Les arts du Hip Hop à la rencontre de… - forum

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Les arts du Hip Hop à la rencontre de… - forum
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LES ARTS DU HIP HOP À LA RENCONTRE DE ...
FORUM/SAMEDI 4 NOVEMBRE 2000
1 - PRÉSENTATION DU THÈME ET DES INTERVENANTS :
-1.1 : Animateur : Pierre Hivernat/ Directeur du Département Spectacles, Parc de la Villette :
Nous allons aborder le thème des "arts du Hip Hop à la rencontre de...", en le prenant à l'envers
afin que les intervenants présents autour de cette table puisse nous faire part de leur parcours,
dans des champs très différents : nous allons commencer par la calligraphie à la rencontre de ...
-1.2 : Hassan Massoudy/Calligraphe :
J'ai fait mes études à l'école des Beaux-Arts de Paris, puis, j'ai eu envie de choisir une autre
forme d'art et ai travaillé avec un ami comédien à faire des représentations théâtrales sur
rétroprojecteur. Depuis 1972, je continue, 1 fois/semaine, à calligraphier en public. Je cherche
toujours, depuis 30 ans, à enrichir mon expression : aujourd'hui, à la Villette, nous allons faire une
oeuvre en commun avec Kongo, graffeur.
- 1.3 : Kongo/Graffeur :
Il y a 10 ans que je fais du graffiti ; on a coloré pas mal Paris... Je suis très heureux de performer
avec ce grand maître de la calligraphie.
- 1.4 : Michèle Luquet/Maison de la Danse, Lyon :
Ce Théâtre existe depuis 20 ans pour la programmation de spectacles ; nous y accueillons toutes
les danses et les chorégraphes, du plus confirmé au nouveau né ; viennent aussi chez nous, des
Cie du monde entier.
- 1.5 : Josette Baïz/Chorégraphe :
Je suis chorégraphe contemporaine ; en 1990, j'ai été mandaté pour travailler dans les quartiers
Nord de Marseille avec des jeunes qui m'ont beaucoup interpellé quant à leur culture
chorégraphique ; depuis 10 ans, nous avons constitué un groupe et monté des ateliers dont le
principe est de métisser toutes les cultures à disposition dans les quartiers ; il y a eu
professionnalisation de ces jeunes avec la Cie Grenade, que je dirige.
- 1.6 : Nancy Midol/Laboratoire d'Anthropologie sur la mémoire, l'identité, la
communication, université de Nice :
Je travaille à l'université de Nice en sociologie et en anthropologie sur les cultures qui s'inventent,
et, qu'est - ce - qui s'invente dans la dynamique de notre société ?
- 1. 7 : Mohamed Rouabhi/Cie Les Acharnés :
Comédien, auteur, metteur en scène, je dirige la Cie Les Acharnés, en Seine St Denis, Cie qui
existe depuis 10 ans. Outre les créations de spectacles, je travaille sur le terrain vers les
amateurs, en milieu scolaire, carcéral, en France et aussi à l'étranger, dont une longue
expérience en Palestine.
- 1. 8 : Farida /Comédienne :
Je suis comédienne depuis 2 ans dans la Cie du Voile Déchiré ; je viens de Sarcelles.
- 1.9 : Eric Ceccho/Metteur en scène, Cie du Voile Déchiré :
J'ai eu une formation classique au théâtre de l'Atelier ; j'ai monté la Cie en 1984. Pendant
quelques années, j'ai eu un passage à vide au niveau de l'inspiration artistique, et, c'est en
travaillant en résidence à Garges Les Gonesses et en y rencontrant une population avide que j'ai
rempilé avec une expression artistique mêlant culture classique et cultures urbaines.
- 1 .10 : Leela Pétronio/danseuse de claquettes :
J'ai un long parcours dans les claquettes, en tant que danseuse, et travaille depuis 4 ans avec la
Cie Funk Attitude, sur une collaboration Hip Hop /claquettes.
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-1. 11 : J.P. Douterlouigne /Cie Funk Attitude :
Je suis danseur chorégraphe Hip Hop depuis 1982. Ce qui m'a attiré dans la collaboration avec
Leela et les claquettes, c'est la musicalité, la rythmique... Depuis je mélange toute sorte de danse
dans mes spectacles...
2 - Les Arts Plastiques à la rencontre de ...
- L'Animateur :
On peut commencer par les Arts plastiques à la rencontre de...
Nous allons nous adresser à H. Massoudy : Comment passe - t' on des Beaux Arts au Hip Hop,
au Graf ou à des performances ?
- 2.1: Les intervenants :
- H. Massoudy :
En tant, donc, que plasticien des Beaux Arts, c'est la 1 ère fois que je travaille avec un graffeur.
J'ai toujours eu la conviction qu'il faut s'alimenter sur d'autres terrains, d'autres recherches ; toutes
ces expressions m' interpellent depuis 20 ans déjà ; chez les graffeurs, Il y a une occupation de
l'espace qui ressemble d'ailleurs à la gestuelle des danseurs.
L'utilisation des markers à encre fluide induit un mouvement rapide du corps, dans la distance :
c'est une sorte de contraction du temps ; c'est techniquement neuf et contemporain.
Dans les matières aussi on trouve quelque chose de nouveau : ces lettres en relief et en
perspective, ça m'apporte du bonheur, à moi qui travaille sur la calligraphie, expression de
l'humanité depuis 6000 ans.
Quant à la présence de cet art dans la société : alors que cette culture s'exerce sur un espace
interdit, le fait d'ouvrir une fenêtre sur les murs, au lieu de peindre dessus, crée un espace de
liberté dans la ville.
Matisse disait : "Je suis fait de tout ce que j'ai vu" ; je reprendrais cette phrase pour dire mon
envie de m'enrichir de cet art.
- L'animateur :
Tu faisais référence au mouvement Hip Hop, en disant : "il y a plus de 20 ans..."
-H. Massoudy :
Effectivement, la 1 ère fois que j'ai vu des graf, c'était sur les trains à New - York ; cela m'a plu car
ça donnait de la gaieté dans la ville, mais, à Paris, plus tard, dans des lieux qui étaient beaux en
soi, cela m'a choqué au début, mais, aujourd'hui, je trouve que c'est un vrai mouvement qui
enrichit l'Art Plastique.
Les calligraphes chinois m'ont beaucoup apporté au niveau de l'importance du choix de
l'instrument dans l'expression artistique ; l'un d'eux m'a dit :" quand l'idée se trouve au bout du
pinceau, pas besoin d'aller au bout de l'idée !" les instruments des graffeurs correspondent à la
rapidité des temps modernes ; or, le propre de l'art, c'est de refléter l'esprit du temps !
- Kongo :
Quel poète !
Moi, mes références dans le Hip Hop se cantonnent à quelques graffeurs connus ; je me suis fait
sur le tas. Le fait de rencontrer Hassan m'apporte beaucoup : il faut chercher dans la calligraphie
plus ancienne que celle de notre génération fast-food de quoi enrichir notre expression.
- L'animateur à M. Rouabhi :
Est - ce - que tu as vu des grafs ailleurs qu'à NY dans lesquels l'impulsion plastique n'est pas
forcément la motivation principale mais un signe différent?
- M. Rouabhi :
Dans les camps de réfugiés, en Palestine, j'ai rencontré un gamin qui avait purgé une peine de 4
ans pour avoir peint à la bombe un fragment de poème : là-bas, ce n'est pas seulement interdit,
comme ici : c'est un crime.
Une autre expérience intéressante par rapport à la notion d'art nouveau : à la Maison d'Arrêt de
Bois d' Arcy, j'ai été témoin d'une réaction des surveillants qui s'élevaient contre le fait qu'on avait
proposé à des détenus, comme activité, de peindre des graf sur les murs dans la prison ; ils ne
comprenaient pas pourquoi, alors que beaucoup étaient là pour des délits de destruction de
matériel urbain, on leur faisait faire une fresque à l'intérieur des murs ! Intéressant pour alimenter
la notion Art/délit, non ?
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Au Brésil il y a, sur les murs à Sao Paolo, des sortes de signes étranges , un peu cabalistiques,
y'en a partout, on dirait presque de la peinture rupestre, des lettres à peine visible...
_ Kongo :
J'ai eu l'occasion de graffer avec des brésiliens qui cartonnent ; ils sont excellents : ils n'ont pas
été influencé par NY, comme chez nous, utilisant, par manque de moyens, des rouleaux ou des
pinceaux, inventant un style particulier : je suis sûr que Amérique Latine va "déchirer" au niveau
du graffiti dans le monde !
Ils tournent beaucoup : ici, à Berlin; dans des jams.
- L'animateur :
Tu les choisis comment tes murs ?
_ Kongo :
Ceux qui me plaisent , des endroits qui vont pas déranger, où ça va se voir, en fonction aussi du
contexte environnant.
- L'animateur :
C'est important, le fait que ça soit interdit ?
_ Kongo :
Oui, mais il y en a tellement de graffeurs que c'est bien rare qu'on se fasse embarquer ! On se
parle avec les flics ; ils nous envoient même des élus pour qu'ils voient notre travail !
- L'animateur :
Tu ne le fais quand même pas aux Champs Élysées ?
_ Kongo :
Je l'ai fait une fois, mais c'était un plan : pour le 31 décembre, l'an dernier, pour peindre les
grandes roues par terre...
Mais ce n'est pas rare d'en voir dans les quartiers bourgeois : l'immeuble cossu à Bourse, un
excellent exemple de confrontation de milieux sociaux !
- L'animateur :
Rencontres - tu d'autres artistes de la culture Hip Hop, ou est - ce - très cloisonné ?
_ Kongo :
Chaque artiste a son lieu de travail, mais on se rencontre dans les jams et puis, le contact est
facile entre artistes de la même idée (je n'aime pas trop dire Hip Hop, c'est fermer le truc).
- L'animateur :
Pensez - vous qu'il y aura le nom de ce mouvement dans les livres d'histoire de l'art dans 20 ans
?
- H. Massoudy :
Dans l'atelier Mathey, où j'ai travaillé pendant 20 ans, j'ai vu des étudiants, avec des masques,
travailler à la bombe... Je ne sais pas si la vitalité de cet art vient de la peur, de l'interdit, mais je
peux dire que j'ai vu, dans une salle prestigieuse des Beaux-Arts, le graf comme moyen
d'expression artistique ...
Pour dire qu'il y a un renversement : l'art des banlieues rentre dans l'art traditionnel...
Je pense que ces mouvements nourrissent l'Art par l'apport de techniques nouvelles, l'aspect
spirituel ; c'est un art en évolution qui, s'il ne se fige pas, peu devenir un vrai courant durable.
_ Kongo :
D'autant que le hip hop, c'est un art métissé, amené à évoluer avec l'apport d'autres cultures : ça
bouge, même si on n'a pas la même langue, on communique de par le monde.
- L'animateur :
As-tu déjà eu des commandes ?
- Kongo :
Je ne vais pas être facteur le jour et graffeur la nuit ! Je donne des cours, j'ai des commandes de
villes, d' entreprises aussi, qui veulent communiquer avec le graf parce que ça fait jeune...
- L'animateur :
ça ne te gêne pas cette récupération ?
- Kongo :
Mais, c'est moi qui récupère !J'utilise les forces qui existent pour exister, j'ai été élevé comme ça !
2.2 - DÉBAT AVEC LA SALLE :
- Un jeune homme :
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C'est une question d'ordre social : quelle relation de tolérance ou de violence avez - vous dans les
"Crew", comment la société voit ce mouvement ?
- Kongo :
C'est comme dans la vie normale : dans la rue, tu rencontres du bon et du mauvais, mais on a
souvent du respect pour nous car on fait quelque chose ; tu peux pas bluffer quand tu peins.
- Une Dame :
Y - a - t' il un sens de l'éphémère dans ce que vous faites ?
- Kongo :
Complètement, comme le sens de la vie est éphémère...
- Nancy Midol :
Je me demande : qu'est - ce - qui fait que, dans la société qui évolue, un groupe social plus ou
moins indéterminé, sur toute la planète, prenne d'assaut la rue comme pour dire : "la ville ça nous
appartient" ; que cet acte, pris pour un acte de violence au départ, soit devenu un moyen de se
dire des choses solidairement ?
C'était peut-être qu'il y avait une urgence d'arrêter justement la violence que certains vivent dans
leur précarité ; en proclamant : " la rue, c'est chez moi, j'existe." : elle devient un espace
d'échange.
- Un Monsieur :
Dans vos commandes vous impose-t-on quelque chose ?
- Kongo :
Parfois un thème, un logo, mais on est libre de notre expression.
- M. Rouabhi :
Signes-tu, comme les peintres, tes oeuvres ? Chez toi, si tu avais un pavillon, ferais -tu le même
style de Graf ?
- Kongo :
Oui, je les signe. À la maison, je laisserai plutôt mes gamins s'exprimer sur les murs...
- L'animateur :
En 20 ans, l'esthétique du Graf a- t- elle changé, y- as-tu mis des messages ?
- Kongo :
Notre collectif s'appelle : MAC = Mort aux cons, alors bien sûr qu'on a un regard critique par
rapport à la société : on réagit à des choses qui nous tiennent à coeur : comme le Tibet, Mururoa,
sur le phénomène de société contre les pitt-bulls...
3 -LE THÉÂTRE À LA RENCONTRE DE...
- L'animateur :
Le Hip Hop à la rencontre du Théâtre, avec 2 Cie , 2 démarches très différentes : la Cie du Voile
Déchiré et la Cie Les Acharnés.
Pensez - vous qu'il y a un mouvement du théâtre à la rencontre du Hip Hop ?
Ne sert - t 'il pas à pallier à une panne d'inspiration de l'imaginaire dans la création théâtrale ?
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- 3.1 : l'expression des cultures urbaines à la rencontre de la création théâtrale :
- E. Ceccho :
Je ne suis pas "Hip Hop" pour la forme ; ce qui m'a interpellé c'est que j'ai rencontré une
population porteuse d'une authenticité , d'une vérité, qui ont été le vecteur de cette création.
Le " Couloir des Anges" a été la gestion d'une grande incertitude sur le comment organiser cette
frontière délicate entre cette puissance de vie et la rigueur d'un spectacle.
- M. Rouabhi :
Je ne suis pas très au courant des expériences entre le Théâtre et le Hip Hop ; ce qui m'a
intéressé là, à travers le Rap, c'est l'art de parler sur la musique, ce qui existe depuis très
longtemps dans l'histoire de la dramaturgie. Les rappeurs sont des auteurs, notre matière en
commun c'est l'écriture ; à moi de voir comment le texte peut percuter le théâtre ou vice versa.
Si parfois certaines démarches dans, l' utilisation du Hip Hop, paraissent démagogiques, il faut
dire que le théâtre met beaucoup de temps à bouger, et je crois qu' au delà de l'expérimentation, il
y a une profondeur à creuser d'où peut naître un nouvel art.
-E.Ceccho :
Il y a eu un effet de hasard assez curieux qui m'a amené à faire cette création : une jeune fille de
banlieue me demandant de faire quelque chose à partir de ses écrits relatant sa douleur face à la
perte de son frère mort en prison, et, au même moment, la perte d'un de mes amis, chanteur de
musique baroque. ; j'ai réalisé que "la banlieue", dans l'expression de sa douleur, n'est pas "en
difficulté" mais baroque, comme cette musique qui lie allégresse et détresse : c'est cette
puissance de création que j'ai voulu vivre au sein de la troupe.
Le texte, écrit à partir du témoignage des mères, des habitants, les chanteurs Human Beat Box,
les danseurs, sont porteurs de la culture urbaine dans la manière de zapper les émotions ; ce qui
est le plus urbain dans cette pièce c'est la musique baroque qui porte auprès du public la mère
arabe comme la mère universelle, jusqu'au Sacré.
- 3.2 : L'éducation des publics et la confrontation des peurs :
- Un Monsieur :
J'aimerais qu'on se pose la question de la confrontation des publics à partir du moment où vous
travaillez sur des disciplines nouvelles.
Il y a des gens qui diront que c'est démago de mettre du rap avec la seule intention de faire venir
un type de public pour leur coller le message des Blacks Panthers, moi, j'ai vu un mode
d'appropriation très diffèrent de celui du public habituel des théâtres, et si parfois ce type de public
est impitoyable, il y a des moments très forts où, là, quelque chose se passe.
- M. Rouabhi :
C'est une question essentielle sur laquelle on travaille beaucoup en amont, car il est impossible
de faire venir ce type de public sans une préparation au spectacle qu'ils vont voir.
C'est un travail à faire par les artistes eux - mêmes : amener les jeunes à l'écoute, au respect en
leur faisant prendre conscience du travail qu'on fait.
Je suis contre une culture de Ghetto pour aller jouer dans les Ghetto ; il faut arrêter de victimiser
ces gens en leur mettant tout sur un plateau : "on va dans vos quartiers vous donner à manger la
culture..."
On me dit : "ce serait bien d'aller jouer à la Courneuve" ; je réponds : "je préfère le théâtre du
Nord, au centre ville de Lille et des jeunes qui font l'effort de s'y rendre, car c'est leur lieu aussi.
Pour cela une confrontation préalable est nécessaire, ce n'est pas vraiment de la discipline, mais
une éducation à l'écoute. On ne peut pas mettre dans la même salle le public des abonnés et
ceux qui viennent pour 3 morceaux de rap, sinon ça pète.
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- Farida/Cie du Voile Déchiré :
Éducation du public ? Je ne sais pas si on peut empêcher les gens de réagir. Ça peut engendrer
des problèmes, c'est vrai, mais ça peut nous pousser, nous comédiens, à nous faire prendre
conscience de ce pourquoi on est là aussi.
Je pense que plus les spectacles seront intéressants, plus ça parlera aux publics.
- E.Ceccho :
Si le public réagit, on est, du coup, sûr qu'il est là.
En Avignon ou à Bruxelles on a eu l'impression de s'adresser à des notables et on se sentait en
trahison par rapport à ce qu'on vit et qu'on veut faire passer ; on a un peu peur sur notre spectacle
d'être policé, de devenir "acceptable"; je pense qu'il vaudrait mieux parler d'une éducation du
spectacle que de celle du spectateur.
- L'animateur :
On parle du public qui prend les choses au 1er degré, au 2 ème degré ; moi, j'ai vu un comédien
qui s'est pris une canette ...
- E.Ceccho :
Je préfère remettre en question mes procédés qu' adapter mon spectacle en relation de politesse
avec le public.
L'adapter au public pour que la portée émotionnelle du spectacle soit reçu et fasse grandir le
comédien et le spectateur; il ne faut pas coloniser le public, mais partager avec.
Je me souviens qu'une fois on a été jouer à Miramont de Guyenne - un bled- et qu'on s'inquiétait,
quand on a vu débarquer devant nous tous les vieux du village ... On s'est aperçu que lorsqu'on
est dans le langage de l'émotion et de l'authenticité, on est tous sur le même plan qu'on soit jeune
ou vieux, maghrébin ou non, urbain ou rural (On a appris, plus tard, que ces vieux avaient vécu
une sorte de ratonnade dans leur village).
- Josette Baïz :
C'est vrai ce que tu dis, mais c'est très délicat.
En danse, on retourne la question autrement : comme on sait que c'est un public difficile, on fait
un travail de sensibilisation conviviale, sous forme d'atelier de rencontres : cela a été
institutionnalisé sous forme de Contrat Mission, des résidences sur trois ans.
À La Villette, c'est un peu différent ; l'ambiance a été pire il y a quelques années, mais je trouve
quand même qu'il faudrait faire une grosse discussion avec les groupes de jeunes, avant le
spectacle, pour leur faire comprendre que la culture ce n'est pas forcément ce qu'ils ont dans la
tête, eux. Il faut du respect : que les jeunes de banlieue comprennent qu'il y a d'autres jeunes qui
ont travaillé sur un spectacle, qu'il y ait de l'échange.
- M. Rouabhi :
C'est très dangereux ce que tu dis ; moi, quand je parlais d'éducation c'était contre l'ignorance
dans laquelle on maintient des populations en les empêchant d'avoir accès à l'écriture, à la lecture
afin de les opprimer. J'y tiens trop à cette notion d'éducation : celle de se battre contre l'ignorance
en montrant aux gens notre travail pour qu'ils en aient une représentation, pour arrêter de leur
faire croire au Père Noël !
- E.Ceccho :
Je suis d'accord avec ce que vous dites, mais, pour être provocateur, je dirai que j'en ai assez de
ces dispositifs d'insertion, de prise en compte des familles en difficulté, où l'on ne prend jamais en
compte les racines, l'âme des habitants ! On oublie qu'il y a une autre culture qui est en train de
se mettre en place, où on parle tout en écoutant même si ça parait paradoxal !
_ JP Douterlouigne :
Je suis d'accord avec Mohamed, pas forcément pour éduquer le public, mais pour leur apprendre
l'histoire : celle de la danse par ex., car je pense qu'il faut une certaine ouverture d'esprit pour être
à l'écoute d'un spectacle et pas seulement le regarder.
- Nancy Midol :
J'aimerais relancer le débat sur cette question fondamentale : qu'est - ce que l'on peut faire
ensemble, quand les cultures viennent se frotter et quand les représentations ne sont pas les
mêmes ?
C'est la vraie question des limites de l'humain : nous sommes articulés sur de la peur et du sacré ;
la peur des uns ne sera pas organisée de la même manière que la peur des autres ; on s'aime de
loin, mais quand on voit qu'on n'a pas les mêmes représentations, on a peur et c'est normal.
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Sous l'effet de la mondialisation, d'une culture du chaos, les cloisons deviennent poreuses - À
quelles conditions peut - on se sentir respecté par l'autre et respecter l'autre ?
- Comment des populations qui n'ont pas les mêmes représentations, peuvent - elles coexister et
continuer à s'apporter des choses ?
C'est dans le respect, mais quel respect ? Ceux qui ont l'art de la parole, vers ceux qui vont être,
d'un coup, confronté à trop de culture et de complexité, devraient expliciter le discours : je pense,
par ex., que cela pourrait être une mission de la Villette de faire une introduction, sous une forme
interactive, aux groupes de jeunes avant le spectacle de 20H.
- Le même Monsieur(cf début de chapitre) :
J'aimerais clore ce que j'ai provoqué - je n'avais pas parlé d'éducation - en disant que si on veut
vraiment changer le public de nos théâtres il faudrait peut-être changer le style de ce qu'on voit au
théâtre.
L'époque où l'on pensait :"mon Art est mon Art et moi, Artiste, je ne suis pas à remettre en cause",
est dépassée.
Pour être venu ici depuis le début des Rencontres, il y a 5 ans, je remarque que ces
confrontations n'ont pas empêché les artistes d' apporter de nouvelles choses face à un public
beaucoup plus réceptif.
Je vois deux choses évoluer : la professionnalisation des formes et des disciplines et la
confrontation des publics : 2 choses formidables dont je voulais rendre compte.
- L'animateur :
Toute l'équipe des rencontres s'accorde là dessus pour dire qu'il y a un profond changement de
ce qui s'est passé et sur scène et dans le public.
-3. 3 : Du cloisonnement des institutions culturelles:
- L'animateur :
Je voulais ajouter une chose, en m'adressant à M. Rouabhi : Quand vous dites : "on a joué au
théâtre du Nord et c'est notre théâtre aussi" : y - a - t' il des théâtres où vous vous sentez exclu ?
D'autres où vous aimeriez jouer ?
- M. Rouabhi :
Nous avons été sollicité pour organiser 4 soirées au théâtre de l'Odéon avec carte blanche sur les
textes ; nous en avons profité pour faire venir des publics complètement différents des
abonnés(des jeunes de Tremblay/France, des jeunes incarcérés venus avec leur éducateur....),
afin de créer une confrontation entre ces publics.
Le spectacle se passait un peu dans la salle car certains jeunes réagissaient au texte qui était dit
sur scène, ce qui gênait le public qui voulait les faire taire ; mais, ce même public, bouleversé par
ce qu'il découvrait sur scène, se rendait compte, en même temps, que les jeunes du public
n'étaient pas non plus étrangers à ce qui se passait sur scène, d'où une certaine destabilisation ...
Il y a même un Mr, à la sortie qui a pris à partie un jeune ; ce jeune s'est senti d'autant plus
agressé que le lieu même du théâtre de l'Odéon lui était étranger (ça lui rappelait le Palais de
Justice De Versailles : les lieux peuvent aussi faire violence !)
Par rapport à ces rapports conflictuels, je dis que, pour avancer, il faut qu'on se ré approprie ce
répertoire là, qui est notre patrimoine aussi, afin qu'il y ait le même droit à la culture.
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3 - LA DANSE À LA RENCONTRE DE.../Métissage des cultures.
- L'animateur :
Michèle Luquet, quand on est à la tête d'une grande institution, est - ce plus facile de faire entrer
des formes nouvelles d'expression ?
- Michèle Luquet :
Quand on aime la danse, c'est vrai qu' il y a une telle effervescence accompagnée d'une
demande qu'on ne peut que l'accueillir ; depuis longtemps à Lyon, à chaque fois qu'il y a eu des
rencontres ce fut toujours de vraies rencontres et il nous a été très naturel de les aider.
Je n'ai malheureusement jamais assisté à une "battle", mais, pour en avoir parlé avec Storm, il me
disait : "mon rêve est de danser sur ces plateaux" : la situation en Allemagne est très différente de
celle de la France : l'espace des battle est le seul espace où les danseurs peuvent s'exprimer,
alors je pense que c'est une chance que des théâtres ici ouvrent leur portes.
- Un jeune homme dans la salle :
Le problème, pour beaucoup de danseurs hip hop, c'est que d'aller dans un théâtre c'est accepter
de tourner et donc de se déconnecter d'un univers où il y a une émulation réciproque entre
groupes de danseurs ; lorsqu'on revient sur un battle après, on se sent dépassé car il y a, dans
ces lieux, une émulation artistique en évolution permanente. - - - L'Animateur :
Pourquoi cette effervescence est - elle plus forte à Lyon qu'à Marseille ?
- Michèle Luquet :
Cette effervescence vient des gens, c'est comme une sorte de terreau.
Dans les années 80 des Cie, comme Traction Avant, étaient très militantes ; c'était une situation
où les danseurs, les médiateurs , la DRAC et le FAS, travaillaient tous au coude à coude ; ça peut
paraître idyllique, mais c'est une conjoncture de forces positives qui a permis d'accompagner ce
mouvement.
Aujourd'hui, on ne parle pas de Hip Hop mais de " Danse " avec une grande diversité
d'expressions qui représente la vraie Création Contemporaine en Danse.
- J. Baïz :
à Marseille, il y a beaucoup de chorégraphes contemporains, mais la musique prend le pas sur le
reste.
Au départ, c'est l'énergie positive du Hip Hop qui a fait émerger une danse particulière. La
situation a évolué : soit les danseurs Hip Hop font des battle, soit ils intègrent les théâtres avec le
système des subventions.
La culture Hip Hop s'est aussi beaucoup métissée, je me pose la question de savoir comment les
programmateurs, les publics vont ressentir ce métissage de cultures ?
En ce qui nous concerne, à Marseille, on ne s'est pas posé la question du choix entre Hip Hop et
Contemporain, mais, en travaillant sur les quartiers, avec des gosses aux sensibilités spécifiques
suivant les différentes origines, on a pris le temps de comprendre et d'analyser l'énorme richesse
représentée par toutes ces expressions culturelles, et comment on pouvait faire pour casser les
codes et faire communiquer tous ces gens là entre eux.
J'aimerais que les danseurs et le public Hip Hop nous aiment pour ce qu'on est et non pas pour la
partie qu'ils souhaitent retrouver d'eux - mêmes !
- Un jeune homme :
Le monopole du métissage ne vient pas du théâtre ! Il y a , dans les battle, des danseurs
contemporains qui se déplacent justement pour découvrir cette atmosphère métissée ; il y a une
sorte de séparation entre deux mondes...
- J. Baïz :
Ce n'est pas ce que je disais : il y a des battle super - et on a des jeunes, chez nous qui
aimeraient bien s’y confronter pour la dynamique que ça apporte -, mais il y a des chorégraphes
qui ont vraiment des options différentes par rapport au hip hop et qui veulent vraiment aller dans
le théâtre pour se confronter avec des contemporains ... Sinon, le métissage il est partout, je suis
d'accord.
- L'animateur :
Leela, quel pourrait être ton témoignage avec les claquettes ?
- L. Pétronio :
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J'ai animé un stage de claquettes, ici, pour des danseurs hip hop et l'ambiance était bien
meilleure que celle du public à notre spectacle : pour les danseurs, le lien entre le Hip Hop et les
claquettes était évident....
- Une Dame dans la salle :
J'aimerais que Leela développe ce qui fait le lien, car j'ai beaucoup apprécié sa prestation.
- L. Pétronio :
J'ai essayé de donner des bases, mais surtout de faire passer le fait que cette expression vient du
Jazz, de la "Tap dance" tout simplement, c'est un lien rythmique, logique ; le Hip Hop est une
évolution par rapport aux claquettes qui sont eux-mêmes déjà des métissages.
- JP Douterlouigne :
Le lien est historique, même si, avec le hip hop tout va peut-être plus vite.
Les claquettes étaient une culture populaire liée à la musique jazz, puis il y a eu séparation entre
musique et danse comme aujourd'hui le show-business et l'Industrie de la musique et de la
danse, les séparent à nouveau ; le Jazz était métissage, le hip hop est le prolongement de ce
métissage.
- Un Monsieur :
Je voudrais vous demander, par rapport au sentiment de ghetto et de marge, comment ont évolué
les conditions de travail ? Quelle est l'attitude des institutions ? Travaillez - vous ailleurs que dans
les cages d'escalier - comme le montre le film, au demeurant très beau, de JP Thorn : "Faire kiffer
les anges "- ?
- JP Douterlouigne :
C'est le problème de la structure ! La reconnaissance, qui ne soit pas seulement sociale mais
artistique, met du temps à arriver. Il y a un grand manque, notamment à Marseille et dans le Nord
où je travaille : je n'ai pu que réunir certains de ces danseurs amateurs au sein de ma Cie pour
lancer des projets, mais pour beaucoup de jeunes il manque une scène pour jouer, des éléments
de gestion pour monter une petite Cie.
- Une Dame :
Moi, j'ai l'impression que c'est comme dans le théâtre, il y a deux formules : amateur et
professionnel.
Certains désirant devenir professionnels et d'autres qui danseraient seulement pour le plaisir...
- JP Douterlouigne :
C'est essentiel qu'il y ait du plaisir ; ça prouve au moins que cette culture est libre et que chacun
est libre de ce qu'il veut faire ; la pratique amateur est très créative, mais il y a un âge pour tout,
après les battle, on a envie de faire passer autre chose, mais il n'est pas toujours facile de devenir
professionnel...
- J. Baïz :
Je crois qu'il n'y a pas le clivage amateur/professionnel mais, individu/groupe : beaucoup de
danseurs aiment prendre leur temps de recherche : il y a les travailleurs de force qui travaillent
tout seul et ceux qui travaillent sur l'écoute, l'échange, qui ont d'autres envies...
_ L'animateur :
Je vous propose de boucler la boucle et qu'on aille voir le résultat du travail entre Hassan et
Kongo dans le Renc'art zinc.

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