Pour une nouvelle alliance entre les fournisseurs d`accès
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Pour une nouvelle alliance entre les fournisseurs d`accès
Pour une nouvelle alliance entre les fournisseurs d’accès Internet et l’industrie cinématographique ? Patrick BLOCHE, Député Socialiste de Paris Michaël BOUKOBZA, Directeur Général de Free Catherine COLONNA, Directrice Générale du CNC Frédéric DELACROIX, Délégué Général de l’ALPA Patrick DEVEDJIAN, Ministre Délégué à l’Industrie Dan GLICKMAN, MPAA, Chairman and Chief Executive Officer Marie-Christine LEVET, Présidente de T Online-Club Internet, Présidente de l’Association des Fournisseurs d’Accès Alain SUSSFELD, Président de la PROCIREP, Directeur Général d’UGC Les débats sont animés par Pascal ROGARD, Directeur Général de la SACD. Pascal ROGARD Nous verrons, à l’issue du débat, si nous aurons abouti à une nouvelle alliance ou à un échange d’horions. Je vo us signale que Patrick Devedjian connaît bien l’industrie cinématographique, car il a été le rapporteur du compte de soutien lorsqu’il était député à l’Assemblée Nationale. Patrick Bloche, au sein du Parti Socialiste, est spécialisé dans les questions relatives aux nouvelles technologies. Alain Sussfeld est le Président de la PROCIREP, qui gère les droits de gestion collective des producteurs. Frédéric Delacroix est le Délégué Général de l’ALPA – Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle – qui regroupe, avec le CNC, l’ensemble des professionnels français et étrangers. Nous parlerons tout d’abord des mesures de pédagogie et de répression, ainsi que des techniques que nous pouvons éventuellement mettre en œuvre pour lutter contre la contrefaçon numérique. La deuxième partie du débat sera consacrée au développement des offres légales sécurisées et payantes, qui constituent une alternative et qui peuvent permettre aux consommateurs d’avoir accès aux films grâce aux nouvelles technologies et de manière licite. Ce débat est d’autant plus d’actualité que les fournisseurs d’accès annoncent une augmentation des débits. Patrick Devedjian me signale que deux minutes suffiront pour télécharger un film. Les barrières technologiques qui permettaient au cinéma de ne pas subir le sort de la musique sont donc en train de sauter. Si nous ne faisons rien, nous risquons d’être réduits à néant. L’INA a réalisé sur ce thème un très beau dossier intitulé : « Le piratage, arme de destruction massive de la culture ». Frédéric Delacroix va nous présenter succinctement ce qu’il est possible de faire sur Internet. Frédéric DELACROIX Je vais d’abord vous montrer ce que l’on peut aujourd’hui facilement télécharger sur Internet. (Un extrait de Gang de requins est présenté à l’écran). Ce film est sorti dans les salles mercredi dernier. Ce fichier pirate est apparu sur les réseaux d’échange le 10 octobre. Il a été téléchargé sur le seul réseau eDonkey 29 500 fois jusqu’à hier – sans compter que des dizaines de clones de ce fichier sont apparus par la suite sur Internet. Les images sont de mauvaise qualité, car il s’agit d’un enregistrement réalisé en salle, mais l’ensemble est cependant passable. Le son est en MP3 stéréo. (Un extrait du Choriste est présenté à l’écran). Ce fichier est apparu le 9 septembre sur les réseaux d’échange peer to peer. Nous n’avons malheureusement pas pu comptabiliser le nombre de téléchargements depuis cette date ; nous n’avons pu le faire qu’à partir du 10 octobre. Il a été téléchargé plus de 18 000 fois entre cette date et hier soir. Il est évident que durant le premier mois d’exploitation « pirate », le nombre de téléchargements a dû être beaucoup plus important. Ce chiffre ne concerne qu’un seul fichier : des clones sont instantanément réalisés sur d’autres réseaux. Des dizaines de fichiers de ce genre circulent donc et sont téléchargés massivement. L’accroissement de la piraterie sur Internet est étroitement lié au développement du haut débit et à l’amélioration des formats de compression vidéo et des protocoles d’échange – notamment peer to peer. Aujourd’hui, plus de 5 millions de foyers sont abonnés au haut débit et peuvent avoir gratuitement accès à des milliers d’œuvres qui sont échangées massivement entre particuliers. Certes, les temps de téléchargement sont encore longs, même si des offres vont permettre de les réduire fortement. Il faut en moyenne 8 heures sur certains réseaux et 4 heures sur d’autres, mais un téléchargement peut parfois être réalisé en 15 minutes. Il est évident qu’avec un plus haut débit, ce délai de 15 minutes en sera d’autant réduit. Le terme de « piraterie » n’est pas une notion juridique française. Il s’agit d’une contrefaçon, qui est un délit passible de 3 ans de prison et de 300 000 euros d’amende. La contrefaçon numérique des œuvres cinématographiques pratiquée par les internautes est essentiellement guidée, actuellement, par la recherche à bon compte de la nouveauté. Les œuvres sont recherchées en fonction de leur notoriété, et non en fonction de leur nationalité. Il existe deux formes de piraterie sur Internet. La première forme de piraterie est le fruit d’une délinquance organisée qui agit sur des forums dans lesquels des pirates s’échangent massivement des œuvres. Les protocoles FTP sont utilisés, et cette forme de piraterie a un caractère international. Dans l’exemple de Gang de requins téléchargeable sur Internet en français depuis le 10 octobre, l’image provient des USA et le son provient du Canada. Cette forme de piraterie tend malheureusement à se développer. Cette délinquance organisée tire parfois profit de son activité illicite, soit en rendant l’accès aux œuvres payant, soit en utilisant le principe même des réseaux peer to peer pour en tirer un avantage financier. Je parle là de ces fameux annuaires de liens qui répertorient les liens permettant de télécharger les films. Ces liens se trouvent en général sur des sites saturés de bannières publicitaires, et le propriétaire du site est rémunéré environ 10 centimes d’euro pour chaque clic sur une bannière. Outre cette piraterie organisée qui est souvent à la source des fichiers qui circulent, le peer to peer est une piraterie de masse basée sur l’échange. Il permet à chaque utilisateur d’échanger des informations avec toute une communauté d’internautes sur un réseau donné. Son fonctionnement est basé sur la notion d’échange et de partage de fichiers. Cette technologie, dont certaines applications sont légales, est maintenant presque exclusivement utilisée pour pirater des œuvres culturelles. L’utilisation du peer to peer n’est pas neutre juridiquement, car le principe même de cette technologie implique deux actes : un téléchargement qui entraîne le recel d’une œuvre contrefaite, et la diffusion de cette œuvre contrefaite. Le principe même du peer to peer est basé sur la notion d’échange. Sur certains réseaux, l’accès n’est d’ailleurs possible qu’aux internautes qui apportent des quantités importantes d’œuvres en échange de leur adhésion. Cette facilité d’accès aux œuvres a fait perdre aux internautes tout sentiment d’illégalité. Cette banalisation du téléchargement est accentuée par l’esprit libertaire véhiculé par Internet, où il est de bon ton de prôner l’accès gratuit aux œuvres. La première réponse est la répression, qui constitue le cœur de métier de l’ALPA depuis sa création en 1985. L’ALPA n’est pas une police parallèle, et n’a que le pouvoir de faire constater les infractions par des agents assermentés par le Ministère de la Culture. Nous défendons un intérêt collectif en nous appuyant essentiellement sur les services répressifs et sur la justice. Nous avons ciblé certaines actions pénales de façon à montrer que, sur Internet, l’anonymat est un mythe, et pour faire perdre aux pirates leur sentiment d’impunité. Il est important que l’Etat réponde de façon adaptée à cette nouvelle délinquance, en dotant tout d’abord des moyens nécessaires les services chargés de poursuivre et réprimer ces infractions. Les moyens de lutte contre la cybercriminalité ont été récemment augmentés de manière très significative, mais la lutte contre la contrefaçon numérique est restée oubliée. Il est également important de redéfinir les priorités d’action des services répressifs en faisant de la contrefaçon des biens culturels une infraction à traiter au même niveau de priorité que les délits d’atteinte aux biens. Il est important de sensibiliser le public – et surtout le jeune public - à la notion de propriété intellectuelle. Il est également important que les professionnels concernés délivrent un message clair à leur public pour le sensibiliser à ce problème. Ces professionnels doivent aussi prendre les mesures nécessaires pour protéger leurs œuvres. Il est important de proposer aux internautes des alternatives légales au piratage, mais je nourris quelques doutes tant que le piratage restera à son niveau actuel et permettra d’accéder gratuitement aux œuvres récentes. A mon sens, un environnement Internet assaini sera d’abord nécessaire. Une autre réponse à la piraterie serait un engagement des fournisseurs d’accès Internet car ce sont eux qui, en fournissant les moyens de pirater à leurs clients, détiennent les solutions techniques pour lutter contre ce fléau. Je pense qu’ils doivent poursuivre leur collaboration avec les ayants droit. Je vais vous montrer quelques diapositives d’un annuaire de liens qui est l’un des plus utilisés pour le téléchargement sur les réseaux peer to peer. Ce site est administré par des personnes réparties dans plusieurs pays du monde, et propose des œuvres dans de nombreuses langues. Ce site propose un accès à des contenus non plus en format DivX, qui est un format légèrement altéré, mais en format DVDr. Il est clair que l’accroissement du haut débit va jouer un rôle prépondérant. Plusieurs milliers d’œuvres sont accessibles. (Une publicité de France Télécom parue sur ce site pirate est projetée à l’écran). Nous sommes en présence d’une délinquance très organisée qui se rémunère par la publicité. Pascal ROGARD Je vais vous communiquer quelques chiffres. A la fin du second trimestre 2004, 11 120 000 foyers étaient raccordés à Internet – dont 5 millions en haut débit. Nous constatons actuellement un très fort transfert de l’Internet haut débit vers l’Internet bas débit. Le chiffre d’affaires de cet univers était de 659 millions d’euros durant le second trimestre 2004. Ce matin, Jacques Fansten a déclaré qu’il n’était pas courant de remercier un Ministre dans ce lieu, mais je vais aussi remercier Patrick Devedjian qui a eu le courage, contre l’opinion de sa technostructure, de faire appliquer une loi qui autorise les brouilleurs de téléphones mobiles dans les salles de spectacle. Patrick DEVEDJIAN Faites attention, car vous allez perdre toute votre identité à force de remercier les Ministres ! Pascal ROGARD Le débat ne fait que commencer, rassurez- vous. Patrick DEVEDJIAN Si j’ai bien compris, cela n’augure pas du reste. Cela constitue une excellente idée que de traiter du thème de l’alliance entre le monde de l’audiovisuel et la société de l’information. Une tentative d’alliance aurait pu réussir au début du millénaire lorsque des sociétés telles qu’AOL, Time-Warner, Bertelsmann et Vivendi Universal croyaient fermement au mariage des tuyaux et du contenu. Je pense qu’il existe trois raisons à cet échec. Il s’agissait tout d’abord de marier des entreprises aux cultures différentes dans un système forcément complexe, car les points de vue étaient divergents. Le producteur de contenu souhaite que celui-ci soit disponible sur le plus grand nombre de plates- formes possibles, alors que le distributeur de contenu recherche l’exclusivité. En outre, le haut débit n’existait pas à l’époque, ce qui change totalement le contexte. La liberté du consommateur a aussi joué un rôle : ce n’est pas parce qu’un individu est abonné à SFR qu’il ne va regarder que les films produits par les studios d’Universal. Prenons garde de ne pas rater une nouvelle opportunité d’alliance beaucoup plus prometteuse, qui serait l’alliance entre l’Internet haut débit – qui est fixe aujourd’hui et qui sera mobile demain – et l’audiovisuel. Le débit fourni au consommateur vient d’être multiplié par 100 : j’ai pu assister chez Free au téléchargement d’un film en 2 minutes. Cette évolution n’est pas achevée : nous arriverons à 64 Mégabits puis 128 Mégabits par seconde, ce que nous n’imaginions pas il y a trois ans. La France comptait moins de 500 000 abonnés à Internet haut débit au début de 2002, et ils seront près de 6 millions à la fin de 2004 ; le seuil des 10 millions d’abonnés à Internet haut débit sera probablement franchi avant la fin de 2007. La France est numéro 1 dans le monde pour le taux de progression, et numéro 3 pour le taux de pénétration du haut débit. Les modes de consommation de la culture connaissent donc inévitablement une profonde mutation. Cette alliance entre l’Internet haut débit et l’audiovisuel est déjà en cours de formation au plan international comme en Europe. Au plan international, les discussions engagées dans le cadre de l’accord général sur le commerce des services au sein de l’OMC – l’AGCS – aboutissent à un rapprochement accéléré des secteurs des télécommunications et de l’audiovisuel. Les deux secteurs appartiennent déjà au même chapitre de négociations, et la frontière qui les sépare est de plus en plus ténue. L’avant-projet de convention mondiale sur la diversité culturelle en cours de négociation à l’Unesco se retrouve dans la même problématique. Au plan européen, l’audiovisuel a été détaché du portefeuille de la culture et rattaché à celui de la société de l’information. Cette alliance bénéficie maintenant en France d’un cadre juridique favorable : les deux lois intervenues - la LEN et le paquet « télécommunications » - ont permis de clarifier le partage des responsabilités entre les différents acteurs de l’Internet. La loi pour la confiance dans l’économie numérique comporte en particulier un dispositif complet de lutte contre la piraterie sur Internet. L’article 6 fixe par exemple l’obligation, pour les fournisseurs d’accès, de communiquer leurs données de connexion à la demande des juges, ainsi que de supprimer les contenus manifestement illicites. L’article 7 oblige à inscrire la mention « Le piratage nuit aux artistes » dans les campagnes publicitaires. Ces lois permettent d’unifier l’ensemble des règles applicables aux télécommunications électroniques et aux services de communication audiovisuelle. La publication de ces lois au Journal Officiel vaut, en quelque sorte, publication de ban de mariage entre l’audiovisuel et les télécommunications. La réussite de cette alliance est une condition de survie des deux industries. Les fournisseurs d’accès Internet n’ont rien à gagner à la prolifération anarchique de flux illicites sur lesquels ils n’ont aucune prise, et qui ne leur procurent aucune rémunération. Les créateurs et les producteurs de contenu ont tout intérêt à ut iliser au mieux ce nouveau vecteur pour accroître leur diffusion et trouver une juste rétribution. Dans l’univers numérique, contenu et contenant ont maintenant partie liée. C’est pour cette raison que j’avais initié la négociation d’une charte entre les fournisseurs d’accès Internet et l’industrie musicale pour faire face à la question du piratage et pour promouvoir une offre en ligne légale. Cette charte a été signée le 28 juillet, et comporte des engagements réciproques et équilibrés qui s’articulent autour de trois volets indissociables : la pédagogie auprès des internautes, la répression de la contrefaçon numérique et la promotion de l’offre légale. Le principal point d’achoppement de ces négociations, il faut le reconnaître, fut la proposition d’interdire ou de filtrer les échanges de fichiers effectués par l’intermédiaire des logiciels peer to peer. Avec Renaud Donnedieu de Vabres, nous avons commandé à deux experts indépendants une étude sur ce point. Je comprends bien l’inquiétude des industries culturelles face à l’essor des échanges illicites de fichiers sur Internet, mais je rappelle que la technologie du peer to peer ne présente en elle- même aucun caractère illicite : c’est son usage qui le devient. Interdire ou entraver cette technologie n’est ni possible, ni souhaitable. Les logiciels de peer to peer sont à la base du développement de nombreux services tels que la téléphonie par Internet ; les interdire reviendrait donc à entraver la croissance de ce nouveau média. Le téléchargement et la diffusion d’œuvres du domaine public ou librement mises à disposition par leurs auteurs ne présentent d’ailleurs pas un caractère illicite. Aucun filtrage n’est possible face aux nouvelles générations d’application – particulièrement celles qui utilisent un tunneling crypté. Des serveurs de rendez-vous situés en-dehors du territoire national permettraient en outre facilement aux internautes d’externaliser leur utilisation des réseaux peer to peer. Pensons aussi aux difficultés rencontrées dans la lutte contre le spamming et les attaques virales. De tels dispositifs poseraient aussi un problème de légalité. L’article 5 de la directive du 22 mai 2001 permet de prévoir des exceptions au droit de reproduction lorsqu’il s’agit de « reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales ». La retransmission est illicite, mais l’échange lui- même est licite. La compatibilité avec le droit communautaire d’une entrave ou d’une interdiction des logiciels d’échange de fichiers doit donc être examinée avec la plus grande attention. A l’idée d’interdire une technologie innovante, je préfère celle de la promotion d’une œuvre culturelle en ligne. L’offre légale est aujourd’hui trop chère et trop peu accessible, et les différentes plates- formes de téléchargement ne sont pas compatibles entre elles. Je compte donc réunir prochainement les industriels concernés autour d’un projet de standard commun de téléchargement. Le projet de loi sur le droit d’auteur dans la société de l’information, qui sera examiné début 2005 par le Parlement, sera l’occasion d’améliorer la protection de la propriété intellectuelle sur Internet. Je suis moins venu pour me féliciter des avancées accomplies avec la musiq ue que pour inviter le cinéma à construire sans tarder sa propre alliance. Il est temps, pour l’industrie cinématographique, de développer une offre de téléchargement en ligne suffisamment attractive. Un premier moyen serait de placer la vidéo à la demande suffisamment haut dans la chronologie des médias. Il sera bien sûr difficile de contenter à la fois les éditeurs de DVD et les chaînes de télévision payantes ou gratuites. Il reviendra au CNC d’engager la concertation sur ce point. Des aides au développement de l’offre en ligne pourraient aussi être recherchées au niveau communautaire, en particulier via le programme MEDIA. Je serai donc particulièrement attentif au développement d’une véritable industrie de vidéo à la demande. N’oublions pas que le chiffre d’affaires de la vidéo (2 milliards d’euros en 2003) représente déjà le double de celui du cinéma en salle. Il est aussi temps de définir le dispositif qui permettra de favoriser le film français sur le marché. L’idée d’ouvrir le compte de soutien de l’industrie cinématographique aux distributeurs qui développent une politique dynamique de vidéo à la demande sur Internet, alliant diversité et mise en avant des productions française et européenne, mérite d’être étudiée. Le rapport Fries remis à Renaud Donnedieu de Vabres évoque d’ailleurs clairement cette hypothèse. Un tiers du financement des films français est aujourd’hui assuré par les chaînes de télévision. En 2003, les cinq chaînes en clair ont apporté – notamment sous forme de préachat – près de 110 millions d’euros aux films français. En l’espace de dix ans, ce montant a doublé en valeur absolue. Si nous y ajoutons la contribution de Canal + (130 millions d’euros) et celles de TPS et de Ciné Cinéma, nous arrivons à un montant total de 270 millions d’euros. Le développement de la fiction aboutit aujourd’hui au plafonnement de cette source de financement. Chacun a donc intérêt au développement d’un marché dynamique de vidéo à la demande susceptible de contribuer lui aussi, à terme, au financement du cinéma. Il est temps, enfin, de conforter les salles de cinéma dans leur rôle de ferment de l’industrie cinématographique. La projection en salle est justement ce qui distingue un film d’un programme audiovisuel. L’appui aux salles de projection me paraît représenter un moyen simple et efficace de faire face à la piraterie. Jean-Luc Godard disait : « Le cinéma, c’est la vie en plus grand, alors que la télé, c’est la vie en plus petit ». Je suis convaincu que la salle constitue l’atout essentiel du cinéma ; c’est pourquoi j’ai décidé au début du mois, malgré de nombreuses protestations – qui n’émanaient pas seulement de la technostructure – d’autoriser les brouilleurs de téléphones portables dans les salles de cinéma. D’autres dispositions doivent encore être prises pour conforter le cinéma en salle. Le talent des ingénieurs ne doit pas s’opposer à celui des créateurs. Cette confrontation n’est pas nécessaire à l’exception culturelle. Le progrès économique et industriel peut se combiner harmonieusement avec la promotion de la diversité culturelle. Pascal ROGARD Je ne sais pas si nous sommes mûrs, en France, pour fusionner complètement les technologies de l’information, l’audiovisuel et la culture. Je vais donner la parole à Dan Glickman, qui vient de succéder à Jack Valenti. Il représente l’ensemble des majors américaines. Ce sont naturellement leurs films qui sont le plus piratés – à la fois par le biais d’Internet et par la fabrication illicite de DVD dans des usines. Rappelons que la principale piraterie reste la piraterie physique. Dan GLICKMAN Cela fait six semaines que j’occupe ce poste, et j’espère que vous respecterez mon manque de connaissances. J’ai choisi de faire mon premier voyage en dehors des USA à Beaune, en France. Mon prédécesseur Jack Valenti a occupé cette fonction durant 28 ans, et il est difficile de lui succéder. J’ai été très impressionné par la passion et l’énergie des participants lors de la discussion de ce matin. J’aimerais assister plus souvent, aux USA, à des débats sur le rôle de la culture dans la société. Vous devez être fiers de vous. La piraterie représente vraiment une épée dans le cœur du processus créatif, et constitue un défi majeur. Je parle aussi bien de la piraterie sur Internet que de la piraterie physique. Mon fils a produit un film intitulé Monsieur 3 000, et un DVD pirate était déjà en vente le jour de la sortie en salle. La copie était bien sûr de mauvaise qualité. Toute société libre a besoin de protéger les droits d’auteur. Si les œuvres deviennent gratuites à cause d’Internet, elles cesseront un jour d’être produites. Nous travaillons activement sur de nouvelles solutions technologiques pour empêcher le vol des contenus numériques. La protection des droits d’auteur et le progrès technologique ne s’excluent pas mutuellement. Nous devons garder l’esprit ouvert à toute nouvelle façon d’empêcher la piraterie, que ce moyen soit offensif ou défensif. Les nouvelles générations ont tendance à considérer que l’accès aux œuvres devrait être gratuit - ce que les professionnels de la création ne peuvent pas accepter. Aux USA, nous avons essayé de mettre en place des programmes pédagogiques. Nous nous concentrons sur les écoles primaires, car lorsque les étudiants arrivent à l’Université, il est déjà trop tard pour changer leur point de vue. Dans les universités et les cinémas, nous menons aussi des campagnes d’information auprès des consommateurs : nous devons créer le sentiment que le piratage n’est pas sans risques. Nous essayons de collaborer avec les fournisseurs d’accès Internet : nous avons engagé des actions juridiques contre certains consommateurs ; cela n’est pas un but en soi, mais c’est nécessaire pour faciliter une prise de conscience. La peur du gendarme est indispensable. Les utilisateurs doivent comprendre que leur anonymat n’est pas préservé sur Internet. Nous essayons de faire adopter une législation qui permette de mieux lutter contre le téléchargement gratuit. Rappelons que la principale piraterie reste la piraterie physique – je pense notamment aux enregistrements illégaux effectués dans les salles de projection. Nous avons négocié un protocole d’accord avec eBay pour lutter contre les offres illégales, et notre action a rencontré un certain succès ; nous essayons d’étendre cette initiative aux autres pays. Sur Internet, 65 % de la bande passante est utilisée par le peer to peer – en général pour des usages illicites. Nous devons être très proactifs dans l’élimination de ce phénomène inacceptable, et établir un partenariat avec les fournisseurs d’accès Internet. Ce défi est un défi mondial pour toute l’industrie culturelle. Pascal ROGARD Plus le débit augmente, et plus il est facile de pirater les films. Quel est votre projet pour empêcher cette contrefaçon ? Marie-Christine LEVET Le haut débit s’est développé à partir de la fin 2001, et la demande a fortement progressé à partir de l’automne 2002. Nous avons signé une charte avec l’industrie musicale en juillet 2004 : nous avons donc attendu presque deux ans pour nous mettre d’accord, alors qu’il était presque trop tard. Il est crucial de ne pas commettre la même erreur avec les films. Il est clair qu’avec l’arrivée des très hauts débits qui vont se généraliser en 2005, une solution doit être trouvée par nos deux secteurs économiques pour la rentrée 2005. Je répèterai une phrase du Ministre qui motive notre volonté de participer de manière très constructive à ce débat : les fournisseurs d’accès Internet n’ont rien à gagner à un phénomène sur lequel ils n’ont aucune prise. Que pouvons- nous faire ? Nous pouvons nous référer à la charte signée avec l’industrie musicale en juillet 2004, qui est basée sur trois points majeurs. Le premier point concerne les missions d’information, de communication et de sensibilisation des internautes sur le caractère illicite de la piraterie et sur les risques encourus. Nous organisons maintenant des campagnes de communication communes avec l’industrie musicale. Les fournisseurs d’accès Internet se sont formellement engagés à faire figurer la mention « Le télécharge ment illégal nuit à la création artistique » dans leurs campagnes publicitaires. Concernant la publicité que nous avons vue tout à l’heure, je ne suis ni France Télécom, ni Neuf Télécom ni la Société Générale pour pouvoir commenter le plan média décidé, ma is je déplore que de telles publicités figurent sur ce site. Il faut savoir que ces sites font partie d’offres publicitaires globales, et sont inclus dans des propositions d’achat d’espace sur plusieurs dizaines de sites ; ces offres ont malheureusement été recommandées par des agences média – qui figurent certainement parmi les plus importantes de la place de Paris. Je pense que la profession va s’engager à examiner de manière plus précise ses plans média et à éviter ce genre de site, mais je vous rappellerai que la SNCF et la Société Générale ont aussi acheté de l’espace sur ce genre de site. Le second point concerne les actions de prévention. Les fournisseurs d’accès Internet se sont engagés à développer des moyens techniques importants pour prévenir les internautes et relayer toutes les plaintes des ayants droit qui auront repéré des pirates sur Internet. Nous espérons que la peur du gendarme sera aussi efficace qu’aux USA – où elle a commencé à faire ses preuves. Le troisième point qui reste, pour nous, le plus important est le développement d’une offre légale attractive. Les téléchargements illégaux prouvent qu’il existe une forte demande pour la consommation instantanée de films : or il n’existe pas, aujourd’hui, d’alternative légale aux offres illicites. En l’absence d’alternative légale, les offres illégales continueront à se développer. Nous devons arriver à construire une alternative de qualité avec une offre large incluant des nouveautés et des exclusivités réservées aux internautes. Nous avons tout intérêt à faire émerger ce marché de services à valeur ajoutée car demain, la différenciation entre les fournisseurs d’accès Internet se fera sur le terrain des services. Michaël BOUKOBZA Free n’est pas membre de l’Association des Fournisseurs d’Accès, mais partage en grande partie la position de Marie-Christine Levet. Free a signé la charte négociée avec l’industrie musicale, et déplore également qu’il ait fallu attendre deux ans. Notre ministre de tutelle est venu dans nos locaux pour lancer la technologie ADSL 2+. Patrick DEVEDJIAN C’est une tutelle vacillante ! Michaël BOUKOBZA Ce lancement du très haut débit renforce l’idée qu’il faut aller très vite, et qu’il faut lancer très rapidement de nouveaux services. Je tiens à vous affirmer que Free n’a jamais placé de publicité sur des sites pirates, et que Free n’a jamais fait la promotion directe ou indirecte d’offre illégale. Au contraire, notre dernière campagne de publicité parle d’Internet, de téléphonie sur ADSL et de télévision. Je déplore que nous n’ayons pas pu ajouter d’offre de vidéo à la demande dans notre campagne de communication. Pascal ROGARD Voici quelqu’un de formidable, car il est très bref et nous pourrons donc avancer dans le débat. Catherine COLONNA C’est le très haut débit ! Pascal ROGARD Alain Sussfeld va nous donner le point de vue des ayants droit, aussi bien producteurs que créateurs. Alain SUSSFELD Il n’existe d’ailleurs par nature aucune divergence entre les auteurs, les producteurs et l’ensemble de l’industrie… Pascal ROGARD Sur ce sujet, alors ! Alain SUSSFELD Je constate aujourd’hui que coexistent deux attitudes : l’une de laxisme - en France - et l’autre de dynamisme – aux USA. Je partage l’avis des Américains : une offre payante ne peut pas être attractive par rapport à une offre gratuite. La gratuité détruit : elle n’existe d’ailleurs pas, car il y a toujours quelqu’un qui paie, et ce n’est pas forcément le consommateur. En la matière – et je ne partage pas du tout l’angélisme des fournisseurs d’accès – nous payons, tout comme la musique a payé et continue à le faire ! Les fournisseurs d’accès Internet nous racontent qu’ils n’ont rien à y gagner, et qu’ils n’ont aucune prise sur ce phénomène. Je conteste ces deux affirmations. Ce que les fournisseurs d’accès Internet ont simplement à y gagner, c’est de passer de 500 000 abonnés à 5 millions d’abonnés au haut débit en 3 ans, puis à 10 millions d’abonnés en 5 ans ! Les fournisseurs d’accès Internet ont à y gagner d’organiser des réseaux sur lesquels la prestation de service est le haut débit, et la rémunération passe par le haut débit. Arrêtons de nous raconter des histoires : ils ont évidemment à y gagner par le développement du haut débit, et je les en félicite ! Il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles. Concerna nt la seconde affirmation, j’espère bien que les fournisseurs d’accès vont avoir une prise sur ce phénomène ! Je pense effectivement que ce mode de fonctionnement risque, à terme, de perturber leur capacité de service. Nous avons deux alliés : la voracité des pirates et la concurrence entre opérateurs. Le cumul de la baisse de la rémunération des opérateurs et de l’encombrement de leurs tuyaux nous offre l’opportunité de faire des fournisseurs d’accès nos alliés. Sur ce point, je serai beaucoup plus optimiste que Monsieur le Ministre de l’Industrie. Je crois que les fournisseurs d’accès sont intelligents, qu’ils ont organisé un transfert de valeur pour faire démarrer leur marché, qu’ils ont aujourd’hui besoin d’un relais de croissance et que nous pouvons répondre à cette attente. Il est évident que nous devons donc dialoguer avec eux. Je trouverais dommage que les industries culturelles soient les seules à demander une politique répressive. Les mentalités ont évolué en un an. Les fournisseurs d’accès Interne t se disent maintenant qu’ils ne peuvent pas être constamment les fournisseurs des pirates et, quelque part, des receleurs d’un vol ; de notre côté, nous pensons que nous ne pouvons pas ignorer un phénomène qui a déstabilisé le marché musical. Organisons le dialogue. Celui-ci passe par deux conditions. La première condition est la mise en place d’obstacles techniques à la diffusion de fichiers pirates – filtrage, mémorisation des fichiers importants... La loi qui a été votée permet la traçabilité. La seconde condition est que notre offre s’adapte à Internet. Soyons cependant clairs : il ne peut exister d’offre payante attractive que si l’offre gratuite est progressivement éradiquée. Cela reviendrait, dans le cas contraire, à vendre des billets de cinéma sans surveiller l’entrée. Une économie cohérente est basée sur le service et sur le prix de ce service. Marie-Christine LEVET Cet argument du « transfert de valeur » est fascinant sur le plan intellectuel, et plaît donc beaucoup à nos amis intellectuels des industries culturelles. Il ne s’agit pas d’un transfert de valeur d’une industrie vers l’autre. Par contre, il peut s’agir d’un transfert de valeur vers le consommateur. Il serait d’autre part extrêmement réducteur de considérer que le haut débit ne sert qu’au téléchargement de films et de musique sur Internet – même si ce phénomène est indéniable. Aujourd’hui, le haut débit sert avant tout à communiquer par mails instantanés, à surfer… (brouhaha dans la salle) Le téléchargement ne représente que le cinquiè me usage. Demain, le haut débit permettra avant tout de téléphoner et de regarder la télévision. Pascal ROGARD Marie-Christine, vous avez cherché à provoquer la salle, et vous y avez réussi ! Je vais vous raconter une anecdote. Nous étions au Sénat avec Nicolas Seydoux pour exprimer les mêmes arguments qu’Alain Sussfeld, et les fournisseurs d’accès ont répliqué que le haut débit servait aussi à envoyer des plans d’architecte. Je ne pense pas que des millions de personnes s’abonnent pour échanger des plans d’architecte. Marie-Christine LEVET Le peer to peer n’est pas illégal ! Michaël BOUKOBZA Je vais vous donner un exemple. Aujourd’hui, les deux tiers des Français ne reçoivent que les cinq chaînes hertziennes. Free a créé avec la Freebox un moyen de vend re des chaînes de télévision supplémentaires à un public qui en est dépourvu. Le haut débit et le très haut débit permettent à l’ensemble de l’industrie de la création de trouver un nouveau public grâce à de nouveaux moyens de diffusion. Je ne demande qu’à promouvoir davantage d’offres légales pour mieux remplir les tuyaux. 75 % des personnes qui peuvent regarder la télévision grâce à Free profitent régulièrement de cette possibilité. C’est bien la preuve qu’il existe une demande et que le haut débit ne constitue pas seulement un vecteur d’utilisation d’offres non légales. Marie-Christine LEVET Les résultats de Yahoo !, d’eBay et d’Amazon montrent que les consommateurs sont aujourd’hui prêts à payer sur Internet. Entre 30 et 40 % des internautes sont prêts à payer pour avoir accès à la musique et au cinéma sur Internet. Pascal ROGARD J’ai sous les yeux un communiqué du bureau national du Parti Socialiste qui réaffirme son soutien à la juste rémunération de la création, tout en demandant un moratoire des poursuites judiciaires engagées uniquement contre des internautes. Patrick BLOCHE, Député Je n’esquiverai pas votre interpellation, mais je noterai tout d’abord que la construction de la nouvelle alliance prendra sans doute du temps. J’ai été également très heureux d’apprendre – car cela ne m’avait pas frappé – que les fournisseurs d’accès attendaient depuis deux ans, avec une impatience très discrète, la charte qui a été proposée par Monsieur le Ministre cet été. Je ne m’en étais pas aperçu, mais Monsieur le Ministre a signalé que la Commission Européenne a rattaché l’audiovisuel aux technologies de l’information en le séparant de la culture. Je pense que cela pose une vraie question. L’enjeu des contenus est effectivement central. Le transfert de valeur évoqué par Alain Sussfeld représente une vraie question. Nous avons travaillé sur le plan réglementaire, et les outils répressifs sont disponibles. La transposition de la directive sur le droit d’auteur se profile d’ailleurs à l’horizon. Au-delà du développement d’une offre légale payante - qui pose le problème de la chronologie des médias -, nous devons faire preuve d’inventivité et de créativité, comme l’a déclaré Monsieur le Ministre. Prenons garde que cette nouvelle alliance ne se fasse pas contre les internautes. Je ne suis pas un tenant du laxisme, et je ne suis en rien libertaire car je suis fondamentalement républicain. J’aime l’ordre et le respect de la règle. En l’occurrence, une grande pédagogie est nécessaire. Il est vrai que la sanction a valeur d’exemple. J’avoue qu’au Parti Socialiste, nous ne sommes pas des libertaires, mais nous avons toujours considéré que la pédagogie de la sanction avait ses limites. Lorsque nous évoquons un moratoire, il s’agit moins de prendre position que de lancer un appel. Les poursuites judiciaires ont eu un effet de sensibilisation, et nous pouvons maintenant passer à l’étape supérieure. Que nous soyons fournisseur d’accès, acteur de l’industrie culturelle, membre du gouvernement ou parlementaire, l’exception culturelle nous rassemble, et nous devons avancer ensemble en convainquant nos concitoyens de la force de la diversité culturelle. Pascal ROGARD Il est vrai que le téléchargement illégal est un phénomène de société. L’étude du CNC publiée avant le festival de Cannes estimait que 3 millions de personnes avaient déjà téléchargé un film de manière illicite. Les méthodes de répression classiques fonctionnent difficilement dans un tel contexte. En prenant l’exemple de la circulation routière, les radars permettent tout de même d’influer progressivement sur le comportement des automobilistes. Patrick DEVEDJIAN Je suis évidemment convaincu que le haut débit constitue l’instrument numéro 1 du piratage, mais le piratage n’est pas son seul vecteur de développement. La déclaration d’impôt sur Internet a par exemple un succès fantastique : nous allons arriver à 2 millions d’utilisateurs. Je suis d’accord avec Patrick Bloche et Pascal Rogard : nous n’allons pas envoyer 3 millions de personnes en correctionnelle. Il existe cependant une gradation dans la gravité des actes de piratage : les personnes qui font commerce d’œuvres contrefaites sont à distinguer des autres. La publicité de France Télécom que nous avons vue tout à l’heure m’interpelle, car elle fournit des moyens au piratage. J’écrirai à France Télécom pour exprimer mon sentiment sur ce point. Je précise toutefois que cette entreprise n’est pas sous ma tutelle, car elle est à capitaux majoritairement privés. Je signale à Alain Sussfeld que la répression a commencé, et que l’offre en ligne pourrait donc démarrer. Alain SUSSFELD Je reprends l’exemple de la circulation automobile. Nous devons distinguer les grandes infractions des petites infractions ; notre législation est inadaptée. Nous avons besoin de sanctions graduées et automatiques. Je préconise que ces amendes soient reversées à un fonds qui financerait la lutte contre le piratage. Des sanctions graduées seront d’autant plus efficaces qu’elles seront adaptées aux infractions légères commises par la majorité des internautes concernés, et elles rendront ainsi l’offre légale compétitive. Patrick DEVEDJIAN C’est le principe même de la répression. Elle doit être graduée. Alain SUSSFELD Etes-vous prêt à étudier le principe d’une telle démarche ? Patrick DEVEDJIAN Cette démarche est déjà en cours. Ne sont aujourd’hui poursuivis que les faits les plus graves. Vous souhaitez que les faits les moins graves soient aussi réprimés de manière graduée. Nous n’en sommes pas encore à ce stade, j’en conviens, mais nous avons entamé une démarche de répression, même si elle peut devenir plus intelligente. Nous ne sommes qu’au début de ce processus. Dès lors que la répression commence à apparaître, que l’offre illégale est de qualité variable, que des virus et des leurres circulent et que la traçabilité existe, une offre légale et attractive aurait aussi un rôle incitatif. Je souhaite poser une question sans arrière-pensée malicieuse à Patrick Bloche. Je crois que vous avez soutenu la légalisation des échanges gratuits en contrepartie d’une taxe – ou « licence légale ». Cela figure sur votre site Internet. Le Parti Socialiste est- il partisan de la « licence légale » ? Patrick BLOCHE Le Parti Socialiste ne défend pas ce principe, et je n’en suis pas non plus partisan. Nous sommes toujours favorables à la gestion des droits exclusifs. Nous sommes partie prenante d’une réflexion collective sur les modes de rémunération. Pascal ROGARD Dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel - contrairement au domaine musical - je n’ai entendu personne réclamer l’instauration d’une licence légale. Catherine COLONNA La contrefaçon numérique représente un enjeu vital pour notre industrie. En schématisant le problème, notre métier sera soit renouvelé, soit rayé de la carte. Je me suis aperçu que la nouvelle alliance proposée n’allait pas de soi, mais je trouve son principe assez séduisant car il n’est pas envisageable de faire cavalier seul dans ce domaine. Je pense que la prévention, la répression et la mise en place d’une offre licite vont de pair. Cela fait quelques semaines que la direction du CNC m’a été confiée. Ce dispositif est incomparable et sans équivalent dans le monde, et permet à l’industrie de parier sur l’avenir. Le sujet que nous traitons cet après- midi se situe au cœur de cette mission. Moins de six mois se sont écoulés depuis le dernier festival de Cannes. Il faudra être un peu plus créatif pour trouver un nouveau terme. Le temps s’est formidablement accéléré, et les téléchargements illégaux n’ont fait qu’augmenter. Les offres en ha ut et très haut débit progressent en qualité, et le contexte évolue donc très rapidement. Nous devons faire concrètement davantage en matière de prévention. Il faudrait mettre en place un partenariat avec l’Education Nationale pour faire passer notre message aux enseignants et aux élèves. Notez qu’aux USA, les frais de scolarité incluent parfois un abonnement à des sites de musique en ligne. Les fournisseurs d’accès doivent aussi relayer cette information auprès de leurs clients. Les fournisseurs d’accès ont exprimé ici leur bonne volonté, mais nous voudrions qu’elle débouche sur des actions concrètes. Nous devons trouver un langage commun et bâtir une plate- forme de communication, tout en sachant que les interlocuteurs sont multiples. Vous savez produire des films, et nous vous aiderons à élaborer la campagne d’information nécessaire. La répression est indispensable, car un monde sans lois aboutirait à la loi du plus fort. L’ALPA joue un rôle fondamental, et le CNC est à ses côtés. Les moyens d’action de l’ALPA doivent être renforcés – je le dis à la fois à ses contributeurs actuels et aux non-contributeurs. Le pillage menace la création. Je ne prône pas un moratoire des poursuites judiciaires, car une telle mesure constituerait une grave erreur. Le développement d’une offre légale représente un vaste problème, mais il est évident que nous ne lutterons pas contre la piraterie sans l’élaboration d’une offre alternative licite. Cette offre tarde cependant à venir. Nous devons travailler en confiance, et celle-ci est à bâtir. Les fournisseurs d’accès ont besoin de contenu. A terme, les intérêts des industries du cinéma et de l’Internet sont les mêmes. Les esprits évoluent, et l’exemple de l’industrie musicale nous montre qu’une coopération s’impose. Le développement d’une offre légale contribuerait à élargir le public du cinéma tout en participant à son financement, voire à son préfinancement. Le CNC est disponible pour aider à la recherche de solutions, tant dans la prévention que dans la répression et l’élaboration d’une offre légale. Il vaut mieux agir qu’attendre, et il est préférable de coopérer plutôt que de s’isoler. Le diable est dans les détails, et ne vous laissez pas arrêter par le diable. Pascal ROGARD Le discours des pouvoirs publics est clair. Re naud Donnedieu de Vabres appelle à la mise en place rapide d’une offre légale payante, et Catherine Colonna et Patrick Devedjian sont du même avis. Quelle est la réponse des professionnels ? Alain SUSSFELD Les problèmes sont de trois ordres : les délais, la rémunération et la sécurisation de l’offre. Soyons clairs : le premier et le second point sont étroitement liés. Notre industrie établit une relation entre le niveau de rémunération de l’œuvre (par spectateur) et la chronologie. En fonction du prix fixé, la logique du délai pourra être gérée. Cessons de recourir à la langue de bois : les chaînes de télévision - en particulier payantes - jouent un grand rôle dans le financement et dans le préfinancement. Une offre en ligne ne doit pas déstabiliser le système de financement des œuvres. Cette contradiction est à gérer en prenant en compte deux éléments pour les œuvres nouvelles : le schéma de délai devrait situer ces œuvres entre la vidéo et le pay per view, et nous devons déterminer si c’est le schéma du DVD ou le schéma du pay per view qui devrait s’appliquer. Internet permet d’assurer une offre extrêmement diversifiée, et peut donc élargir notre public. Gardons cependant à l’esprit que notre métier fonctionne sur la logique de la notoriété. La commercialisation des œuvres passe donc par une exclusivité en termes de délai par rapport à d’autres médias, et par une notoriété acquise sur certains médias et exploitée commercialement sur d’autres médias. A nous de définir avec les fournisseurs d’accès comment ils sécuriseront les offres que nous proposerons. Accordons-nous avec eux sur des tarifs cohérents qui défendent notre financement à long terme et qui assurent le financement global de la chaîne de production française. Pascal ROGARD Pour le moment, je pense cependant que les télévisions à péage contribuent bien mieux au financement de la création française que la vidéo. Alain SUSSFELD Je vous l’accorde, et vous savez que je n’ai pas été un chaud partisan de la modification des délais. Dan GLICKMAN Les progrès sont encore lents en matière d’offre légale sur Internet. J’ai interrogé de nombreux adolescents américains, et ils m’ont expliqué que les facteurs qui les empêcheraient de télécharger de la musique seraient l’existence d’un risque lors du recours à la piraterie et la disponibilité d’une offre légale facile à utiliser et aux tarifs raisonnables. J’ai parlé à certains utilisateurs d’iPod, et ils estiment que cette offre rend le téléchargement illégal beaucoup moins attrayant. Soyons bien conscients du fait que l’application de la loi est indispensable au succès d’une offre en ligne – qui représente en elle- même une formidable opportunité. Pascal ROGARD Annoncez-vous le lancement d’une plate- forme par des producteurs américains ? Dan GLICKMAN Non. Je suis nouveau à ce poste. Laissez- moi un peu de temps. Pascal ROGARD Les fournisseurs d’accès discutent- ils avec les producteurs et les ayants droit du lancement d’une offre de vidéo à la demande ? Michaël BOUKOBZA En tant que représentant de Free, j’exprime une certaine déception. 5 millions d’abonnés au haut débit sont autant de nouveaux clients potentiels. Free présente une technologie qui permet de diffuser, pour l’instant, 110 chaînes de télévision. Nous nous montrons prêts à fournir de la vidéo à la demande, et il nous est répondu en termes de transfert de valeur, d’attente et de réflexion. La première fois que nous avions rencontré Pascal Rogard, il avait quasiment traité les fournisseurs d’accès de pirates ; nous progressons donc, mais du chemin reste à parcourir. Un représentant de Free s’est récemment rendu au MIPCOM et a rencontré les studios américains. Leur accueil a été extrêmement favorable, et il existe de leur part une volonté de promouvoir des offres. Nous leur avons parlé de délai, de rémunération et de sécurité. Parlons d’abord de sécurité. Nous leur avons montré notre Freebox, qui permet de transformer un accès Internet à haut ou très haut débit en un accès à contenu audiovisuel analogique par une prise Péritel – tout comme le font déjà les câblo-opérateurs ou les plates-formes par satellite. L’offre ne sera pas stockée par l’abonné, car il s’agit de streaming. En outre, l’ADSL est la seule technologie qui amène un lien physique jusqu’à l’abonné. Vous pouvez donc compter le nombre d’abonnés et le nombre de visionnages de films. Nous offrons ainsi toute la sécurité requise. En matière de rémunération, l’ADSL permet d’assurer une offre extrêmement large tout en réduisant fortement le coût de distribution. Le partage de cette nouvelle valeur créée serait donc en faveur des industries de la création. Le rôle des fournisseurs d’accès serait limité au transport et à la distribution des contenus. N’étant pas un professionnel de l’audiovisuel, je ne prendrai pas part au débat sur la chronologie des médias. Nous n’avons pas la prétention de modifier les équilibres actuels. Nous ne nous focalisons pas particulièrement sur les délais, car nous pensons que nous pouvons jouer un rôle important en matière de fond de catalogue - qui n’est aujourd’hui pas toujours exploité. La technologie ADSL peut être d’une grande utilité dans ce domaine. Il n’existe donc pas d’obstacle technique à la diffusion d’une offre légale. Comme je l’ai dit tout à l’heure, les millions d’abonnés à l’ADSL sont en outre friands d’offres télévisuelles. Nous sommes donc prêts à vous servir de plate- forme de distribution. S’il n’existe pas d’offre à l’heure actuelle, la responsabilité ne nous en incombe pas. Si ce retard perdure, les dégâts ne vont faire qu’augmenter, et la responsabilité en sera clairement partagée entre les différentes industries. Marie-Christine LEVET L’offre Canal + Active diffusée par plusieurs fournisseurs d’accès prouve qu’il n’existe pas de problèmes de sécurité. Canal + Active utilise la technologie DRM Windows Media 9 de Microsoft. La faiblesse de l’offre actuelle réside dans la pauvreté du catalogue, mais plusieurs milliers de films sont néanmoins vendus chaque mois. En Allemagne, le fournisseur d’accès T Online a négocié avec les majors américaines la possibilité de proposer en exclusivité à ses abonnés une offre de VOD. Comme Club Internet est la filiale de T Online, il nous est proposé de bénéficier de ces accords, et je suis navrée de ne pas pouvoir proposer de films français à mes abonnés français. Je peux rassurer Pascal Rogard : nous avons effectivement appris, en négociant avec les majors américaines, que la gratuité n’existait pas. Nous trouverons donc un modèle économique qui satisfera les deux parties. Bruno ORY-LAVOLLE, Directeur Général de l’ADAMI Nous n’arrêterons pas l’irruption du peer to peer. Nous pensons qu’il faut créer une redevance assise sur les abonnements à Internet et qui permettra de rémunérer les producteurs, les auteurs et les artistes. La gratuité spolie en effet les ayants droit et met en danger l’industrie culturelle. Outre la licence légale, nous travaillons aussi à d’autres solutions juridiques : le droit doit s’adapter à l’évolution de la société. Une licence légale peut avoir des limites et s’appliquer à la musique et non au cinéma, ou bien s’appliquer au cinéma dans le cadre d’une chronologie des médias. Je rends hommage à Catherine Tasca, qui est la première à avoir formulé le concept d’espace public numérique, où seront situées les « bibliothèques publiques » du monde Internet de demain. Laurent HEYNEMANN Une répression graduée serait plus judicieuse qu’une répression aveugle. Alain Sussfeld a soulevé le fond de l’affaire, qui est le rapport entre ce que l’internaute paiera d’une part, et la chronologie des médias d’autre part. Il existera deux types de catalogues : le catalogue patrimonial et les exclusivités – celles-ci seront l’objet de toutes les convoitises. Le droit d’auteur français ne constitue pas un obstacle à la fluidité des œuvres. Nous l’avons vu lorsque l’accord sur le pay per view a été signé entre les producteurs et les auteurs – au bénéfice des deux parties. Il n’existe pas d’obstacle. Le seul obstacle, c’est nous- mêmes. Patrick DEVEDJIAN Une offre légale sur Internet a échoué il y a trois ans, mais le haut débit n’existait pas. Hervé RONY, Directeur Général de la SNEP Au sujet de la licence légale, je n’ose pas imaginer que le législateur prenne une mesure applicable à la musique et non au cinéma. Je ne vois pas pourquoi la musique devrait être payée au mètre. La licence légale représente une dévalorisation profonde de la création et de sa rémunération. Monsieur le Ministre, vous avez évoqué la charte d’engagement du 28 juillet. Vous semblez anticiper sur l’expertise concernant le filtrage, ce que je trouve assez surprenant. Ce mécanisme de filtrage que nous souhaitons mettre en place est un mécanisme volontaire qui fait partie de la nécessaire responsabilisation des internautes. Il ne s’agit en aucun cas d’un mécanisme de filtrage général et absolu qui constituerait un instrument de censure. Il est envisagé d’expérimenter et d’étendre ce mécanisme de filtrage sous une forme volontaire. Le nombre d’internautes intéressés ne sera pas forcément important, mais cet élément possède une valeur pédagogique très forte, y compris dans le cadre d’un système de répression graduée. Patrick DEVEDJIAN Cette controverse nous oppose depuis un certain temps. Pour y mettre un terme, j’ai demandé à une autorité scientifique de fournir un rapport sur ce point – qui sera rendu public. Permettez- moi d’être cependant sceptique sur l’idée d’un filtrage individuel et volontaire. Cela me fait penser aux joueurs de casino qui demandent à figurer sur une liste noire. Laurent PETITGIRARD, Président de la SACEM L’industrie musicale a expérimenté les ravages de la piraterie. Les critiques portées à l’encontre de l’industrie musicale sont que les disques coûtent trop cher - ce qui est souvent vrai -, que les grandes majors du disque favorisent peu la diversité et que la distribution s’est concentrée (les petits disquaires ont disparu). Votre industrie a la chance de ne pas souffrir de ces trois difficultés. Le coût d’une place de cinéma est bien inférieur à celui d’un CD, la diversité de la production ne s’est pas affaiblie et le nombre de salles de cinéma est resté important. Vous êtes malgré tout confrontés au même problème de piraterie que nous, du fait de la facilité des téléchargements. Je pense que la suspension de l’abonnement Internet d’un pirate permettrait de toucher un point sensible sans avoir recours à un procès qui nous serait préjudiciable en termes d’image. L’idée présentée dans la charte signée par l’industrie musicale - l’envoi de messages d’avertissement aux internautes - me paraît excellente. La coupure de la ligne dépendrait de la décision d’un juge, mais me semble bien plus intéressante qu’une amende. Je souligne la lâcheté des artistes – tant dans la musique que dans le cinéma. Lors d’un grand débat organisé à Cannes sur la piraterie dans le cinéma, j’ai vu une journée entière de discussions gâchée par Monsieur Tarantino, qui voulait faire son petit effet en clamant qu’il était formidable que ses films soient piratés un peu partout. Je n’entends jamais Johnny Hallyday, Michel Sardou ou un autre artiste oser dire qu’il est hostile au piratage, car ils ont peur de s’aliéner leur public et une certaine mouvance. Beaucoup de nos confrères sont des lâches. Dans le cinéma, nous entendons surtout des metteurs en scène sur ce point ; et encore, il s’agit des metteurs en scène les plus concernés ou de ceux qui, comme Luc Besson, sont des producteurs. J’attends de voir les grands interprètes – que ce soit dans la musique ou dans le cinéma – avoir le courage de dénoncer publiquement la piraterie. Ils ne le font pas. Marie-Christine LEVET La coupure de l’accès figure dans les conditions générales de vente des fournisseurs d’accès en cas d’utilisation nuisant à la création artistique, et ce point était mentionné dans la charte. Philippe LORANCHET, Journaliste technique pour le magazine « Ecran total » Le système de protection des DVD est maintenant cassé, car il est figé sur le support luimême. Pour le DVD Haute Définition, Microsoft est en train de mettre en place un système de contrôle de droits avec une validation en ligne. Le premier clavier d’ordinateur à contrôle biométrique - par empreintes digitales - a été commercialisé cette semaine. Microsoft effectue un important lobbying auprès des éditeurs de programmes d’Hollywood pour valider ce système de contrôle. Demain, un lecteur de DVD Haute Définition effectuerait un contrôle de droits en ligne. Un tel contrôle biométrique empièterait sur la vie privée des individus. Patrick DEVEDJIAN Je ne suis pas aussi compétent que vous sur les problèmes de biométrie, mais je me pencherai sur ce sujet. Depuis l’attribution des fréquences de TNT, la situation a considérablement évolué. Le rapport Hubert a expliqué qu’il était possible de disposer sur un même décodeur de MPEG 2 et de MPEG 4, et qu’il ne fallait pas rater cette révolution technologique. Le rapport Boudet de Monplaisir qui vient d’être remis au Premier Ministre va exactement dans le même sens. En outre, le Conseil d’Etat a annulé l’attribution des fréquences de TNT. L’échéance du mois de mars est donc fortement compromise. La question d’interdire ou non MPEG 4 - qui est une norme de compression beaucoup plus performante - est une vraie question qui interpelle les professionnels du cinéma. La haute définition représente nécessairement l’ave nir, et je rappelle qu’elle est très largement répandue au Japon et aux USA. La France a la chance d’être le leader européen dans ce domaine. Les enjeux sont à la fois des enjeux industriels et des enjeux de création. De la salle Il y a quelques années, j’ai acheté deux DVD à 2 euros sur Cdiscount. Nous devons d’abord considérer qui perd de l’argent du fait du piratage. Mesdames et Messieurs de l’ARP, mettez vos films en commun et distribuez- les sur Internet à un prix raisonnable. Vous rencontrerez alors un grand succès. Renaud DELOURME, Union de l’Edition Vidéographique Indépendante Le rapport Fries montre que le DVD est en train de devenir un produit d’appel, et nous ne disposons que de peu de solutions dans ce domaine. Nous butons par exemple sur le problème de la rémunération légale des ayants droit. Sur Internet, il sera encore plus facile de proposer des produits d’appel, et cela représente un véritable problème. Pascal ROGARD La loi Galland sur les marges arrières et la coopération commerciale sera bientôt modifiée. Nous pouvons peut-être espérer que les biens culturels ne soient pas moins bien traités que les fruits et légumes, qui bénéficient d’un régime spécifique. Jean CAZES, Vice-Président de la Chambre Syndicale des Producteurs, Président du Club des Producteurs Européens. Je suis assez inquiet à l’issue de ce débat. D’une part, les fournisseurs d’accès Internet considèrent les professionnels du cinéma comme des individus incompétents et un peu stupides, et ne prennent jamais en compte le point de vue de leurs interlocuteurs. D’autre part, les responsables politiques ont une position soit très confuse, soit au minimum extrêmement lâche, c’est-à-dire qu’ils ne veulent pas s’attaquer aux braves internautes qui piratent des œuvres. Globalement, j’ai quand même assez peur. Le très haut débit va se généraliser dans les mois à venir, et le téléchargement en sera grandement facilité. Je ne vois pas comment une offre légale pourrait réussir face à une offre gratuite non réprimée. Il nous a été affirmé que Les choristes était piraté car il n’existait pas d’alternative, mais il n’est pas difficile d’acheter le DVD de ce film ; c’est donc bien une question de prix. De son côté, Gang de requins ne sera jamais disponible légalement le jour de sa sortie en salles ; dans le cas contraire, toute l’économie du cinéma s’effondrerait. L’exercice d’une répression est donc fondamental. La réponse graduée prônée par Alain Sussfeld me paraît constituer une bonne solution. Il est clair que les messages d’avertissement ne seront pas pris en compte s’ils ne sont pas accompagnés d’une politique répressive. Des amendes devraient être infligées, et une récidive devrait être sanctionnée par la suspension de l’abonnement. Si un tel système de répression automatique était adopté, il y aurait alors une place pour une offre légale. Je suis favorable à la passation très rapide d’un accord entre les fournisseurs d’accès et notre profession, et je considère que les Américains doivent se joindre à nous dans cette bataille. Il faudrait que les fournisseurs d’accès s’engagent à mener une répression graduée et efficace des internautes indélicats. Pascal ROGARD Les propositions d’Alain Sussfeld sont sur la table, et je pense qu’elles seront débattues lors des discussions avec les fournisseurs d’accès qui se tiendront sous l’égide du Ministère de la Culture et du Ministère de l’Industrie. Patrick BLOCHE Cet après- midi, nous avons ouvert des pistes de travail passionnantes. La situation est fort complexe, et la chronologie des médias représente un sujet épineux. Le peer to peer est licite, mais l’usage qui en est fait ne l’est pas toujours, et nous devons donc travailler sur le statut juridique du téléchargement. Le problème du référencement sur les moteurs de recherche doit aussi être lié au statut juridique du téléchargement et à la problématique de la chronologie des médias. Nous pourrons ainsi promouvoir la diversité culturelle auprès des internautes. Le droit d’auteur ne constitue pas un obstacle à la circulation des œuvres. Pascal ROGARD Il constitue d’autant moins un obstacle à la vidéo à la demande qu’à ma connaissance, il existe un accord entre les producteurs et les sociétés d’auteurs pour la rémunération des auteurs. Philippe BAILLY, Directeur Associé, NPA Conseil J’ai une question à poser aux fournisseurs d’accès. Un client qui télécharge un fichier de taille importante pourrait- il se voir demander une confirmation de sa volonté de procéder au téléchargement ? Cela serait dissuasif, et cela faciliterait la constitution de la preuve dans le cadre de poursuites judiciaires. La vidéo à la demande contribue aujourd’hui beaucoup moins au financement du cinéma que les chaînes de télévision. Une réflexion est-elle en cours pour faire évoluer cette situation ? Il y a quelques années, TF1 et NRJ s’étaient alliés pour proposer une offre légale de musique en ligne ; le catalogue proposé étant squelettique, cette expérience n’avait duré que 3 mois. Apple a su négocier des accords significatifs avec les majors, et vend maintenant 4 millions de titres chaque semaine sur iTune. Pascal ROGARD Le Parlement a voté il y a quatre mois, à l’unanimité, que la vidéo à la demande contribue au compte de soutien de la même manière que la vidéo – soit une taxe de 2 % sur le prix payé par le public. Nous souha itons que la TVA sur la vidéo et les téléchargements baisse - elle est actuellement de 19,6 % -, ce qui permettrait d’accroître la contribution au compte de soutien. Marie-Christine LEVET Nous avons aujourd’hui les moyens d’identifier les internautes qui se livrent à la piraterie. Les groupes de travail organisés par le Ministère de la Culture et le Ministère de l’Economie mettent d’ailleurs au point des procédures automatisées. Il faudrait peut-être travailler maintenant sur des amendes graduées. Les procédures sont en cours d’élaboration, en liaison avec la CNIL. Monsieur DAHLEN, Conseiller Municipal à Beaune J’ai beaucoup de mal à expliquer à mes enfants ce qui relève ou non de la piraterie. Cela fait 20 ans que l’on peut enregistrer une émission télévisée pour la prêter à des amis : est-ce de la piraterie ? La rémunération prélevée sur un support banalise son usage et déresponsabilise l’utilisateur final. Dans un magazine paru récemment, 13 baladeurs numériques et 12 graveurs de DVD double couche sont testés. Les lecteurs de DVD avec enregistreur sur disque dur arrivent aussi sur le marché. TPS permet en outre de télécharger un film dans le décodeur. Au total, le public a beaucoup de mal à distinguer la piraterie de la copie privée. Nous avons besoin d’un large effort pédagogique. Pascal ROGARD La frontière entre copie privée licite et piraterie est en effet parfois assez floue. Dans l’exemple des décodeurs TPS, une rémunération est acquittée par l’abonné. Il peut être difficile pour un particulier de s’y retrouver, d’autant plus que les industriels – et je me tourne là vers Patrick Devedjian – ont la fâcheuse habitude de mettre sur le marché des appareils quasiment dédiés à la piraterie. Certains lecteurs ne servent qu’à lire des cassettes ou des DVD en DivX – qui constitue l’outil principal de la piraterie dans le monde. Les consommateurs peuvent avoir du mal à comprendre pourquoi ils sont poursuivis en justice alors qu’ils ont utilisé un appareil en vente libre. Vous pourriez peut-être en parler un peu aux industriels. Patrick DEVEDJIAN Les fusils de chasse sont autorisés, et le meurtre est interdit.