13, p. 1129. 83 539 US 558, 574 (2003) 81 La jurisprudence Lawrence a réorienté le right of privacy, en refusant d’en faire le fondement du droit à l’homosexualité et en ancrant les choix intimes et personnels qu’une personne peut faire concernant sa sexualité dans la liberté qui ouvre à chacun, selon la Cour, la possibilité de rechercher son autonomie et son identité.84 Ces précisions étaient nécessaires dans la mesure où le right of privacy de la décision Roe avait nourri des extrapolations étourdissantes. Le prétendu droit à disposer de son corps que beaucoup voyait inscrit dans le droit à la vie privée était gros de développements inquiétants et terrifiants. Déjà, au nom du droit à la vie privée, on réclamait le droit de mourir et le droit au suicide médicalement assisté, fermement écarté par la Cour à l’unanimité.85 Le right of privacy risquait de déboucher sur des revendications contraires à la dignité de la personne humaine comme le droit aux manipulations génétiques, voire le droit de vendre des parties de son corps. En limitant le right of privacy, le droit au respect de la vie privée, au droit à être laissé tranquille chez soi, autrement dit, en l’enfermant dans un espace défini, la Cour semble avoir voulu mettre un terme à de tels dérapages et, du coup, à la grande aventure du right of privacy. L’évolution possible vers un enfermement du droit à la vie privée au droit, plus limité, au respect du domicile et de la vie familiale ne sera pas pour plaire à tout le monde. Il y a déjà quelques années que les auteurs féministes s’inquiètent des retombées possibles de ce droit à un espace privé confiné à la famille, plus exactement, au foyer dans lequel le regard de l’Etat ne pourrait pas entrer pour prévenir les abus de la domination masculine sur les femmes. Ils font observer que l’ancienne notion de common law du mari chef de famille qui, autrefois, a permis tous ces abus, pourrait être facilement remplacée par la notion de droit au respect de la vie familiale qui ouvre à l’élément masculin dominant le même pouvoir de domination que la common law donnait sur la femme. Derrière ces craintes, il y a l’idée, au fond assez juste, que seules les lois du Congrès peuvent protéger les personnes faibles contre les puissances privées et que, si le droit à la vie privée est interprété de manière à interdire la pénétration des lois fédérales au domicile, ce sont les femmes et les enfants qui pourraient en être les victimes.86 S’il devait transformer le domicile en un sanctuaire interdit au Congrès ou aux législatures d’Etats, le droit au respect de la vie privée ferait régresser le droit, et la société avec lui. 84 L’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la Cour suprême des EtatsUnis n’est pas douteuse. Le juge américain se réfère d’ailleurs très explicitement à la jurisprudence Dudgeon pour renverser Bowers estimant : « Faisant autorité dans tous les pays qui sont membres du Conseil de l’Europe (21 nations alors, 45 aujourd’hui), la décision Dudgeon est aux antipodes de la prémisse qui a fondé la décision Bowers selon laquelle la revendication [d’un droit à l’homosexualité] serait incompatible avec notre civilisation occidentale », 539 US 558, 573 (2003) et elle poursuit plus loin en ces termes : « Dans la mesure où la décision Bowers disait se fonder sur des valeurs que nous partagions avec une civilisation plus large que la nôtre, il faut relever que le raisonnement et la décision prise dans l’arrêt Bowers ont été rejetés ailleurs. La Cour européenne des droits de l’homme a suivi non Bowers, mais sa propre décision dans l’affaire Dudgeon c. Royaume-Uni. Voir P.G. & J.H. v. United Kingdom, App. No. 00044787/98, § 56 (Eur.Ct.H R., Sept. 25, 2001); Modinos v. Cyprus, 259 Eur. Ct. H.R. (1993); Norris v. Ireland, 142 Eur. Ct. H.R. (1988) », ibid., p. 576. Comme la Cour de Strasbourg avant elle, la Cour suprême enrichit le concept de droit à la vie privée qu’elle subsume sous le droit à la liberté ; elle en fait un droit de l’individu à affirmer son identité et à développer une personnalité (ce qui pointe aussi vers une influence de la Cour constitutionnelle allemande via la Cour de Strasbourg). Elle procède comme la Cour de Strasbourg à une interprétation dynamique des textes qui la lie, en l’espèce le terme ‘liberté’ prévu au 14e Amendement ; la similitude de la démarche du juge européen et du juge américain est assez frappante ; pour une analyse de la démarche du juge de Strasbourg, v. Frédéric Sudre, « A propos du dynamisme interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme », JCP G 2001, I, 335, notamment § 6. 85 Washington v. Glucksberg, 521 US 702 (1997); Grands arrêts, supra note 13, p. 1257-1268 86 Voir les articles de Reva Siegel, « Why Equal Protection No Longer Protects: The Evolving Forms of StatusEnforcing State Action », Stanford Law Review, vol. 49 (1997), pp. 1111- 1148, surtout pp. 1115-16 et de Mary Becker, « Patriarchy and Inequality: Towards A Substantive Feminism », University of Chicago Legal Forum, 1999, pp. 21-85, surtout pp. 34-35. CONCLUSION Au terme de ce bref rapport, trop incomplet au regard de l’immensité du sujet, il resterait à se demander quelles peuvent bien être les raisons des différences entre l’Europe et les Etats-Unis s’agissant du respect de la vie privée. Selon James Q. Whitman, professeur à la faculté de droit de l’université de Yale, la cause tiendrait au prix élevé que les Européens, à la différence des Américains, attachent à la dignité et à l’honneur. Dans un article très documenté où il brosse un saisissant contraste entre l’Europe et les Etats-Unis s’agissant du respect pour la vie privée, l’auteur oppose la culture américaine de l’égalité à la culture européenne de la dignité. Selon lui, l’importance du droit à la dignité dans le droit continental, surtout le droit allemand, n’est nullement, comme l’enseigne l’opinion commune, une réaction contre la période nazie, mais elle en constitue un prolongement. Renversant toutes les théories habituelles sur les origines de l’importance de la dignité dans le droit allemand contemporain, James Q. Whitman prend prétexte de textes de l’époque nazie faisant référence au devoir de l’Etat de faire respecter la dignité des travailleurs allemands pour tenter de démontrer que l’institutionnalisation de la dignité dans le droit allemand après 1945 a une histoire et un passé nazi. Adossé à une interprétation historique extrêmement restrictive qui veut inscrire l’histoire de l’Allemagne nazie dans la continuité de l’histoire européenne, l’auteur explique que l’Europe n’a jamais été capable de se défaire de son goût pour l’aristocratie et de réaliser la véritable égalité entre les hommes, à la différence des EtatsUnis ; elle n’a pu, selon lui, émanciper les classes populaires autrement qu’en les hissant au statut des classes privilégiées et elle aurait toujours cherché à donner aux esclaves le statut des maîtres. Il en résulterait que l’importance de la dignité dans la culture juridique européenne ne serait que le sous-produit tardif d’une société qui n’aurait jamais réussi à se transformer, mais qui serait restée culturellement inégalitaire et marquée par le goût pour les hiérarchies sociales, le culte des préséances, le souci de la différenciation d’avec l’autre et, donc, un respect pour la vie privée infiniment plus marqué qu’aux Etats-Unis.87 La thèse de James Q. Whitman est, on l’aura compris, aussi brillante que provocatrice, mais il est douteux qu’elle soit parfaitement fondée. Les différences entre les cultures américaine et européenne sur le droit au respect de la vie privée ne peuvent pas s’expliquer uniquement par l’opposition culturelle des deux sociétés sur la notion de dignité. En premier lieu, il est scientifiquement inexact de faire un lien, si ce n’est un amalgame, entre la dignité des travailleurs allemands vantée par les nazis et la dignité humaine dont l’article 1er de la Loi fondamentale allemande dit qu’elle est inviolable. La dignité que les nazis flattaient chez les travailleurs allemands était celle, moins des travailleurs en général, que la dignité des Allemands qui se trouvaient travailleurs de leur état. Les nazis n’étaient pas marxistes ; ils ne célébraient pas la dignité des « travailleurs de tous les pays », c’est-à-dire la dignité des prolétaires que le chant de l’Internationale a longtemps convoqué à la conscience de la classe ouvrière. Les nazis demandaient le respect pour la dignité de la race aryenne au travail. La dignité qui imprègne le droit allemand postérieur à 1945, et au-delà de lui nombre de droits européens, est celle de l’être humain. La première était d’inspiration raciste, tout comme le fut à une certaine période de l’histoire américaine la dignité des Blancs qui refusaient de se 87 James Q. Whitman, « The Two Western Cultures of Privacy : Dignity Versus Liberty », Yale Law Journal, vol. 113 (2004), pp. 1151-1221, surtout pp. 1165-1170 et p. 1187. mêler aux Noirs ; la seconde a une valeur universelle et elle trouve ses origines, en partie, dans la philosophie personnaliste et son influence après la seconde guerre mondiale.88 En second lieu, il est historiquement incorrect de faire de la dignité une valeur culturelle européenne, mais non américaine, et d’opposer les Etats-Unis qui auraient choisi la liberté aux Européens qui auraient opté pour la dignité. La dignité participe des valeurs fondamentales de la tradition judéo-chrétienne que les Etats-Unis partagent en commun avec l’Europe et les références à la dignité existent dans la culture américaine. A la forte prédication de Bossuet dans le Sermon sur l’Eminente Dignité des pauvres dans l’Eglise (1659) répond, par exemple, le jugement de la Cour suprême dans une affaire Trop v. Dulles où il est dit : « Le concept de base qui sous-tend le 8e Amendement [sur l’interdiction des châtiments cruels et inhabituels] n’est rien de moins que la dignité de l’homme (dignity of man). »89 On pourrait aussi citer les nombreuses références d’un juge comme le juge (catholique) William J. Brennan à ce concept dans toutes les affaires qui ont intéressé la peine de mort,90 sans compter les revendications des organisations de défense de droits civils et, en particulier, des droits civils des peuples de couleur. A partir de là, il est très expéditif de dire que la dignité est une valeur étrangère à la culture américaine et de fonder sur cette prétendue différence l’opposition des deux sociétés quand il s’agit de respect de la vie privée. Sans doute, les règles protectrices de la vie privée diffèrent-elles entre les deux continents ; mais comme nous le disions au début cet article et comme nous espérons l’avoir démontré, c’est dans la société civile, et non dans la société publique qui organise les rapports entre le citoyen et l’Etat, que la vie privée est protégée de manière très inégale des deux côtés de l’Atlantique. D’où vient cela ? Certainement pas, comme le pense James Q. Whitman, du culte que les Européens, imbus de préjugés aristocratiques, auraient pour la dignité et que les Américains, épris de liberté, n’auraient pas ; mais plus sérieusement, de l’acceptation par les Européens à voir leurs libertés organisées par les lois. C’est dans la loi, la manière dont elle est comprise et le respect qui lui est due, que se situe la seule cause des différences juridiques entre les Etats-Unis et l’Europe en matière de protection de la vie privée. Les Américains respectent et vénèrent le droit, mais ils haïssent la loi parce que la loi est un acte du pouvoir ou, si l’on préfère, de l’Etat. Quoi qu’il fasse, l’Etat en fait toujours trop aux Etats-Unis, surtout lorsqu’il fait des lois ; la loi est toujours l’expression d’une volonté majoritaire et toutes les majorités sont oppressives. Avec de telles idées, les Américains ne peuvent évidemment pas penser que l’Etat puisse protéger la vie privée, encore moins que son intervention soit nécessaire.91 Les Européens pensent autrement et ils ont fait de la loi, y compris en Angleterre ou elle écarte la common law, un instrument qui libère. Si la vie privée est mieux protégée en Europe qu’aux Etats-Unis, c’est parce que la loi y pose des 88 Sur l’influence de la philosophie personnaliste d’Emmanuel Mounier et de Jacques Maritain sur l’Allemagne d’après-guerre, voir l’analyse très convaincante de Edward M. Andries, « On the German Constitution’s Fiftieth Anniversary : Jacques Maritain and the 1949 Basic Law (Grundgesetz) », Emory International Law Review, vol. 13 (1999), p. 1-75. 89 386 US 86, 100 (1958) 90 Voir notamment l’affaire Furman v. Georgia, 408 US 238, 271-281 (1972) ; Grands arrêts, supra note 13, pp. 732-733. 91 Il est significatif qu’au terme d’un essai attachant sur la destruction de la vie privée aux Etats-Unis, Jeffrey Rosen concède : « J’ai essayé [dans ce livre] de défendre une vision libérale classique de la vie privée, à partir finalement de la conviction qu’un gouvernement aux pouvoirs limités, conformément aux enseignements du libéralisme, est le meilleur moyen de respecter la dignité de chacun et l’égalité entre tous », The Unwanted Gaze, The Destruction of Privacy in America, Random House, New York, 2000, p. 218. Le livre de Jeffrey Rosen a fait l’objet d’un colloque au Law Center de l’University de Georgetown ; les actes sont publiés in Georgetown Law Journal, vol. 89 (2001), pp. 2013-2137. limites à la liberté de chacun de s’ingérer dans la vie de l’autre. En définitive, c’est autour de la conception de l’Etat que s’organise le clivage entre l’Europe et les Etats-Unis en matière de vie privée, comme en bien d’autres matières.