Textes 5 et 6 : Larbaud – Cendrars Question

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Textes 5 et 6 : Larbaud – Cendrars Question
Textes 5 et 6 : Larbaud – Cendrars
Question : En quoi ces deux poèmes traitant d’un même sujet se ressemblent-ils et
diffèrent-ils ?
Introduction
Présentation générale : Deux poèmes du XXè siècle contemporains l'un de l'autre, comme
l'indiquent les dates dans le paratexte.
Présentation des poèmes : Evocation d'un même objet : le train. Mais nous avons deux
personnalités différentes et deux visions différentes. Valéry Larbaud, très fortuné, était un grand
voyageur. Cendrars, grand voyageur lui aussi, évoque une fugue qu'il aurait faite à 16 ans, depuis
Paris, en direction de la Russie puis de la Sibérie.
Reprise de la question et annonce du plan
I – Une poésie novatrice
a) par le sujet :
Larbaud et Cendras choisissent comme thème d’inspiration un objet représentatif de la
modernité : le train. Pour l’un et l’autre, il sera évoqué avec lyrisme : le poème de Larbaud souligne
le bien-être de l’auteur :« Je parcours en chantonnant tes couloirs » v.6 ou « J'ai senti pour la
première fois toute la douceur de vivre » v.11. Le titre « Ode » renvoie au lyrisme traditionnel.
Cendrars privilégie une vision cauchemardesque : « Chocs /Rebondissements /Nous sommes un
orage /Sous le crâne d'un sourd… » v. 16 à 20. Le titre lui-même semble écarter le texte du genre
poétique : « Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France »
➜Ainsi chacun renouvelle-t-il un registre ancien aux origines même de la poésie.
b) par la forme :
Larbaud et Cendrars optent pour une poésie déstructurée :
➜ des vers libres : les longueurs sont extrêmement différentes :
- Larbaud : 24 syllabes : « Et vous, grandes places à travers lesquelles j'ai vu passer la Sibérie et
les monts du Samnium »v. 17 ; 6 syllabes« Ô Harmonika-Zug ! » v. 10
Cendrars : 24 syllabes : «Le monde s'étire s'allonge et se retire comme un accordéon qu'une main
sadique tourmente » v. 8 ; 1 syllabe : « Chocs » v.17
➜ des strophes de longueurs inégales :
- Larbaud :10 vers, 9, 9 et 2
- Cendrars :1, 19 et 1 : le monostiche revenant comme un refrain
➜ Le début du XXe siècle est ainsi marqué par les innovations poétiques ; 1913 est tout à la fois
l’année de la publication de Poésies de A.O Barnabooth, de Prose du Transsibérien et de la petite
Jehanne de France mais aussi d’ Alcools d’Apollinaire
c) le langage poétique se traduit donc :
- par la disposition typographique
- par le travail des sonorités :chez l’un et l’autre, elles traduisent les sensations des
poètes (Larbaud : assonances en « ui » : «bruit », « cuir », cuivre », paronomase : « laquées »,
« loquets » ; allitérations en « r » : « à travers des prairies où des bergers, /Au pied de groupes de
grands arbres pareils à des collines » ; Cendrars : allitérations en « r » « Le monde s'étire s'allonge
et se retire comme un accordéon qu'une main sadique tourmente /Dans les déchirures du ciel, les
locomotives en furie » ; assonances en « ou » : « Et dans les trous, /Les roues vertigineuses les
bouches les voix /Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses » ; onomatopée : « Le brounroun-roun des roues »
- par l’emploi de mots inattendus : Larbaud : « Harmonica-Zug »
- par les images originales et fortes : Cendrars : « Toutes les gares lézardées obliques sur la
route /Les fils télégraphiques auxquels elles pendent /Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les
étranglent »
- et chez Cendrars, l’abandon de la ponctuation, laissant une part de liberté au lecteur.
➜ Tout en renouvelant l’inspiration, les formes poétiques, Larbaud et Cendrars restent sensibles à la
valeur poétique du langage.
II – Des atmosphères différentes
a) par l’énonciation
– Chez Larbaud, on peut noter l’emploi de la 2ème pers. du sg. au vers 1 « Prête-moi » puis de la
2ème pers. du pl. au vers 20. L’auteur s’adresse directement au train, qui reste d’ailleurs
indéterminé : c’est autant celui qui mène à Vienne qu’en Sibérie, en Bulgarie ou encore en
Castille. Ce passage de la 2ème pers. du sg. à la 2ème pers. du pl. peut traduire une gradation de
l’admiration du voyageur : il passe de la proximité, de la familiarité à une sorte de respect
devant la magnificence découverte grâce au train.
Le poète est présent aussi par l’emploi de la première personne : « Je parcours », « je suis »,
« J’ai senti », « Ah ! il faut que ces bruits et que ce mouvement / Entrent dans mes poèmes ». Le
voyageur est parfaitement en accord avec le lieu où il se trouve, en accord avec ses compagnons
comme le souligne l’emploi du pronom « on » au vers 13.
- Chez Cendrars, on peut parler de poème conversation : à la première réplique […] " Dis, Blaise,
sommes-nous bien loin de Montmartre ? ", répond le développement des vers 2 à 20 ; puis la même
question revient, suivie d’une nouvelle réponse : « Mais oui, tu m'énerves, tu le sais bien ». On peut
s’interroger sur l’identité du premier locuteur.
b) par les sentiments opposés
- chez Larbaud, il s’agit d’une vision méliorative. Le luxe et le confort du train sont soulignés par de
nombreux termes, notamment dans la première strophe : « ta grande allure si douce » V , « Ton
glissement nocturne » V , « Ô train de luxe ! » V , « tes couloirs de cuir doré » V , « les portes
laquées, aux loquets de cuivre lourd, /Dorment les millionnaires.» V . De même , les expressions
désignant les sons sont laudatives : « Mêlant ma voix à tes cent mille voix » V , » Vos miraculeux
bruits sourds et /Vos vibrantes voix de chanterelle ; /Prêtez-moi la respiration légère et facile » V .
Enfin, les multiples noms de lieux entraînent au rêve, à un certain exotisme d’autant plus que ces
noms de lieux sont souvent accompagnés d’un terme mélioratif : « l’Europe illuminée » V , »la
Bulgarie pleine de roses » V .
- chez Cendrars, l’atmosphère est bien différente. Le premier vers du passage et sa répétition
soulignent l’éloignement du lieu d’origine, lieu connu, sans doute rassurant : « Dis, Blaise, sommesnous loin de Montmartre ? ». Puis suivent les expressions du champ lexical du mal-être :
« inquiétude » deux fois répété V , , « étranglent » V , « une main sadique tourmente » V , « les
chiens du malheur » V , « la peste le choléra » V
c) des visions différentes
- harmonie et élégance chez Larbaud : le train est personnifié comme le soulignent les impératifs.
Les nombreux vocatifs lyriques : « Ô train de luxe » V , « Ô Harmonika-Zug ! » V , « ô OrientExpress, Sud-Brenner-Bahn » V
traduisent l’admiration du poète-voyageur pour cet endroit
magnifique quasi humain « aux cent mille voix » V , « à l’allure si douce » V . la personnification se
précise dans la troisième strophe dans laquelle sont attribués aux locomotives des caractérisations
de l’élégance féminine : « hautes et minces, aux mouvements /Si aisés » V . Les passagers du train
se mêlent à cette harmonie luxueuse telle la « belle cantatrice » « aux yeux violets » V et le bienêtre des « millionnaires » V qui « dorment » en toute sérénité. Contrastant avec cette harmonie,
ceux du dehors sont marqués par la pauvreté : « des bergers (…)Etaient vêtus de peaux de moutons
crues et sales… » V
- cauchemar chez Cendrars : le paysage est perçu fort négativement, les termes dépréciatifs
s’accumulent traduisant la misère « gares lézardées » V , « poteaux grimaçants » V . ici, pas de
lignes douces, mais des droites qui semblent balafrer le paysage « les fils télégraphiques », « les
poteaux », « les déchirures du ciel » V . Le champ lexical de la douleur et du meurtre est très
présent : « pendent » V , «étranglent » V , « tourmente » V . Les comparaisons accentuent
l’expression du mal-être : « comme un accordéon qu'une main sadique tourmente » V , « comme
des braises ardentes » V . Le paysage semble le lieu du mal, il est question des « démons » V , des
« chiens du malheur » V
. La personnification de la locomotive illustre une vision
cauchemardesque : elle est associée à la folie, à la maladie. Enfin les bruits sont dissonants « fauxaccord » V , brutaux comme l’indiquent les vers d’un seul mot : « ferrailles » V , « Chocs /
Rebondissements » V et le verbe de l’avant-dernier vers « beugle » V . Paysage, locomotive, train
sont caractérisés comme des êtres maléfiques qui entraînent dans leur course hallucinée les
voyageurs : « Nous sommes un orage /Sous le crâne d'un sourd… » V
Conclusion :
Donc, deux poèmes d'une même époque évoquant un même objet, le train évoquant l’un et
l’autre le voyage vers des horizons inconnus. Mais deux sensibilités et deux esthétiques différentes.
Toutefois, le train est dans les deux cas le point de départ d'une authentique création poétique.
➜ un objet identique mais perçu fort différemment
un renouvellement des formes et du langage poétiques

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