Trop classe ! _Enseigner dans le 9-3_

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Trop classe ! _Enseigner dans le 9-3_
Véronique Decker Trop classe ! (Enseigner dans le 9-3), Paris, Libertalia, 2016,
124 p. 10 euros
Difficile de ne pas rire pour certaines évocations : « Les poux », « La 4 L », « Une
maman sur le toit » qui n’est que la réalité [http://www.lefigaro.fr/actualitefrance/2013/03/27/01016-20130327ARTFIG00520-la-colere-des-parents-face-a-l-absence-dune-enseignante.php].
On sourit et on se réjouit même : « La poésie, ça ne salit pas » (réponse d’un élève de
CP à un employé municipal lui reprochant de coller sur des panneaux ayant servi à une
campagne électorale). Le poème commençant par « Mon papa, il est fort … » (pp. 97-99)
montre le plaisir d’écrire.
Un reflet positif d’une remarque précédente d’une enfant :
« Mon papa aussi il est très fort, il a foutu des baffes à maman et
maman est partie elle est partie à l’hôpital » (pp. 76-78).
C’est tout le parcours d’une vie d’enseignante qu’on suit
brièvement : depuis les débuts chaotiques comme institutrice aux
luttes épuisantes, épiques en tant que directrice d’école et qui
arrive à la retraite.
Pas de legs pontifiant, de message idéologico-éthicoreligieux plus ou moins pompeux et creux ! L’ironie de la réalité
de la misère : des élèves Roms et leurs familles expulsés
accueillis la nuit à l’école par la directrice et un groupe de
bénévoles. Puis obtention d’une place provisoire sur un terrain
de la mairie de Bobigny et le logement grâce au matériel
personnel de camping des bénévoles et de la directrice. « Mais
pour moi, cela a été dramatique, car ce jour là, j’ai pris conscience que désormais, le progrès
social s’était mis à reculer. » (page 97).
L’évocation du Rom bulgare Slavi, « un emblème de notre indignité » (pp. 113-114)
est aussi la réalité criante, plus implacable [http://www.liberation.fr/societe/2014/06/23/lesort-des-roms-de-bobigny-entre-les-mains-de-la-justice_1048464 ;
http://www.liberation.fr/photographie/2015/07/21/slavi-enfant-rom-ballotte-de-bidonvillesen-hotels_1351117].
Et Véronique Decker nous donne des exemples de retombées positives de la pédagogie
Freinet qui a éclairé sa vie professionnelle : le conseil des élèves transposé à la maison par
trois garçons « […] maman fait les courses, prépare la cuisine […] mais toi, papa, tu ne fais
rien, alors nous te critiquons. » (Page 94).
L’exploit de Véronique est d’appeler un chat un chat : l’institutrice qui préfère
abandonner son poste plutôt qu’être au milieu de noirs et autres métèques (page 103-104).
« Le souci c’est que beaucoup d’enseignants ont appris à faire « face » aux enfants, et à se
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comporter avec eux comme s’ils étaient des ennemis. » (Page 49) Et le cas de l’agression
contre les institutrices est aussi présent, avec le soutien imbécile de parents à une élève
menteuse (pp. 109-110).
Et d’autres vérités amères tombent :
« […] il ne suffira pas de crier aux oreilles des enfants qu’ils sont « Charlie ». Pour
s’attacher au territoire français, il faut qu’il fasse tout entier partie de l’enfance de chacun
d’eux. Et pour cela il faudrait que les classes, toutes les classes, puissent échanger, visiter,
vivre l’expérience collective des écoles transplantées. » (Page 87)
« La France maintient sur les territoire de la banlieue un regard colonial. Je
comprends que les enfants en grandissant le trouvent insupportable. » (Page 113)
Gentiment, sans prêchi prêcha, Véronique confie dans les dernières pages :
« Nous n’avons besoin de chef ni de hiérarchie. La coopération suffit à nous faire
progresser et à faire progresser nos élèves. » (p. 116)
« Moi je pense que c’est dangereux d’obéir. Il faut d’abord réfléchir, il faut discuter, il
faut s’approprier les décisions. C’est d’abord cela que nous enseignons aux enfants, en
réunissant chaque semaine des conseils d’élèves dans toutes les classes. (Page 119).
Il y a bien d’autres belles pages !
Frank 21.02.16
Un extrait du livre est disponible sur
http://www.questionsdeclasses.org/?Coup-de-coeur-Trop-classe
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