Veille sanitaire : outils, fonctions, processus
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Veille sanitaire : outils, fonctions, processus
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 Note pédagogique Veille sanitaire : outils, fonctions, processus ‘‘Veille sanitaire’’: Tools, functions, process of healthcare monitoring in France D. Eilstein *, G. Salines, J.-C. Desenclos Institut de veille sanitaire, 12, rue du Val-d’Osne, 94415 Saint-Maurice, France Reçu le 28 novembre 2011 ; accepté le 6 mars 2012 Abstract In France, the term ‘‘veille sanitaire’’ is widely used to designate healthcare monitoring. It contains, however, a set of concepts that are not shared equally by the entire scientific community. The same is true for activities that are part of it, even if some (surveillance for example) are already well defined. Concepts such as ‘‘observation’’, ‘‘vigilance’’, ‘‘alert’’ for example are not always clear. Furthermore, the use of these words in everyday language maintains this ambiguity. Thus, it seemed necessary to recall these definitions as already used in the literature or legislation texts and to make alternative suggestions. This formalization cannot be carried out without thinking about the structure of ‘‘veille sanitaire’’ and its components. Proposals are provided bringing out concepts of formated ‘‘veille’’ (monitoring) and non-formatted ‘‘veille’’ (monitoring). Definitions, functions, (methods and tools, processes) of these two components are outlined here as well as the cooperative relationship they sustain. The authors have attempted to provide the scientific community with a reference framework useful for exchanging information to promote research and methodological development dedicated to this public health application of epidemiology. # 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Epidemiologic surveillance; Vigilance; Epidemic intelligence; Concepts Résumé Aujourd’hui, en France, le terme « veille sanitaire » est largement utilisé. Il recouvre, cependant, un ensemble de notions qui ne font pas toujours consensus. Il en va de même pour les activités qui lui sont rattachées, même si certaines comme la surveillance font déjà l’objet de définitions acceptées par tous. Les concepts d’observation, de vigilance, d’alerte, par exemple, n’ont pas toujours été bien cernés. Par ailleurs, l’utilisation de ces mots dans le langage courant entretient cette ambiguı̈té. Aussi, nous a-t-il paru nécessaire de rappeler ces définitions lorsqu’elles existaient dans la littérature ou les textes législatifs et de faire des suggestions dans le cas contraire. Cet effort de formalisation ne pouvait être mené à bien sans une réflexion sur la structuration de la veille sanitaire et de ses composantes. Là aussi, des propositions sont faites, faisant émerger les notions de veilles « préformatée » et « non préformatée » : des définitions, des fonctions et des composantes de fonctionnement (méthodes et outils, processus) de ces deux modalités de la veille sanitaire sont proposées ici ainsi que les rapports de coopération qu’elles entretiennent. L’intention est de fournir à la communauté scientifique un cadre de référence permettant d’échanger les informations tirées de l’activité de veille, mais aussi de promouvoir des travaux de recherche et de développement méthodologiques dédiés à cette application de l’épidémiologie en santé publique. # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Surveillance épidémiologique ; Vigilance ; Veille sanitaire ; Concepts 1. Introduction En France, les notions de surveillance, de veille, de vigilance, d’observation ne font pas, ou du moins pas toutes, * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Eilstein). l’objet d’un consensus quant à leur définition et leur champ. De plus, elles n’ont pas émergé de la même façon. La surveillance dite épidémiologique ou de santé publique, est, en effet, la seule qui dispose d’une définition fondée sur une approche conceptuelle [1,2]. La vigilance, quant à elle, a été spécifiée d’un point de vue réglementaire et a suscité une tentative de définition épidémiologique [3] ; dans l’un et l’autre cas, cette définition n’épuise pas le contenu de cette activité [1]. Ces 0398-7620/$ – see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2012.03.005 402 D. Eilstein et al. / Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 notions sont, de plus, au cœur d’enjeux de territoires impliquant les différentes agences de sécurité sanitaires. Ces enjeux pourraient être aussi au cœur de rapports de force professionnels : la vigilance, s’appuyant sur la notification spontanée, sans « regard » sur la population et privilégiant l’utilisation de critères d’imputabilité individuels, serait ainsi l’outil du clinicien alors que la surveillance, fondée sur la dimension populationnelle de l’observation et de l’analyse des risques, appartiendrait en propre à l’épidémiologiste. Ainsi, selon certains, la vigilance est incluse dans la surveillance, pour d’autres, c’est l’inverse (la vigilance serait un composé de « veille » et de surveillance appliquée à un domaine particulier), d’autres, enfin, pensent qu’elles sont juxtaposées, voire ont une partie commune. . . Les États-Unis, en revanche, ne font pas la différence entre ces deux notions (on parle de surveillance of adverse effects). L’observation est encore plus mal définie, d’autant plus que la confusion est, en apparence, entretenue institutionnellement depuis l’émergence des observatoires de santé dont l’activité serait proche de la surveillance épidémiologique [4]. Quant à la veille sanitaire qui s’est construite plus récemment [5], elle est tout naturellement contrainte de voir son objet et son périmètre flous et variables selon les époques et les événements. Ainsi, sans être confondues, ces notions n’en sontelles pas moins souvent difficiles à séparer (l’observation et la surveillance, la veille et l’alerte, la veille et la vigilance, par exemple) et à situer précisément dans le champ de la santé publique et dans celui de la sécurité sanitaire [5,6]. Le recours au(x) dictionnaire(s) n’aide pas vraiment, beaucoup de définitions se renvoyant l’une à l’autre : la surveillance, comme « ensemble des actes par lesquels on exerce un contrôle suivi. . . », impliquerait « une observation de la part de celui qui observe et une visibilité de la part de celui qui est surveillé ». Surveiller serait «. . . veiller particulièrement et avec autorité sur une personne ou sur une chose. . . observer attentivement. . . ». L’observation se confondrait avec « l’activité de celui qui. . . examine des faits et les mesure ». La veille correspondrait à un « moment sans sommeil » et veiller serait être vigilant. Quant à la vigilance, elle serait une « surveillance attentive sans défaillance. . . »1. Cela n’est pas surprenant car les mots sont très proches voire emboı̂tés : ainsi, par exemple, « surveiller » veut-il dire « sur-veiller » au sens de veiller intensément ou « veiller sur » ? La santé publique n’est pas le seul champ ayant recours à la veille. Cette dernière peut être technologique, environnementale, juridique ou réglementaire, commerciale ou concurrentielle, stratégique, médiatique, entre autres. La façon dont ces autres disciplines la conçoivent est, d’ailleurs, assez proche, dans le principe, de ce qu’est la veille sanitaire. Sont ainsi retrouvés les attributs « organisé », « intégré », les composantes « collecte », « traitement », « diffusion », « exploitation » de l’information ainsi que la vocation à réagir face à une (ou des) 1 Ces définitions sont extraites de trois sources : le dictionnaire encyclopédique Quillet, édition 1977, le Petit Robert, édition 2004 et l’encyclopédie philosophique universelle. Les notions philosophiques. Dictionnaire 2. PUF, 1e éd. 1990. menace(s), d’« explorer les possibles » et d’« anticiper ». En matière d’accès à l’information, certains utilisent l’image « technique de commando » pour la veille versus l’activité d’« armée régulière » à laquelle correspondrait le travail de documentation [7] qui pourrait correspondre à ce que nous appelons la surveillance épidémiologique : cette dernière utilise des techniques systématiques et méthodiques alors que les méthodes de la veille se doivent d’être souples et diversifiées. Le langage courant fait largement usage de ces notions. Surveiller le lait en train de bouillir s’adresserait à l’événement « débordement » (variable valant 0 ou 1) ou au niveau du lait (variable continue), par exemple. La vigie sur un bateau, exerce une. . . vigilance : ce n’est pas de la surveillance car elle ne se focalise pas sur un type d’événement, mais elle se veut sensible à tout ce qui peut arriver, à tous les événements surgissant dans un « champ » particulier, en l’occurrence l’horizon (la vigie ne s’occupe pas de ce qui se passe sur le bateau car il y a, pour cela, déjà un homme de quart à la barre, déjà quelqu’un à la chambre des machines etc.). La vigilance serait ainsi une activité de veille « ouverte ». La marche du randonneur alterne activités de vigilance (la plupart du temps, l’état d’attention n’est pas focalisé) et de surveillance s’il aborde un terrain plus difficile. Le meilleur exemple de la notion de veille dans la vie courante est celui du veilleur de nuit. Ce dernier fait sa ronde à intervalle régulier, passe par des endroits donnés et effectue des vérifications programmées et, ainsi, effectue une activité de surveillance. Mais, de façon continue, il est attentif à tout ce qui peut survenir à l’intérieur du périmètre dont il a la responsabilité et, en cela, exerce une vigilance. La veille est alors la combinaison des deux activités. Au bout du compte, le langage courant semble opposer une activité de veille ciblée, la surveillance, à une activité de veille non ciblée a priori, la vigilance. Face à ces difficultés, cet article a pour objectif de proposer un cadre conceptuel relatif à la veille sanitaire, de décrire l’organisation de celle-ci et d’identifier ses composantes, de donner les définitions des différentes entités mentionnées cidessus. Cette approche doit aider à dissiper la confusion qui caractérise ces notions et, par-là, rationaliser la mise en place des systèmes de veille et de surveillance et leurs sousensembles ainsi que leur analyse et leur évaluation. Avant de proposer un cadre conceptuel de la veille sanitaire proprement dite, les notions d’observation, de surveillance et de vigilance telles qu’on les entend aujourd’hui seront abordées car elles sont des composantes de la veille. Le cadre conceptuel, outre des propositions de structuration de ces notions, précisera les outils de la veille sanitaire. 2. Observation, surveillance, vigilance, veille 2.1. Observation L’observation prend différents sens selon les auteurs : « recueil d’information. . . ayant pour objectif la gestion du système de santé et son amélioration régulière, à travers l’étude de phénomènes de santé à moyen et long terme » pour le Haut comité de santé publique [1]. Elle peut être, selon d’autres, une D. Eilstein et al. / Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 activité de recueil, d’agrégation, d’analyse de données sanitaires et de synthèse et, parfois, de projection dans le futur [4] et, donc, recouvrir la notion de surveillance. Les mêmes auteurs écrivent que les observatoires produisent une information régionale pertinente sur des temps très courts, permettant de donner des réponses rapides à une échelle locale. Elle pourrait être, aussi, un recueil « tous azimuts » d’informations utiles à la gestion du système de santé sans nécessité d’action immédiate, comme, par exemple, la mortalité par tumeurs de 1995 à 1997 ou la proportion de fumeurs dans une classe d’âge donnée [2]. Si la surveillance, comme on le verra dans le paragraphe suivant, diffère sensiblement de l’observation, les statistiques de santé – et donc l’observation – peuvent être la base d’un système de surveillance dès lors qu’elles sont suivies de manière systématique et continue dans une perspective d’action de santé publique [2]. L’observation, finalement, est aussi un outil qui contribue à la surveillance en ce qu’elle met en place des outils comme l’extraction de données à partir des bases déjà constituées ou comme les enquêtes afin de répondre à des questions ou des demandes précises concernant la distribution – dans le temps et l’espace, et selon la nature de la population – des faits sanitaires (pathologies et exposition à des facteurs de risque). 2.2. Surveillance épidémiologique Stephen B. Thacker, en 1996, définit la surveillance de santé publique (ou surveillance épidémiologique) de la façon suivante : Public health surveillance (sometimes called epidemiologic surveillance) is the ongoing and systematic collection, analysis, and interpretation of outcome-specific data essential to the planning, implementation, and evaluation of public health practice closely integrated with the timely dissemination of these data to those who need to know. The final link of the surveillance chain is the application of these data to the control and prevention of human disease and injury [8]. Cela peut se traduire, de façon plus concise : « processus continu et systématique de collecte, d’analyse et d’interprétation de données pertinentes, diffusées en temps opportun à ceux qui en ont besoin, en vue d’une action de santé publique ». Cette définition est très proche de celle adoptée par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), huit ans plus tôt. Elle généralise la notion de données au-delà du champ purement sanitaire et précise l’utilisation par « ceux qui en ont besoin » des informations issues de la surveillance. Cette définition rajoute, enfin, à celle de Benenson [9] qui était déjà relativement complète, la notion d’information nécessaire à la prévention. Il est possible de structurer cette définition en la précisant, de la façon suivante : ! processus permanent et organisé : " de collecte des données pertinentes relatives aux : – expositions aux facteurs dont les effets sanitaires délétères ou protecteurs, sont suspectés ou reconnus, – événements de santé, 403 – caractéristiques des populations à risque, – données de susceptibilité ou de vulnérabilité individuelles ou collectives aux facteurs cités plus haut, – interventions ; Cette collecte peut être soutenue si besoin est par des enquêtes ou des études ponctuelles ou répétées. " de fabrication d’indicateurs à partir de ces données puis à partir des relations entre ces indicateurs dans le cas où ces relations existent et sont établies2, " d’analyse, de suivi et d’interprétation de ces indicateurs, " de diffusion des résultats des analyses et de leur interprétation en temps opportun à ceux qui en ont besoin ; ! en vue : " d’une information, de la détection ou de l’anticipation de modification de l’état de santé des populations (risques ou bénéfices), " d’une action de santé publique : – de contrôle, – de prévention des expositions et/ou des maladies et de l’évaluation de ces actions. La surveillance des maladies est, ainsi, un cas particulier focalisé sur la dynamique des maladies, de la surveillance épidémiologique. Rappelons, comme dit plus haut, qu’il existe deux grands types de surveillance, selon le niveau d’agrégation de l’information dont on veut disposer : la surveillance spécifique comme, par exemple, la surveillance des intoxications oxycarbonées [10], des effets sanitaires de la pollution atmosphérique [11], des infections nosocomiales [12]3, de la consommation hospitalière d’antibiotiques [13]4, des cancers, entre autres, et la surveillance non spécifique ou surveillance syndromique, comme le système Sursaud1 [14,15]. 2.3. Vigilances Nous employons le pluriel « vigilances » à dessein car il n’existe pas de définition de la vigilance en santé publique à proprement parler. Les différentes activités relevant de la vigilance ont été, sinon définies, plutôt encadrées par le Code de la santé publique, au fur et à mesure des besoins. En France, les dispositifs de vigilance incluent la pharmacovigilance (articles R. 5121-150, R. 5121-159. . .), l’hémovigilance (articles L. 1221-13, R. 1221-22. . .), la biovigilance (article R. 1211-29), la matériovigilance (articles L. 5212-1, R. 5212-1), la réactovigilance (article R. 5222-1), la cosmétovigilance (article L. 5131-9), la toxicovigilance (article R. 1341-12), l’addictovigilance, la vigilance alimentaire (article R. 1323-1, article R. 1323-2), la vigilance relative à l’assistance médicale à la procréation (article R. 2142-40), la vigilance exercée sur les produits de tatouage (article R. 513-10-9), la radiovigilance. . . 2 Cette phase n’est pas implicitement contenue dans la définition de Thacker, mais nous donnons cette précision car elle nous semble fortement caractériser la notion de surveillance. 3 Rapport disponible à http://www.invs.sante.fr. 4 Rapport disponible à http://www.invs.sante.fr. 404 D. Eilstein et al. / Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 Ainsi, aujourd’hui, l’usage du terme « vigilance » est réservé à une fonction de vigilance tournée vers des produits ou des agents issus des activités humaines : les médicaments, le sang, les cosmétiques, des toxiques, des rayonnements ionisants. . . L’attention est portée sur les effets potentiellement délétères de ces produits sur la santé humaine. La toxicovigilance occupe une place un peu particulière car elle s’intéresse à tout événement de santé connu ou nouveau, même s’il n’est pas rattaché a priori à une substance ou une composition de substances toxiques. En fait, elle opère, en partant du point de vue que toute manifestation pathologique non directement identifiée comme d’origine infectieuse ou comme étant rattachée à une autre vigilance peut être d’origine toxique (cf. l’augmentation des malformations congénitales de l’appareil urogénital masculin chez les fils d’agriculteurs [16,17]). Notons que, souvent, l’usage du terme vigilance est plus restrictif car resserrant le périmètre de cette spécialité autour des seules activités du système de soins (« effets inattendus ou indésirables résultant de l’activité médicale ») et s’approche du concept de surveillance (« système », « standardisés », « il s’agit d’un système de surveillance épidémiologique des effets inattendus ou indésirables résultant de l’activité médicale », etc.) [3,18]5. 2.4. Veille sanitaire De même que pour la vigilance et contrairement à la surveillance, il n’existe pas de définition largement admise de la veille sanitaire, bien que ce terme soit souvent utilisé, comme, par exemple, dans le nom de l’institut auquel a été confiée la mission éponyme. Cependant une définition de la veille sanitaire a été proposée récemment en référence à l’émergence du concept de sécurité sanitaire dans les pays développés (France, Europe, Amérique du Nord) puis au niveau mondial [5]. Le contenu de la veille s’est déterminé progressivement par enrichissement de la surveillance épidémiologique (adjonction des notions de vigilance, d’alerte. . .), enrichissement voulu en réponse aux problèmes de santé publique des années 1990 [5]. Cette évolution, relativement complexe, n’a pas toujours permis de faire la part des choses entre les notions de surveillance et d’alerte [19]. La traduction anglo-saxonne du mot « veille » n’existe pas. Une notion approchante sinon identique est l’epidemic intelligence. Le concept a été élaboré par Joseph W. Mountin et mis en œuvre par Alexander D. Langmuir [20]. Les CDC ont repris cette approche à leur compte en créant l’epidemic intelligence service qui est à la fois une activité et une formation d’épidémiologie appliquée (à la santé publique). La définition de l’epidemic intelligence selon l’European Centre for Disease Prevention and Control est the process to detect, verify, analyze, assess and investigate public health events that may represent a threat to public health. Providing early 5 La toxicovigilance, l’addictovigilance, la cosmétovigilance ne répondent pas à cette définition restrictive. Systèmes de Systèmes de surveillance basés sur surveillance basés sur des indicateurs des événements Événements Données Collecte Réception Analyse Filtrage Interprétation Validation Signal Évaluation Alerte Communication Investigation PUBLIC GÉNÉRAL OU Action CIBLÉ Fig. 1. Cadre conceptuel de l’epidemic intelligence. (Extrait et traduit de [21]). warning signals is a main objective of public health surveillance systems6. Cela peut être traduit comme « le processus de détection, de vérification, d’analyse, d’évaluation et d’investigation de tout événement qui pourrait représenter un risque pour la santé publique ». Cette fonction qui dépasse la notion de surveillance, est organisée en système, ciblant une question de santé relativement définie (les maladies infectieuses) et a pour objectif quasi-unique de produire des alertes le plus tôt possible. 2.4.1. L’epidemic intelligence La notion d’epidemic intelligence ou de global public health intelligence recouvre l’ensemble des activités permettant d’identifier précocement des risques sanitaires potentiels, de vérifier leur réalité, de les évaluer et de réaliser les investigations nécessaires pour les documenter [21,22]. Elle repose sur deux mécanismes distincts, l’un fondé sur le traitement d’indicateurs, l’autre sur la prise en compte d’événements et chacun d’eux se déroule en cinq étapes (Fig. 1). Les sources d’information alimentant ces deux composantes sont de natures diverses, allant des bases de données sanitaires classiques (mortalité, par exemple) à la veille scientifique et médiatique en passant par la consommation de médicaments, les signalements par les personnels de santé d’événements inhabituels, la surveillance non spécifique ou syndromique et la veille internationale [23]. Cette activité qui fait l’objet, depuis une soixantaine d’années déjà, d’une formation par les CDC [20], est proche de l’activité de veille sanitaire (voir ci-dessous, « La veille sanitaire proprement dite »), mais est fortement orientée vers l’alerte [24,25]. 6 http://www.ecdc.europa.eu/en/activities/epidemicintelligence/Pages/Activities_EpidemicIntelligence.aspx. D. Eilstein et al. / Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 2.4.2. La veille sanitaire proprement dite Même si l’on ne dispose pas, à proprement parler, d’une définition académique de la veille, il est possible, néanmoins, de dire qu’aujourd’hui, elle peut être considérée comme une activité visant à rassembler et à analyser de manière précoce et permanente, dans une perspective d’action de santé publique, un ensemble d’informations sur les risques sanitaires connus ou inconnus [5,23]. On peut, ainsi évoquer l’augmentation brusque de la fréquence du cancer de la thyroı̈de depuis les années 1980 [26] et le syndrome hémolytique et urémique (SHU) lié à un sous type inhabituel d’Escherichia coli entérohémorragique, plus récemment. Pour cela, elle doit : ! repérer et/ou suivre des événements sanitaires ou « environnementaux » (exposition à des facteurs de risque) connus dans une population (modification de tendance dans le temps et dans l’espace), notamment par le biais des systèmes de surveillance ; ! faciliter, organiser le signalement d’événements sanitaires ou environnementaux inhabituels voire inconnus et procéder à leur analyse systématique afin d’identifier les menaces sanitaires au plus tôt ; ! détecter toute menace émergente pour la santé en se fondant sur des systèmes de surveillance non spécifique ; ! s’intéresser aux menaces pour la santé qui surviennent dans l’espace international (veille internationale). Sa finalité est d’informer les décideurs sur l’occurrence de ces menaces et de produire des recommandations d’action ou de gestion envisageables pour les maı̂triser. La communication au public et aux professionnels sur ces menaces incombe aux autorités ministérielles. La veille sanitaire, ne se réduit pas à un (ou des) système(s) de surveillance, mais à une gestion de l’information sanitaire par de multiples approches, dans une perspective de gestion et de maı̂trise, par le décideur, des risques pour la santé, liés l’activité humaine [5,23]. 3. Approche conceptuelle de la veille sanitaire : propositions Certains mécanismes neurosensoriels où l’on trouve les contrastes « perception passive »/« perception active » et perception non spécifique/perception spécifique peuvent être utilisés ici comme modèles : le « voir » des bâtonnets de la rétine et le « regarder » (les cônes), l’« entendre » et l’« écouter » (l’attention flottante des analystes entre dans la catégorie de perception passive, grâce à laquelle le thérapeute « peut conserver dans sa mémoire une multitude d’éléments en apparence insignifiants dont les corrélations ne ressortiront qu’ultérieurement » [27]). Cela permet de laisser se dégager, finalement, ce qui est important, une extraction du signal, en quelque sorte. Sur la base de ce modèle, il est possible de considérer que la « perception » de l’état de santé de la population ainsi que de ses déterminants repose sur deux mécanismes, l’un relativement peu contraint ou « non préformaté », l’autre fortement structuré. On retrouve, ici, l’opposition des concepts de « rhizome » et de « racine » – ou 405 d’« arbre » – proposée par Gilles Deleuze et Félix Guattari [28]. La veille sanitaire utilise ces deux approches perceptives. Classiquement, la notion de veille sanitaire repose sur la détection et l’analyse d’un signal pouvant représenter une menace pour la santé publique. L’objectif est d’anticiper les conséquences du danger pressenti afin d’alerter et d’aider à la décision [5,29]. Certains outils sont empruntés à la surveillance épidémiologique, d’autres à la vigilance au sens commun. La surveillance peut être spécifique ou non spécifique. La première, surveillance spécifique, est fondée sur des indicateurs : mortalité, incidence, admissions hospitalières, consommation médicamenteuse, etc. Elle est très focalisés, c’est-à-dire correspondant à des pathologies précises [30–33]. La seconde, appelée surveillance syndromique, repose sur des indicateurs de même nature a priori, mais non spécifiques, notamment : mortalité, passages aux urgences toutes causes confondues, selon l’âge, par exemple [34]. Remarquons qu’il n’y a pas de saut qualitatif entre ces deux types de surveillance, mais, plutôt, un « gradient de précision » allant du moins au plus spécifique, ce qui fait que, parfois, la distinction entre ces deux modalités n’est pas dichotomique. Quant à la vigilance, elle ne se focalise pas, à proprement parler, sur des indicateurs (outils préformatés), mais repère des événements (ou des données) « anormaux » ou plutôt perçus comme tels. Si la difficulté, dans ce cas, porte sur ce que l’on entend par « événement anormal », un ensemble de critères permet, toutefois, d’en faire l’analyse : caractère inhabituel, sévérité, tendance à diffuser, absence de réponse aux mesures de prise en charge habituelles.. [23]. 3.1. Processus 3.1.1. Formalisation de la veille sanitaire La veille se construit donc sur un triptyque (Fig. 2) : ! un mécanisme récepteur : la perception des signaux ; ! un mécanisme intégrateur : l’analyse et l’interprétation ; ! un mécanisme effecteur : l’information et l’alerte. La partie effectrice est relativement monolithique ; les processus d’information et d’alerte sont assez reproductibles d’un exemple à l’autre et suivent, dans tous les cas, à peu de choses près, la même voie. Le contenu de l’information peut varier selon l’interlocuteur, mais son mécanisme, lui, varie peu ; celui de l’alerte est constant, à la dimension temporelle près : alerte « immédiate » ou alerte « prévisionnelle ». Il n’en est pas de même pour la partie réceptrice qui présente plusieurs aspects que l’on peut classer selon deux axes : ! la nature des sources d’information qui peut être « organisationnelle » ou « non organisationnelle » ; ! le mécanisme de réception de l’information qui peut être « préformaté » (« fortement structuré ») ou « non préformaté ». Par sources « organisationnelles », nous entendons les organisations dédiées à la veille : agences régionales de santé, Direction générale de la santé, réseaux de surveillance (réseau D. Eilstein et al. / Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 406 VEILLE PRÉ-FORMATÉE : SURVEILLANCE ÉPIDÉMIOLOGIQUE Événements pré-définis , concernant la santé (entités pathologiques ou facteurs de risque idéntifiés à priori) Événements non définis à priori, concernant la santé (faits subits ou signalements relatifs à des entités pathologiques ou des facteurs de risque) Construction des indicateurs Indicateurs Données Collecte structurée et préétablie de données Collecte non préétablie et/ou non structurée de données Analyse statistique (modélisation tendance, analyse signal) Résultats Données validées Vérification et validation - Connaissance OU/ET - Alerte (CT, LT) OU/ET - Contribution à la gestion des crises) OU/ET - Aide à la décision Communication à destination des professionnels de santé - Connaissance OU/ET - Alerte (CT, LT) Résultats interprétés (information) Interprétation et production scientifique Données Communication à destination de la tutelle, des décideurs… Analyse du signal quantitative et/ou qualitative Communication à destination de la presse - Connaissance OU/ET - Alerte Communication à destination de la société civile (associations, etc.) - Connaissance OU/ET - Alerte VEILLE NON PRÉ-FORMATÉE : VIGILANCES, ETC. Fig. 2. Architecture de la veille sanitaire. de médecins, de laboratoires. . .), hôpitaux, centres antipoison. . . Par sources « non organisationnelles », nous entendons les signalements sur des événements de santé par les professionnels de santé et les individus de manière plus large et la masse des productions d’informations textuelles d’origine scientifique (les revues scientifiques ou la presse professionnelle, les congrès, les séminaires. . .), médiatique (la presse généraliste) ou populationnelle (les associations de défense des consommateurs, les associations de défense des patients. . .). La notion de mécanisme « préformaté » fait référence à la surveillance épidémiologique (l’objet de la surveillance est le cas prédéfini ou, plus exactement son substitut : l’indicateur ; les méthodes permettant d’analyser ce dernier sont prédéterminées), que la surveillance soit spécifique (intoxications oxycarbonées, effets sanitaires de la pollution de l’air, infections nosocomiales, cancer de la thyroı̈de, par exemple) ou non spécifique comme le système SurSaUD1. La notion de mécanisme « non préformaté » fait référence à la veille non structurée comme pour les malformations urogénitales du garçon ou le SHU, en tout cas, au début du développement de ces deux alertes. Il est possible ainsi de dire que le langage courant pousse à appeler ce type de veille « vigilance » ou « vigilance épidémiologique » ou « vigilance de santé publique » (l’objet de la vigilance est le cas non prédéfini et le mécanisme est la réception de signaux et la détection de signaux anormaux7), mais cette dénomination est, déjà réservée à la vigilance sur les produits issus des activités humaines (pharmacovigilance, etc.). Aussi, garderons-nous le terme de veille « non préformatée ». 7 La réception de signaux avec détection d’anomalies est encore appelée de façon synthétique, la « remontée de cas » ou « signalement ». La veille sanitaire s’exerce sur des faits sanitaires (au sens large : événement de santé, effets des déterminants – démographiques, économiques, technologiques – de la santé, « états de l’environnement déterminants » pour la santé, facteurs de risque, expositions, offre de soins, comportements, actions de santé publique) transmis et/ou révélés par les sources vues ci-dessus. Ces faits sanitaires sont issus des sources organisationnelles (la veille est « casuistique ») ou de sources non organisationnelles et rapportés au système de veille (Tableau 1). Dans ce dernier cas, comme vu plus haut, la veille sanitaire se présente sous plusieurs formes : veille scientifique (veille documentaire scientifique, lecture d’articles et de rapports scientifiques, fréquentation des congrès. . .), médiatique (suivi de la presse d’information écrite ou parlée, généraliste ou professionnelle de santé spécialisée comme la presse médicale)8, populationnelle ou « vernaculaire » (enregistrement et analyse des questions/demandes de la population ou de ses représentants, associations ou décideurs, etc.)9. Notons que la veille prospective, veille sur des signes présents aujourd’hui qui annoncent des faits futurs, et la veille internationale, veille sur des signes présents aujourd’hui et ailleurs qui annoncent des faits potentiels ici, aujourd’hui ou demain, ne sont pas des entités à part. Elles sont, respectivement une déclinaison temporelle et une déclinaison spatiotemporelle de la veille sanitaire préformatée ou non préformatée sur des faits issus des sources organisationnelles ou non organisationnelles. La veille prospective, comporte 8 Les « objets » de veille médiatique sont les articles de presse, l’information radiophonique, télévisuelle ou produite par Internet. . . 9 Notons que la « veille sur la communication » est une veille et, à ce titre, possède une dimension « surveillance » et une dimension « vigilance ». D. Eilstein et al. / Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 407 Tableau 1 Veille sanitaire et ses composantes. Veille non préformatée Veille préformatée (ou fortement structurée) Faits issus des sources organisationnelles Vigilances classiques (i.e. sur les produits), toxicovigilance « vigilance sur les événements pathologiques » Surveillance épidémiologique Faits issus des sources non organisationnelles « Vigilances » scientifique, médiatique, populationnellea Surveillances scientifique, médiatique, populationnelle a Ces termes ne sont pas officiels et pourraient être interprétés dans un sens tout différent. Le terme vigilance n’est, bien évidemment, pas utilisé, ici, dans le sens qui lui est attribué dans des expressions du type « comité de vigilance » où, au sens que nous donnons à ce mot, est adjoint celui d’action (contre, en général). Cette dernière dimension est, d’ailleurs, plus conforme à la définition institutionnelle de la vigilance, définition que nous ne retenons pas. comme la veille de façon générale, une composante préformatée qui permet de déterminer (i.e. de modéliser et projeter) des tendances « lourdes » et une composante non préformatée qui, à l’aide de méthodes qualitatives, est apte à « sentir » des tendances à plus court terme. Ainsi, que cela concerne les faits issus des sources organisationnelles ou rapportés, que le mécanisme soit de type non préformaté (réception de signalements scientifiques, médiatiques. . .) ou de type préformaté (surveillance), la relation temporelle à l’événement qui motive l’information et/ou l’alerte peut aboutir à une information à finalité immédiate, concernant un événement qui a lieu, mais elle peut aussi aboutir à une information à finalité retardée prévoyant des phénomènes émergents (veille prospective, voire internationale si l’éloignement implique un délai pour voir arriver les phénomènes sanitaires). Les veilles préformatée et non préformatée sont donc deux activités différentes, complémentaires et indispensables. Elles fonctionnent en parallèle pour ce qui est du segment récepteur, mais se rejoignent dans le segment effecteur (Fig. 2) et créent, le cas échéant, les conditions de l’alerte. 3.1.2. Formalisation de la surveillance épidémiologique ou veille préformatée La définition établie par les CDC [8] vaut toujours. Elle sera donc conservée ici. Elle se structure en une succession d’étapes ou processus : conception/protocole, collecte des données brutes, construction du tableau de données à analyser, analyse des indicateurs, interprétation des résultats de l’analyse, diffusion des résultats et de leur interprétation. 3.1.3. Formalisation de la veille non préformatée : signalements, signaux scientifiques, médiatiques. . . Une activité (un dispositif ?) de veille non préformatée n’est pas exactement une surveillance épidémiologique, même si elle en revêt parfois la forme (voir la description du processus, cidessous). En fait, elle n’est pas organisée comme telle. Ce type de veille perçoit ou produit, une « remontée de signaux à partir d’événements de santé pouvant représenter une menace pour la santé » [23]. Le champ thématique et opérationnel de cette activité est : ! de s’intéresser à des faits sanitaires et à des expositions à des facteurs de risque, avérés ou potentiels, naturels ou d’origine anthropique ; ! d’inclure obligatoirement, parmi ses objectifs, l’identification d’effets jusqu’alors inconnus ; ! d’opérer par un processus de repérage et de signalement de phénomènes anormaux ; ce signalement est produit par le suivi non préformaté (parfois non structuré10) ou non préétabli de faits (de santé) rapportés ou par le suivi non préformaté de l’évolution de données, traduisant la survenue d’événements de santé. Comme pour la surveillance, il est possible de décrire ce type de veille sous la forme d’un processus répondant à la définition suivante [5,23] : ! processus permanent et organisé : " de réception des signaux et des données pertinentes relatives : – aux expositions aux facteurs dont les effets sanitaires (délétères ou protecteurs) sont suspectés, reconnus ou inconnus, – aux événements de santé connus ou inconnus ; " d’analyse et d’interprétation de ces données, " de diffusion des résultats des analyses et de leur interprétation en temps opportun à ceux qui en ont besoin ; ! en vue : " de la détection ou de l’anticipation de modification de l’état de santé des populations (risques), " d’une action de santé publique : – de contrôle, – de prévention des expositions et/ou des maladies. 3.1.4. « Remarque » Cette modalité peut se fonder sur l’existence d’un réseau de professionnels (centres antipoison et de toxicovigilance, réseau de médecins sentinelle. . .), organe de l’observation qui, lui en revanche, peut être fortement structuré. Le processus est composé des étapes suivantes : conception, collecte des données brutes ou réception du signal, analyse du signal, interprétation des résultats de l’analyse, diffusion des résultats et de leur interprétation. Les notions de surveillance et de veille non préformatée ne sont donc pas similaires, mais ont des champs communs : l’objet lui-même, mais aussi certains outils telles que les bases 10 « Non structuré » voulant dire qu’il n’y a pas d’indicateur défini et encore moins d’indicateur quantitatif défini. 408 D. Eilstein et al. / Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 de données. Elles recouvrent des concepts et des activités différentes mais complémentaires. Elles occupent l’espace de définition de la veille sanitaire. Remarquons, à cette occasion, que le débat concernant le statut de la toxicovigilance entre vigilance et surveillance des intoxications semble inopportun : les deux approches ont une utilité et se renforcent lorsqu’elles sont conjointement opérées. Logiquement, à la lueur de ce qui vient d’être dit, cela pourrait s’appeler toxico-veille ! 3.2. L’articulation des composantes de la veille et des activités voisines Vigilance, surveillance, recherche sont des activités qui se retrouvent souvent sur le même terrain et, si elles ne sont pas complètement contemporaines, s’enchaı̂nent ou interagissent fortement. Cet entrecroisement est, là encore, inspiré de notre réaction en tant qu’individu, face aux événements qui arrivent à notre conscience : on pourrait même dire que ceux-là doublent ceux-ci (Encadré 1). 3.3. Les outils de la veille La veille, comme conjonction de deux mécanismes complémentaires, veilles préformatée et non préformatée, dispose d’outils propres à chacune des étapes de son processus (Tableau 2). Les données sont collectées de façon fortement structurée dans les systèmes de surveillance (bases de données alimentées en routine, souvent) [35], de façon « non forcément » structurée dans les dispositifs de veille non préformatée (réseaux de professionnels de santé11, souvent), mais aussi à partir des interpellations issues des lanceurs d’alerte, de la presse. . .. Les indicateurs, propres à l’activité de surveillance, sont construits par transformation des données brutes (combinaisons d’une ou plusieurs données telles que moyennes, fonctions, etc.). En ce qui concerne l’analyse, l’approche est de deux types. Il s’agit : ! d’une analyse de tendance (description et modélisation de type régression) qui permet de dire comment se comporte le phénomène (il augmente, diminue ou reste stable, varie de façon saisonnière, etc.) et de dire ce qu’il deviendra (projection dans le futur) ; ! d’une analyse du signal qui permet d’enregistrer le flux des données et de détecter un éventuel accident au cours de son évolution temporelle. La veille non préformatée met en œuvre le second mécanisme, la surveillance opère les deux mécanismes. Remarquons, à ce sujet, que l’utilisation du mot « signal » prête souvent à confusion. Ici, nous convenons que le signal est ce qui est analysé (au sens de ce qui est suivi, interprété : 11 Les réseaux de médecins sentinelles, en dépit de leur dénomination, sont plutôt consacrés à la surveillance qu’à la vigilance. Encadré 1. Veille, alerte, surveillance, vigilance, dans quel ordre ? Le processus mental. D’abord nous « veillons » de façon spontanée, « non active », diffuse, non focalisée. C’est la « vigilance » au sens commun ou, plus généralement, « la veille non préformatée » et nous découvrons une irrégularité temporelle et/ou spatiale. Comme nous « attendions » la continuité de ce qui est observable, nous sommes « alertés » par le phénomène et nous nous y intéressons en tentant de trouver une raison à ce changement. Nous recherchons une cause : c’est le stade dévolu à la « recherche » (de la cause). Souvent, nous n’arrivons qu’à établir une relation statistique sans mise en évidence de la causalité. Puis, que nous ayons ou non découvert une cause, nous proposons des recommandations pour l’action de santé publique et mettons en place une « surveillance » (veiller sur) dont le rôle est désormais d’enregistrer en continu ce qui a changé et en « fabriquant » (en estimant) l’attendu à partir de ces observations (modèle = projection, « fabrication » de l’attendu). Nous pouvons aussi compléter notre surveillance ciblée par un état de « vigilance » (au sens commun) qui correspond à la « veille non préformatée » et qui sera suffisant pour que nous puissions remarquer activement des phénomènes non prévus. La veille consiste, ainsi, à « s’attendre à l’attendu » et de voir quand il y a différence entre l’attendu et l’observé (l’attendu peut être l’absence d’événement inconnu). La veille correspond donc bien à l’état de vigilance. L’attendu/observé peut être une valeur, une pente (une tendance). La surveillance et la vigilance peuvent, à leur tour, être suivies d’une activité de « recherche » ciblant des événements mis en évidence par ces activités de veille et ainsi de suite. . .. indicateur pour la surveillance, données validées pour la veille non préformatée) et non pas, comme on le voit parfois [21], ce qui est révélé comme étant anormal par l’analyse. Nous considèrerons, alors, que cet événement, révélé comme anormal, est une alerte ou un signal d’alerte. Les outils utilisés pour l’analyse de tendance (donc au sein de la surveillance) sont des régressions utilisant des fonctions explicites du temps comme variables explicatives ou utilisant d’autres variables comme celles représentant les facteurs de risque, eux-mêmes dépendant du temps. Ces régressions prennent en général la forme de séries temporelles [36–38]. Ces dernières notamment quand les indicateurs de la surveillance sont non spécifiques, permettent aussi de détecter des variations anormales de l’indicateur suivi et donc de générer un signalement [24,39]. Les séries temporelles se prêtent aussi à l’analyse du signal avec détection d’anomalie comme opérée par la veille non préformatée (la survenue d’un brusque accident de tendance peut donner lieu à un mécanisme de perception non préformaté). Cette dernière peut utiliser également des outils quantitatifs ou semi-quantitatifs tels que les réseaux de neurones [40,41] ou la fouille de données (data mining), souvent utilisés par la pharmacovigilance [42–46]. D. Eilstein et al. / Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 409 Tableau 2 Outils de la veille. Données Veille préformatée (surveillance épidémiologique) Veille non préformatée (vigilances, etc.) Bases de données alimentées en routine Réseaux de professionnels de santé, interpellations issues des lanceurs d’alerte, de la presse. . . Souvent, données multimodales (nature protéiforme) Données prédéfinies Transformation des données brutes (combinaisons d’une ou plusieurs données telles que moyennes, fonctions, etc.) 8C/8 Analyse Tendance et projection Séries temporelles Détection anomalies Séries temporelles Analyse d’événements au cas par cas sur la base de critères qualitatifs (fait appel au jugement et à la collégialité) Méthodes qualitatives des sciences humaines et sociales, fouille de données, réseaux de neurones, jugement Indicateurs Interprétation Communication Détermination de l’importance du phénomène surveillé pour la santé publique Analyse des options de gestion – décision d’alerter le décideur Décision d’alerter le décideur Rapports et articles scientifiques Notes aux décideurs Communiqués de presse Bulletin Notes aux décideurs Dans certains cas, rapports, articles scientifiques Analyse des options de gestion 8/8 : sans objet. Elle peut aussi mettre à contribution des outils qualitatifs comme l’analyse d’une information rapportant la survenue d’un événement et la validation du signalement, fondée sur l’expérience. Elle peut, enfin, de façon générale, avoir recours à un ensemble de méthodes propres aux sciences humaines et sociales. Ici il sera fait appel à la notion de jugement plutôt qu’à la « mécanique » quantitative [47]. L’interprétation de l’analyse et la production scientifique (rapports, articles) se font de façon collégiale avec l’ensemble des participants à l’activité de veille préformatée et/ou non préformatée. Observation non structurée Observation structurée Veille non Veille pré- pré-formatée : formatée : vigilances, etc. surveillance Connaissance Alerte Évaluation Aide à la gestion Action Fig. 3. Coopération de la surveillance et de la veille non préformatée pour l’action. Quant à la communication, protéiforme et destinée à des interlocuteurs de natures différentes, elle utilise les outils classiques qui lui sont propres : la diffusion des rapports et articles scientifiques élaborés à l’étape précédente, les communiqués de presse, etc. L’interprétation des analyses et la communication servent, in fine, à la connaissance et à l’alerte [48] ainsi qu’à la gestion des crises et à la décision. 3.4. Stratégie de coopération entre les différentes composantes de la veille Les veilles préformatées et non préformatées se complètent et coopèrent dans leurs productions, la connaissance, l’alerte et dans leur mission ultime d’aide à la gestion (Fig. 3). 4. Conclusion Les propositions, énoncées ici, ont tenté de clarifier un certain nombre de concepts qui répondent à des activités menées quotidiennement dans le champ de la santé publique. Elles tentent de concilier le sens que les mots « surveillance », « vigilance », « observation » et « veille » ont acquis dans le langage courant et le contenu des activités auxquelles renvoie l’usage des mêmes mots en santé publique. La « tentative de conciliation » n’est pas toujours couronnée de succès car les termes analysés sont très proches quant à leur signification et donc quant à leur emploi dans le langage tant courant que professionnel avec, comme corollaire, une confusion fréquente dans la perception des frontières entre les activités de santé publique concernées. La « vigilance », comme l’usage l’a fixée dans la sphère sanitaire officielle n’est qu’une partie de la « vigilance » au sens commun du terme. Aussi, avons-nous opté 410 D. Eilstein et al. / Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 60 (2012) 401–411 pour une dénomination différente, celle de « veille non préformatée » qui s’oppose à la « veille préformatée » ou « surveillance » et la complète. La notion de « préformatage » (ou de prédétermination) traverse l’ensemble des activités de veille, qu’elles portent sur des objets « directement » sanitaires (maladies, symptômes, syndromes, déterminants de santé. . .) ou « indirectement » sanitaires (signaux bibliographiques, médiatiques. . .). Cette opposition et cette coopération entre le préformatage et l’absence de préformatage est fortement inscrite dans le cerveau humain, dans tous ses champs d’activité et dans toutes ses productions (art, musique, biologie. . .) et, donc dans la perception des dangers sanitaires. Il est nécessaire de préserver ces deux polarités et de les exercer conjointement car, sinon, on s’expose au risque de rester aveugle à des signaux témoins ou annonciateurs d’événements favorables ou défavorables. Nous insistons sur l’intérêt qu’il y aurait de partager ces définitions, voire de les normaliser. Pour ce faire, il faut décomposer le contenu des activités de la veille, raison pour laquelle nous avons trouvé utile de schématiser ces processus. [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] Déclaration d’intérêts [19] Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. [20] Remerciements À Caroline Semaille (InVS) pour sa participation aux réflexions sur les concepts présentés dans cet article, à Sophie Martinon (InVS) pour ses recherches sur les textes législatifs définissant ces notions ainsi qu’aux relecteurs pour ses remarques et suggestions. [21] Références [24] [1] Salines G. Surveillance, observation, veille, vigilance. Environ Health 2006;5:329–30. [2] Eilstein D, Le Moal J, Lim TA. Les concepts de surveillance en santé environnementale. Epidemiol Bull 2009;27–28:283–6. [3] Salmi LR, Lawson-Ayayi S, Hajjar M, Salamon R, Grémy F. Les systèmes de vigilance. Health Informatics J 1996;8:167–77. [4] Hemmings J, Wilkinson J. 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