Le Sabotage amoureux

Transcription

Le Sabotage amoureux
Classiques
& Contemporains
Collection animée par
Jean-Paul Brighelli et Michel Dobransky
AMÉLIE NOTHOMB
Le Sabotage amoureux
LIVRET DU PROFESSEUR
établi par
JOCELYNE HUBERT
professeur de Lettres
3
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
SOMMAIRE
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Traité logique et philosophique (L. Wittgenstein)
Fragments d’un discours amoureux (R. Barthes)
..................3
.....................3
Esquisse d’une psychologie au cinéma (A. Malraux)
.........4
POUR COMPRENDRE :
quelques réponses, quelques commentaires
Étape 1
Le théâtre des opérations .....................................................5
Étape 2 La guerre du ghetto .....................................................................7
Étape 3 Révolution copernicienne......................................................9
Étape 4 Durcissement du conflit .......................................................10
Étape 5 Extension du champ de bataille ..................................11
Étape 6 Les sentiers de la gloire ......................................................13
Étape 7 Trêve hivernale ..............................................................................14
Étape 8 La débâcle ..........................................................................................15
Étape 9 Épilogues ............................................................................................16
Conception : P.A.O. Magnard, Barbara Tamadonpour
Réalisation : Nord Compo
Traité logique et philosophique, Ludwig Wittgenstein,
Gallimard, 1921
1. Le monde est tout ce qui arrive.
1.1. Le monde est l’ensemble des faits, non pas des choses. [...]
2. Ce qui arrive, le fait, est l’existence d’états de choses. [...]
3. Le tableau logique des faits constitue la pensée. [...]
4. La pensée est la proposition ayant un sens.
4.001. La totalité des propositions est le langage. [...]
6.1261. En logique, processus et résultat sont équivalents. (De ce fait,
point de surprise). [...]
6.1265. On peut toujours concevoir la logique de telle façon que chaque
proposition soit sa propre preuve. [...]
7. Ce dont on ne peut parler, il faut le taire.
Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes,
Seuil, 1977
RAVISSEMENT. Épisode réputé initial (mais il peut être reconstruit après
coup) au cours duquel le sujet amoureux se trouve « ravi » (capturé et
enchanté) par l’image de l’objet aimé (nom populaire : coup de foudre ; nom
savant : énamoration).
1. La langue (le vocabulaire) a osé depuis longtemps l’équivalence de
l’amour et de la guerre : dans les deux cas, il s’agit de conquérir, de ravir, de
capturer, etc... Chaque fois qu’un sujet « tombe » amoureux, il reconduit un
peu du temps archaïque où les hommes devaient enlever les femmes (pour
assurer l’exogamie) : tout amoureux qui reçoit le coup de foudre a quelque
chose d’une Sabine (ou de n’importe laquelle des Enlevées célèbres).
Cependant, curieux chassé-croisé : dans le mythe ancien, le ravisseur est
actif, il veut saisir sa proie, il est sujet du rapt (dont l’objet est une femme,
comme chacun sait, toujours passive) ; dans le mythe moderne (celui de
l’amour-passion), c’est le contraire, le ravisseur ne veut rien, ne fait rien (il
est immobile comme une image), et c’est l’objet ravi qui est le vrai sujet du
4
5
rapt, l’objet de la capture devient le sujet de l’amour – et le sujet de la
conquête passe au rang d’objet aimé. (Du modèle archaïque, subsiste
cependant une trace publique : l’amoureux – celui qui a été ravi – est toujours implicitement féminisé.)
POUR COMPRENDRE : quelques
réponses, quelques commentaires
Esquisse d’une psychologie au cinéma, André Malraux,
Gallimard, 1946
Le cinéma peut raconter une histoire, et là est sa puissance. Lui, et le
roman ; et lorsque le parlant fut inventé, le muet avait beaucoup pris au
roman.
On peut analyser la mise en scène d’un grand romancier. Que son objet
soit le récit de faits, la peinture ou l’analyse de caractères, voire une interrogation sur le sens de la vie ; que son talent tende à une prolifération
comme celui de Proust ou à une cristallisation comme celui de Hemingway,
il est amené à raconter – c’est-à-dire à résumer et à mettre en scène – c’està-dire à rendre présent. J’appelle mise en scène de romancier le choix instinctif ou prémédité des instants auxquels il s’attache et des moyens qu’il
emploie pour leur donner une importance particulière.
Chez presque tous, la marque immédiate de la mise en scène, c’est le passage du récit au dialogue. [...]
Le romancier dispose d’un autre grand moyen d’expression : c’est de lier
un moment décisif de son personnage à l’atmosphère ou au cosmos qui
l’entoure. Conrad l’emploie presque systématiquement et Tolstoï en a tiré
une des plus belles scènes romanesques du monde – la nuit du prince André
blessé qui contemple les nuages après Austerlitz. Le cinéma russe l’employait avec force à sa grande époque.
Le roman semble pourtant conserver sur le film un avantage : la possibilité de passer à l’intérieur des personnages.
Étape 1 [Le théâtre des opérations, pp. 166-167]
1 Les repères géographiques suivent une gradation croissante qui, au
cinéma, se traduirait par un mouvement de zoom arrière élargissant le
cadre : Tien An Men, Pékin, Chine ; mouvement suivi d’un zoom avant
resserrant le cadre, de la ville (Pékin) au quartier (San Li Tun) : le ghetto
qui va servir de cadre à l’action.
L’entrée en scène du personnage est doublement théâtrale : il paraît en posture héroïque au centre de la plus grande place de la capitale de l’Empire
Céleste, et l’ambiguïté du « je » permet d’imaginer des aventures de type chevaleresque (n’était-ce le détail des ventilateurs et la référence à la Bande des
Quatre). À la posture héroïque s’ajoutent les mouvements de zoom décrits
plus haut qui inscrivent le personnage au centre du monde. C’est une ouverture à tonalité épique légèrement décalée par le contraste entre l’écriture, très
recherchée et l’univers enfantin décrit de l’intérieur : vision égocentrique du
monde (l. 20), terminologie affective (l. 6-8), perception déformée du temps
(l. 35-36).
Cette exposition donne le ton du roman : une vision d’enfant, recréée
par un travail stylistique.
2 On retrouve tout au long du roman le dédoublement du regardenfant, cocasse et naïf (l. 53-55), et du regard-adulte (l. 65-66), ironique et
burlesque aussi.
3 Le passage au présent annonce une pause dans le récit, il s’accompagne
du recours à une construction emphatique : « c’est ... » (l. 75, 89, 96,
98-99). La volonté de démonstration est évidente, comme le prouvent les
énoncés de forme proverbiale (l. 75, 78, 89, 92, 114). C’est la première
réflexion sur la Chine, elle émane de l’adulte (l. 86-88) et permet d’associer
l’adulte-narrateur à l’adulte-auteur lorsqu’on connaît sa biographie (cf. p. 5).
4 La fiction romanesque commence au Japon, l’héroïne a quatre ans et
« une esclave » pour la coiffer (p. 11). Elle quitte le Japon et arrive en Chine
à 5 ans, en 1972 (p. 15). La guerre mondiale du ghetto dure de 1972 à 1975.
6
7
La narration commence en Chine en 1974. L’héroïne a 7 ans. Le récit se
poursuit par un retour en arrière composé de quatre fragments (cf. « À
savoir », p. 166).
L’arrivée en Chine se différencie de l’entrée en scène de l’ouverture par la
présence de l’environnement familial et une description précise des circonstances de l’arrivée dans un pays étranger. Le récit est chronologique et explicatif. La première ouverture est plus mystérieuse, plus dynamique également.
5 L’exercice peut être l’occasion d’une révision des compléments circonstanciels d’un point de vue morphologique, sémantique et structural.
L’emploi de la 1re personne dans un récit rétrospectif devrait permettre
d’insister sur les valeurs aspectuelles des temps du passé (que devient la
1re phrase du roman d’Amélie Nothomb si le verbe est au passé simple ?).
On ne négligera pas non plus le problème orthographique de l’homophonie ([e] = ai ; ais ; ait ; etc.).
On peut enfin imposer un verbe de mouvement et effectuer un recensement des verbes de cette catégorie.
6 On peut s’amuser à différencier le « vrai » syllogisme du « faux » à partir des modèles canoniques :
1. Socrate est un homme. Tous les hommes sont mortels. Socrate est mortel.
2. Socrate est mortel. Tous les chats sont mortels. Socrate est un chat.
Le « vrai » établit une relation de transitivité de type : « Si A = B, et que
B = C, alors A = C. »
8 La recherche a pour but de mettre en évidence le contraste délibéré entre
la toponymie réelle : Collines parfumées, Temple du Ciel, Temple des Nuages azurés, Porte de la Paix céleste, etc. et la toponymie dépréciative inventée par
Amélie Nothomb : Boulevard de la Laideur habitable ; l’antithèse du « splendide » (vestiges de l’Empire Céleste) et du « hideux » (République populaire).
Il ne s’agit pas de prise de position politique, mais plutôt d’un point de vue
esthétique sur le caractère déceptif du réel confronté à l’imaginaire : le « Pékin
de tous les jours sent le vomi d’enfant » et regorge d’« immondices ».
10 La liste n’est pas exhaustive, on peut utiliser les ouvertures de romans
dont le manuel en usage présente des extraits et y chercher les indices spatio-temporels, la présence du narrateur, et la nature de l’intrigue !
Étape 2 [La guerre du ghetto, pp. 168-169]
1 Le retour à la fiction est marqué par le retour à l’Histoire (l. 250-254).
La première coalition s’opère selon des critères géographiques, qui excluent
les Alliés historiques (Américains et Anglais : l. 264-266) et un critère géopolitique qui fait de l’Allemand l’ennemi héréditaire (l. 254).
2 Le titre devra mettre en évidence le caractère paradoxal du fragment
(« Vive la guerre », « Éloge de l’ennemi », etc.).
3 L’ingérence parentale reflète le monde géopolitique issu de la
2de Guerre mondiale, puis de la « guerre froide » : l’ennemi n’est plus
l’Allemand de l’Ouest qui fait partie de la nouvelle alliance dont le ciment
est l’anticommunisme ; d’où l’acceptation par les parents de la lutte contre
les Allemands de l’Est, qui font partie de l’autre bloc. La logique des enfants
diffère de celle des parents rassurés de voir leur progéniture lutter contre le
communisme ; or, ni les Russes, ni les Albanais, ni les Bulgares (faisant partie du même bloc) ne les intéressent : seuls les Allemands, qu’ils soient d’Est
ou d’Ouest, incarnent les « méchants », comme les Indiens dans le western
traditionnel ! (cf. l’« aphorisme [...] cryptique », l. 650).
4 Le mot « benjamine » lance le début d’une revue de troupe, riche en
lexique militaire (effectifs, bataillons, armée, patrouille, expédition) au point d’en
être saturée. Le vocabulaire crée un effet de réel qui donne au récit qui va
suivre une grande partie de sa crédibilité, en même temps qu’il apparaît totalement disproportionné avec la réalité par les détails d’âge et de taille des combattants. De ce décalage naît une forme d’humour spécifique à ce récit.
5 Au champ lexical guerrier s’ajoute le champ lexical médical : hôpital
militaire, personnel soignant, gaze stérile, placebo, panacée, etc., utilisé avec le
même sérieux que le précédent. Il donne ses lettres de noblesse, tant du
point de vue stratégique que du point de vue éthique, au premier fait
d’armes : la prise d’une cargaison appartenant à l’ennemi en même temps
que la création d’une antenne médicale sur le front même des combats.
6 Le portrait de l’héroïne en éclaireur fait apparaître des qualités de
noblesse de cœur (l. 436-437) qui sont celles des héros de romans de chevalerie ou de cape et d’épée. Le trait de caractère dominant qui apparaît dans
les fantasmes est la générosité poussée jusqu’au sacrifice (rêves de gloire posthume) alliée à un désir éperdu de reconnaissance – ce que révèlent les fantasmes du « Prix Nobel de médecine ou martyre », leitmotiv du récit.
8
9
7 La première expédition était une agression classique à objectif noble :
soigner les blessés. La deuxième est une opération de commando (à l’arme
bactériologique !) que la morale réprouve (« nous étions immondes ») mais
qui satisfait les bas instincts (« c’était grandiose »).
8 Ce long fragment est centré sur l’interrogatoire du prisonnier, passage
obligé du récit d’aventures (capture et torture de Michel Strogoff !) et des
jeux d’enfants (cf. texte de Louis Pergaud, pp. 185-187 du livre de l’élève).
La séquence fait l’ellipse des circonstances de la capture pour ne s’intéresser
qu’à la torture.
Après une courte exposition (l. 588-602), les trois temps forts du récit
suivent une gradation croissante (l. 603-680 : « orgie intellectuelle » ; l. 681690 : « audace dans le mal » ; l. 691-713 : recours à « l’arme secrète »).
9 « L’univers existe pour que j’existe » (l. 721) est plus subjectif que
« Le monde est tout ce qui a lieu » (l. 37 et 207). Il est reformulé, lignes
722-728, 734-735, 737-738 ; chaque variante de l’énoncé apporte un développement à l’affirmation initiale et pousse l’égocentrisme jusqu’à l’hypertrophie ! Plus dure sera la chute... (l. 755-756).
13 Les coalitions ne correspondent pas aux alliances historiques, puisque
les Anglais, les Américains et les Allemands de l’Ouest ne participent pas à
la « guerre du ghetto » (pour des raisons géographiques, cf. question 1).
Cependant, elles reflètent, dans une certaine mesure, la politique de
l’époque : la Yougoslavie de Tito figurait au nombre des pays non alignés ;
quant aux Roumains, ils faisaient presque alors figure de dissidents au sein du
bloc soviétique, ainsi que les Albanais, proches des communistes chinois.
14 La référence à Kusturica est à double détente : tous ses films, depuis
Te souviens-tu de Dolly Bell ? (1981) à Chat noir, Chat blanc (1998), s’attachent au monde de l’enfance et mêlent des scènes cocasses et burlesques
(souvent scatologiques) aux situations les plus atroces. Comme les romans
d’A. Nothomb, les films de Kusturica ont été immédiatement remarqués,
couverts de prix, mais ont aussi déclenché des polémiques (Underground,
1995). Si l’on envisage l’époque d’écriture du roman, publié en 1993, on
constate qu’il coïncide avec l’éclatement de la Yougoslavie et le siège de
Sarajevo, où est né Emir Kusturica.
Étape 3 [Révolution copernicienne, pp. 170-171]
1 Hyperboles, comparaisons emphatiques et anaphores soulignent la
violence du coup de foudre. Le portrait d’Elena est assez précis pour être
dessiné et peint : couleur des yeux, de la peau, des cheveux, de la robe. Un
adjectif résume ses qualités physiques : « belle » ! Un autre, ses qualités
morales : « méchante » ! « À peu de chose près », cette image ne changera
guère !
4 Le trouble de l’héroïne est suggéré par les questions qu’elle se pose et
qui contrastent avec ses habituelles affirmations péremptoires (l. 965-966,
973, 981, 985). Le « déplacement intellectuel » qu’entraîne la rencontre
avec Elena est marqué par le lexique de la compréhension (découvrir, sentir,
comprendre, expliquer, mystères, raisons) que l’auteur lie à la nouveauté de la
situation (l. 960-964) et au caractère irrationnel de ses réactions. Elle
découvre, sans le formuler encore, que « le cœur a ses raisons que la raison
ne connaît point » (Pascal).
5 L’enchaînement des quatre « accidents » est de type cause/conséquence. L’irrationnel est dans le premier accident (coup de foudre). Le passage entre guillemets signale un discours rapporté au style direct ; c’est un
monologue intérieur qui relaie le récit (l. 1005-1017). L’apparition du
conditionnel montre l’activité de l’imaginaire (fantasmes morbides) lorsque
la raison, puis le corps sont littéralement pétrifiés. Le mouvement de la
course est l’inverse de celui de l’ouverture, mais emprunte le même itinéraire. Il peut paraître symbolique (sortie du ghetto) de l’état du personnage
qui tente de briser son enfermement mental et de retrouver la bienheureuse
« aérophagie tentaculaire du cerveau ». Il y parvient par la violence de l’effort physique ressenti de l’intérieur par le lecteur grâce aux images suggestives (l. 1043-1047).
6 Le dialogue permet le dévoilement par un autre personnage de la
mythomanie de la narratrice (qu’elle ne peut donc démasquer elle-même).
Elena refuse d’entrer dans le jeu de l’héroïne, comme elle refuse d’entrer
dans le jeu de la guerre (on verra plus loin qu’elle se plie aisément aux règles
imposées par les adultes et par la société en général). L’héroïne compte sur
son « obstination », proche de l’autosuggestion, pour préserver son « cheval ». Le rythme de l’incantation finale est celui d’un galop effréné dont le
lyrisme tranche sur l’ironie des pages précédentes. Désormais le parallé-
10
11
lisme des péripéties amoureuses et guerrières va s’affirmer. Le rapprochement des captures met en évidence l’humiliation des prisonniers (corps de
l’ennemi, cœur de l’amante).
10 La première rencontre est au roman d’éducation ce que l’interrogatoire
du prisonnier est au roman d’aventures : un passage obligé, qu’A. Nothomb
emprunte, tout en le pervertissant. Les coups de foudre littéraires sont souvent
réciproques et font la part belle à l’échange de regards. Or, dès le premier instant, Elena « sortit de la voiture et ne me vit pas ». « Elena est aveugle. » Elle
aime être regardée. En toute logique, elle devrait donc aimer celle qui la
regarde ! Mais Wittgenstein est devenu hors sujet. Le centre du monde s’est
déplacé : il ne coïncide plus avec le « cœur » du sujet amoureux !
Étape 4 [Durcissement du conflit, pp. 172-173]
2 Le vocabulaire guerrier sature le récit, stricto sensu, dans les épisodes
guerriers et, au sens figuré, dans les joutes amoureuses. L’épisode de la
bataille de l’hôpital peut être l’occasion de recenser et de classer le lexique
dans la perspective du commentaire de texte.
Un premier champ lexical apparaît avec le mot « guerre » suivi de :
bataille, secrets militaires, espions, bases, soldats, ennemi, capture, offensive,
conseil de guerre, armée, mots utilisés dans leur sens dénotatif.
Un deuxième champ lexical psychologique élargit le premier et apporte
une interprétation morale au contexte de guerre : mouchard, traître, lâches,
félon, sévice, torture, trahir, se dérober au châtiment, accusé, bassesse.
Quant au champ sémantique de la guerre, il couvre le sens général de
lutte, puis de stratégie (« secrets militaires »), de conflit historique précis
(« la guerre du ghetto »), d’action (« bataille de l’hôpital ») et d’hostilité
(haine pour Claudio). Ce simple exemple permet de mettre en relation
thèmes et champs lexicaux ; de distinguer détonation (« soldat ») et connotation (« mouchard »), caractérisation positive (« épique », « martyres ») et
négative (« veule », « médiocres ») et de jouer sur la polysémie des mots pour
entretenir l’ambiguïté des situations.
4 Les deux faits d’armes ont le même objectif militaire : établir une base
secrète servant d’antenne médicale et sauvegarder la cargaison de médicaments
destinés à l’armée. On retrouve les mêmes critères sélectifs dans les deux épisodes : un lieu clos et secret. Mais on peut remarquer l’aggravation de la pré-
carité du 2nd lieu, difficile d’accès et moins adapté à sa fonction hospitalière
(proximité de l’arme secrète). L’extension du conflit tient à la découverte du
nouvel ennemi (chinois) qui, en condamnant l’accès à l’hôpital, entraîne les
Alliés à commettre un nouveau « crime » : condamner à mort (« pour de vrai »)
les habitants du ghetto qui chercheraient à fuir un éventuel incendie (p. 73).
La ponctuation exclamative et interrogative ainsi que la syntaxe (phrases
nominales) actualisent les émotions ressenties par l’enfant au cours de cette
guerre (l. 1370-1374, 1451-1456). De la même manière, le vocabulaire
emphatique rend compte de la vision déformée de l’enfant égocentrique
(« scandale », « gloire », « révéler à la face du monde », « martyrs internationaux »). La progression de l’emphase dans le fragment est également révélatrice de la montée d’une excitation typiquement enfantine à l’œuvre dans
les jeux, mais qui n’excède pas le temps d’un jeu : l’enfant ne fantasme pas
le futur, trop « abstrait » (p. 76).
7 La longue phrase des lignes 1322-1335 est un monologue dont la syntaxe est celle de la langue parlée (dans un registre élevé) et dont la progression suit celle d’un raisonnement, fort peu rationnel, dicté par la passion.
En ajoutant des marques de ponctuation, on peut soit souligner le caractère
émotif du passage (/!/?/.../), soit le neutraliser en juxtaposant des phrases
courtes, séparées par des points. Sans changer le sens général, on change la
tonalité : on passe de l’émotion à l’argumentation.
8 et 9 Exercices d’application des notions stylistiques abordées dans cette
étape : neutralité du récit (8) et subjectivité du portrait (9) demandent un
emploi judicieux du lexique (cf. « À savoir », p. 173).
Étape 5 [Extension du champ de bataille, pp. 174-175]
1 Les « meilleurs souvenirs de l’École française » (l. 1756-1757) viennent
de ce qu’elle « n’avait pas grand-chose à voir avec l’enseignement ». On n’y
apprend rien (l. 1704-1710), il n’y a pas d’enseignants (l. 1711-1716), la
seule activité est le combat (l. 1741-1747), seul moyen de communication
entre non-francophones.
3 Le récit cède la place au discours de manière tranchée : alinéa, énoncé
lapidaire (au présent), vocabulaire philosophique (« précisions ontologiques »). Réflexion sur « l’Être » et non plus sur « l’Univers », dont le centre
s’est déplacé et ne coïncide plus avec l’ego qui vient de découvrir l’autre
12
13
(cf. « altruisme », p. 56). En quittant le domaine de la logique pour celui de
la métaphysique, la narratrice conserve le point de vue enfantin (prépubère,
cf. l. 1806-1807) et le goût du paradoxe. L’image valorisante de la femme
est à la fois conformiste – statut classique de la mère, infirmière, éducatrice – et « révolutionnaire » : sexisme inversé de la propagande égalitaire
montrant la femme dans des activités professionnelles réputées masculines.
Le glissement d’un sexisme à l’autre est évidemment comique puisque, dans
ce monde inversé, l’autre sexe est infériorisé et « ridiculisé » : l’auteur insiste
sur les clichés de l’argumentation classique de la supériorité masculine qui
tiendrait au « quelque chose en plus » qui manquerait aux femmes. Non
seulement, le 2e sexe serait le 1er, mais sa subdivision d’avant/après la
puberté (p. 95) aboutit à la supériorité paradoxale de la petite fille sur la
femme. Difficile de ne pas voir dans cette envolée lyrique sur les petites
filles une revendication narcissique qui éclaire la nature du sentiment
amoureux pour un « alter ego » idéalisé. Toute blessure amoureuse serait
donc blessure narcissique (la suite du roman tend à le prouver !).
L’erreur de la petite fille est d’établir un lien entre l’amour et la raison
(l. 1917-1919). L’épisode suivant souligne son erreur : elle ne peut
convaincre Elena de l’aimer, ni de ne pas aimer Fabrice. En s’y employant,
c’est elle qui devient ridicule (cf. question 4).
6 Plusieurs procédés d’amplification marquent l’élargissement du regard
sur la Chine. D’abord l’énumération accumulative des fervents de la Chine :
la sinomanie, évoquée page 13, se module en cinq variantes page 108 ; ses
splendeurs tenaient en deux lignes page 14, il en faut cinq fois plus page 109
(tout n’étant pas élogieux – persistent « crasse » et « cruauté » – mais le vocabulaire dépréciatif est minoritaire). L’amplification touche surtout la « prétention » (p. 13) qu’apporte l’« adoubement » de la Chine et qui va jusqu’à
provoquer une hypertrophie de l’ego : « La tendance de l’individu est de voir
en la Chine l’émanation géographique de soi-même. »
7 Propositions de reformulation :
– L. 2182-2184 : Parce que la Chine est un pays de légende et de mystère, on a tendance à la voir comme une projection de ses pulsions secrètes.
– L. 2190-2193 : C’est pourquoi en dénigrant la Chine, on ne fait rien
d’autre que se mortifier soi-même.
– L. 2201-2204 : « Préhistoire », « Chine » et « civilisation » sont des
termes redondants puisque la civilisation de la Chine peut être considérée
comme la préhistoire de toute civilisation.
Étape 6 [Les sentiers de la gloire, pp. 176-177]
3 Sur le front de l’amour, l’héroïne a déjà remporté deux victoires, en provoquant une légère émotion chez Elena : la première en lui rapportant la trahison de son frère (médisance), la deuxième en lui rappelant la trahison de son
fiancé (calomnie). Mais rien ne blesse Elena (« [in]accessible », l. 2304) alors
qu’Elena a « de quoi [faire] tomber raide mort en une seconde » (l. 2457). À
défaut de blesser l’intouchable, l’amoureuse va tenter de l’impressionner par
une (é)preuve qui rappelle les exploits de l’amour courtois dans les romans de
chevalerie. Il s’agit d’ailleurs d’une course – sans cheval cette fois – dans un
enclos (la cour de l’école) qui rappelle les lices où se déroulaient les tournois,
ou bien l’arène où le gladiateur doit affronter les bêtes féroces...
4 Les parents sont déjà intervenus dans le jeu de la guerre : ils ont imposé
le retrait des Allemands de l’Ouest de la coalition ennemie pour éviter que le
jeu dégénère en incident diplomatique, par solidarité des parents avec leur
progéniture. L’ingérence maternelle montre les mêmes qualités, diplomatiques et pédagogiques, que l’incident précédent : au lieu d’une interdiction
qui ne pourrait qu’entraîner la transgression, elle propose une stratégie efficace, reposant sur une bonne connaissance du cœur humain (amour/miroir).
La nouvelle scène de torture met en évidence l’évolution du conflit. Le rituel
est immuable (« orgie intellectuelle », suivie d’immersion dans « l’arme
secrète ») mais des détails s’y ajoutent, qui soulignent la cruauté des tortionnaires : la description précise des sévices a remplacé le délire verbal et l’anonymat a disparu. L’ennemi nommé Werner devient plus familier et ses souffrances gagnent en réalisme. Quant à l’héroïne, trop petite pour participer
auparavant aux joutes oratoires qu’elle ne comprend pas et aux exactions qui
ne concernent pas « l’éclaireur », elle s’implique et s’illustre dans un nouvel
exploit : pisser debout, comme un soldat mâle, et sur la tête du chef ennemi
– ce que personne n’avait osé faire ! Grâce à ces deux prouesses, l’une noble
(la course), l’autre infâme, l’héroïne atteint le sommet de la gloire et parvient
même à impressionner son idole, la belle indifférente, peut-être cruelle, mais
certainement un peu snob (ne s’intéressant à l’autre petite fille que lorsqu’elle
est devenue célèbre).
14
15
Étape 7 [Trêve hivernale, pp. 178-179]
1 À l’apogée de la fièvre guerrière succède la trêve hivernale qui gèle
toutes les entreprises et coïncide avec l’arrivée de la neige. C’est l’occasion,
pour le lecteur aussi, de faire le point sur la valeur de ce motif récurrent en
étudiant d’abord sa place dans la structure romanesque. Dans Le Sabotage
amoureux, l’hiver joue le rôle de la 2de force qui va relancer l’intrigue en
provoquant de nouvelles péripéties. Le leitmotiv de la neige peut orienter
l’étude de la structure vers la composition musicale ; celle de la fugue se
superpose parfaitement au déroulement du récit.
Le motif de la neige a surgi la première fois (« Étape 4 »), après le bouleversement de l’univers, en accompagnement du thème amoureux (rêverie
fantasmatique). Il réapparaît en liaison avec le même thème (« Étape 5 »)
dans le récit imaginaire de la rédaction scolaire. Liée aux fantasmes, la neige
connote le froid de la mort ou de l’amour (non partagé). Elle évoque par
antithèse le feu qui dévore l’héroïne – selon une rhétorique typiquement
baroque (cf. poèmes de L. Labbé). Le motif de la neige accompagne donc la
blanche Elena, blanche comme Yseut aux blanches mains, comme Hélène
aux bras blancs, comme les princesses de contes de fées... Liée à la réalité
hivernale, la neige prend des valeurs ambivalentes. Toujours symbole de
beauté (quand elle est pure), elle devient symbole de laideur quand elle est
contaminée par le sol pékinois. Elle est enfin symbole de cruauté (p. 137).
Son ambivalence est donc celle d’Elena : si belle et si cruelle ! Ce symbolisme se poursuivra jusqu’à la fin du roman : Elena fera « fondre » la carapace de glace dont se protégeait l’héroïne, en pleurant de façon spectaculaire. Une fois la fonte amorcée, plus rien ne pourra arrêter la débâcle.
3 Le mot « apparition » (l. 2713) dénote d’abord la soudaineté de l’image,
comme un flash de cinéma (ou une épiphanie !). Il connote le fantastique de
la vision et le caractère surnaturel, voire divin, de la créature apparue (du
genre qu’on adore à genoux dans la boue !). Le climat est adapté au comportement de l’héroïne (gel du sol et du discours), mais pas à son sentiment,
d’autant plus violent qu’il est contraint. Sentiment qui éclate devant l’image
« sacrilège » de la déesse risquant de s’écorcher les mains. On peut penser
qu’Elena savait ce qu’elle faisait comme Salomon, proposant de partager un
bébé que se disputaient deux « mères », fit réagir la vraie.
Étape 8 [La débâcle, pp. 180-181]
1 La métaphore : « une fleur est un sexe géant » est le renversement du
cliché : « la femme est une fleur », lui-même tronqué en synecdoque énigmatique (provocation ou distraction de l’auteur ?). La fleur est-elle un sexe
mâle ou femelle ? Compte tenu du retournement du cliché et des comparaisons féminines qui suivent, nous optons pour un sexe féminin. La métaphore de départ est relayée par l’adjectif « moches », puis par la comparaison « comme des mannequins », s’opposant à « fagotées » ; le vocabulaire
dépréciatif se poursuit avec « vilaines » et « inélégantes ». Remarquons qu’à
l’image « fleur/femme » s’ajoute celle des « pétales/robes » et que ce passage
semble parodier Ronsard (« Mignonne, allons voir... ») !
4 Ce fragment établit un parallélisme entre Elena et Hélène de Troie, et
permet à l’auteur d’abandonner la subjectivité de l’enfant, pour donner son
point de vue sur les deux thèmes principaux de l’amour et de la guerre. En
amour, « chacun sa spécialité ». Il y a ceux/celles qui ont besoin d’aimer et
de donner (les masochistes) et celles/ceux qui ont besoin d’être aimé(e)s et
regardé(e)s (les narcissiques). Constatation moins pessimiste qu’il n’y
paraît : la masochiste a satisfait son goût du martyre et la narcissique celui
des miroirs. Chacune y a trouvé ce qu’elle cherchait (remerciement de la
fin). Quant à la guerre de Troie, comme toutes les guerres, y compris celle
de San Li Tun, elle n’a pas d’autre cause que le goût de l’« Homo ludens »
pour le « bon passe-temps », n’en déplaise à Homère. Et si l’on admet que
le désir de guerre n’est en fait qu’un désir de duel avec un « adversaire digne
de soi » (Hector/Achille ; Horace/Curiace), alors la joute amoureuse constitue le combat idéal (l. 3115-3117). Il s’agit là bien entendu d’une vision de
l’amour proche de celle des libertins du XVIIIe siècle.
5 La cruauté d’Elena est manifeste (l. 3339, 3358-3359), et dans chacune de ses répliques. La métaphore du « cœur peu nourri » convient à la
situation. L’image se poursuit avec « crevait de faim », dont la familiarité
tranche sur le registre de langue très soutenu et renforce la métaphore du
manque, relayée par une comparaison : « comme les chats trop affamés, il
n’osait pas manger » qui contraste avec celle de l’ange. La lutte s’annonce
inégale entre l’ange resplendissant et la bête famélique ! D’abord, la malheureuse croit trouver le salut dans la fuite (« je tournai les talons »), mais
16
elle est tétanisée (l. 3219-3221) à l’appel de son nom (comme si elle avait
reçu une flèche entre les omoplates) avant d’être « torpillée » par des larmes
trop belles pour être sincères. La lucidité de l’héroïne ne l’empêche pas de
tomber dans le piège (cf. scène de la pioche). Contrairement à Elena, elle
ne peut masquer ses sentiments : le premier aveu entraîne la rupture de la
digue qui déferle et l’engloutit (cf. scène de la course). Comme la première
fois, la scène a des spectateurs : ce sont les mêmes qui avaient assisté à ses
exploits et qui sont maintenant les témoins (affligés) de son humiliation.
8 – Tel père, tel fils ! ≠ À père avare, fils prodigue !
– Chat échaudé craint l’eau froide ! ≠ Chat échaudé retournera à la chaudière !
Étape 9 [Épilogues, pp. 182-183]
1 La succession des sentiments éprouvés suit une gradation ascendante,
puis descendante : fierté/orgueil/consternation/opprobre/honte.
L’antithèse des deux extrêmes montre la réversibilité des affects et des
états d’âme en général. L’héroïne est passée de l’état de bourreau (de
Werner) à celui de victime (d’Elena), de la gloire à l’humiliation, du statut
de martyre au statut de clown.
2 La fin de la guerre sert de contrepoint à la fin de l’histoire d’amour. La
reddition fait écho au sabotage, les deux étant également « réussis » : « Le
Népal accepta la paix » (antiphrase). La chute du fragment peut s’interpréter de plusieurs façons : l’amante bafouée se venge sur les autres (interprétation romantique), l’amour (comme la guerre) est un jeu à règles fixes qui
permet de changer de rôle (interprétation libertine).
Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est
illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue
auprès du Centre Français d’exploitation du droit de Copie (CFC) – 20, rue des Grands-Augustins –
75006 PARIS – Tél. : 01 44 07 47 70 – Fax : 01 46 34 67 19.
ISBN 2-210-05020-0
© Éditions Magnard, 2001
www.magnard.fr
9
782210 050204