Le Commissaire dans la truffière Brevet des collèges

Transcription

Le Commissaire dans la truffière Brevet des collèges
Séquence 3
Brevet des collèges
Le Commissaire dans la truffière
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« ALLEZ Roseline ! Encore une, va ! Cave-m’en 1 encore une ! »
Couché sur le flanc, un brin d’herbe aux lèvres, la tête sur la main, Alyre
Morelon flattait Roseline de la voix et du geste. Et Roseline lui léchait tendrement la barbe avec sa langue qui fleurait 2 bon la truffe fraîche. Elle poussait en même temps de courts grognements satisfaits.
« Allez, Roseline ! Fais pas la bête ! Juste une ! Tu m’en tires encore une
et on rentre ! »
Mais Roseline se faisait prier. Elle le bourrait de petits coups de tête persuasifs qui signifiaient bien : « Allez, va ! Rentrons ! Tu en as assez pour
aujourd’hui ! Tu as plus gros yeux que gros ventre ! »
Alyre considéra son panier et soupira. Il en contenait à peine quatre kilos
et le courtier 3 lui en avait demandé dix pour samedi.
« Tu es une grosse feignante ! dit-il. Je te parle plus ! »
Et il se tourna sur l’autre flanc. Alors Roseline soupira à son tour, à sa
façon. Elle fureta un peu, autour du truffier en spirale. C’était, chose assez
rare, parmi la truffière de jeunes chênes, un amandier au tronc tordu comme
si l’avaient essoré les mains musclées d’une lavandière. On rencontre, dans
ces parages des Basses-Alpes, de ces troncs mystérieux aux rides en hélice,
figés autour de leur axe et qui montent, comme aspirés par le ciel. La truffe
est capricieuse, vous l’espérez au pied d’un bel arbre nouveau au sol bien peigné, mais elle, elle vous attend sous la pagaille broussailleuse d’un genévrier
noué ou sous un chêne de deux cents ans, où, soi-disant, on n’en a jamais
levé une seule. Elle vous attend quand on a une Roseline à sa disposition.
« Cro ! »
C’était le « Cri ». Un cri inimitable. Plutôt
une espèce de déclic bref. D’un bond, Alyre
fut sur elle, se baissa, ramena la truffe au
panier. Elle ne devait pas faire loin de cinquante grammes.
« Ah ! belle fille ! Ça oui, c’est une belle
fille, madame, vous savez ! »
Il s’agenouilla contre elle, embrassa la
truie à deux reprises sur ses grosses joues
soyeuses et elle était tellement contente de
lui faire ce plaisir qu’elle le bouscula d’un
coup de train et ils roulèrent tous deux
enlacés, en un concert de rires et de grognements, sur la bénédiction de ce sol grumeleux, moitié air moitié terre, qui était leur
mine d’or.
« Fan de garce, Roseline ! Fais un peu
attention, tu m’écrases ! »
Il se releva et empoigna le panier. L’air
sentait, au loin, la soupe chaude. C’était
l’heure. Des fumées descendaient du village,
qui invitaient au retour.
L’un suivant l’autre, ils regagnèrent la
lisière du bois de chênes. La route blanche
et déserte montait vers Banon.
« Attends, Roseline, que je te remette
quand même ton collier, cause des voitures… »
1. Caver : creuser.
2. Fleurer : répandre
une odeur agréable.
3. Courtier : personne
dont la profession est
de servir
d’intermédiaire entre
deux parties dans
des transactions
commerciales ou
financières.
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En réalité, ce collier, c’était une faveur rose qui enrubannait autrefois la
grosse cloche en chocolat qu’Alyre avait offerte à son fils lorsque celui-ci
avait huit ans. Et ce fils, comme Alyre, adorait Roseline qui lui gagnait la
moitié, au moins, de ses études à Paris. Un jour, dans sa chambre, détachant du cadre du miroir cette faveur où les mouches depuis longtemps
s’ébattaient, il avait dit à son père : « Tiens, tu la lui passeras autour du cou…
En attendant que je la revoie. »
Ce collier, relié à une méchante ficelle, c’était pour la forme, car Roseline, consciente probablement de sa valeur marchande, ne divaguait jamais
hors du bas-côté de la route.
Jamais… Pourtant, depuis l’été dernier tout de même, ça lui arrivait bien
quelquefois, soudain, de se jeter à travers les chênes ou de foncer droit sous
le couvert des lauriers. Et justement ce soir-là…
Pierre Magnan, Le Commissaire dans la truffière, 1978.
QUESTIONS
Les premières pages d’un roman
1. Où l’histoire se passe-t-elle ? À quelle époque et à quel moment ?
2. Qui sont les personnages de ce roman ? Quel est leur nom ? Qu’apprend-on à leur sujet ?
3. Que se passe-t-il dans le début de l’histoire ?
Le choix du point de vue
4. Qu’est-ce qui peut créer un effet de surprise (un quiproquo) pour le lecteur dans le début du texte (l. 1 à 5).
Quels éléments peuvent avoir favorisé ce quiproquo ? À quels indices peut-il s’apercevoir de son erreur d’interprétation ?
5. Quel est l’effet de ce quiproquo sur le lecteur ?
6. Des lignes 30 à 52, étudiez les caractéristiques du langage Alyre ? Justifiez votre réponse en citant le texte.
7. Qui est le narrateur de ce récit ? Justifiez votre réponse.
8. Dites de quoi il est question des lignes 15 (« C’était… ») à 23. Proposez un titre à ce passage. Quels sont les
temps employés dans ce passage ? Quel est celui qui l’est le plus ? Quelle(s) valeur(s) prend-il ici ?
9. Quelles images pouvez-vous lire des lignes 15 à 19 ? Que caractérisent-elles ? Comment pouvez-vous qualifier le langage employé dans ce passage ?
10. Quelle forme de discours est le plus présent dans le passage des lignes à 15 à 19 ? justifiez votre réponse.
11. a. Étudiez les temps employés des lignes 32 à 45 et dites quelle(s) valeurs(s) ils prennent ici.
b. Dans quel plan d’énonciation ce passage est-il écrit ?
c. Quelle forme de discours domine dans cet extrait ?
L’univers du roman
12. Dans quel univers social cette histoire se passe-t-elle ?
13. Quelle atmosphère se dégage de cet univers évoqué ?
14. Quel(s) genre(s) de roman le lecteur qui vient de lire ce passage peut-il s’attendre à lire ?
RÉÉCRITURE
Récrivez le passage des lignes 32 à 40 (« Il s’agenouilla… leur mine d’or. ») en mettant quand c’est possible les
verbes au plus-que-parfait et en remplaçant le nom « la truie » par un pronom personnel.
RÉDACTION
En prenant en compte tous les indices du texte, proposez une suite immédiate à ce début de récit en vous limitant aux événements de « ce soir-là ».
Vous respecterez le choix du narrateur et les temps de la narration du début du récit.
Les événements que vous imaginez ne doivent pas être en contradiction avec les informations qui figurent
dans le texte et le paratexte.
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