Sylvie Montier - Mairie11.paris.fr

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Sylvie Montier - Mairie11.paris.fr
Sylvie Montier
LA NAISSANCE
Atelier d’écriture animé par Isabelle Buisson
Juin 2011
le programme culturel de
Quand la fille demanda à sa mère vers ses 15 ans : « Dis maman, comment s’est
passée ma naissance ? », la mère n’aurait quand même pas osé répondre qu’elle
était née comme été né Jésus de sa mère Marie. Et pourtant….
Mais la Vierge, c’est comme le Père Noël, il n’y a que les tout petits pour y
croire. Elle ne pouvait pas lui dire non plus qu’elle l’avait sortie de sa cuisse
comme Athéna de Jupiter. Si la fille posait la question, c’est qu’elle savait plus
que cela. Pourtant, à ses gestes suspendus, on sent qu’elle cogite ferme la mère.
Et on sent bien qu’elle aurait aimé lui raconter une histoire de ce genre. Le sexe
c’est sulfureux et sale ! Trois ans plus tôt, à l’arrivée des règles de sa fille,
comme simple explication, elle lui a balancé une serviette jetable en lui disant :
« Tiens, prends ça ! Tu les auras tous les mois et à partir de maintenant tu peux
avoir un bébé. Et pour l’hygiène, cet endroit-là se lave comme les autres. Cela
veut dire, une fois par semaine mais pas plus, car si on y touche trop, cela fait
des filles vicieuses. »
La mère au-dessus de son évier a repris sa vaisselle sans répondre. Cette
satanée gamine est toujours à lui poser des tas de questions indiscrètes et
gênantes. Mais la gamine immobile à son tour, son assiette et son torchon dans
les mains, attend. Bien sûr, grâce à l’école et aux copines, elle en connaît plus
sur la sexualité que sa mère ne lui en a dit durant sa jeunesse. Ce n’est pas un
ange qui traverse la pièce mais toute une armée d’anges. Alors la gamine
curieuse, car elle veut savoir, insiste :
- Tu as accouché où ?
- A l’hôpital, répond la mère sèchement.
- Tu as eu beaucoup mal ?
- Non !
- Cela a duré longtemps ?
- Non !
- Tu as fait pipi quand tu as accouché ?
Rendez-vous compte, la gamine a appris à l’école que les mamans en
accouchant lâchaient parfois leurs sphincters ! Coup d’œil rapide et mauvais sur
sa fille puis retour à sa vaisselle.
- Tu as appris cela où, toi ?
- Ben à l’école voyons maman !
- Ah oui, l’école évidemment !
A sa réponse, on sent bien qu’elle voue l’école à tous les diables. Mais la gamine
tenace ne lâche pas.
- Et papa était là à l’accouchement ?
Si la mère n’était pas coincée, elle éclaterait de rire. C’est ce qu’il faut
comprendre dans le sourire qui lui passe rapidement sur le visage. Il est vrai que
quand on connaît le père…
- Ton père, ça ne risque pas. Et puis en 65, ça ne faisait que commencer. Pour
ton frère, 4 ans avant, ça ne se faisait pas du tout.
Ça y est, elle l’a lâché son ça ne fait pas. Car il y en a des choses qui ne se font
pas ou ne se disent pas avec cette femme-là. Elle reprend son air buté.
L’adolescente fait mine de ne rien voir, rien entendre et continue ses questions.
- Les contractions ont commencé quand ?
- La veille au soir.
- De la veille au soir jusqu’au lendemain 8h30 du matin ? Mais c’est long,
s’exclame l’adolescente qui n’en revient pas ! Et tu es rentrée quand à l’hôpital ?
- Dès le début des contractions.
- C’est douloureux ! Souffrir toute une nuit comme cela !
- Une fois que l’enfant est né, on est tellement heureux qu’on oublie.
L’adolescente essuie la vaisselle en silence. Elle compare ses otites et ses rages
de dents et se dit qu’elle ne les oubliera jamais. Et il y a LA question qu’elle pose
aussitôt qu’elle en forme la pensée :
- Comment peut passer la tête d’un bébé et le bébé entier à cet endroit-là?
- Ça se dilate, répond la mère au bord de l’explosion.
- Non, répond l’adolescente qui s’emballe, c’est impossible ! Ou alors cela reste
ouvert après et puis…
Et la mère excédée, ne contenant plus sa gène ni son exaspération, l’envoie
littéralement bouler.
- Cela suffit maintenant avec tes questions ! Retourne dans ta chambre !
Et là, la claque n’est pas loin. Donc tous aux abris ! La mère a horreur qu’on
l’envoie dans les cordes surtout quand c’est par une gamine.
Eh bien la gamine n’a jamais su grand-chose de plus sur sa naissance. A
l’époque, quand elle a voulu savoir, on ne lui a rien dit. Et plus tard, quand sa
mère lui aurait bien raconté, c’est elle qui ne voulait plus savoir. A quoi bon,
puisqu’elle ne voulait pas d’enfant.

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