KUCHARSKI Isabelle Psychologue clinicienne CH La Chartreuse

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KUCHARSKI Isabelle Psychologue clinicienne CH La Chartreuse
 KUCHARSKI Isabelle Psychologue clinicienne CH La Chartreuse Intervention du 3 octobre 2014 pour l’EFA à Chenôve L’attachement dans l’adoption Introduction Rappel : pour se constituer physiquement et psychiquement afin de devenir un être humain à peu près en équilibre, l’enfant a besoin d’être identifié unitairement, d’être un et un seul un unique pour un Autre ou des Autres (les grands). L’individuation (la constitution de l’individu) en passe par des phases bien distinctes et complémentaires. Déjà se mettent en place l’identification des limites (de l’unité) corporelles, sensorielles, motrices, le lien physique : quelqu’un s’intéresse à l’enfant, à ses besoins, ses envies, ses souffrances, y porte attention et le considère comme digne d’exister en tant que personne valable, estimable. Puis le lien relationnel, l’intériorité après l’extériorité…l’affectif, les émotions, les sentiments. Puis les apprentissages de la symbolique humaine, le langage, la communication verbale et non-­‐verbale, l’écrit, les codes…. Et puis ou plutôt dans le même temps, l’inscription dans une histoire, une famille, une culture, un tout. Le concept d’attachement Mais tout ceci ne peut se mettre en place que s’il existe des liens entre l’enfant et une autre (des autres) personne(s). Ces liens nécessaires nous pouvons les nommer liens d’attachement, mais qu’est -­‐ce que l’attachement ? BOWLBY, psychologue anglo-­‐saxon, spécialiste (de 1940 à 1970 environ) du développement psycho affectif et de la construction de l’attachement chez l’humain considérait le lien d’attachement comme un type spécifique de lien affectif dont le noyau est l’attraction qu’un individu éprouve pour un autre individu. BOWLBY établit 5 critères pour qu’un lien entre individus soit considéré comme lien affectif et un sixième pour qu’il soit lien d’attachement, je vous livre ces critères : -­‐un lien affectif est permanent, non transitoire -­‐il implique une personne particulière qui n’est interchangeable avec aucune autre -­‐il implique une relation qui est significative du point de vue émotionnel -­‐l’individu souhaite maintenir une proximité ou un contact avec la personne avec qui il a un lien affectif -­‐l’individu ressent de la tristesse ou de la détresse lors de la séparation non volontaire d’avec cette personne Le lien d’attachement repose sur un critère supplémentaire : la personne se sent en sécurité et en confort dans cette relation. Pour dire les choses plus simplement, le nourrisson doit bénéficier pour se développer harmonieusement d’un certain nombre d’apports, à travers les échanges qu’il a avec sa mère puis avec tout adulte prenant soin de lui : ses besoins doivent être reconnus et satisfaits de façon régulière et continue pour lui permettre de se construire un image interne de l’Autre et établir un lien de confiance avec cet Autre dont il dépend ; cela lui permettra par la suite de se construire également une image de lui-­‐même suffisamment sécurisante pour avoir un noyau narcissique qui lui permettra de traverser les évènements de vie sans s’effondrer. On peut nommer attachement ce lien fondamental d’un bébé à l’égard de la ou des personnes qui l’élèvent. Ces figures d’attachement sont hiérarchisées, avec la figure d’attachement principale en haut de la hiérarchie. Les fondements essentiels de ce lien sont donc la satisfaction du besoin de proximité du bébé, ainsi que le sentiment de sécurité qui en découle. Le bébé possède la capacité innée de provoquer la proximité avec une figure d’attachement préférentielle au moyen de certains comportements tels que le sourire, la vocalisation, les pleurs ou l’agrippement. La qualité du lien dépend de l’existence et de la qualité de la réponse. Si elle est défectueuse ou absente, cela provoquera des émotions d’angoisse, de colère et de tristesse. Les premiers attachements sont les fondements de la personnalité de l’enfant : leur nature influence la capacité de l’individu à créer des liens, à s’adapter socialement et à établir un certain équilibre psychique. C’est seulement vers 3 ou 4 ans, chez un enfant n’ayant pas vécu de situations traumatiques que la séparation physique avec la figure d’attachement n’est plus vécue comme une menace. Fort heureusement même en présence de traumatismes ou de carences des liens d’attachement, l’être humain possède des ressources psychiques qui lui permettent parfois de « compenser » les manques et les blessures (notion de résilience ou de plasticité neuronale). Le lien dans l’adoption Un défi L’adoption est une des situations qui met en lumière les effets de rupture d’attachement et de possibilité de ré-­‐accordage affectif. En effet , l’adoption confronte les enfants à la séparation d’avec un environnement et des personnes connues, quelles que soient les carences qui y sont associées, avec l’enjeu de construire un nouveau lien de confiance avec des personnes inconnues dans un environnement inconnu, parfois même une langue, des usages, une culture inconnue….Un véritable défi qui prend du temps, il faut déjà que l’enfant fasse « le deuil » de son attachement antérieur, car l’enfant forme aussi un attachement avec des parents maltraitants ou négligents et ces compétences acquises seront utilisées pour les relations ultérieures. Perdre une figure d’attachement est toujours un processus long et douloureux, l’enfant passe donc par une phase de tristesse, de colère, de rejet éventuellement ou de passivité extrême ou encore de sur-­‐adaptabilité si il ne mobilise plus suffisamment l’expression de ses affects. L’enfant peut donc présenter des troubles du sommeil , de l’alimentation, il peut manifester son angoisse en restant agrippé, ou en « attaquant » le lien ou peut rester en retrait, être très actif ou hyper-­‐vigilant, avoir des comportements stéréotypés (balancement, se frapper la tête, se tirer les cheveux)….Souvent il est conseillé de ne pas attendre de l’enfant des réactions attendues d’un enfant de son âge mais d’anticiper des mouvements repérables habituellement chez un « tout-­‐
petit ». Des difficultés Certains enfants adoptés présentent par ailleurs du fait des conditions de vie antérieures à l’adoption des difficultés particulières telles que malnutrition (en cas de vie prolongée dans un orphelinat par exemple), malnutrition qui peut causer des retards de croissance, ou nuire au développement cérébral. L’alcoolisme de la mère durant la grossesse, des infections, le manque de stimulation ou des carences affectives graves peuvent aussi être causes d’un retard de développement moteur, intellectuel ou langagier. On estime que 10 à 70% des enfants adoptés présentent un retard du développement moteur à leur arrivée, situation plus fréquente lorsque l’enfant a vécu en orphelinat. On calcule 1 mois de retard pour chaque période de 3 mois passée en orphelinat après l’âge de 6 mois. En général ce retard est rattrapé après l’adoption. De la même façon, les retards intellectuels (dus à la malnutrition, au manque de stimulation, à une grossesse non surveillée et pathologique) s’améliorent en 3 à 6 mois après l’arrivée de l’enfant. L’apprentissage d’une nouvelle langue (parfois différente de la langue maternelle) peut causer des difficultés qui perdurent dans le temps notamment pour la maîtrise des concepts abstraits et les expressions typiques. Les problèmes de développement social et affectif sont souvent très présents chez les enfants adoptés (surtout à l’étranger) : les carences affectives, les ruptures de différentes natures entraînent une perte de confiance envers le monde extérieur et fragilisent leur capacité à développer des liens d’attachement structurants, et ce d’autant plus pour des enfants qui ont grandi en orphelinat ou pour ceux qui ont été adoptés à un âge plus avancé. Ils présentent un taux élevé d’anxiété et doivent faire face à des chocs traumatiques. L’enfant a besoin qu’on donne sens à ce vécu et a besoin de temps pour apprendre à fonctionner avec ses 2 identités. Il ne faut pas oublier que les premiers attachements sont antérieurs à l’adoption, ils font partie de l’enfant et la famille adoptive doit tenir compte que l’enfant n’est pas « tout neuf », il a déjà un passé qui le constitue. Quelques conseils L’établissement d’un attachement entre un enfant adopté et ses parents adoptifs peut exiger jusqu’à un an avant d’être en place de façon secure. Durant cette phase de transition, les conseils sont les suivants -­‐la ou les mêmes personnes doivent répondre aux besoins quotidiens de l’enfant -­‐éviter la multiplicité des contacts dans les premiers temps -­‐favoriser les contacts physiques réconfortants (type maternage) -­‐favoriser les activités et les jeux sensoriels (la peinture à doigts, les jeux d’eau, la pâte à modeler à manipuler avec l’enfant afin de favoriser le contact) -­‐offrir des soins et un cadre de vie routinier (repérables) -­‐chez un tout-­‐petit, maintenir le contact visuel pendant le biberon, parler, chanter pendant les soins -­‐favoriser l’endormissement les premiers temps (partage de chambre éventuellement) -­‐éviter la télévision ou toute activité isolant l’enfant -­‐raconter leur histoire à l’enfant, évoquer son passé -­‐fabriquer un «coffret-­‐souvenir » -­‐éviter la sur-­‐stimulation Du coté des parents L’attachement du côté des parents pourra se mettre en place à la condition que, eux aussi, fasse leur deuil……le deuil de l’enfant « rêvé » afin d’accueillir l’enfant réel qui sera lié à eux par un lien non pas biologique mais de choix de filiation adoptive. Ce deuil nécessitera d’en passer par des phases de négation, de colère, de dépression nécessaires à l’établissement d’un lien basé sur non pas un fantasme mais une rencontre entre des individus réels. Conclusion L’accomplissement de l’adoption sera réalisé à la condition que soit accomplie cette reconnaissance mutuelle d’un lien affectif basé sur l’acceptation des différences entre l’enfant et ses parents adoptifs, la nature du lien filiatif et l’inscription de l’enfant dans une histoire familiale qui n’était pas la sienne. L’adoption n’implique pas une dette de reconnaissance de la part de l’enfant, il s’agit d’un choix de vie des parents, issu de leur désir d’enfant et qui réactivera chez eux leurs propres capacités ou difficultés à l’attachement. Et l’enfant adopté peut choisir d’entamer ou non sa procédure d’adoption en investissant affectivement ses parents(ou pas).