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©Ferme de Sainte Marthe
Le légume du mois
Couleur carotte
Notre célèbre « Poil de carotte » était-il un vieillard aux
cheveux blancs, un scandinave à la chevelure couleur de feu,
ou un punk aux cheveux rouges ? Non, « Poil de carottes »
était évidemment un gamin aux cheveux roux. Mais pourquoi
évidemment ? Tout simplement parce que déjà en 1894, date
de la publication du roman de Jules Renard, même le langage
populaire traduit l’attachement à ces variétés pourtant
relativement récentes de belle racines aux couleurs oranges
qui très rapidement l’emportent sur les jaunes et blanches ou
pourpres. Aujourd’hui encore, pour la plupart d’entre nous une
carotte est orange, et si nous n’ignorons pas que d’autres
couleurs existent, nous les considérons en général comme
fourragères. Une vision qui n’a guère évolué depuis 1894…
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Que tout ceci est
compliqué…
Historiquement rien n’est simple
avec notre Daucus carota L.
D’abord, qui est qui dans cette histoire bien embrouillée qui s’étend de
l’antiquité jusqu’au XIIème siècle ? A
chaque fois qu’il est fait allusion à un
légume ressemblant de près ou de
loin à ce que nous appelons maintenant carotte, il est presque impossible
de savoir s’il s’agit bien d’elle, d’un
panais, d’un chervis, voire de la
mauve ! En effet, jusqu’alors, c’est le
terme générique pastenade qui est
employé pour désigner les racines
blanches plus ou moins charnues,
parfois même franchement grêles
que l’on cuit à différents usages. Ces
« légumes » sont de plus des racines,
donc des aliments au sens propre de
basse extraction, réservés au petit
peuple ou aux jours de carême.
Inutile donc de vouloir trouver une
importante source bibliographique
ou iconographique sur ces plantes
destinées au petit peuple, bien éloignées des fruits et gibiers qui ornent
les nobles tables.
carottes sont loin d’être dépourvues
de qualités. Ainsi, si elles sont très
riches en carotène (que le foi transforme en vitamine A), elles le sont
également en vitamines B1, B2 et C,
en fibres cellulosiques et en sucres.
Des qualités qui compensent les 90%
d’eau qui les composent et les rendent tellement adaptées pour faire
des jus et sirops. Les carottes sont
donc un aliment particulièrement
intéressant pour les personnes anémiques, convalescentes ou hépatiques.
Un long voyage
L’apogée des variétés
oranges
Au XVIIIème on commence à mentionner dans des ouvrages horticoles et à
trouver sur des peintures flamandes
de nombreuses références aux variétés oranges qui semblent être de plus
en plus appréciées pour la tendreté
de leurs racines. Ce sont des sélections qui doivent leur couleur non
plus à des anthocyanes (type flavonique), mais à la carotène (type caronétoïde), même si on ignore encore
précisément comment le passage de
l’un à l’autre s’est produit.
A la fin de ce siècle, les maraîchers
encouragés par le succès de ces types
oranges développent la culture et
encouragent à l’obtention de nouvelles variétés. Incontestablement ce
sont les Hollandais qui tiennent le
haut du panier. Du XVIIIème et jusqu’au début du XXème, on assiste à
Une culture
plutôt simple
Le semis
©Ferme de Sainte Marthe
A l’origine, nos carottes sont
blanches, plutôt maigrichonnes et ma
foi fort peu appétissantes. C’est probablement, là encore les sources
divergent, au cours des premiers
échanges et des conquêtes du
Moyen Orient que nous arrivent
d’Afghanistan de nouvelles variétés.
Elles sont de couleur vive, issues de
celles domestiquées et sauvages de
cette région. Ainsi, on peut à peu
près résumer comme suit leur long
périple : d’Asie centrale elles arrivent
en Asie mineure au Xème siècle, deux
siècles plus tard elles gagnent
l’Espagne musulmane, avant de se
répandre en Italie au XIIIème siècle, en
France au XIVème. Depuis, toutes les
variétés que nous cultivons sont
issues de croisements entre ces
anciennes sélections blanches présentes en Europe, et les nouvelles
venues d’Afghanistan.
Les choses se précisent un peu
ensuite. Au XVIIème Olivier de Serre
et Nicolas de Bonnefons font clairement allusion aux carottes et pastenades de couleur, tandis que La
Quintinie, l’immense agronome de
Louis XIV évoque les variétés jaunes
et blanches qu’il semble, comme
nombre de ses contemporains, préférer aux rouges qui « tâchent le
bouillon ».
une véritable explosion variétale,
avec un pic à la fin du XIXème.
Depuis, les carottes oranges riches en
carotène sont l’essentiel de la production destinée à l’alimentation
humaine, même si on assiste à un
timide retour des variétés de couleur,
avec parfois des créations d’hybrides
F1 à l’image de « Purple Haze ». Une
variété à peau pourpre dont l’intérêt
reste essentiellement esthétique.
Pastenades, c’est le terme
jusqu’au XVIIème siècle
pour désigner les racines
blanches que l’on cuit. Ici
carotte, persil tubéreux et
salsifi.
Pas qu’aimable et
les cuisses roses
Elles redoutent
particulièrement les
amendements mal
décomposés,
particulièrement les
fumiers frais qui les font
fourcher. A la grelinette ou
à la fourche-bêche en T,
ameublissez
profondément votre sol
après l’avoir légèrement
nourri de compost bien
décomposé.
« Mange des carottes, ça rend
aimable et les cuisses roses !» Même
si je suis bien persuadé que, pas plus
que moi, vous n’avez besoin des
carottes pour prétendre à ces 2 indispensables qualités, encore une fois
ces dictons populaires traduisent l’attachement maintenant voué à ce
légume dont le côté souterrain est
vite effacé par son orange lumineux.
Cependant, outre ces vertus un peu
fantaisistes, il est certain que nos
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Les carottes ne sont
pas de grandes
gourmandes.
Incontestablement, c’est le semis qui
pose en général le plus de difficultés.
En effet, les carottes germent lentement -comptez 10 à 20 jours- et sont
donc facilement enherbées avant
qu’on ait eu le temps de dire ouf.
Quelques précautions s’imposent
donc :
-Vérifiez que vos graines soient
fraîches. Leur durée germinative
n’est pas très longue (4 à 5 ans maximum) et leur taux de germination
chute vertigineusement très rapidement.
-Faites un faux-semis. Il prend tout
son sens avec les carottes. Une
semaine avant de semer, préparez le
terrain finement : soigneusement
émietté en surface et bien décompacté en profondeur. Arrosez. Huit
jours après, au moment de semer vos
carottes, éliminez d’un coup de
râteau les adventices qui auront
germé.
-Semez peu profondément, à 1 cm.
au maximum, puis recouvrez avec de
la terre bien fine. Dans l’idéal un
mélange de sable et de terreau.
-Tassez bien votre semis : roue de
brouette, rouleau à gazon ou avec le
dos du râteau, tout est bon pour que
la graine soit bien en contact avec la
terre.
-Arrosez généreusement, au goutte à
goutte si possible. Attention, si c’est
au jet ou même à la poire d’arrosage,
il faut y aller doucement pour ne pas
faire ressortir, voire disperser des
graines qui sont peu enterrées.
Maintenez ensuite la ligne de semis
humide jusqu’à la levée.
L’entretien
Une fois la levée réussie c’est
presque gagné. Presque puisqu’il
reste une opération indispensable
pour de bons résultats : l’éclaircissage
Le légume du mois
« marquées » et, une fois le feuillage
coupé au niveau du collet, les stocker
en cave ou en silo, dans l’idéal dans
un lit de sable. Une technique qui
permet de les garder 3 à 4 mois sans
difficulté. Veillez par contre à les
arracher par temps sain, avant que le
terrain ne soit trop détrempé.
©Le Biau Germe
Les inévitables
Blanche de Küttingen,
une ancienne variété
suisse, très douce, fine et
savoureuse.
Carottes primeur
Pour les heureux
possesseurs d’un abri
froid (serre, tunnel, etc.),
un semis au mois de
Novembre permet de
récolter dès la fin du mois
d’Avril de délicieuses
carottes primeur.
La récolte
Les carottes sont des plantes bisannuelles. Elles ne meurent donc pas
l’hiver et peuvent résister à de très
fortes gelées. Cela ne signifie pas que
leurs racines restent tendres et parfumées pour autant. Même si couvertes
de feuilles mortes et d’une épaisse
couche de paille les risques de les
voir s’abîmer sont limités, hormis en
région à hiver doux, elles perdent
l’essentiel de leurs qualités si elles
passent l’hiver en terre, risquent de
se fendre, signe de sur maturité. Il est
donc préférable de les arracher après
les premières gelées blanches un peu
Les aleurodes
Ces petites mouches
blanches qui volent en
groupes denses sont à
ranger dans la délicieuse
catégorie des insectes
piqueurs suceurs. Elles se
développent
particulièrement par
temps sec, et stressent les
plantes par leurs piqûres
multiples. Inutile de
s’alarmer cependant :
hormis en serre, elles ne
provoquent jamais de
dégâts importants.
Le voile anti-insectes est efficace
contre les aleurodes et Psila rosae,
cette afreuse petite mouche.
©Georges Thévenot
(ou « démariage », « dépressage »
etc.). Un semis trop serré laissé tel
quel ne donnera rien. Les carottes
détestent se sentir à l’étroit. Si les
rangs doivent être espacés d’une
bonne trentaine de centimètres sur la
ligne elles ne doivent pas se toucher
et être distantes d’1 à 2 cm au minimum, hormis pour la production de
carottes-bottes. C’est le seul moyen
d’obtenir de belles racines tendres,
charnues et bien formées.
Au cours de la culture, particulièrement au démarrage, il est très important de maintenir les rangs propres,
binés et désherbés. Des carottes qui
sont trop concurrencées, « dans
l’herbe », cherchent la lumière et
développent alors un abondant
feuillage au détriment de leur racine.
Un désherbage tardif ne suffira pas à
rattraper ce mauvais départ, les
racines resteront chétives quoiqu’il
arrive.
Hormis en terre sableuse ou saison
exceptionnellement sèche, il est
inutile de les arroser. Un excès d’eau
se fait immanquablement sentir sur
leurs qualités gustatives et surtout,
nuit à leur conservation. Le mieux
reste de les pailler au cours de l’été
après un bon binage. Cela limitera
l’évaporation, et les protègera des
premiers froids.
Sans leurs petites maladies et ravageur attitrés, les légumes ne seraient
plus des légumes. Ainsi, les carottes
sont essentiellement ennuyées par un
insecte et un type de champignon
essentiellement :
Psila rosae : Quel joli nom pour
une si affreuse mouche ! Cette petite
bestiole qui ne mesure pas plus de 4
à 5 mm de long, d’un beau noir
brillant vole de fin avril à juillet, puis
en août et nous offre parfois un troisième vol supplémentaire en
novembre ! Elle pond donc 2 à 3
générations de petits œufs blancs
d’un demi millimètre seulement, donnant naissance à des larves qui peuvent atteindre 7 mm de long. Pour
s’en prémunir, le plus efficace reste la
barrière mécanique avec le néanmoins onéreux voile anti-insectes (ou
à défaut un voile de forçage cependant un peu chauffant). Les associations avec des alliacées (poireaux, ail,
ciboulette, etc.) semblent efficaces
mais parfois insuffisantes. En cas
d’infestation et d’identification certaine (utiliser alors les pièges jaunes
enduits de glu), pulvérisez avec une
solution à base de pyrèthre, le soir
uniquement, au moment des vols.
L’alternariose ou pourriture noire :
Cette maladie est causée par divers
champignons qui se développent
essentiellement par temps humide ou
à cause d’arrosages excessifs. On
identifie l’alternariose au brunisse-
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Dates de semis
Variétés
Pour récolte précoce
Mi février à mars
Pour conservation
Mi avril à début juillet
De Colmar à cœur rouge
Longue rouge sang
De Colmar à cœur rouge Blanche de Küttingen
Jaune obtuse du Doubs
Rothilde
Bibliographie
Histoire de
se faire plaisir
Je ne vais pas ici faire la liste de
toutes les nombreuses et délicieuses
variétés de carottes disponibles sur le
marché, mais juste vous présenter
une sélection tout à fait personnelle
des variétés que j’affectionne.
Blanche de Küttingen : Une
ancienne variété suisse qui nous
prouve s’il en était encore besoin que
les carottes blanches ne sont pas
toutes des variétés fourragères.
« Blanche de Küttingen » est très
douce, fine et savoureuse. Elle permet de plus de faire de surprenantes
préparations, tant nous associons
classiquement le goût de carotte à la
couleur orange.
De Colmar à cœur rouge : Une
excellente variété. Probablement la
plus « tous terrains ». Elle est de plus
adaptée aux semis précoces pour la
consommation en primeur, et aux
semis de fin de printemps pour la
conservation.
Jaune obtuse du Doubs : Une
variété fourragère et pourtant…
Parmi les quelques variétés jaunes
que j’ai pu essayer ou goûter, elle
garde ma préférence, à condition de
la récolter immature.
Longue rouge sang : Une pure merveille, les laver suffit déjà à embaumer la cuisine ! La « longue rouge
sang » a un goût extraordinairement
puissant, c’est un véritable concentré
de carotène. Elle est adaptée à tous
les usages : crues comme longuement
mijotée.
Dossier réalisé par Xavier Mathias.
Où s’approvisionner
Biau Germe : www.biaugerme.com Le biau germe - 47360 Montpezat
tél. 05 53 95 95 04 - fax 05 53 95 96 08
La ferme de Sainte Marthe : www.fermedesaintemarthe.com
BP 70404 - 49004 Angers Cedex 01 - tél. 0891 700 899 (0.225 €/min)
Catalogue annuel sur demande ou en ligne.
Rothilde, très grosses racines, très parfumées et de bonne
conservation.
Matou obligatoire…
Attention aux rongeurs dès le
commencement de l’hiver: ils
raffolent des carottes. Capables de
creuser de discrètes galeries sous
vos rangs, ils se délecteront en
toute impunité de leurs racines
sucrées, sans « qu’au-dessus », les
fanes restant intactes, on puisse se
douter de la mauvaise surprise qui
nous attend au moment de les
arracher. Il ne reste alors en cas
d’attaque qu’un bien pitoyable
moignon de racine.
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©Ferme de Sainte Marthe
ment du feuillage qui prend alors une
teinte violacée, presque bleue.
Quand la maladie se développe sur
les carottes au stade de plantules, elle
peut alors entraîner un pourrissement
total. Si l’attaque est plus tardive,
c’est au cours de la conservation que
le pourrissement se produit. Comme
pour toutes les maladies cryptogamiques, des rotations strictes sont
indispensables pour s’en prémunir. Il
faut de même éviter les amendements frais, propices à leur développement. En dernier recours, un traitement à base de cuivre peut s’avérer
indispensable.
©Ferme de Sainte Marthe
Jaune obtuse du
Doubs, une variété
fourragère,
délicieuse si
consommée avant
maturité.
•Le courtil des gourmets
V.Albouy Ed. du Terran
•Le Jardinier français
Nicolas de Bonnefons
commenté par F.X.Bogard
Ed. Ramsay.
•Le guide du jardinage
biologique. JP Thorez.
•Histoires de légumes des
origines à l’orée du XXIème
siècle. Michel Pitrat et
Claude Foury, coord. INRA
éditions.
•Les légumes de France
Henri Leclerc Massson et Cie
éditeurs
•Ravageurs et maladies au
jardin Otto Schmid et Sylvia
Hengeller Ed. Terre vivante.
•La fabuleuse histoire des
légumes Evelynne BlochDano Grasset.
Rothilde : Avis aux amateurs de
carottes de compétition ! Cette
variété donne de très grosses racines
d’un bel orange, bien parfumées et
se conservant très bien.
.
Si pour de nombreux jardiniers amateurs faire ou commencer un potager
est l’occasion de retrouver les
fameux « vrais goûts » de notre
enfance, c’est souvent en pensant
aux tomates et autres délicieux fruits
du jardin. Les racines restent encore
les grandes oubliées de ce retour à
des choses toutes simples comme
produire quelques légumes. Et pourtant, quelle explosion de saveur et de
parfum peut nous offre une simple
carotte fraîchement arrachée et,
1000 excuses pour cette image
d’Epinal, immédiatement croquée
après avoir été juste frottée pour en
ôter la terre.