le_monde/pages 17/07/09

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Portrait Décryptages 17
0123
Vendredi 17 juillet 2009
En 1988, Doria Johnson décide de se consacrer au destin
Elles&ils Olivier Schmitt
de son arrière-arrière-grand-père et des Noirs américains
lynchés au début du XXe siècle. L’historienne était invitée aux Robert
Rencontres d’Arles pour l’exposition «Without Sanctuary» Redford
Cinéma
L’acteur et réalisateur américain,
Hantée par son aïeul
71 ans, a épousé, samedi à Hambourg
sa compagne, Sibylle Szaggars, 51 ans,
peintre originaire de ce port du nord
de l’Allemagne, avec qui il partage sa vie
depuis 1996. La cérémonie s’est déroulée
devant une trentaine d’invités, en allemand, dans l’église Sainte-Catherine.
Le couple prévoit d’organiser une grande
fête pour leurs proches en septembre
au Mexique. Après quoi il rejoindra
les montagnes de Provo, la capitale universitaire de l’Utah (Etats-Unis), Etat
dans lequel Robert Redford a fondé,
en 1981, le Festival du film indépendant
de Sundance.
E
nfant, Doria Johnson n’avait
pas le droit d’accrocher au mur
la photo de certains chanteurs.
Ils n’étaient pas de la bonne
couleur. Et lorsqu’elle ramenait des amis blancs à la maison, son grand-père fronçait les sourcils,
en disant : « Ne leur fais pas confiance,
Doria. Souviens-toi de ce qu’ils ont fait à
Grand-Pa Crawford. »
Il y a des blessures qui ne se referment
pas. Celle d’Anthony Crawford suppure
depuis près d’un siècle, infectant l’histoire personnelle et familiale de Doria Johnson. « Le sang de mon arrière-arrièregrand-père n’a pas séché », affirme cette
femme élégante de 48 ans, d’une voix aussi douce que déterminée.
Doria Johnson est invitée en tant
qu’historienne et témoin par les Rencontres de la photographie d’Arles, à l’occasion de l’exposition « Without Sanctuary » : 78 documents et cartes postales,
d’une violence insoutenable, qui montrent le lynchage de Noirs américains.
Anthony Crawford, l’ancêtre de Doria
Johnson, a été lynché par la foule dans le
sud des Etats-Unis en 1916. Il fut l’un de
ces « strange fruits », (fruits étranges) pendus aux arbres dont Billie Holiday a chanté la complainte en 1939.
Le crime d’Antony Crawford ? Etre
noir. Mais pas seulement. « Mon arrièrearrière-grand-père était aussi riche et puissant », explique Doria Johnson. Profitant
des lois favorables aux Noirs votées pendant la période de la reconstruction
(1865-1877), la famille d’Antony Crawford
vivait à l’aise. Doria Johnson en a trouvé
la preuve dans le journal et les archives
d’Abbeville (Caroline du Sud).
A 56 ans, son aïeul possède 500 acres
(200 hectares) où ses treize enfants cultivent le coton. Sur sa propriété, il a créé
une école pour les enfants noirs. Il sait lire
et écrire, il vote et fait partie d’une association de fermiers noirs. Autant de signes
de réussite et d’indépendance devenus
insupportables aux yeux des Blancs.
En 1916, une altercation au sujet de graines de coton prétendument trop chères
suffit à mettre le feu aux poudres. Emprisonné pour avoir insulté un Blanc, Antony Crawford est tiré de sa cellule par une
foule furieuse. Il est traîné dans les escaliers, roué de coups et finalement poignardé. Mais ce n’est pas encore assez : on l’attache à une voiture et on le traîne dans
toute la ville, « en marquant un arrêt dans
les quartiers noirs », précise Doria Johnson.
Finalement, son corps est pendu à un
arbre sur la grand-place. Les hommes
s’amusent à vider leurs fusils sur le cadavre, puis l’exhibent là pendant toute une
journée. « La famille n’a pas eu le droit de
récupérer son corps tout de suite, explique Doria Johnson. C’est du terrorisme : il
fallait envoyer un message aux Noirs. »
«Je suis citoyenne
des Etats-Unis, mais
je suis africaine»
Les Crawford sont ensuite sommés de
quitter la ville. Ils doivent s’exécuter : les
autorités disent ne pouvoir garantir leur
sécurité. Avec l’exode vient la ruine. De
riches, les Crawford deviennent pauvres.
Surtout, la famille se disperse dans tout le
pays. Les grands-parents de Doria s’installent à Evanston dans l’Illinois. « C’est cela
le plus grave, toute la famille s’est disloquée. Depuis quelques années seulement,
on commence à se retrouver, à recoller les
morceaux. »
Conseil des ministres
A Abbeville, les coupables ne seront
jamais inquiétés car le procès organisé
après le lynchage s’achève par un nonlieu. Mais chez les Crawford, l’histoire
s’est transmise de génération en génération. Doria Johnson se souvient d’un
grand portrait du patriarche accroché
chez sa grand-tante Annabelle. « On n’en
parlait pas, mais tout le monde savait.
C’est un héritage, mais aussi un fardeau. »
Les échos du crime continuent de
résonner sur les vies, des années après.
Aucun membre de la famille n’a jamais
voulu s’engager dans l’armée. « Comment pourrait-on se battre pour l’Amérique ? » Plus jeune, Doria Johnson a même
traversé une phase de rage. « Au lycée,
j’étais dans une école intégrée et alternative, qui mélangeait les Noirs et les Blancs.
Mais ensuite j’ai découvert la réalité. J’ai
découvert que j’étais noire. »
Elle rejoint un temps le groupe radical
Nation of Islam, se met à « rejeter tous les
problèmes sur les Blancs », devient « une
révolutionnaire ». Aujourd’hui encore,
quand elle regarde le drapeau américain,
elle y voit « des étoiles, des rayures, mais
aussi le racisme et l’oppression. La violence est une spécialité américaine autant
que la tarte aux pommes ». Elle avoue
avoir longtemps eu « du mal à voter ».
C’est en 1988 que Doria Johnson transforme la malédiction familiale en expérience positive. Son frère vient de mourir
du sida. Dévastée, elle se plonge alors
dans l’histoire de sa famille. En 1990, elle
se rend pour la première fois à Abbeville.
Elle commence par l’église dont son ancê-
Parcours
1961 Naissance à Evanston,
dans l’Illinois (Etats-Unis).
1990 Premier voyage à Abbeville
(Caroline du Sud), où son aïeul
a été lynché en 1916.
2005 Le Sénat américain demande
pardon aux descendants des victimes
de lynchage.
2009 Invitée des Rencontres d’Arles
pour raconter son histoire, à l’occasion
de l’exposition « Without Sanctuary ».
tre était secrétaire : ce poste, découvre-t-elle, est tenu aujourd’hui par… un
Crawford.
Elle rencontre aussi les descendants
des acteurs de l’époque : ceux du shérif
qui s’est en vain opposé à la foule : « Il
paraît qu’il en a parlé, plein de remords,
jusqu’à la fin de sa vie. » Ceux de l’épicier
juif qui a caché les enfants d’Anthony
Crawford pendant le lynchage. Mais elle
ne trouvera pas la tombe de son aïeul :
pour éviter les profanations, Anthony
Crawford a été enterré en secret.
De fil en aiguille, Doria Johnson finit
par mettre son histoire au centre de sa
vie. Oublié le travail dans un cabinet
d’avocat, elle vend sa maison, reprend
des études et obtient une bourse pour
une thèse de doctorat. Son sujet : le rôle
des lynchages dans la grande migration,
l’exode des Noirs américains du Sud vers
le nord des Etats-Unis de 1915 à 1930. Aux
étudiants, elle veut enseigner l’histoire
des Noirs américains. Mais pas n’importe comment : « Traditionnellement, l’histoire raconte le sort des élites. Je veux dire
aussi celui des victimes. »
Elle parcourt aussi les Etats-Unis pour
raconter son histoire. Non sans effet : en
2005, le Sénat a voté une résolution pour
demander pardon aux descendants de
victimes de lynchage. Car pendant la première moitié du XXe siècle, par trois fois,
les sénateurs ont refusé de voter une loi
condamnant les lynchages. « C’est une
mesure symbolique, mais c’était nécessaire, dit-elle. Pour l’occasion, une centaine
de Crawford avaient fait le voyage à Washington. »
Reste que Doria Johnson n’a pas beaucoup d’illusions sur les Etats-Unis. L’élection d’Obama n’y change rien : « C’est une
victoire esthétique. Il ne dit rien sur l’injustice faite aux Noirs. » Et elle continue de
se battre : quand elle a voulu prendre un
appartement à Madison (Wisconsin), là
où elle enseigne, une propriétaire a refusé de le lui louer à cause de la couleur de
sa peau. Le procès est en cours.
Aujourd’hui, Doria Johnson veut
fouiller encore plus loin dans son passé.
Elle a fait des tests ADN, pour savoir de
quelle région d’Afrique venaient ses ancêtres. Pour quoi faire ? « Je suis citoyenne
des Etats-Unis, mais je suis africaine. »
L’année prochaine, elle ira au Nigeria. p
Claire Guillot
Photo Samuel Kirszenbaum
pour « Le Monde »
Hervé Marseille a été nommé membre
du Conseil économique, social et environnemental (CESE) au titre des personnalités qualifiées, lors du conseil des ministres du 13 juillet. Lors du même conseil,
le général de corps aérien Pierre Bourlot
a été nommé secrétaire général adjoint
de la défense nationale, à compter du
1er août. Jacques Audibert, conseiller
des affaires étrangères hors classe, a été
nommé directeur général des affaires
politiques et de sécurité au ministère
des affaires étrangères. Au sein du même
ministère, François Saint-Paul, ministre plénipotentiaire de 2e classe, a été nommé directeur des Français à l’étranger et
de l’administration consulaire ; Pierre
Vimont et Bernard Poletti, ministres plénipotentiaires hors classe, ont été élevés
à la dignité d’ambassadeurs de France ;
Gérard Araud, ministre plénipotentiaire
de 1re classe, a été nommé ambassadeur,
représentant permanent de la France au
Conseil de sécurité et chef de la mission
permanente française près les Nations
unies, à New York. André Viau, préfet, a
été nommé président du conseil
d’administration de la Société de gestion
de participations aéronautiques (Sogepa). Hugues Bousiges, préfet des Pyrénées-Orientales, a été nommé préfet
du Gard ; Jean-François Delage, préfet
des Hautes-Pyrénées, préfet des PyrénéesOrientales; Françoise Debaisieux, préfète de la Lozère, préfète des Hautes-Pyrénées ; Dominique Lacroix, préfet délégué auprès du représentant de l’Etat dans
les collectivités de Saint-Barthélemy et
de Saint-Martin, préfet de la Lozère ; Jacques Simonnet, sous-préfet d’Arles,
préfet délégué auprès du représentant
de l’Etat dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ; Michel
Lafon, préfet de l’Orne, préfet hors cadre ;
Bertrand Maréchaux, directeurdes systèmes d’information et de communication,
préfet de l’Orne. Pierre Mayeur, administrateur du Sénat, a été nommé directeur
de la Caisse nationale d’assurancevieillesse.
Histoire
Issey Miyake
Le grand couturier japonais, 71 ans,
survivant du bombardement atomique
d’Hiroshima, a demandé au président
américain, Barack Obama, de venir au
Japon commémorer cet événement tragique, survenu le 6 août 1945. Dans un article publié le 15 juillet par l’International
Herald Tribune, Issey Miyake écrit qu’il a
eu cette idée après le discours d’Obama,
en avril, à Prague, en faveur de l’élimination des armes atomiques.
Entreprises
Philippe Dewost, qui fut cofondateur
de Wanadoo (groupe France Télécom),
directeur général délégué de Realeyes3D,
spécialiste de l’imagerie sur mobile, vient
d’être nommé directeur général d’Imsense, spécialiste de la correction d’images.
Guilhem Mazzia, 36 ans, directeur général de Métin Location (franchise Hertz),
a été nommé, le 6 juillet, directeur général délégué de Rent a Car.
Guillaume Bucco, 48 ans, chargé
de la direction opérationnelle de Pipelife,
vient d’être nommé directeur général du
groupe chimique et pharmaceutique Solvay en France.
Michel Maillard, 60 ans, directeur général de Robeco Gestions, vient d’être nommé président du directoire de Banque
Robeco, spécialiste de la gestion d’actifs.
Courriel : [email protected]

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