La Recherche sur projet en sciences humaines et sociales
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La Recherche sur projet en sciences humaines et sociales
Analyse d’Orélie DESFRICHES DORIA [email protected] La Recherche sur projet en sciences humaines et sociales. Dossier I2D - Information, données & documents n°4, décembre 2015 ©ADBS Toulouse : Presses universitaires du Mirail, 2015. – 136 p.- ISBN 978-2-8107-0380-7 : 21 € Numéro de Sciences de la société, ISSN 11681446, 2015, n° 93 coordonné par Dominique Trouche et Caroline Courbières UNE ANALYSE DU FINANCEMENT DE LA RECHERCHE Ce numéro de la revue Sciences de la société, sur le sujet de la recherche par projets en sciences humaines et sociales, nous livre des réflexions produites de manière endogène et réflexive par des acteurs du monde de la recherche. Ces travaux, éclairants par bien des aspects, témoignent des tensions engendrées par cette organisation récente du financement de la recherche, qui relève du politique et ce, dans tous les sens du terme : au niveau ministériel, mais également au niveau des orientations, des stratégies et définitions du rôle des universités et, enfin, au niveau des conditions du travail de recherche des enseignants-chercheurs. Tout d’abord, la mise en place de ce fonctionnement du financement de la recherche par projet se situe dans un contexte plus large de réformes touchant l’université (ANR, LRU, Aeres et programmes cadres de l’UE), et a pu mener, par exemple, à refonder le rôle d’instances comme le Conseil scientifique dans les universités, comme le présente l’article de Patrick Baudry, vice-président du Conseil scientifique de l’Université de Bordeaux-Montaigne de 2009 à 2012. Ensuite, c’est dans un tissu dense d’acteurs interdépendants, et dont on trouve l’écho dans cet ouvrage, que la recherche se réalise aujourd’hui. Cette diversité des acteurs, nécessitée et impliquée par le projet, conduit les chercheurs à développer de nouvelles compétences d’articulation entre des modèles inspirés du monde de l’entreprise et des contraintes institutionnelles, ainsi que des compétences communicationnelles et relationnelles. Mais cette diversité des intervenants ne s’arrête pas à une tension, quelque peu écornée, entre le monde privé et public, elle inclut aussi de nouveaux acteurs des services d’accompagnement à la recherche, pour répondre à la technicité du fonctionnement des projets, services dont la création relève aussi de la politique de recherche des universités, qui sont désormais soumises à une concurrence internationale. La mise en œuvre de ces nouveaux services, dont Luc Gauthier présente un exemple à l’Université de Genève, et dont Gaëlle Covo nous décrit le fonctionnement de l’intérieur, entre également dans la définition de l’identité des universités, qui influe sur leur renommée et, par conséquent, sur l’obtention même des projets à diverses échelles (régionale, nationale ou européenne). L’ouvrage insiste aussi sur les transformations des modalités du travail des chercheurs sur plusieurs plans. Ainsi, outre les méthodes de gestion de projet, conduites par des contraintes de qualité, coût, délais, qui semblent difficilement conciliables avec l’activité de recherche - celle-ci impliquant des incertitudes sur les résultats -, ce qui est observé ici par Sarah Labelle, c’est une certaine pénétration du vocabulaire de l’entreprise dans les processus liés à la recherche (dans les appels à projets, les livrables, la planification budgétaire et la programmation de la temporalité de la recherche) et, par là-même, une forme de rapprochement de l’université avec le monde économique, et finalement une transformation des rapports entre sciences et société. Si cette organisation de la recherche par projet emprunte donc à l’entreprise son vocabulaire, elle imite aussi le formalisme de ses projets, qui incite à mettre en place des processus de gestion des connaissances pour capitaliser l’expérience afin d’améliorer les performances des chercheurs sur la recherche de projets, dans les réponses à appels à projets et dans leur conduite, comme le relate l’article d’Isabelle Vidalenc et Monique Malric. Le financement de la recherche par projet étant devenu la norme actuellement, il est néanmoins possible de porter un regard critique sur ce type de dispositif, à la manière de l’article d’Emilie Da Lage et Michèle Gellereau ou de celui d’Anne Piponnier qui clôt le numéro, notamment quant à l’influence du formalisme du projet sur les activités de recherche, d’écriture et de communication, ainsi que sur les contournements à imaginer pour limiter les risques d’assujettissement de l’activité de recherche au « mode projet », notamment en matière de détermination des sujets de recherche. ■