Le pouvoir et ses caractéristiques propres
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Le pouvoir et ses caractéristiques propres
LE POUVOIR ET SES CARACTERISTIQUES PROPRES DANS LE CONTEXTE AFRICAIN Le pouvoir politique, pour reprendre l’expression de CHANTEBOUT, se définit comme :<<la manière d’organiser la société en fonction des fins qu’on lui suppose>>. C’est donc, plus laconiquement, l’art de conduire les affaires de la cité. Mais, si l’on remonte un peu aux origines, la notion de pouvoir se conçoit dans toutes les situations où un individu peut obtenir d’un autre, un comportement que ce dernier ne pouvait adopter spontanément. Toutefois, le pouvoir ne sera pas politique aussi longtemps que son objectif sera d’assouvir un intérêt particulier ou de satisfaire les ambitions plus ou moins légitimes d’un groupuscule de personnes. A contrario, le pouvoir revêtira un caractère politique dès lors que sa finalité sera socialisée ; autrement dit, il faut que la fin sociale qu’il vise, transcende la finalité propre à chacun des groupements secondaires, pour recouvrir toute la communauté. Ainsi se pose le problème du cadre d’exercice du pouvoir politique que l’on se propose d’examiner en section 1ère avant d’aborder ses caractéristiques propres dans le contexte africain, en section II. Section 1ère : Le cadre d’exercice du pouvoir politique. Le pouvoir politique n’est pas seulement un concept théorique. Il est surtout pragmatique. Pour cette raison, le pouvoir politique a besoin, pour sa mise en œuvre, d’un cadre physico-chimique( §1) et d’un cadre spirituel (§2). §1- Le cadre physico-chimique : l’Etat Les caractères physique et juridique de l’Etat résident d’abord, de façon concrète dans le fait qu’il est une entité matérielle, donc palpable ; ensuite, d’une façon abstraite dans sa qualité de personne juridique, titulaire de droits et d’obligations. 1 Aussi, convient-il de formuler les interrogations suivantes : qu’est-ce que l’Etat ? quels sont ses critères d’existence et quelles sont ses fonctions ? A- Qu’est-ce que l’Etat ? L’Etat, c’est cet appareil de la puissance publique dont il suffit d’avoir l’idée pour en percevoir la structure, le personnel et les moyens. Selon le professeur PACTET, <<l’Etat apparaît comme…une personne morale détachée de la personne physique des gouvernements…C’est de l’Etat que les gouvernants reçoivent leurs compétences. C’est en son nom qu’ils les exercent>>. A titre d’illustration, un policier en uniforme intime à un conducteur, l’ordre de s’arrêter. En s’arrêtant, le conducteur obéit aux injonctions non pas de l’homme qu’il connaît bien et qui n’est d’ailleurs autre que le mari de sa cousine germaine ; mais plutôt, il obéit à l’agent, au représentant de la puissance publique, à l’Etat. Le professeur BURDEAU affirme à cet effet que<<l’Etat est une forme de pouvoir qui ennoblit l’obéissance : les hommes ont inventé l’Etat afin de ne pas obéir aux hommes>>. B- Conditions d’existence de l’Etat Les Etats ne sont pas des données naturelles figées, mais des créations humaines affectées elles aussi par les mouvements de la vie. Ils peuvent donc naître et disparaître comme les êtres vivants. Trois conditions cumulatives et non alternatives commandent la naissance et l’existence de l’Etat : <<il faut considérer qu’il existe un Etat dès lors que ces trois conditions sont remplies : qu’il y ait un territoire, une population, une puissance publique. En d’autres termes, l’Etat est un pouvoir s’exerçant sur une population et à l’intérieur d’un territoire. La naissance des Etats peut être consécutive au démembrement d’un empire (c’est le cas de l’empire austro-hongrois en 1919), à des opérations de décolonisation comme on l’a vu en Afrique pour les anciennes colonies françaises, ou enfin, à une sécession (cas de l’Erythrée) ou une partition (les deux Corées, les deux Viet-Nam, etc.). 2 De la même manière, l’Etat peut disparaître si, à la suite d’une crise, un des trois éléments sus-mentionnés se trouve durablement affecté. C’est le cas en Somalie où la guerre civile a fait disparaître le pouvoir public, disperser les populations et émietter le territoire. C- Quelles sont les fonctions de l’Etat ? Les fonctions de l’Etat consistent à garantir les libertés et à contenir le jeu normal des institutions dans la fourchette acceptable et dans le respect d’une constitution. Pour ce faire, le pouvoir doit être consenti : c’est pourquoi, <<depuis les philosophes du Moyen-Age, la nécessité du consentement n’a cessé d’être affirmée par les publicistes qui allèrent jusqu’à imaginer une forme juridique pour en préciser les conditions. C’est le "Pactum subjectionis " , sorte de convention aux termes de laquelle les sujets reconnaissent l’autorité du prince à condition que celui-ci n’en use que pour le service du bien commun>> Si l’Etat en arrive à permettre que le jeu normal des institutions soit faussé, que l’image de l’avenir désiré par les populations soit compromise, en un mot, que l’inacceptable se produise, alors, il devient possible que l’ordre politique existant soit remis en cause par une intervention de l’armée. C’est ce sentiment qu’exprime Maître Abdoulaye Wade lorsque, parlant du risque de fraudes aux élections présidentielles sénégalaises de février et mars 2000, il affirme :<<si les choses continuent de la sorte, nous arriverons à la confrontation. Ce sera un grand désordre que ni la police, ni la gendarmerie ne pourront contenir. Par conséquent, seule l’armée pourra arbitrer le jeu. Je le dis en tant que juriste et en connaissance de cause : ce n’est pas moi qui fais appel à l’arbitrage de l’armée, mais c’est la constitution elle-même qui le fait….>>. §2. L’élément spirituel : la Nation Le lien entre la population, l’Etat et la Nation est très étroit. Pour cette raison, <<certains ont pris l’habitude d’utiliser le mot Nation pour désigner le groupement humain qui sert de support démographique à l’Etat, ce qui laisse supposer qu’il y a une coïncidence parfaite entre l’Etat et la Nation>>. 3 Une telle conception doit selon Mr MONKOTAN être nuancée, au moins pour deux raisons. D’abord, sur le plan historique, la formation des Etats africains à la suite de la décolonisation a apporté un démenti à l’affirmation selon laquelle la réalisation de l’unité nationale précède toujours la constitution de l’Etat. Ensuite, pour une raison de simple logique, si les Etats sont des entités qui ne peuvent que se juxtaposer les unes aux autres, les Nations ou les nationalités sont, quant à elles, des ensembles aux contours diffus qui coïncident rarement avec la carte des Etats. On a pu voir le cas avec la nation serbe, qui après l’éclatement de la Fédération Yougoslave, présente des ramifications en Bosnie, en Croatie, au Kosovo, etc. Mais alors qu’est-ce que la Nation ? Plusieurs auteurs ont tenté d’aborder la notion. Si les différentes thèses élaborées se recoupent en plusieurs points, elles ne sont pas pour autant uniformes sur la définition. Pour le professeur Jean GICQUEL, la nation est <<un groupement humain dans lequel, les individus se sentent unis les uns aux autres par les liens à la fois matériels et spirituels et se conçoivent ainsi différents des individus qui composent les autres groupements nationaux>>. Cet auteur, dans le but d’étayer sa thèse, fait appel à la définition du Doyen Maurice Hauriou : <<la nation, c’est le vouloir vivre collectif>>.Gicquel énonce que la formation d’une nation requiert la réunion<<d’éléments objectifs (la géographie, la langue, la religion, l’idéologie et aussi et surtout le race), et d’éléments subjectifs (les guerres, les calamités, et en sens inverse, les années de prospérité, les réussites communes)>>. Selon le professeur Burdeau, <<la nation, rêve d’un avenir partagé, trouve son origine dans un sentiment attaché aux fibres les plus intimes de notre être : le sentiment d’une solidarité qui unit les individus dans leur volonté de vivre ensemble>>. Au regard de ces différents développements, on peut se poser une question de portée relativement localisée : "existe-t-il une nation béninoise ?" il serait malaisé de répondre par la négative, malgré le nombre et la persistance des données qui devraient justifier une telle prise de position : grande diversité culturelle et linguistique, clivages nord-sud, etc. Le Bénin résulte d’un conglomérat d’anciens royaumes ayant combattu le même colonisateur ; pour autant, le pays pris dans son ensemble, n’a pas véritablement connu à l’origine, une histoire unique. 4 On peut toutefois affirmer, au risque de paraître quelque peu iconoclaste, que la notion béninoise, du moins ce qui en fait office à l’heure actuelle, n’a commencé à se constituer très lentement qu’à partir de 1960, année d’indépendance, pour se renforcer progressivement tout au long de l’histoire, étapes par étapes. Les évènements à mettre l’actif de cette heureuse tendance sont hélas très sporadiques : le changement de nom(le Dahomey qui rappelait le seul royaume du Danhomé, est devenu le Bénin), les dures épreuves du non paiement des salaires ayant précédé la Conférence Nationale de 1990, cette conférence ellemême, et la conférence bilan des conférences de février 2000, avec à la clef, la chaîne des anciens Présidents et leaders politiques. Mais il convient de faire attention : la volonté de vivre ensemble qu’exprime l’idée de nation ne doit pas dégénérer en un sentiment d’exclusion du type "ivoirité" ou en mythe mobilisateur et dévastateur comme on l’a vu sous le IIIème Reich d’Hitler, ou encore en un nationalisme exacerbé comme celui qui a servi de fondement à la purification ethnique et au génocide dans les conflits yougoslaves et rwandais. Section II. La métaphore du pouvoir politique. Certains acteurs de la scène politique, pour mettre en relief les soubresauts du pouvoir politique, établissent volontiers, une comparaison entre ce dernier et des manifestations de certains phénomènes physiques. A titre d’exemple, le Général Amadou Toumani Touré (ATT) déclarait que<<le pouvoir politique en Afrique, c’est comme un avion qui entre dans une zone de turbulences. Il bouge dans tous les sens et personne ne peut en prévoir l’issue>>. De même, dans la nuit du jeudi 23 au vendredi 24 décembre 1999, c’est-à-dire, au cours de la nuit qui a précédé la chute du Président H.K.Bédié, alors que la mutinerie militaire s’intensifiait, le diagnostic du premier ministre Daniel Kablan Duncan est sans appel : <<le navire prend l’eau de toutes parts>>. Cette métaphore qui assimile le pouvoir politique à un navire pris dans une tempête semble très expressive. En effet, le pouvoir politique, sous les effets conjugués des crises dont il est le siège, chancelle à la 5 manière d’un navire par mauvais temps, qui bourlingue, c’est-à-dire, roule bord sur bord. On fera une traduction schématique de cette similitude en mettant en valeur d’abord le jeu normal des institutions dans les grandes démocraties comme les Etats-Unis d’Amérique, la Grande Bretagne ou la France (§1), et ensuite les particularités propres au contexte africain (§2). §1. La traduction schématique du jeu normal des institutions : cas des grandes démocraties La figure (a) de l’annexe 1 montre que le pouvoir politique représenté par la flèche mobile appliquée au centre du demi-cadran, peut osciller à gauche et à droite, en restant toutefois confinée à l’intérieur des limites d’une amplitude maximale. Les crises politiques dues à la baisse de popularité, aux menaces des motions de censure, des procédures " d’empeachment" et autre, ne dégénère presque jamais en crise de régime (la crise de régime pouvant être le prélude à une révolution). On interprète cet état de choses en disant que le pouvoir est en équilibre stable. §2.La traduction schématique des particularités du pouvoir dans le contexte africain. Comme le montre (b) de la même annexe, il peut arriver que les soubresauts du pouvoir atteignent et dépassent même l’amplitude maximale permise. Il se produit alors inévitablement, voire automatiquement un coup d’Etat militaire. On constate dans ce cas que les crises politiques engendrent facilement des crises de régime. Car, le coup d’Etat militaire qui renverse le régime politique existant, ne survient que lorsque l’inacceptable se produit. Ce que l’on est convenu d’appeler l’inacceptable dans ce mémoire, résume toutes les situations d’impasse politique caractérisées par la persistance de la personnalisation et de la concentration du pouvoir, du défaut d’alternance, des fraudes électorales à grande échelle, du non respect de l’Etat de droit, de la prévarication, de la corruption, etc., comme on le verra dans le chapitre suivant. 6 7