11 Copropriété et baux dans la loi n° 2015-990 du 6

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11 Copropriété et baux dans la loi n° 2015-990 du 6
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LOYERS ET COPROPRIÉTÉ - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2015
Copropriété et baux dans la loi n° 2015-990
du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité
et l’égalité des chances économiques
Joël MONÉGER,
professeur émérite à l’Université Paris-Dauphine,
directeur honoraire de l’Institut Droit Dauphine (i2d)
La loi Macron a été publiée, avec célérité (JO 7 août 2015). Si vite que deux rectificatifs ont dû lui être apportés.
Le Conseil constitutionnel invite, en filigrane, au dépôt de QPC dans les domaines ignorés par les saisines qu’il
estime ne pas justifier son auto-saisine. En droit de la copropriété, des baux d’habitation et commerciaux, les
progrès, mêmes insuffisants, ne peuvent être ignorés. Toutefois, par paresse ou « overdose », le parlement n’a
corrigé que quelques détails irritants. Trop peu. Il faut attendre pour que l’intelligibilité soit la marque du droit
des baux. À noter les effets ricochets de certaines réformes, telle celle du RCS, telle celle des zones
commerciales touristiques, du régime de la distribution ou encore du droit de l’hôtellerie.
1 - Après que le Conseil constitutionnel (Cons. const., déc. 5
août 2015, n° 2015-715) a expurgé le texte adopté sur le fondement de l’article 46-3 de la Constitution, le Journal officiel du 7 août
2015 a publié la loi, portée par le Gouvernement et défendue par
le ministre de l’Économie, M. Macron. Le projet qui a occupé le
printemps politique et hanté les nuits de nombre de professionnels
du droit a, comme son appellation le suggère, vu son ampleur
croître au fil des discussions et a tenu en activité non seulement les
députés et sénateurs, mais tous les organismes dirigeants les professions « réglementées » ; les « lobbyistes » et les commentateurs.
Maintenant, c’est, d’une part, aux services des ministères concernés de préparer les décrets d’application ou les ordonnances pour
lesquelles le gouvernement est habilité à légiférer ; d’autre part, aux
« codistes » d’intégrer les décisions du parlement. Rude tâche à
l’évidence. Ce sont cinq codes et huit lois ou ordonnances qu’il faut
modifier, sans oublier les ordonnances nouvelles à prendre à brève
échéance.
2 - La décision du Conseil constitutionnel intéressera tous ceux
qui pratiquent les QPC, dans la mesure où les multiples fondements
susceptibles d’emporter l’inconstitutionnalité d’un texte ont été
envisagés. Une observation peut être faite à propos de la délégation au Gouvernement, du pouvoir législatif s’agissant du seuil de
calcul de l’assiette de la « contribution à l’accès au droit et à la
justice » destinée à financer « le fonds interprofessionnel de l’accès
au droit ». Le Conseil, dans son considérant 51, fonde l’inconstitutionnalité de la délégation au pouvoir réglementaire sur l’article
34 de la Constitution. Ce dernier dispose que « la loi fixe les règles
concernant... l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement
des impositions de toute nature ». Le Conseil considère que
« l’article 50 paragraphe III de la loi en habilitant le pouvoir réglementaire à fixer les règles concernant l’assiette de la taxe contestée, le législateur « a méconnu l’étendue de sa compétence ». Dans
un arrêt récent, la Cour de cassation a rejeté l’examen d’une
demande de QPC 1 au motif que, « sous couvert de la critique
d’une disposition législative, la question posée ne tend[ait] qu’à
discuter la conformité au principe constitutionnel invoqué des
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1. Cass. 3e civ., 18 juin 2015, n° 15-40.009 QPC, Sté civ. Essor Bellevue : JurisData n° 2015-014643.
dispositions de l’article 4.1 de l’accord collectif de location du 16
mars 2005 rendu obligatoire... par le décret du 10 novembre
2006 » fixant un plafond de revenu. La solution est en l’état du droit
imparable. Seul le Conseil d’État peut examiner un éventuel
recours pour protéger les destinataires de la norme réglementaire.
Un approfondissement de la réflexion pourrait être fait, bien que
l’on soit hors du champ fiscal et donc du domaine propre à la loi.
En effet, dans la mesure où l’article 34 de la Constitution fixe aussi
« les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits
réels et des obligations civiles et commerciales », lorsqu’une loi
renvoie à un texte réglementaire pour déterminer son applicabilité,
ce texte ne pourrait-il pas être considéré comme s’incorporant au
texte de loi. La Cour de cassation aurait alors la faculté de considérer qu’un examen de la loi est, dans son principe, recevable dans
le cadre d’une QPC.
3 - La loi Macron est profondément novatrice. Elle va bien
au-delà de la mise en place de lignes d’autobus nouvelles. Elle va
modifier les pratiques professionnelles des juristes, comme de la
distribution commerciale ou encore des procédures de sauvegarde
ou de liquidation des entreprises. Certains professionnels vont
entrer dans l’ère du capitalisme modéré. Ils vont, plus encore
qu’aujourd’hui, pouvoir coordonner leurs activités et le financement des cabinets ; les juristes entre eux, et, le cas échéant, avec
les experts-comptables. Il faut être d’une parfaite mauvaise foi pour
considérer que cette loi n’est pas porteuse d’effets bénéfiques,
sinon à court terme du moins à moyen terme, pour la société française, même si elle vient bousculer, avec une certaine vivacité, non
seulement la SNCF, mais aussi des professionnels du droit habitués
à leur mode d’exercice, à leurs obligations et à leurs avantages.
4 - Ne seront observées ici que les principales évolutions concernant le droit de la copropriété et le droit des baux, civils et commerciaux. Chance inouïe, le Conseil constitutionnel n’a pas jugé que
les textes votés, dans ces domaines, étaient entachés d’inconstitutionnalité. Le considérant 169 énonce « qu’il n’y a pas lieu, ..., de
soulever d’office, aucune autre question de conformité à la constitution ». Il est excessif de dire qu’ils le sont, ipso jure. Ils ne sont ni
déclarés conformes, ni violant ostensiblement celle-ci. Il est vrai
que le Conseil a été mis à rude épreuve cet été, puisqu’il lui a fallu
contrôler toutes les lois du printemps et qu’il a pu, avec seulement
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sept membres véritablement actifs, se limiter aux seuls textes critiqués et aux modes d’adoption trop cavaliers pour être susceptibles
de prospérer dans l’ordre juridique. Il faut aussi penser que la loi
sur la transition énergétique 2 modifie, les lois du 10 juillet 1965
régissant la copropriété et du 6 juillet 1989 sur la location
d’immeubles d’habitation pour y intégrer de nouvelles obligations
environnementales (livret énergétique, diagnostic de performance
énergétique, prêts aux travaux d’amélioration de la consommation
d’énergie, individualisation par logement de la charge de chauffage collectif).
1. Les amendements à la loi n° 65-557
du 10 juillet 1965
5 - Source et textes modifiés. - La loi est très légèrement amendée par l’article 88 de la loi du 6 août 2015. L’article 17 subit deux
retouches, l’article 24-2 est complété, le paragraphe h de l’article
25 est adapté pour viser les stations radioélectriques.
6 - Modification de l’article 17 de la loi du 10 juillet 1965. - La
première vise, au dernier alinéa, à éviter toute discussion sur la
nomination judiciaire du syndic provisoire désigné dans le règlement de copropriété. L’alinéa 3 de l’article 17 de la loi entend,
qu’avant que le juge soit saisi, la carence de l’assemblée générale
à maintenir dans ses fonctions le syndic, dans le respect de l’appel
à la concurrence prévu à l’alinéa 2, depuis la réforme du 24 mars
2014, soit constatée. Dans ce cas, sur requête de l’un des copropriétaires, du maire ou du président de l’EPCI du lieu de situation
de l’immeuble, le président du tribunal de grande instance compétent désigne le syndic, selon les dispositions des articles 46 et 47
du décret du 17 mars 1967. Cette modification entérine la solution
adoptée par la Cour de cassation, le 28 novembre 2012 3
7 - La seconde modification organise, dans un nouvel alinéa, le
traitement des autres cas. L’assemblée générale peut être convoquée à l’effet de nommer un syndic, par tout copropriétaire. À
défaut d’une telle convocation, le président du tribunal de grande
instance à la requête de tout intéressé, désigne par ordonnance un
administrateur provisoire, notamment chargé de convoquer
l’assemblée en vue de la désignation du syndic. En cas d’échec,
l’article 46 du décret offre toujours la possibilité d’une nomination
par ordonnance sur requête.
8 - Mise en concurrence des contrats de syndic. - L’alinéa 3 de
l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965 est, substantiellement, modifié. La mise en concurrence des contrats de syndic par le conseil
syndical n’est plus exigée que sur un rythme ternaire, au lieu d’être
systématique. Cet assouplissement reste relatif dans la mesure où
tout copropriétaire est en droit de faire inscrire à l’ordre du jour de
l’assemblée annuelle, l’examen des projets de contrats qu’ils
communiquent à cet effet. Le conseil syndical peut aussi être
dispensé, à la majorité de l’article 25, de la procédure de mise en
concurrence, lors de l’assemblée qui précède celle qui aurait à
statuer sur la désignation du syndic après mise en concurrence
obligatoire. Cette question est nécessairement inscrite à l’ordre du
jour de l’assemblée générale concernée. Enfin, le conseil syndical
n’a plus à fournir d’avis, l’alinéa 4 étant supprimé. Ces amendements à la loi Duflot entrent en vigueur trois mois après la promulgation de la loi nouvelle, soit le 8 novembre 2015.
9 - Conseil syndical et offres des opérateurs de communications
électroniques. - L’article 24-2 de la loi du 10 juillet 2015, né en
2008 dans la loi du 4 août et amendé par ordonnance le 12 mars
2014, est complété par l’article 114 de la loi du 6 août 2015. Un
2. L. n° 2015-992, 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte : JO 18 août 2015, p. 14263.
3. Cass. 3e civ., 28 nov. 2012, n° 11-18.810 : JurisData n ° 2012-027429 ; Bull.
civ. 2012 III, n° 176 ; Loyers et copr. 2013, comm. 61, note G. Vigneron. adde : Code de la copropriété : LexisNexis 2015, par J. Lafond et J.-M. Roux, p.
45 et 46 et s. - Décr., art. 47.
nouvel alinéa donne à l’assemblée générale le pouvoir de confier
au conseil syndical un mandat pour se prononcer sur les offres des
opérateurs de communications électroniques à très haut débit.
Cette proposition de mandat est inscrite de droit à l’ordre du jour
à compter des convocations postérieures à la promulgation de la
loi. Par ailleurs, le paragraphe h de l’article 25 de la loi du 10 juillet
1965 vise en sus de l’antenne collective ou du réseau électronique
interne, l’installation d’une station radioélectrique sur ou dans
l’immeuble lorsqu’elle est nécessaire au déploiement d’un réseau
ouvert au public.
Enfin, l’article 118 de la loi nouvelle insère deux articles L. 111-51-1 et L. 111-5-1-2 au Code de la construction et de l’habitation,
le second prévoyant que le coût des travaux d’équipement de
l’immeuble est à la charge des propriétaires, lorsqu’il n’est pas
disproportionné par rapport au coût des travaux couverts par le
permis de construire, des lignes de communication électroniques
à très haut débit en fibre optique. Un décret en Conseil d’État viendra fixer les modalités d’application.
10 - En définitive, s’agissant des dispositions relatives à la copropriété, la moisson est assez faible. Sans doute faudrait-il établir une
étude d’impact après deux ou trois années d’application des
réformes des dernières années pour qu’un jugement objectif puisse
être réalisé.
11 - En attente de la consolidation des textes par les codistes. Sans entrer dans le détail des textes qui sont, tant que la consolidation n’a pas été réalisée par les codistes et Légifrance, difficiles
à décrypter, il faut signaler, hors les modifications aux codes de la
construction et de l’habitation et de l’urbanisme 4 qui visent les
logements intermédiaires, l’article 71 sur l’obligation d’installer des
détecteurs de fumée qui est présumée remplie si le propriétaire les
a commandé avant le 8 mars 2015 et installé avant le 1er janvier
2016. Les principales retouches sont inscrites, par ordre numérique, à l’article 82 de la loi Macron.
2. Les amendements à la loi n° 89-462
du 6 juillet 1989
12 - Loyer appliqué et loyer acquitté. - La première rectification
concerne le 8e point de l’article 3 de la loi du n° 89-462 du 6 juillet
1989. Est gommée, à propos de la référence au loyer dû par le
précédent locataire, le mot « acquitté » au profit de l’expression
« appliqué au ». Le plus simple eut sans doute de dire « dû par le ».
Cette réécriture plus conforme aux exigences d’une bonne application du droit évitera des querelles judiciaires car les juges, en
lisant la loi, auraient pu considérer que le défaut de paiement par
l’ancien locataire créait une hypothèse d’absence d’acquittement
du loyer.
Il avait été espéré que la même modification fut faite pour le loyer
du bail commercial dans les dispositions visant le « plafonnement » du loyer déplafonné ou révisé. Le choix du législateur de
ne pas rectifier les articles du Code de commerce qui comportent
la même erreur de qualification pourrait avoir pour conséquence
le renforcement du choix du législateur. Un locataire en difficulté
pourrait être tenté de n’acquitter qu’une quote-part de son loyer en
vue d’obtenir, sauf mise en œuvre de la clause résolutoire, une
réduction plus forte encore du montant du loyer révisé ou déplafonné fixé par le juge ; le lissage à 10 % par an s’appliquant au
montant acquitté et non au montant dû. L’expérience enseigne que
l’imagination des opérateurs et de leurs conseils est encore plus
étonnante que celle des auteurs.
13 - Colocation. - L’article 8-1 de la loi de 1989 est sagement
complété pour évincer du régime de la colocation, les baux passés
par des époux ou des partenaires. L’alinéa VI précise utilement que
la solidarité du colocataire sortant et de son ou ses garants
4. L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 72 à 81.
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s’éteignent à la date d’effet du congé régulier et de son remplacement par un nouveau colocataire.
14 - Mise en copropriété, zone tendue et maintien du bail. L’article 11-2, dans une nouvelle rédaction, prévoit, dans les zones
tendues au sens de l’article 17, alinéa 1, le maintien du bail lorsque
l’immeuble comportant plus de cinq logements est mis en copropriété pour une durée qui dépend de l’échéance du bail en cours
de façon à ce que les locataires puissent conserver la jouissance des
lieux pendant une durée totale maximale de six ans à compter de
la modification du régime de propriété du bien, sauf si le bail en
cours est à échéance de moins de trois ans à cette date. Dans ce
cas, le bail est prorogé de plein droit de trois ans. L’article 15, I in
fine est réécrit pour établir un régime similaire en cas d’acquisition
d’un logement occupé. Si le bail en cours échoit plus de trois ans
après l’acquisition, le congé pour vendre peut être délivré à
l’échéance. Dans le cas contraire, le congé ne peut être délivré
qu’au terme de la période de reconduction ou de renouvellement.
S’agissant du congé pour reprise par le bailleur du local loué, si le
terme est à moins de deux années après l’acquisition, la reprise ne
peut avoir lieu qu’à l’issue d’un délai de deux ans à compter de la
date d’acquisition.
15 - Reprise des lieux loués et ressources à prendre en considération. - L’alinéa 1 du III de l’article 15 avait subi la censure
partielle du Conseil constitutionnel pour défaut de prise en compte,
pour le calcul des seuils de maintien dans les lieux des personnes
âgées de plus de soixante-cinq ans des ressources de la personne
à charge de plus de soixante-cinq ans, vivant habituellement avec
lui dans les lieux loués, lorsque le bailleur de moins de soixantecinq dont les ressources sont inférieures aux montants visés, entend
s’opposer au renouvellement du bail. Le nouveau texte corrige
l’oubli.
16 - Diverses modifications. - L’article 24 ajoute au paragraphe
IV, aux demandes reconventionnelles, les demandes additionnelles. La clarification est bienvenue.
L’article 25-3, alinéa 2 est complété pour prévoir l’application de
l’article 3 aux logements meublés. Ainsi, le contrat-type devra être
respecté.
17 - Congés remis en main propre. - L’article 25-8, I, alinéa 7
ajoute la remise en main propre du congé contre récépissé ou
émargement. La simplicité qui prévaut encore dans bien des relations sociales, même entre bailleur et locataire, trouve sa reconnaissance. Cela rend inefficace la mauvaise foi de certains. Une
coquillette est corrigée au dernier alinéa : « recevable » remplace
« redevable » qui n’avait aucun sens en l’occurrence.
L’article 25-9 régit l’augmentation progressive du loyer en application de l’article 17-2 lorsque le loyer est inférieur au loyer de référence, dans les zones urbaines tendues visées à l’article 17 et
prévoit pour les augmentations supérieures à 10 %, leur étalement
par tiers. Depuis le 1er août 2015, à Paris, les loyers sont effectivement encadrés selon le barème préfectoral.
18 - Application de la loi dans le temps. – Elle est précisée au II
de l’article 82 de la loi Macron.
D’abord, les baux d’habitation, meublée ou non, jusqu’à leur
renouvellement ou leur tacite reconduction ne sont pas régis par
la loi nouvelle, sauf exceptions : articles 7-1 (prescription triennale
des actions dérivant du bail), 11-2 (mise en copropriété d’un
immeuble indivis comprenant au moins cinq logements), 15 (forme
du congé et régime du congé pour vendre), 22 (dépôt de garantie),
24 (clause résolutoire), 25-8 (préavis du locataire, congé, et renouvellement du bail), 1724 (durée des réparations), 1751 (bail et
époux) et 1751-1 (bail et Pacs).
Ensuite, à compter de leur renouvellement ou de leur reconduction tacite, les baux visés à l’alinéa 2 de l’article 2 (baux d’habitation et baux mixtes professionnels et d’habitation constituant la
résidence principale du locataire) sont soumis à la loi nouvelle, sauf
les articles 3 (formalisme du contrat), 17 et 17-2 (encadrement du
loyer).
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Enfin, le même texte dispose que ces derniers articles s’appliquent
aux nouveaux baux et aux baux faisant l’objet d’un renouvellement. Le législateur exprime ici son dédain ou son ignorance du
principe posé par la jurisprudence selon laquelle un bail renouvelé
est un nouveau bail.
La loi nouvelle s’applique aux baux de locaux meublés tels qu’ils
sont définis à l’article 25-4 de la loi de 1989, à l’exception des
articles 3 (contrat-type), 22, alinéa 1 (montant maximum du dépôt
de garantie fixé à un mois), 25-6 (dépôt de garantie pour les locations de locaux meublés limité à deux mois de loyer en principal)
et 25-9-I (loyers de référence fixé par le préfet). Ces derniers articles
ne s’appliquent qu’aux baux nouveaux ou qui ont fait l’objet d’un
renouvellement.
Les modifications apportées par la loi Macron rendent plus lisibles
et applicables la réforme de mars 2014. Néanmoins, la complexité
des textes de 2014 et de 2015 commande une grande prudence
dans la rédaction des baux, même en présence d’un bail-type.
L’ensemble portera-t-il les fruits attendus par la majorité politique ?
On ne peut que le souhaiter car le logement est essentiel dans la
vie d’une famille. Il reste à craindre que, comme ce fut le cas en
1982, l’orientation prononcée en faveur des locataires, tant s’agissant des obligations des parties, que de la difficulté à reprendre la
maîtrise du bien loué, soient des facteurs fortement négatifs pour
une augmentation de l’offre de logement. Il ne fait aucun doute que
les propriétaires d’immeubles à usage d’habitation peuvent légitimement s’interroger sur la pertinence d’investir à nouveau dans
ce secteur vital, eu égard à sa rentabilité décroissante.
3. Baux commerciaux : rectification
de la loi Pinel 5
19 - Les silences de la loi Macron. - La loi est assez peu disserte.
Il a été regretté (voir ci-dessus) que les coquilles et erreurs substantielles qui subsistent dans la loi Pinel n’aient pas fait l’objet d’un
amendement d’écriture. On pense aux articles relatifs au lissage
des loyers où le qualificatif « acquitté » a été maintenu, ou encore
aux articles L. 145-16-1 et L. 145-16-2 du Code de commerce, relatifs à la garantie en cas de cession du bail. Si la grammaire française
conserve son empire sur la lecture que devront faire de ces textes
les juges, il est à craindre que ce que voulait le parlement ne soit
pas possible à mettre en œuvre.
Pareillement, il est dommage que les ajustements, linguistiques
et substantiels, que demande une mise en œuvre raisonnée et
raisonnable du lissage du loyer en cas de révision ou de déplafonnement, n’aient été envisagés. Certes, le cœur de cible du gouvernement était ailleurs, mais une loi qui a pour ambition, la croissance l’activité et l’égalité des chances économiques aurait pu y
procéder sans dénaturer les objectifs du précédent gouvernement.
20 - Domaine d’application de la loi (art. 207). - En l’état, la loi
nouvelle apporte quelques bonnes évolutions s’agissant du formalisme des congés et des demandes de renouvellement. Le siège des
nouveaux textes est l’article 207 de la loi du 6 août 2015. Il faut y
ajouter trois éléments de réforme qui auront un rôle éventuellement
dans la pratique locative.
En premier lieu, même si cela apparaît marginal, la réforme,
importante et judicieuse, du droit applicable aux réseaux de distribution commerciale, par les articles 31 et suivants de la loi (C.
com., art. L. 341-1 et L. 341-2, L. 441-7 et L. 447-7-1), qui affirment
les liens étroits entre les contrats de distribution et imposent une
date d’échéance commune et l’effet global de la résiliation de l’une
des conventions concernées, exclut, aux côtés des contrats de
sociétés ou d’association, le contrat de bail commercial. Celui-ci
conserve son autonomie. Cela ne signifie pas nécessairement que
celui-ci ne subira pas les effets négatifs de la cessation du groupe
5. V. supra les observations de Ph.-H. Brault et Élodie Marcet, La loi Macron et le
bail commercial : faut-il notifier ou signifier ? : Loyers et copr. 2015, alerte 53.
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de contrats qui permettaient l’exploitation du fonds de commerce
dans les locaux loués. Le locataire, notamment la personne morale
commerçante, se trouvera en difficulté si le bailleur est lié, directement ou indirectement au distributeur dominant ou s’il a consenti
à ce dernier un droit de jouissance sur les actions de la société locataire.
21 - Registre national du commerce et informations recueillies
par les greffiers. - L’article 60 modifie l’article L. 123-6 du Code
de commerce et impose aux greffiers des tribunaux de commerce
la transmission par voie électronique et gracieusement des informations contenues dans les inscriptions, actes et pièces mentionnées audit article, à l’Institut de la propriété industrielle, de façon
à ce qu’elles soient réutilisables avec une pleine interopérabilité.
La mesure est d’une portée considérable pour tous ceux qui ont
besoin d’obtenir des informations sur les entreprises locataires.
Alors qu’il faut courir de greffe en greffe ou payer l’accès aux bases
de données créées par les greffiers, en un clic les éléments recherchés devraient être accessibles. Le Conseil constitutionnel a validé
la loi sur ce point en posant « que la diffusion et la mise à disposition à titre gratuit des données publiques du registre du commerce
et des sociétés ne sauraient, alors même que les greffiers de tribunal de commerce ont développé des outils payants de diffusion de
ces mêmes données, porter atteinte au principe d’égalité devant les
charges publiques » 6. La solution ne peut être qu’approuvée. À
dire vrai, les bases de données juridiques privées, telle JurisData,
qui ont un concurrent étatique puissant : legifrance.gouv.fr, ont su
apporter des services annexes ou des processus de recherche qui
leur permettent d’offrir à leurs clients ce que le service public ne
fait pas.
22 - Rapports entre bailleurs et locataires des immeubles affectés à l’hôtellerie. - L’article 133 de la loi Macron, créé, au sein de
la section I « Des contrats relatifs à l’hôtellerie » du chapitre I du
titre I du livre III du Code du tourisme, une sous-section 1 :
« Rapports entre bailleurs et locataires des immeubles affectés à
l’hôtellerie » (C. tourisme, art. L. 311-1 à L. 311-5). Rien de révolutionnaire au regard du contrat de bail lui-même. Seule la relation
de domination des plateformes de réservation en ligne est prise en
considération afin de redonner à l’exploitant sa liberté de contracter directement avec les consommateurs, même s’il est lié par
contrat avec tel ou tel organisme. Ce contrat est réputé cesser ses
effets dès l’entrée en vigueur de la loi (C. tourisme, art. L. 311-5-4,
al. 2). Par ailleurs, la loi impose, quel que soit le lieu où se trouve
la centrale de réservation, la compétence de la loi française pour
régir le contrat, l’hôtel se situant en France et la loi ayant, a priori,
un caractère de loi de police (ce qui pourrait poser problème au
regard du règlement (CE) n° 593-2008 du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles (Rome 1)) et la location
ne pourra être faite qu’au nom et pour le compte de l’hôtelier au
moyen du contrat de mandat (C. tourisme, art. L. 311-5-2). Cela va
avoir pour effet, d’une part, une connaissance précise du prix des
chambres inscrit au contrat avec la plateforme ; d’autre part, de
redonner une certaine liberté à l’exploitant en matière de prix
lorsqu’il loue directement. L’expert, chargé d’évaluer la valeur
locative d’un hôtel, en vue de la fixation d’un nouveau loyer
demandera communication, au moins partielle, des conventions
de référencement, en sus des données usuelles de remplissage afin
de déterminer la jauge et le prix du loyer.
23 - Fin du bail et formalisme. - En dernier lieu, il faut redonner
les éléments de clarification de la loi du 18 juin 2014 s’agissant des
actes susceptibles de mettre fin au bail commercial. C’est à l’article
207 de la loi que se trouvent les solutions.
24 - De l’équilibre entre la liberté et l’impérativité des formes
de notification. - La loi du 18 juin 2014 frisait le ridicule en choisissant que les notifications les plus dangereuses pour le preneur,
en particulier les congés, puissent être faites, au choix du notifiant,
par lettre RADAR au lieu de l’acte extrajudiciaire. À l’inverse, la
demande de renouvellement, aisément corrigeable dans la plupart
des cas, ne pouvait être transmise au bailleur que par acte extrajudiciaire, aux bons soins d’un huissier de justice.
25 - Extension de la liberté de choix du mode de notification par
le preneur. - L’article 207 ne pouvait revenir sur le libre choix du
preneur de réduire, en apparence au moins, le coût d’une notification (le mot « signification » est remplacé : art. 207 préc., I,
5e aux art. L. 145-10 et L. 145-49). Ainsi, le locataire, s’il s’estime
suffisamment informé sur la ou les personnes bailleresses
auxquelles il lui faut notifier sa volonté de mettre fin au bail (C.
com., L. 145-4, al. 2), d’accepter l’indemnité d’éviction que lui
propose le bailleur en cas de refus de renouvellement (C. com., L.
145-18, al. 4), celle de faire savoir qu’il entend bénéficier du droit
de priorité en cas de reconstruction de l’immeuble en application
de l’article L. 145-17, II (C. com., L. 145-19, al. 1) ou qu’il entend
adjoindre à l’activité convenue au bail, une activité connexe ou
complémentaire (C. com., L. 145-47, al. 2) ou encore faire
connaître qu’il renonce à la déspécialisation obtenue du tribunal
ou du bailleur (C. com., L. 145-55). Il a été dit, écrit, redit et réécrit
que la liberté conférée au locataire pouvait être délicate à assumer
pour celui qui n’est pas doté d’un service juridique ou assisté par
un professionnel averti.
La loi Macron affirme au fil des titres des chapitres, titres et
sections avoir pour objectif « d’alléger les obligations des entreprises »- c’est d’ailleurs le titre de la section dans laquelle est inséré
l’article 207 -, de « simplifier » - c’est le titre du chapitre dans un
titre affirmant contribuer à « investir ». Il est donc naturel que
l’entrepreneur commerçant puisse choisir le mode de notification
qui lui semble le plus approprié à la satisfaction de ses intérêts. Ce
qui aurait été fâcheux, c’est qu’il ne put faire preuve de prudence
en chargeant un huissier de la notification de l’acte informant le
bailleur de sa volonté. Pour autant, le législateur n’a pas voulu
étendre au bail commercial, la faculté donnée au locataire d’un
logement de pratiquer par « remise de l’acte contre récépissé » 7.
Pourtant, une loi qui entend « simplifier » (titre du chapitre IV du
titre II de la loi dans lequel est inscrit l’article 207) aurait pu l’envisager.
26 - Absence de liberté de choix du bailleur : impérativité de
l’acte extrajudiciaire. – Paradoxalement, la liberté ne vaut que
pour le preneur, alors que le bailleur est, le plus souvent, mieux à
même de déterminer quels sont les destinataires d’un congé (locataire unique, colocataire, usufruitier et nu-propriétaire, bien
commun aux époux, indivision conventionnelle ou successorale,
société, etc.), il ne lui est plus permis d’user de la lettre RADAR, sauf
pour la notification de son droit de repentir après la modification
de l’article L. 145-12, dernier alinéa in fine. Sans doute, est-ce
soutenu par l’idée, quelque peu balzacienne, que le bailleur ne
serait pas un entrepreneur qui investit ; à moins que cela n’exprime
la parfaite ignorance des mécanismes de l’investissement immobilier concernant les bureaux, usines, et centres commerciaux, et
de l’existence des SCPI qui occupent pourtant une place reconnue
sur les marchés financiers. Le fondement affirmé de la discrimination serait-il que les notifications faites par les bailleurs sont des
actes graves et qu’il convient de s’assurer que leurs destinataires
soient bien les locataires !!! La règle est étrange. Elle est l’expression d’un choix quelque peu impertinent. Le Conseil constitutionnel n’a pas relevé la discrimination ; les juges judiciaires pourraient
être, un jour, confrontés à la situation dans laquelle un bailleur (un
ancien locataire ou un entrepreneur « transgenre » : tantôt bailleur,
tantôt locataire), peu au fait du droit, qui ayant notifié un congé par
lettre RADAR, soutiendrait que la discrimination est intolérable et
contraire à la CEDH. C’est peu à craindre, car il y a bien des années
que les bailleurs savent que mieux vaut recourir aux services des
professionnels de la notification ou de la signification des actes.
6. Déc. 5 août 2015, n° 2015-715 DC, préc., pt 103 et s., spéc. 111.
7. V. supra bail d’habitation et L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 25-8, I, al. 7.
11
Étude
Une dernière observation tient à la valeur locative des lieux
loués. Il est acquis que la modification matérielle des facteurs
locaux de commercialité qui ont entraîné par eux-mêmes une
variation de plus de 10 % de la valeur locative au cours du bail et,
en particulier, pour la révision au cours de la période, au moins
triennale, qui précède la demande peut résulter des conditions
d’exercice du commerce considéré. La création des nouvelles
zones de commercialité résultant de la faculté d’ouverture le
dimanche et tard le soir va relancer les discussions entre bailleurs
et locataires. Les experts vont être invités à fournir de nouvelles
évaluations, zone par zone, commerce par commerce. Les juges
12
LOYERS ET COPROPRIÉTÉ - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2015
auront à mesurer si le non-usage de la faculté d’ouverture offerte
aux commerces de la zone s’inscrit, dans le mode de gestion du
commerce exploité dans les lieux ou a un caractère intrinsèque à
l’immeuble ou au local. Le départ entre le locataire qui n’estime
pas devoir ou pouvoir changer ses horaires d’ouverture et le
bailleur qui fait ressortir la valeur potentielle des lieux loués pour
le commerce considéré promet de belles plaidoiries. ê
Mots-Clés : Baux - Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des
chances économiques
Copropriété - Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des
chances économiques