Didier Bezace, metteur en scène et interprète de Marguerite Duras
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Didier Bezace, metteur en scène et interprète de Marguerite Duras
Didier Bezace, metteur en scène et interprète de Marguerite Duras Par Armelle Héliot le 12 février 2014 Au Théâtre de l'Atelier, trois spectacles sont à l'affiche : Marguerite et le président, d'après le célèbre entretien publié par L'Autre Journal, avec Jean-Marie Galey et une petite fille, Le Square avec Clotilde Mollet et le metteur en scène luimême, Savannah Bay qui voit le retour à la scène d'Emmanuelle Riva et d'Anne Consigny. Remarquable. Le dimanche, on peut voir les trois spectacles et l'on ne saurait trop vous recommander de choisir cette solution car l'ensemble est vraiment très beau, harmonieux et donné sur d'excellents rythmes. De plus chacun des spectacles n'excède pas une heure quinze et l'on ne voit pas le temps passer. Un décor unique à dominante claire et simplement transformé : une table pour Marguerite et le président, un amoncellement de chaises pour Le Square, un ponton pour Savannah Bay. Lundi 10 février, lors d'une après-midi et une soirée de première représentation publique, la petite fille de Marguerite et le président était un peu nouée par le trac et il est difficile de juger vraiment de ce moment porté par un Jean-Marie Galey hallucinant dans la ressemblance avec son illustre "personnage"… La transposition d'une partie des entretiens de Marguerite Duras avec son ami François Mitterrand était une idée cocasse, impertinente, et lors de la création du spectacle au Théâtre de l'Aquarium, la petite fille aux nattes, assise crânement sur la table immense et posant, péremptoire, ses questions au président de la République, avait quelque chose d'irrésistible. Jean-Marie Galey était déjà le personnage et aujourd'hui, il a affiné son interprétation. Il s'amuse à ressembler encore plus à son illustre "personnage". Le temps a passé. On n'est plus dans l'insolence joyeuse. On est du côté de l'Histoire ! Face à Jean-Marie Galey, Marguerite, Loredana Spagnuolo est sans doute un peu trop sage, un peu appliquée mais au fil des représentations, on n'en doute pas, elle va trouver la juste couleur. Le Square, que Didier Bezace avait déjà mis en scène il y a quelques années, avec déjà la délicate et très originale Clotilde Mollet. Il endosse aujourd'hui le rôle du solitaire voyageur de commerce qui engage la conversation, dans un square, avec une jeune employée de maison. On sait bien sûr que Didier Bezace est non seulement un homme de théâtre audacieux, qui aura mis en scène des dizaines d'auteurs rares, ne se sera jamais répété, aura dirigé avec autorité et sensibilité des dizaines et des dizaines de comédiens très divers, mais aussi un interprète très intéressant qui est d'ailleurs souvent demandé au cinéma et à la télévision. Dans Le Square, il est d'une profondeur, d'une puissance intérieure, d'une vérité bouleversante. Il fait penser -pas physiquement évidemment- à Harry Baur dans certains films de douleur et de solitude. Une comparaison juste pour vous donner l'idée d'une présence puissante, d'une évidence. Son personnage est déchirant jusque dans sa maladresse, sa pudeur. Un être ligoté. Face à lui, Clotilde Mollet est magnifique, toute de retenue, de subtilité. Un superbe accord de deux comédiens merveilleusement accordés. Enfin vient Savannah Bay. Un événement puisque cette production voit le retour d'Emmanuelle Riva qui n'avait plus joué au théâtre depuis Médée, dans la mise en scène de Jacques Lassalle, avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre. Laura Pels, directrice du Théâtre de l'Atelier lui a proposé de jouer la femme "dans la splendeur de l'âge" imaginée par Marguerite Duras. Après Amour de Haneke, que peut-on désirer ? Elle a dit oui. Elle a pensé à Anne Consigny. Elles ont pensé à Didier Bezace. Et cela donne une version exceptionnelle de la pièce. Elle a deux versions. Didier Bezace est revenu en partie à la première. Douleur insondable, amour. Vie, sensualité, sensibilité. Il y a là un sommet de l'art de l'interprétation, un sommet d'intelligence, de musique, de délicatesse. On comprend complètement ce qu'a écrit Marguerite Duras, on comprend toutes les fines nervures d'un texte particulièrement mystérieux. La beauté hiératique d'Emmanuelle Riva, sa présence de légende (la veille, le dimanche soir, une chaîne diffusait Hiroshima mon amour), voix si particulière, sa musique, ses silences, la douleur profonde du personnage, son caractère perdu, son mystère, tout ici est rendu palpable. Anne Consigny est d'une jeunesse et d'une beauté grisante. Il y a en elle une femme accomplie et une toute petite fille, comme une toute petite fille palpite dans le cœur du personnage de la grand-mère. Elle aussi, elle n'est que grâce aristocratique et musique. Elle est très intelligente, mais ne fait rien peser. Toutes deux, si bien dirigées, et dans des mouvements, des lumières, des vêtements qui ne sont que grâce, sont admirables. Beaucoup de superlatifs n'épuiseront pas l'émotion que procurent ces trois moments. Il n'y a pas de mots pour parler bien de ce spectacle, ni des trois spectacles. Dans quelques jours, dans les colonnes du Figaro, nous essaierons d'en reparler mieux. Ne rien dire : allez, allez au Théâtre de l'Atelier. D'urgence car les représentations sont pour le moment limitées dans le temps. CULTURE - le 17 Février 2014 La chronique théâtrale de Jean-Pierre Léonardini Un bouquet de Marguerite Duras, dont c’est le centenaire de la naissance, reparaît cette année avec force au théâtre, et c’est tant mieux. Didier Bezace, au terme de son valeureux parcours de seize ans à la direction du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, désormais à la tête d’une compagnie qui répond au doux nom de L’Entêtement amoureux, a construit un triptyque, intitulé les Trois Âges, qui comprend Marguerite et le Président, le Square et Savannah Bay. L’ensemble témoigne de ce raffinement lumineux, dans la pensée comme dans la facture, auquel le metteur en scène nous a habitués. On sait que dans Marguerite et le Président, texte qu’il avait déjà monté, son coup d’éclat consiste à distribuer dans le rôle de Marguerite une très jeune fille, face à un Mitterrand relativement distant, la tête un peu ailleurs, soumis aux questions tantôt malignes, tantôt rusées, d’une interlocutrice rouée que méduse le pouvoir, exercé par un homme qu’elle a bien connu durant la guerre. C’est ici un savoureux face-à-face entre Loredana Spagnuolo, exquise ingénue au front bombé, et Jean-Marie Galey, en grand homme légèrement excédé par à-coups, intelligemment drapé dans un quant-à-soi gourmand. Parfaite mise en bouche. Le Square donne à voir et à entendre la rencontre, un jour trop chaud, d’une bonne à tout faire qui garde un gamin et d’un voyageur de commerce, colporteur d’aujourd’hui. C’est un concours de solitudes qui se cherchent à tâtons, que Clotilde Mollet et Bezace lui-même mènent au plus haut, au cours d’une sorte d’étrange émotion comme dansée, avec des heurts sensibles, des effacements soudains, des élans réprimés, le tout concourant à un duo d’écorchés vifs, dans le registre de la comédie douce-amère qui fait la part belle aux sautes d’humeur d’une écriture sans cesse imaginative, d’une délicatesse vibratile, qui excelle à doter le plus plat quotidien d’un glacis poétique singulier. Impression d’une musique de chambre en plein air, avec violon (certes, on n’oublie pas que Clotilde Mollet en joue) aux accents aigus et contrebasse dans le grave sur le mode recto tono. Avec Savannah Bay, voici Duras telle que l’éternité la change en sa légende dorée d’experte en sophistication mémorielle. Une comédienne jadis glorieuse, dans son grand âge perd doucement la tête sous les yeux d’une jeune femme à elle attachée. Il y avait eu une fille suicidée… La pièce est le récit d’une adoption réciproque, au terme d’un subtil entrelacs entre passé lointain et présent immédiat. C’était créé en 1983, sous l’œil de Duras, par Madeleine Renaud et Bulle Ogier. D’autres à la hauteur suivirent. Voici Emmanuelle Riva et Anne Consigny. La première au début apparaît telle le shité, qui est le fantôme du théâtre nô, dans une aura de fragilité assumée. L’autre, tout en grâce longiligne, l’escorte tendrement. Cela vous serre lentement la gorge par la peinture des affects les plus ténus, d’une irréfutable vérité d’âme subtilement entrevue. Miracle du tact dans la buée du souvenir incertain sublimé par l’amour. Jean Haas a conçu pour les trois œuvres un décor unique, sobrement harmonieux, ingénieusement transformable selon les cas, savamment irradié sous les lumières de Dominique Fortin. Comme toujours, Cidalia Da Costa a dessiné les costumes qu’il faut. Ce triptyque constitue une offrande généreuse au public. Marguerite Duras, l’inspiratrice Pour le centenaire de sa naissance, l’écrivain est plus que jamais représenté sur scène. Six pièces, tirées de son œuvre, sont à l’affiche. Au lendemain de leur mort, nombre d’écrivains connaissent une période de désintérêt, voire de désamour de la part du public (le fameux « purgatoire »). Marguerite Duras fait exception. Depuis son décès, en 1996, son théâtre n’a cessé d’être représenté, attirant les grands metteurs en scène, de Patrice Chéreau à Jacques Lassalle. La commémoration du centenaire de sa naissance, le 4 avril 1914, ne fait qu’amplifier le mouvement. Uniquement à Paris, Marguerite Duras est cinq fois à l’affiche. À l’Atelier, Didier Bezace propose Marguerite Duras, les trois âges, un triptyque composé des reprises de deux de ses anciennes mises en scène et d’une création. D’abord, il y a Marguerite et le président, délicieuse confrontation entre François Mitterrand et Marguerite Duras, extraite d’une discussion à bâtons rompus publiée dans L’Autre Journal, déjà présenté au Théâtre de l’Aquarium, en 1992. LE SQUARE Ensuite, Le Square qui, lors de la première, en 1956, fit s’étrangler d’indignation Jean-Jacques Gautier, le critique du Figaro, futur académicien : « Je ne sais plus où j’ai lu que Marguerite Duras ayant écrit un roman, ce sont des critiques littéraires qui lui ont conseillé d’en tirer une pièce. J’aimerais bien en tenir, en ce moment, quelques-uns de ces critiqueslà ! » Dans ce dialogue, réunissant, un jour de désœuvrement, une bonne à tout faire et un voyageur de commerce, il ne voyait qu’un « festival de lieux communs, de banalités, d’indigences formulés dans un langage faussement simple, bourré de points de suspension et ponctué de longs silences pensifs ». Ce sont justement ces lieux communs et ces silences que Didier Bezace fait résonner avec une violence sourde et une vraie tendresse. Lors de sa première mise en scène au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, il y a dix ans, Clotilde Mollet interprétait la bonne. Elle est toujours présente, lumineuse. À son côté, Bezace est le voyageur de commerce. Tous deux dansant sur une « petite musique » durassienne débarrassée des poncifs, ils illuminent la vie quotidienne de petites gens aux vérités trop souvent tues, ignorées, méprisées. Magnifiques de vitalité, par-delà la solitude, les rêves, les échecs, les révoltes, écrasées par le poids de la réalité. SAVANNAH BAY Enfin, Savannah Bay, avec Emmanuelle Riva. Inoubliable héroïne d’Hiroshima mon amour, elle captive dès qu’elle apparaît. Vieillie, égarée, dans son personnage de comédienne sans âge confondant le présent et les souvenirs, elle est sublime. En complicité permanente avec Anne Consigny, la jeune fille au regard clair, d’une délicatesse touchante, elle transcende le verbe et l’espace, laissant entendre les mille mots qui ne sauraient se dire. Fabuleuse et grandiose, entraînant au plus profond des abîmes, alors que retentit en sourdine la voix de Piaf et ses Mots d’amour : « C’est fou ce que j’t’ai aimé »… Au petit Théâtre de Belleville, Marguerite et moi se révèle un charmant complément ou une excellente introduction à son œuvre. Conçu et joué par Fatima Souhalia Manet et Christophe Casamance (elle est Marguerite Duras ; lui l’interrogateur), il suit son parcours à partir de divers documents d’archives radiophoniques (Le ravissement de la parole, « Radioscopie ») ou télévisuels, invitée de Bernard Pivot dans « Apostrophes », interviewée par Pierre Dumayet dans « Dim Dam Dom », le temps d’une rencontre fabuleuse d’intelligence et profondeur comme n’en offrent plus les chaînes publiques. De l’interrogation sur l’homme, la femme et la sorcière, au témoignage sur l’alcoolisme, en passant par les engagements politiques, le Parti communiste… et la recette de l’omelette vietnamienne, un portrait sensible se dessine, drôle grave, attachant. Marguerite et le président: l'intuition poétique de Duras à l'honneur Par Laurence Liban, publié le 22/02/2014 Marguerite et le président. La malicieuse élève Loredana Spagnuolo interroge le très mitterrandien Jean-Marie Galey. © Nathalie Hervieux De 1985 à 1986, Marguerite Duras et François Mitterrand se sont rencontrés pour des conversations à bâtons rompus, Marguerite D. étant du côté du bâton, comme on le verra lors de ce spectacle aussi confondant que savoureux. Il sera question de tout et de rien : du racket de l'automobiliste par l'usage de la fourrière au sort de l'Afrique ; des qualités du président Reagan à la mort, dont on se fait une fausse idée ; des sous-marins à l'élection à la proportionnelle, etc. Marguerite est interprétée par une enfant de 10 ans. Face au très mitterrandien Jean-Marie Galey (un régal !), la malicieuse Loredana Spagnuolo est juste une écolière qui interroge un monsieur, sans une once de timidité et même avec enthousiasme. Ce hiatus entre le discours et la représentation de personnages historiques met en exergue la candeur fleurie de Marguerite, mais aussi son intuition poétique. A voir également, et sans barguigner, Le Square, reprise d'un spectacle mémorable, et Savannah Bay, création avec Anne Consigny et Emmanuelle Riva. Que Didier Bezace, après une quinzaine d’années passées à la direction du Théâtre de La Commune, s’attelle, en première instance, à célébrer Duras à l’Atelier, voilà qui est un signe fort de la pérennité du spectacle vivant. Que celui-ci est conçu cet hommage en forme de triptyque chronologique, voilà qui permet d’évoluer de l’art de la conversation à celui de l’abstraction, celui de la force du mot à celle de l’imaginaire… tout en passant par une phase de réflexion dialectique entre le monde à découvrir dans sa pluralité et celui de l’accomplissement dans sa profondeur. Ainsi ces trois thèmes « La conversation avec le Président », « La rencontre du square » et « La mémoire en quête d’identité » se complètent-ils dans une intégrale cyclique de quelques heures en compagnie fictionnelle d’une Marguerite, enfant, jeune femme et aussi âgée, ainsi qu’au travers d’une distribution tout à fait remarquable qui, en soi, pourrait suffire à la satisfaction du spectateur, tant la direction d’acteurs est à la fois, subtile, distanciée et forcément humaine. En effet, prendre un enfant par la main et lui faire jouer un rôle de grande personne s’interrogeant sur la gouvernance de ses semblables, voilà bien une idée audacieuse que le metteur en scène met à profit dans une relation de confiance réciproque où Jean-Marie Galey est en charge de laisser éclore la formidable intuition précoce de Loredana Spagnuolo. En s’incluant, ensuite, dans la fonction du confident éclairant la marche à suivre lorsque les choix de vie s’interrogent entre se laisser happer par l’infinité des possibles face à la conscience du pragmatisme, le réalisateur tend à nouveau la main à une partenaire (Clotilde Mollet), cette fois-ci devenue adulte et relativement prête aux sortilèges de la séduction autant que contradictoirement disponible à l’attraction du Grand Amour ! Enfin, Didier Besaze a obtenu cet immense privilège de pouvoir faire se rencontrer sur les planches l’actrice Durassienne par excellence, ayant incarné « Hiroshima mon amour » avec une autre comédienne, sa cadette talentueusement rare : Ainsi Emmauelle Riva, sanctuarisée par Alain Resnais, remet chaque soir en jeu son statut universellement culte en une relation miroir, à quelques années d’intervalle, avec son double venu d’affinités totalement troublantes qu’Anne Consigny lui renvoie avec charme, lucidité et complicité espiègle. Bien entendu, ce crescendo organisé en une intégrale des trois pièces (Marguerite et le Président, Le Square & Savannah Bay), peut également se concevoir en autre ordonnancement, tout aussi légitime, voire même être subdivisé en entités autonomes à apprécier comme telles, reste que cette triple création de Didier Bezace fera date, d’abord pour la scène théâtrale ravie, en ce centenaire de la naissante de Marguerite, de célébrer les multiples retrouvailles avec cette auteure unique, mais en outre pour lui-même, en se replaçant immédiatement dans les rails de l’essentiel et bien au-delà des limites d’âge, de toute évidence... surannées ! Voyage intime dans l’œuvre de Duras 17 FÉVRIER 2014 Didier Bezace rend un hommage émouvant à l’œuvre de Marguerite Duras à travers trois textes différents qui marquent les trois âges d’une vie. Un voyage délicieux dans trois écritures qui se complètent. Les pièces se jouent en alternance à l’Atelier, elles sont visibles dans leur intégralité le dimanche, et c’est un vrai bonheur. Il y a d’abord Marguerite et le Président adaptée des conversations entre Marguerite Duras et François Mitterrand. Jean-Marie Galey est parfait dans le rôle du Président, sans trop en faire et sans tomber dans la caricature. Une petite fille, Loredana Spagnuolo, donne de la fraicheur et de la candeur à cette conversation qui nous faire replonger dans l’histoire des années 80 et 90. Si le début semble un peu figé dans le temps, l’humour et l’esprit de Mitterrand reprennent très vite le dessus. Et c’est un vrai plaisir de l’entendre parler de ses rapports avec les EtatsUnis, de Reagan, de l’Afrique et bien sûr de la France, « pays qui absorbe ». Un pays conservateur dont 8% de la population est paysanne. Une minorité qui impose ses idées à la majorité ! On sourit de l’entendre évoquer le droit de vote des immigrés aux élections locales, une idée toujours dans l’air et qui tarde à venir… Puis vient le temps du Square. Didier Bezace reprend le rôle créé par Hervé Pierre. Clotilde Mollet est toujours là. Dans ce square en fin d’après-midi un représentant de commerce et une employée de maison se rencontrent et échangent sur la vie. « Je suis exténuée d’attendre le plaisir pour demain » dit cette jeune femme empreinte de douleur. Il y a beaucoup de poésie et de mélancolie dans ce texte qui fait penser par moment à Beckett, avec un brin de sourire en plus. Clotilde Mollet est comme toujours impressionnante de justesse et de naturel. On sort avec beaucoup de vague à l’âme de ce spectacle. Enfin il y a Savannah Bay. C’est le retour sur scène d’Emmanuelle Riva qui avait juré de ne plus remonter sur les planches depuis Médée à l’Odéon en 2001. Mais le projet autour de l’auteure de sa vie a été plus fort. Elle ne pouvait pas manquer ce rendez-vous avec ce personnage. Didier Bezace l’a met parfaitement en valeur, dans une scénographie de Jean Haas à la hauteur de son talent. Elle arrive par le fond de la scène, le mur de fond s’ouvre et elle s’avance sur un promontoire, vêtue d’une robe élégante rouge carmin. Dans Savannah Bay, Emmanuelle Riva incarne une ancienne comédienne de théâtre qui vit avec la douleur du suicide de sa fille. La vieille dame commence à perdre la mémoire et sa petite-fille (Anne Consigny) vient chercher la vérité. C’est une très belle pièce sur l’amour. Emmanuelle Riva ne cesse de regarder la salle. Ses gestes tendres et précautionneux envahissent l’espace durant les longs silences imposés par le texte de Duras dans ce théâtre des non-dits. Il faut chercher la signification derrière les mots. « La douleur des souvenirs ne sera jamais écrite, alors autant mourir » dit cette vieille dame. Emmanuelle Riva quitte la scène comme elle est arrivée, par le fond, valise à la main, éclairée par deux grands projecteurs de cinéma. C’est saisissant de beauté. Cette traversée dans l’œuvre de Duras est un grand moment de théâtre. Stéphane CAPRON