Francesco Masci Un spectacle sans spectateurs
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Francesco Masci Un spectacle sans spectateurs
Francesco Masci Un spectacle sans spectateurs Conférence dans le cadre séminaire de recherche Histoire du spectateur (EA1573 Scènes du monde, création, savoirs critiques – Axe Histoire) Jeudi 19 juin de 10h30 à 12h30 Société d’Histoire du Théâtre, 58 rue de Richelieu, 75002 Paris Il y a un paradoxe insoluble, typique de la modernité, dans l’impossibilité de décréter la fin du spectacle (et de sa représentation), qui n’existe pourtant que par l’idée même de sa propre fin. La culture moderne, cette machine à recoder le temps en une temporalité cyclique de la promesse-attentedéception, s’est constituée autour d’une injonction contradictoire : sauver le monde par les images, au-delà des images. Depuis ses origines chez les préromantiques allemands, la culture moderne s’absolutise par une séparation radicale d’un monde qui est jugé mauvais et moralement insuffisant et dont elle promet la rédemption avec une emphase quasi-religieuse. Les images s’affranchissent du paradigme mimétique qui depuis Platon les tenait enchaînées à l’Idée et deviennent autonomes et auto-référentielles. Leur seule présence est signe d’un salut à venir pour l’individu que la société de plus en plus mécanisée et fonctionnalisée a expulsé de son sein comme unité significative. La culture absolue réactive et radicalise la promesse d’origine utopique et déjà « imaginaire » d’une liberté illimitée octroyée à un individu émancipé et finalement réconcilié avec le monde. Mais lorsque cette liberté a commencé se réaliser au détriment de la capacité de l’individu à maîtriser le monde qui l’entoure, les images couplent leur critique du monde avec un travail d’autocritique. Le mythe du spectacle et une nouvelle figure du spectateur apparaissent alors par un détournement politique des présupposés moraux de la métaphore baroque (mais qu’on sait d’origine cynico-stoïcienne) du theatrum mundi. Le spectateur n’est plus, comme pour les philosophes des Lumières, cet individu autonome qui affirme et construit son émancipation par la libre participation à une représentation publique, mais la victime passive d’un perpétuel jeu d’illusions destiné à lui cacher les relations de pouvoir qui organisent entièrement son existence et à le tenir captif dans un bonheur faux et artificiel. La « critique du spectacle » se présente comme l’expression la plus avancée de la critique sociale, mais, quelle que soit la forme qu’elle ait assumée ces cinquante dernières années, elle ne s’est pas simplement démontrée incapable d’arrêter le flux des images et des événements qui nourrissent la culture absolue et son produit secondaire, la subjectivité fictive, mais elle en accélère le mouvement. La prétendue différence ontologique entre le réel et les images qui était à l’origine même de la culture absolue, hypostasiée par la critique du spectacle en pur principe de négation, ne sauve pas l’individu/spectateur de son insignifiance, mais finit par dévoiler le néant qui se loge au centre même des images modernes et de la liberté que celles-ci semblaient lui garantir. Biographie Francesco Masci est né à Pérouse en Italie en 1967. Après des études de Philosophie en Italie et en Allemagne, il s’installe à Paris en 1993. Il est l’auteur de Superstitions (2005), Entertainment ! Apologie de la domination (2011) et L’ordre règne à Berlin (2013, traduction allemande Die Ordnung herrscht in Berlin, Matthes & Seitz, 2014) tous publiés aux Éditions Allia.