Les sacrements sont des cadeaux de Dieu, mais plus que des

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Les sacrements sont des cadeaux de Dieu, mais plus que des
Ma vie au regard des sacrements.
Mariage – Divorce – Réconciliation – Onction des malades
1 - Ce que sont les sacrements.
Les précédents mardis vous l’ont exprimé : les sacrements ne sont pas seulement
des évènements ponctuels de notre existence, aussi riches et essentiels soient-ils,
mais des sources pour un modelage de notre être, une transformation de notre
personne qui se répercute sur toute la vie. Nous avons donc à regarder si nous
vivons les sacrements reçus, si nos vies ont fructifié dans le sens indiqué par ces
sacrements.
Mais reprenons encore ce qu’est un sacrement.
Maurice Fourmond vous a donné plusieurs définitions : une réalité du monde qui
révèle le mystère du salut parce qu’elle en est la réalisation (Mgr Coffy).
Un signe efficace de la grâce, institué par le Christ et confié à l’Église, par
lequel la vie divine est dispensée (catéchisme).
Un signe sensible à travers lequel Dieu agit, parle, se donne, en faveur de
l’homme et de l’humanité.
Un signe, un acte de Dieu qui prolonge l’Incarnation.
Ainsi l’on peut dire que les sacrements sont des cadeaux de Dieu ; plus que des
cadeaux, ce sont des dons de lui-même, des dons de sa propre vie, pour nous
faire devenir dons nous-mêmes. Dieu est amour, n’a cessé de répéter saint Jean,
amour c'est-à-dire don de soi. Les sacrements nous sont donnés pour que nous
devenions sacrements, signes nous-mêmes de cette réalité invisible qu’est Dieu ;
ils nous sont donnés comme dons de soi de Dieu pour nous faire devenir dons de
soi.
On a pu dire encore : les sacrements sont des signes qui réalisent ce qu’ils
signifient. Signe de quoi et qui réalise donc quoi ? Signe de la communication
de Dieu lui-même en Jésus Christ mort et ressuscité et qui réalise alors ce don de
la vie de Dieu. Aussi quand j’ai dit que les sacrements nous sont donnés pour
que nous devenions sacrements, cela veut dire que, comme l’a écrit saint
Augustin pour l’eucharistie, nous avons à devenir ce que nous avons reçu. Pour
l’eucharistie, devenir le corps du Christ. Pouvoir dire comme saint Paul : pour
moi, vivre, c’est le Christ.
2 - Le sacrement de mariage
Si donc nous regardons le sacrement de mariage, comment tout cela se vérifie-til ?
La particularité, c’est qu’il se reçoit et qu’il se vit à deux. “Je te reçois comme
époux, comme épouse, et je me donne à toi”. Voilà ce qui fait le sacrement.
Mais je vais faire un détour par l’Écriture.
a) Le premier niveau de la sacramentalité
Au commencement, au 6e jour, Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image,
selon notre ressemblance. Qu'il soit le maître des poissons de la mer, etc. » Dieu
créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les
créa (Gn 1, 26-27).
Le deuxième récit de création explique que Dieu, tel un potier, prend de la
poussière, de la glaise du sol et modèle l’adam, le glébeux, puis “il insuffla son
haleine de vie dans ses narines et l’adam devint un être vivant”. Et vous
connaissez l’image de la création de la femme : à partir de l’adam, de la chair
prise de son côté, “Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme” : cri de
l’homme “voici l’os de mes os, la chair de ma chair ; celle-ci sera appelée
femme car c’est de l’homme qu’elle a été tirée”(en hébreu isha et ish). C’est
pourquoi l’homme quitte son père et sa mère, il s’attache à sa femme et tous
deux forment une seule chair.”
De ces deux récits, on peut dire beaucoup de choses. Quand Dieu crée l’humain,
c’est en lui communiquant son haleine de vie, son souffle, même mot que
l’Esprit. Quand Dieu crée l’humain à son image, il le crée homme et femme,
c'est-à-dire relation et il n’y a pas de plus belle, de plus forte relation humaine
que celle de deux êtres libres et égaux qui se donnent leur vie. C’est donc la
relation qui est image. Et ils sont donc invités à devenir une seule chair, la
relation la plus étroite possible. Avec le souffle, la vie même de Dieu en eux, ils
ont reçu la liberté qu’est Dieu, l’Amour qu’est Dieu, le pouvoir sur la création,
on peut dire une intelligence créatrice.
Nous sommes là comme au premier niveau de la sacramentalité du mariage.
L’union de l’homme et de la femme, l’union de tout homme et de toute femme,
quand elle est don réciproque, dit quelque chose de Dieu lui-même. Et c’est
pourquoi, vous le savez sans doute, l’Église considère comme indissoluble le
mariage civil de deux personnes non baptisées.
Dans le récit du 6e jour, il est dit en fait : “À l’image de Dieu il le créa, mâle et
femelle, il les créa”. Comment comprendre ? Peut-être qu’ils ont à être
humanisés et que Dieu donne justement à l’homme d’être créateur, créateur de
l’humain. Le petit d’homme est le plus empoté de tous les animaux du monde :
il lui faut une année pour se mettre debout, et plus de 20 ans pour acquérir un
cerveau d’adulte. Vous savez que si un nourrisson qui a dû être séparé de ses
parents, n’est pas choyé par quelqu’un d’autre, il se laisse dépérir. C’est l’amour
qui est créateur de l’humain. Vous savez que l’enfant sauvage découvert fin
18esiècle et qu’un savant a essayé d’éduquer (François Truffaut en a fait un film)
n’a jamais pu devenir vraiment un homme. Sans amour, nous ne pouvons pas
vraiment devenir humains. Et cela n’est jamais terminé. Notre création à l’image
de Dieu n’est pas finie ; nous sommes donnés les uns aux autres pour poursuivre
cette création, pour devenir homme et femme. Dans le mariage, chacun est
donné à l’autre pour aider l’autre, son vis-à-vis comme dit la Bible, à devenir ce
qu’il est.
Au niveau de la Création, le mariage répond donc à une forme universelle
d’appel du Créateur envers les conjoints. Les époux sont appelés, dit le Concile,
à la communauté profonde de vie et d’amour que forme le couple, fondée et
dotée de ses lois propres par le Créateur ; elle est établie sur le consentement
personnel irrévocable des conjoints... (Gaudium et Spes 48,1).
En tant que croyants, à ce niveau, il y a une double reconnaissance :
- reconnaissance que l’amour comme don de soi vient de Dieu ; d’où
l’action de grâce, non pas seulement le jour de son mariage mais chaque
jour que Dieu fait.
- Reconnaissance que l’unité de l’homme et de la femme dans l’amour
réalise l’image de Dieu, car, comme dans la Trinité – l’union du Père et
du Fils dans l’Esprit d’amour – chacun reçoit la vie de l’autre pour donner
la sienne en retour. Ce projet est-il bien toujours celui du couple croyant ?
b) Deuxième niveau de sacramentalité
Le mariage est une alliance. Mais, dans la Bible, quand il est parlé d’alliance
c’est pour dire le lien particulier de Dieu avec son peuple. On peut dire que toute
la Bible est l’histoire de l’alliance de Dieu avec l’humanité qui a commencé par
celle qu’il a faite d’abord avec un homme, Abraham, et qui s’est continuée avec
celle qu’il a conclue avec Israël. Voici par exemple ce que Dieu dit à Jérusalem,
symbole de tout Israël : “Toi, tu seras appelée ‘Ma Préférence’, cette terre se
nommera ‘l’Épousée’. Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra
l’Épousée. Comme la fiancée fait la joie de son fiancé, tu seras la joie de ton
Dieu” (Is 62, 4b-5).
C’est le 2e niveau de sacramentalité du mariage, le 2e niveau de vocation :
le niveau de l’Alliance.
La communauté de vie et d’amour formée par le couple devient une institution
que la loi divine confirme et qui naît, au regard de la société, de l’acte humain
par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement… (G.S. 48,1). Un
lien sacré est réalisé qui échappe à la fantaisie de l’homme. L’appel de Dieu est
ici explicité dans la loi de Moïse : un appel à la fidélité. C’est la vocation des
conjoints que de vivre la fidélité, à l’image du Dieu de l’Alliance, lui qui est
fidèle vis-à-vis de son peuple, envers et contre tout.
Cet appel à la fidélité est également appel à l’indissolubilité ; jamais le Seigneur
ne reprend son Alliance. Israël est toujours peuple de Dieu, même si l’Alliance
est aujourd’hui ouverte à tous ceux qui croient au Christ.
c) Troisième niveau de sacramentalité
Cette alliance est renouvelée en Jésus Christ, ce qui constitue comme un 3 e
niveau de sacramentalité : l’Alliance en Jésus Christ.
“L'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux
ne feront plus qu'un. Ce mystère est grand : je le dis en pensant au Christ et à
l'Église.” (Ep 5, 32)
Le Christ a donné sa vie à l’humanité tout entière, et l’Église est cette part de
l’humanité qui reconnaît ce don et se donne à son tour. Dans le mariage, il est
demandé à chacun de donner sa vie comme le Christ, et la parole échangée lors
du mariage l’exprime bien. Jésus dit : ‘Ceci est mon corps – ma vie entière –
livré pour vous’ ; et les mariés disent d’une manière ou d’une autre le jour du
mariage : ‘c’est mon corps, c’est ma vie entière que je te donne’. Et chacun,
comme l’Église, reçoit cette vie donnée.
Avec le Christ, l’Alliance véritable, éternelle se situe au niveau du don et du
pardon, la forme achevée du don, et les époux sont appelés à une vocation
évangélique. Voici comment le Concile en parle : De même que Dieu prit
autrefois l’initiative d’une alliance d’amour et de fidélité avec son peuple, ainsi
maintenant, le Sauveur des hommes, Époux de l’Église, vient à la rencontre des
époux chrétiens par le sacrement de mariage. Il continue de demeurer avec les
époux pour que, par leur don mutuel, ils puissent s’aimer dans une fidélité
perpétuelle, comme Lui-même a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle.
L’authentique amour conjugal est assumé dans l’amour divin (G.S.48, 2). Le
mariage est ainsi une transfiguration de l’amour. Au cœur de la relation des
époux, le Christ place son propre amour. Il y met l’offrande de la croix, la
splendeur de son pardon, la puissance de la résurrection. Les époux sont appelés
à vivre leur union à la manière du Christ qui, dans la joie et la croix, se donne
jusqu’au bout (Jn 13, 1), dans un amour total, corps et sang, en Alliance nouvelle
et éternelle : c’est une vocation à aimer l’autre de façon pascale, c'est-à-dire à
travers joies et croix, ‘morts’ et ‘résurrections’.
Quand je dis ‘à la manière du Christ’, cela ne veut pas dire qu’il est un exemple,
un modèle, mais qu’il donne aux époux cette capacité de vivre le jusqu’au bout
de l’amour qu’il a vécu lui-même. Cela veut dire qu’il désire être accueilli, qu’il
désire vivre en eux pour accomplir cet amour. Pour reprendre une expression de
Maurice Fourmond, il investit leur amour pour le porter à sa plénitude.
d) Vivre ce sacrement
Un couple signe de Dieu, signe de l’alliance de Dieu, signe de l’alliance
renouvelée en Jésus Christ, qu’est-ce que cela implique dans le quotidien ? Car
évidemment on n’est pas signe que pour le jour de son mariage !
Les couples mariés sont appelées à vivre un amour d’alliance à la manière du
Christ et par lui, avec lui et en lui, et donc à déployer dans le quotidien toutes les
harmoniques de cet amour.
Par leur fidélité mutuelle, ils ont à dire la fidélité indéfectible de Dieu à
l’humanité, fidélité manifestée par le Christ jusque sur la croix.
Par leur accueil total l’un de l’autre, ils expriment l’amour qui ne juge pas mais
fait confiance, à la manière du Christ auprès de qui toute personne était reçue
favorablement.
En revenant sans cesse l’un vers l’autre, ils sont le signe de Dieu qui souffre de
l’éloignement de l’homme et fait le premier pas pour le retrouver. Rappelezvous la parabole de la brebis perdue. Et en vivant la réconciliation, ils rappellent
le pardon incessant de Dieu à son peuple, le pardon dont Jésus a tant parlé et
qu’il a donné lui-même au nom de son Père.
Dans leur refus de se posséder l’un l’autre, ils proclament le respect infini de
Dieu envers l’homme. Combien Jésus a vécu ce souci de la liberté de l’autre –
voyez l’appel au jeune homme riche –, laissant l’autre poursuivre sa route : ‘Va’
a-t-il dit de multiples fois.
À travers leurs paroles et leurs gestes d’amour qui recréent l’autre, les mariés
manifestent que Dieu est l’amour qui convertit, qui remodèle le cœur de
l’homme, ainsi que beaucoup l’ont vécu dans leur rencontre avec le Christ.
Par leur ouverture ensemble à toute création, par leur désir de faire vivre, ils
disent le désir passionné de la vie qui est en Dieu : ‘Je suis venu pour que les
hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance’ (Jn 10, 10).
En se livrant, en s’abandonnant l’un à l’autre, ils sont le signe de Dieu qui se
livre à l’humanité dans le dépouillement de son Fils. “Il n’y a pas de plus grand
amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime” (Jn 15,13). Et il n’y a pas
de limite à ce don, ni dans le temps, ni dans la quantité : ce n’est pas un bout de
sa vie que l’on donne ; c’est sans retour, sans mesure, sans condition. Paul dit
aux Corinthiens : “La femme ne dispose pas de son corps mais le mari.
Pareillement le mari ne dispose pas de son corps mais la femme” (1 Co 7,4).
Normal puisque chacun s’est donné à l’autre. Cela, qui était révolutionnaire pour
l’époque – et on dira que Paul était misogyne ! – est-il la réalité d’aujourd’hui
chez les couples ?
En devenant nourriture l’un pour l’autre, les mariés disent la passion de Dieu qui
va jusqu’à se faire pain en Jésus Christ pour se donner à nous.
En mourant à eux-mêmes pour faire grandir l’autre, et en grandissant euxmêmes grâce à ce don de soi, ils révèlent au monde que cet amour divin est
Résurrection.
Vivre le sacrement de mariage, c’est pour chacun continuer à donner sa vie à
l’autre et accueillir l’autre, de manière à permettre à l’autre de grandir
humainement dans l’amour et de devenir toujours plus l’image de Dieu, vivant
partout dans son existence l’amour des autres par cet amour reçu.
e) Vivre en Église, par l’Église.
Ce que le Dieu de l’Alliance a dit au monde par son Fils, il continue à le dire par
l’Église, et dans cette Église les mariés, les professionnels de l’alliance,
poursuivent de manière privilégiée cette manifestation.
Bien sûr, ils ne sont pas seuls. Et c’est en étant reliés à l’Église qu’ils peuvent
être ce signe de l’alliance. Isabelle Essig a développé cela : l’Église est
sacrement. Les mariés ont à risquer leur amour selon le mode de Dieu.
L’alliance, c’est le risque que prend Dieu avec les hommes. En entrant dans une
communauté qui dit une certaine manière d’aimer, le couple peut risquer sa
propre parole, c’est-à-dire son existence sur l’amour. Et dans cette communauté
qui participe au repas du Seigneur, c’est également en étant nourri de
l’eucharistie, le sacrement par excellence de l’alliance, que le couple peut
incarner le signe de l’alliance dans son existence. Car c’est chaque fois accueillir
de nouveau celui qui s’est fait don de soi dans ce pain partagé pour nourrir
chacun de son propre amour.
3 - Un mot sur le divorce
Le divorce, puisqu’il était indiqué dans l’invitation, n’est pas le 8 e sacrement
comme des gamins du caté l’ont parfois indiqué. Le divorce civil, non reconnu
par l’Église, même si elle parle de divorcés remariés, est massivement le
moment d’une rupture totale et définitive du couple. La vocation des mariés à
signifier l’indissolubilité de l’alliance est donc mise en échec. Pour l’instant
l’Église catholique ne reconnaît une rupture qu’en cas de nouvelle union civile
et, à ce moment-là, affirmant que le sacrement de mariage dure toujours,
considère qu’il y a une situation qui contredit objectivement la loi de Dieu et ne
permet plus aux nouveaux mariés la réception du sacrement du pardon, à moins
qu’ils ne se séparent, et donc non plus celui de l’eucharistie, sacrement de
l’alliance par excellence. Si un époux meurt, l’Église catholique considère qu’il
n’y a plus sacrement et permet au vivant de se remarier sacramentellement.
Les Églises orthodoxes, en analysant les situations concrètes des époux, peuvent
parler de la mort de l’amour du couple et dire que le mariage a cessé d’exister.
« Il n’y a rien de magique dans les sacrements que délivrent les Églises, dit le
P. Alexis Struve (archiprêtre de la cathédrale russe). Si un mariage qui est
sacrement du mystère de l’unité et de l’amour ne se vit pas au quotidien, si la
grâce de l’amour n’est pas éprouvée, si la haine s’instaure, on peut dire que le
sacrement n’est pas vécu et donc que le mariage s’est dissous de lui-même. »
Le sacrement cesse donc car il ne reste rien qui puisse être signe de quoi que ce
soit. Et l’Église (orthodoxe) peut bénir un 2e mariage. C’est une question
théologique qui sera peut-être réfléchie dans cette inter-session synodale : peuton considérer que deux personnes définitivement séparées sont encore liées par
le sacrement du mariage ? L’Église catholique dit oui en disant que Dieu,
comme une 3e personne, a fait alliance avec le couple. Certes, Dieu est concerné
par cette alliance, mais parce qu’il a mis son souffle en chacun pour leur
permettre de vivre cette alliance. Peut-on dire que cet amour d’alliance de Dieu
continue en chacun pour l’autre quand il y a eu rupture totale ?
D’autre part, peut-on dire à la fois qu’un chrétien ne peut vivre sans
l’eucharistie, ce qui est l’affirmation forte de l’Église catholique, et que certains
peuvent ne plus la recevoir à vie ?
Mais si des personnes divorcées ne peuvent plus être signes de l’indissolubilité
et de la fidélité de l’alliance par leur mariage, elles peuvent être comme
baptisées signes de Dieu de multiples façons, par le pardon donné et peut-être
accueilli, par la fidélité à Dieu et à l’Église, par une vie plus engagée
spirituellement et concrètement, etc.
Et quand des divorcés ont rebâtit un couple, qu’ils aiment peut-être enfin comme
ils n’avaient jamais aimé jusque là, que leur amour ressemble peut-être
beaucoup plus que dans la première union à l’amour que le Christ a pour son
Église, il ne faut pas dire trop vite que ces couples n’ont rien de sacramentel. Un
véritable amour entre un homme et une femme ne peut qu’être signe de la
présence de Dieu.
4 - Le sacrement du pardon et de la réconciliation
Le sacrement de mariage est tourné ainsi vers la vie entière du couple, vers un
quotidien à vivre dans l’alliance. Le sacrement du pardon et de la réconciliation
est un acte tout autant tourné vers l’avenir. Ce n’est pas l’effacement d’une
ardoise, la lessive périodique qui oublierait le passé, comme on l’entend encore
trop souvent. L’Église a tellement mis l’accent sur ce qu’elle appelle l’aveu que
l’on a oublié que ce n’était pas là l’essentiel.
Quel est l’essentiel ?
Bien sûr, il s’agit de reconnaître son péché, ce que fait l’enfant prodigue après
être rentré en lui-même : “Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne
mérite plus d’être appelé ton fils”. Mais ce fils doit s’arrêter là, car le Père ne
veut pas en entendre davantage ; il n’a jamais été tourné vers le passé et ce jour
où son fils a demandé sa part d’héritage, mais vers le jour où il pourra le
retrouver et lui dire que, quoi qu’il ait fait, il est son fils et qu’il désire vivre en
relation avec lui. Le père Baudiquey commentant le tableau de Rembrandt disait
que cet homme, ne cessant de guetter le retour de son fils, s’est usé les yeux à
son métier de Père. C’est le fils aîné, lui qui n’est pas non plus vraiment né
comme fils, qui va essayer de détailler les péchés de son frère ; le Père n’en a
rien à faire.
En nous tournant vers le détail de nos péchés, l’Église a risqué de nous tourner
vers le passé, alors qu’il s’agit d’accueillir à nouveau la grâce de sa filiation
divine. Ce n’est pas l’aveu qui est essentiel, c’est la déclaration d’amour d’un
Père qui veut vivre avec ses enfants, qui veut continuer à les enfanter en leur
donnant sa propre vie. Et cet amour s’incarne dans un pardon qui ouvre à son
enfant un nouvel avenir, un avenir qui n’efface pas le passé bien sûr mais un
avenir riche de cette réconciliation opérée si le pardon a été accueilli.
C’est la force d’un amour qui vient remplir un cœur qui reconnaît sa fragilité, sa
faiblesse ; c’est la confiance d’un amoureux de l’homme qui lui redit sa dignité,
qui lui exprime qu’il croit en lui et qu’il vaut infiniment plus que ses actes
pécheurs ; c’est le désir de Dieu d’ouvrir une route nouvelle à parcourir
ensemble et qui, pour cela, tourne nos regards vers l’avenir, un avenir auquel il
croit, lui. “Les vrais regards d’amour sont ceux qui vous espèrent”, dit encore le
Père Baudiquey.
Regardez les pardons que Jésus donne dans l’Évangile, il ne demande jamais à
la personne d’avouer sa faute, alors qu’à un aveugle, par exemple, il va
demander ‘que veux-tu que je fasse pour toi ?’ Que ce soit Zachée, la pècheresse
chez Simon, Pierre, aucune parole de reproche. Ce peut être un appel comme à
Matthieu-Lévi, une demande comme à la Samaritaine, qui signifie son désir de
relation en laissant de côté ce qui n’est sans doute pas conforme à la morale.
Devenir pardon
Si ces pardons sont donnés, c’est pour que nous pardonnions à notre tour. Si, sur
la croix où Jésus nous aime jusqu’à l’extrême, tout nous a été pardonné – “Père,
pardonne-leur” – c’est pour que, émerveillés de tant d’amour, le cœur rempli de
ce désir de Dieu d’un avenir avec nous, et accueillant cet amour-pardon au plus
profond de nous-mêmes, nous fassions tout pour vivre le pardon et la
réconciliation avec nos frères. C’est cette réciproque dont Paul parle aux
Corinthiens : “Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ, le Père
plein de tendresse, le Dieu de qui vient tout réconfort. Dans toutes nos détresses,
il nous réconforte ; ainsi, nous pouvons réconforter tous ceux qui sont dans la
détresse, grâce au réconfort que nous recevons nous-mêmes de Dieu” (2 Co 1,
3-4).
La parabole dite du serviteur impitoyable nous rappelle que si une dette de 60
millions de pièces d’argent nous a été remise, ce n’est pas pour tordre le cou à
notre voisin qui nous doit 100 balles. “Serviteur mauvais ! – dit le roi qui règle
ses comptes avec ses serviteurs – je t’avais remis toute cette dette parce que tu
m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon,
comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?” (Mt 18, 23-35).
Et si le Christ a eu autant de délicatesse dans sa relation avec les pécheurs, c’est
pour qu’à notre tour, nous ne regardions pas tant la faute de la personne que la
personne elle-même qui est un frère, une sœur à aimer, une personne avec
laquelle reprendre des relations nouvelles, riches de cette réconciliation opérée.
C’est bien ce qui doit se passer à l’intérieur d’un couple pour lequel le pardon
donné et accueilli n’est pas oubli du passé mais la possibilité de repartir
ensemble dans un amour mutuel plus fort.
Là encore, la façon dont le pardon sacramentel a été et est encore vécu ne nous
aide pas. Si je vous dis : pénitence, vous allez me répondre : un Pater et 3 Ave.
Et les anciens savent qu’une nouvelle confession devait commencer par dire que
l’on avait accompli sa pénitence ; donc on était quitte avec le Seigneur. Or, que
veut signifier la pénitence ? Que, converti, l’on désire vivre de nouveau avec le
Seigneur et ses frères ; converti, c'est-à-dire tourné vers eux pour les aimer et
non vers moi, comme le montraient mes péchés. Une pénitence, pourquoi pas même si je n’aime pas ce mot - mais qui exprime alors concrètement cet avenir
plus beau vers lequel on est tourné et que le Seigneur nous donne d’accomplir.
À propos de cet avenir, deux remarques : cela m’arrive, mais rarement,
d’entendre dans la confession que la personne est mariée et qu’elle désire vivre
mieux ce sacrement-signe en aimant davantage son conjoint. Il est curieux que
le mariage qui ne peut que marquer tous les domaines de l’existence soit aussi
peu présent dans ce qu’exprime un chrétien dans sa demande de pardon.
Autre point : dans l’évangile, il est très peu question de sexualité et beaucoup
d’argent ; dans les confessions, c’est l’inverse, mais pas pour parler de ses
relations avec le conjoint. Avec les questions d’argent, je range aussi ce qui a
trait à la vie professionnelle et aux questions éthiques qui s’y rapportent.
Encore une fois, nous recevons un sacrement pour devenir sacrement. Nous
recevons le pardon du Seigneur par l’intermédiaire de l’Église pour devenir
porteurs de pardon et donc signes et réalisateurs du pardon de Dieu dans toute
notre vie quotidienne.
5 - L’onction des malades
Avec le sacrement de l’onction des malades, il en est de même. Qu’est-ce que ce
sacrement ? Comme tout sacrement, il est la vie du Christ ressuscité
communiquée à des hommes dans une situation donnée ; ici, à des êtres qui sont
en situation de fragilité, ou des êtres pour lesquels la proximité plus ou moins
grande de la mort fait désirer de manière particulière la rencontre du Christ.
Une rencontre du Christ
De même que sur les routes de Palestine, Jésus rencontrait, ou on lui amenait,
des personnes malades pour qu’il les guérisse, de même aujourd’hui, l’Église lui
amène des malades pour que la puissance de sa Résurrection apporte à chacun
confiance, ouverture, acceptation et courage dans l’épreuve, capacité d’abandon
et en même temps force, morale et spirituelle bien sûr, mais physique aussi et,
pourquoi pas, jusqu’à la guérison.
Cette rencontre est physique ; dans tous les sacrements, il y a un élément
matériel ou physique. La rencontre se fait par le corps. Ici particulièrement,
puisqu’il s’agit de corps malades. Dans un récit de guérison, Jésus mit de la
salive sur les yeux d’un aveugle et lui imposa les mains (Mc 8, 22-26). Dans un
autre, il touche les oreilles et la langue de l’homme malade qu’on lui a amené
(Mc 7, 31-37). Dans le sacrement des malades, après une imposition des mains,
c’est une onction qui est faite avec de l’huile sur le front et sur les mains : le
front, le visage, lieu significatif de la personne, lieu de la volonté, de la décision,
de la réflexion, de l’esprit qui ne peut qu’être touché par la maladie quel que soit
l’organe atteint. Et les mains, symbolique de l’action humaine perturbée
aujourd’hui pour celui qui a vu ses forces décliner.
Un acte du Christ confié à l’Église
Ce que le Christ faisait hier, c’est donc le Corps du Christ qui le fait aujourd’hui
puisque Jésus l’a demandé à ses disciples. Déjà lorsque les Douze ont été
envoyés par Jésus, “ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions
d’huile à de nombreux malades et les guérissaient” (Mc 6, 13). Dans la finale de
l’évangile de Marc, Jésus Ressuscité dit : “Allez dans le monde entier,
proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création … Voici les signes qui
accompagneront ceux qui deviendront croyants :…ils imposeront les mains aux
malades et les malades s’en trouveront bien” (Mc 16, 15.17.18). Et dans la lettre
de Jacques : “Si l’un de vous est malade, qu’il appelle ceux qui dans l’Église
exercent la fonction d’Anciens : ils prieront sur lui après lui avoir fait une
onction d’huile au nom du Seigneur. Cette prière inspirée par la foi sauvera le
malade” (Jc 5, 13-15).
“Quand un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui” dit Paul. Toute
l’Église est donc là, le prêtre qui refait les gestes du Christ, la communauté qui
présente les malades, qui prie, qui les accompagne de sa foi, un peu comme les
porteurs qui descendaient du toit le paralysé.
La mission du malade
Mais si la communauté est là pour porter le malade, le malade reçoit de son côté
une mission vis-à-vis de la communauté. Il est porteur de la tendresse de Dieu.
Un premier témoignage de sa part, c’est celui de la confiance et de
l’abandon. Le malade peut devenir l’enfant dont Jésus dit qu’il faut l’être pour
entrer dans le Royaume des cieux. L’enfant parce que dépendant, obligé de
demander, attendant qu’on le fasse vivre. À cause de, ou grâce à, sa fragilité qui
le fait ressembler un peu à l’enfant, à condition de l’accepter – ce qui n’est pas
mince affaire – le malade revient à l’essentiel : s’en remettre à Dieu dans la plus
grande confiance. Sachant qu’il compte pour Dieu – ‘tu as du prix à mes yeux, et
moi, je t’aime’ (Is 43,4) – il peut dire au Père, comme Jésus sur la croix : “Entre
tes mains, je remets ma vie” (Lc 23, 46). Ma vie de malade, de personne très
âgée, de personne dépressive, aux yeux des hommes passe pour inutile ; je sais
qu’aux yeux de Dieu elle a autant de prix qu’une autre, et je la lui offre telle
qu’elle est, avec ses souffrances, avec ses inquiétudes, avec ses ombres et ses
lumières. Je lui remets tout : “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du
fardeau, et moi, je vous procurerai le repos” (Mt 11, 28). Il y a ainsi une vraie
pauvreté vécue dans la confiance en la fidélité d’un Dieu d’amour, malgré la
maladie et les angoisses qu’elle peut générer. Voilà bien un témoignage utile à la
communauté chrétienne et au monde, ce monde de l’efficacité, de l’utilité, de la
performance.
Un témoignage d’ouverture également et c’est difficile aussi, et nous en
avons encore plus besoin. Grâce à la confiance, de moi en Dieu et de Dieu en
moi, ma confiance grandit vis-à-vis des autres. Cette fragilité qui est mienne, je
ne cherche pas à la cacher ; je me montre tel que je suis. Jésus me dit :
‘Ephpheta : ouvre-toi’ (Mc 7,34); ne laisse pas la maladie te recroqueviller,
rétrécir ton champ de relations. La maladie, au lieu de t’enfermer, peut devenir
créatrice de liens. La fragilité acceptée devient, comme pour les petits enfants,
appel à aimer pour ceux qui m’entourent, et en même temps appel à faire tomber
toutes les carapaces et tous les stratagèmes dont on s’entoure pour masquer ses
faiblesses. Appel à la vérité, à la simplicité. L’essentiel devient ce qui fait
l’humain : la relation. La rencontre se fait plus aisée. Une certaine proximité
physique se crée, une certaine tendresse devient possible.
Il y a encore un autre témoignage : celui de la sérénité et de la joie
intérieure, au-delà des difficultés, des angoisses, des souffrances, avec la
conviction de saint Jean : dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu (1 Jn
3,2), nous sommes aimés, grandement. Et c’est avec cette paix que je peux vivre
joyeusement l’aujourd’hui de Dieu. Et en cela, je peux être d’un réconfort
notable pour tous ceux qui m’entourent.
Tout cela est don de Dieu par l’Esprit qui habite chacun. Comme toute vocation,
celle-ci est un chemin ; et sur ce chemin, le soutien par la prière et la proximité
chaleureuse des frères et sœurs de la communauté est absolument indispensable.
Chaque vocation est soutenue par celle des autres.
Aider Dieu à exister
Je voudrai terminer en évoquant Etty Hillesum.
Dieu s’est révélé en Jésus Christ, lequel, particulièrement par ses sacrements,
nous envoie à son tour pour que, par notre existence, gestes et paroles, nous
continuions à le révéler.
C’est, semble-t-il, ce qu’a compris Etty Hillesum quand elle écrit dans le camp
de transit où elle est : “Je vais t'aider Mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais
je ne puis rien garantir d'avance. Une chose cependant m'apparait de plus en
plus claire : ce n'est pas Toi qui peut nous aider, mais nous qui pouvons T'aider
- et ce faisant nous aider nous même.”
Elle a compris que dans ce camp épouvantable où Dieu semblait absent, ce ne
pouvait être que par elle et d’autres croyants que Dieu pouvait être manifesté. Il
lui fallait aider Dieu à exister en elle et par elle dans ce camp de mort. C’est,
d’une certaine manière, nous qui pouvons faire exister Dieu dans ce monde, en
le révélant, en le manifestant, en l’incarnant. Il se donne à nous pour cela, il
s’incarne en nous par son Fils pour nous diviniser et, par là, se fait connaître.
Voilà bien notre mission, notre vocation d’enfant de Dieu et de disciple de
Jésus ; c’est par là que nous devenons chacun toujours davantage image, c’est
par là que nous trouvons le chemin de la plénitude de notre joie.
L’existence de l’homme aura toujours pour vocation de revêtir Jésus Christ pour
exprimer le mystère de Dieu. Toute l’existence de l’homme est sacramentelle.
Que l’Esprit nous donne donc de vivre chacun notre vocation d’être signe de la
Présence.