La fiducie dans un contexte de protection de la résidence familiale

Transcription

La fiducie dans un contexte de protection de la résidence familiale
LA CHRONIQUE PL. FIN.
en collaboration avec
Hélène Marquis
La fiducie dans un contexte de protection
de la résidence familiale
L
e transfert de biens familiaux dans des
fiducies personnelles soulève encore
de nombreuses questions quant aux
conséquences juridiques pour les époux.
Ceux-ci pourraient-ils réclamer des droits
sur la résidence familiale détenue en fiducie
lors d’une rupture ? Les biens de la fiducie
pourraient-ils être pris en compte lors du
calcul de la valeur partageable d’une société
d’acquêts ou du patrimoine familial ? Ces
questions ont reçu des réponses parfois
surprenantes ou contradictoires de la part
des tribunaux québécois. Conséquemment,
certaines notions légales sont à considérer
avant de constituer une fiducie pour y
transférer des biens familiaux.
FIDUCIE ET DROIT DE LA FAMILLE
Selon le Code civil du Québec, la fiducie
est un patrimoine d’affectation résultant
du transfert par un constituant de biens
(soit la personne qui fait un don qui
permet de créer la fiducie) qu’il affecte
à une fin particulière et dont il confie
l’administration à un ou des fiduciaires.
Ce patrimoine fiduciaire constitue un
patrimoine autonome et distinct de celui
du constituant, du fiduciaire et du bénéficiaire et sur lequel aucun d’eux n’a de droits
réels. L’acquisition de biens par la fiducie
exige que les biens transférés puissent l’être
sans aucune entrave juridique.
Le droit de la famille fait référence
à plusieurs notions qui sont des effets
obligatoires du mariage. Pour les besoins
de ce texte, mentionnons le régime matrimonial, soit la séparation de biens ou la
société d’acquêts selon le choix des époux,
le patrimoine familial imposé par la loi
et l’obligation alimentaire à l’égard des
enfants du couple et du conjoint économiquement plus faible.
La nature même de la fiducie semble
indiquer que les biens qui y sont transférés sont irrémédiablement exclus de tout
régime communautaire, du patrimoine
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familial ou de l’obligation alimentaire
d’un individu puisqu’ils sont affectés à
d’autres fins pour le compte des bénéficiaires, souvent les enfants du couple.
Malheureusement, ce n’est pas aussi
simple. Les tribunaux n’ont pas eu très
souvent à se prononcer sur le niveau de
protection accordée par la fiducie en
matière matrimoniale, mais les jugements
rendus à ce jour sont de précieux indices.
RÉSIDENCE PRINCIPALE
Acquérir une résidence principale par
une fiducie familiale ou y transférer celle
que l’on possède déjà peut comporter des
conséquences légales inattendues. D’abord,
le transfert dans une fiducie constitue une
disposition du bien pouvant générer des
conséquences fiscales selon le type de
fiducie utilisé. Du point de vue légal, les
objectifs sont souvent la protection d’actifs
contre les créanciers, y compris le conjoint
lors d’une rupture. Dans ce cas précis, le
succès de l’entreprise peut s’avérer douteux. Le Code civil du Québec protège la
résidence familiale et les meubles qu’elle
contient de certains abus.
Ainsi, même si l’époux marié sous le
régime de la société d’acquêts est l’unique
propriétaire de la résidence, celui-ci devra
obtenir la permission de son conjoint pour
la transférer sans frais. Ensuite, le bien en
question cessera d’être un acquêt. Sans
cette permission, le transfert sera nul. Si
le conjoint permet la transaction, il est
recommandé de documenter qu’il a été
parfaitement informé des conséquences
d’un tel transfert et qu’il acquiesce en toute
connaissance de cause. Les tribunaux ont
fait preuve de beaucoup de créativité pour
« soulever le voile fiduciaire » et ne pas
tenir compte du transfert s’ils estiment
cette preuve insuffisante. Le partage de
la société d’acquêts et un changement de
régime matrimonial réalisé à ce moment
pourraient alors s’avérer la meilleure preuve.
AVRIL 2015
Le régime de la séparation de biens peut
offrir une plus grande latitude, mais un
tribunal pourrait tout de même inclure la
valeur de la résidence dans le partage du
patrimoine familial s’il est prouvé que le
transfert a été fait pour soustraire le bien
à ce partage.
DÉCLARATION DE RÉSIDENCE
FAMILIALE
L’époux marié qui a enregistré une « déclaration de résidence familiale » et qui n’a pas
acquiescé par écrit à la transaction pourrait
demander la nullité du transfert du bien à
une fiducie. Notons que la déclaration de
résidence familiale ne confère pas de droits
dans l’immeuble comme tel, mais constitue un élément de publicité à l’égard des
tiers, obligeant à obtenir le consentement
du conjoint sous peine de nullité.
Le fait que la fiducie ait acquis directement la résidence familiale n’est pas un
obstacle à l’enregistrement de la déclaration de résidence familiale, car celle-ci
peut aussi être faite si l’époux est locataire
ou possède un droit d’usage des lieux.
Techniquement parlant, une attention
particulière devrait être portée au choix
des fiduciaires, qui a lui aussi son importance pour éviter de disqualifier la fiducie
pour les fins qui sont recherchées.
CONCLUSION
Il n’est pas évident d’établir jusqu’où les
tribunaux pourraient se permettre de
s’immiscer entre la fiducie et les droits des
époux dans le partage du régime matrimonial et du patrimoine familial lors d’une
rupture. Il est toujours recommandé de
consulter un spécialiste en la matière avant
d’entreprendre de telles démarches. Hélène Marquis, LL.L., D. Fisc., Pl.
Fin. TEP, directrice régionale, Services
consultatifs de Gestion de patrimoine,
Gestion privée de patrimoine CIBC
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