Sabrina Scarna : « Le secret bancaire n`est plus une vitrine

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Sabrina Scarna : « Le secret bancaire n`est plus une vitrine
Le Soir Samedi 15 et dimanche 16 mars 2014
VOTREARGENT 27
Sabrina Scarna : « Le secret bancaire
n’est plus une vitrine »
FISCALITÉ
La Suisse et le Luxembourg devraient enterrer leur secret bancaire fin mars
Professeur de droit
fiscal à l’ULB et à
la Fucam, associée
chez Tetra Law, Sabrina
Scarna estime que
la transparence fiscale
est acquise en Europe.
« Ce n’est plus qu’une
question de temps ».
« Il faut maintenant
penser à refondre notre
système d’impôt des
personnes physiques »,
dit-elle.
PARCOURS
Sabrina Scarna
▶ Licenciée en droit de
l'UCL, Sabrina Scarnà est
avocate associée du bureau
TetraLaw depuis 2012. Elle
fut avocate au cabinet Simont Braun de 2007 à 2012
et au sein de l’Association
Afschrift de 2005 à 2007.
▶ Spécialiste du droit fiscal
et du droit pénal financier.
▶ Chargée de conférences
en Gestion fiscale à la Solvay Brussels School (ULB) et
expert chargé d’enseignement à la Fucam (Mons).
▶ Membre du barreau de
Bruxelles depuis 1999.
ENTRETIEN
Cette semaine, oh grande surprise, le Luxembourg a laissé
entendre qu’il était prêt à laisser tomber son droit de veto
européen sur la levée du secret
bancaire la semaine prochaine.
Cela fait des années que le
Luxembourg (et d’autres) font
semblant de tailler des croupières à leur secret bancaire. En
annonçant un « abandon de
veto » possible la semaine
prochaine, le Luxembourg va-til vraiment céder ? Pourquoi ce
revirement soudain ?
On a constaté depuis quelques
années et surtout en 2013 un
revirement à 180o et ce, tant à
Luxembourg qu’en Suisse. Ça y
est, les temps ont vraiment
changé. Par le passé, lorsque
l’étau se « resserrait » – l’obligation de déclarer des comptes
détenus à l’étranger, l’entrée en
vigueur de la directive sur la
fiscalité de l’épargne, etc. –, on a
vu que le secteur financier proposait des « solutions ». Certaines institutions vous proposaient ainsi le transfert des
avoirs dans une structure (type
BVI, panaméenne, trust, etc.) et
vous disaient : « vous n’aurez
pas à déclarer être titulaire
d’un compte ». D’autres vous
expliquaient que si vous souscriviez un contrat d’assurancevie, « vous ne seriez pas visé
par la directive épargne ». Etc.
Etc. En 2013, on a sonné la fin
de la récré. Pas d’alternative.
En gros, les banques ont dit à
leurs clients : « mettez-vous en
situation régulière ou partez ».
Le temps n’est effectivement
plus à celui de la dissimulation
et le secteur doit trouver les
moyens de garder son attrait en
offrant ou en rappelant
d’autres avantages, tels que le
professionnalisme, la ségrégation des avoirs des compagnies
d’assurance, la gestion de fonds, etc.
Cette extension de directive
concerne tant les produits que
les personnes visées. Peut-on
vraiment penser que les trust(ees), par exemple, seront
véritablement identifiables (et
donc taxables), sachant que les
législations sur les trusts
changent toutes les trois minutes, pour ainsi dire… ?
Cette évolution de la directive
sur la fiscalité de l’épargne doit
être mise en parallèle avec l’évolution (et l’extension) des obligations d’identification en matière de blanchiment d’argent,
qui font l’objet d’une autre directive européenne. Le lien créé
entre ces deux directives va à
mon sens permettre une réelle
efficacité puisque la directive
« blanchiment » exige une
identification des bénéficiaires
réels des trusts et des interve-
l’adoption quasi concomitante
du standard OCDE pour lutte
contre la fraude et celle de
l’extension de la directive
« épargne » ?
Il s’agit de deux directives à objectif différent. Elles ne se
contredisent pas, elles se « chevauchent ».
La
directive
épargne a, pour rappel, instauré la première l’échange automatique d’informations et cela
fonctionne. On constate que les
pays de l’Union européenne tenus à cet échange communiquent les informations et
nombre de contrôles ont pu être
menés grâce aux informations
transmises.
Le
modèle
« OCDE » a un champ d’application beaucoup plus large et
vise aussi à instaurer un
échange automatique pour
d’autres revenus (professionnels, immobiliers, pensions, assurance, jetons de présence, dividendes, etc.).
« Réformons notre système d’impôt des personnes physiques, maintenant. » © D.R.
nants. Donc oui, les trusts seront visés.
L’accord du Luxembourg et de
l’Autriche pour lever leur secret
bancaire et autoriser l’échange
automatique d’informations
fiscales est conditionné aux
négociations avec les cinq pays
tiers ; là aussi, la Suisse est-elle
aussi coincée dans les cordes
qu’on veut bien le dire ? Il semblerait que les négociations
avancent bien…
Une certaine évolution, voire
une évolution certaine, est en
place depuis quelques années
maintenant ! La Suisse comme
le Luxembourg ont manifestement compris que leur « secret » ne pouvait être leur « vitrine ».
Depuis la crise de 2008, la
pression internationale en matière de lutte contre la fraude est
devenue irréversible. La transparence en matière de directive
épargne ne fait plus l’ombre
d’un doute pour le Luxembourg
et sera plus que probablement
amorcée en Suisse également.
Quels problèmes peuvent poser
L’impression demeure qu’un
pas de géant vient donc d’être
franchi cette semaine vers
l’échange automatique d’informations. Sur quoi porterait-il ?
Et quid de la directive sur l’entraide administrative, qui, elle,
semble assez laxiste, non ?
Oui, une évolution considérable est en place. De l’échange
d’informations sur demande
(modèle OCDE), à une assistance pouvant être même spontanée (directive en matière
d’assistance administrative),
on se dirige vers un échange automatique (déjà instauré par la
directive épargne mais uniquement dans son champ d’application). L’ensemble des obligations d’identification, de vigilance et autres imposées de plus
en plus à tous les intervenants
du secteur financier (blanchiment, Mifid, etc.) et les moyens
technologiques permettent en
réalité la possibilité d’un
échange aisé d’informations
considérées comme pertinentes.
C’est une évidence que si l’information de ce qui se passe à
l’étranger est communiquée, la
fraude consistant à ne pas « déclarer » sera plus facilement relevée.
Sur quoi porterait précisément
l’échange automatique d’infos ?
Comment cela se passerait-il
dans la pratique ?
On peut penser, comme en ce
qui concerne l’assistance administrative aux revenus professionnels de travailleurs, aux jetons de présence, aux capitaux
versés par des compagnies d’assurances, etc. L’agent payeur,
qui a généralement une obligation d’identification du bénéficiaire de par les dispositions
anti-blanchiment, sera tenu de
communiquer à son administration fiscale qui pourra alors
communiquer automatiquement à son homologue de l’état
de résidence du bénéficiaire. Et
la boucle serait bouclée…
Bref, avec un brin de cynisme,
on pourrait dire qu’on envoie
les très gros fraudeurs hors des
frontières européennes, vers
des pays plus « conciliants »
envers l’évasion fiscale ?
On peut dire ça, oui, à première
vue mais il ne faut pas se leurrer, ce ne serait que reculer pour
mieux sauter. La pression se
fait aussi au niveau international.
Ce serait vraiment la fin du
« Belgian dentist », alors ?
Il faut comprendre que les
temps ont changé et que la solution n’est clairement plus dans
une lutte contre l’impôt par la
fraude. La lutte doit être menée
pour obtenir enfin une « refonte » de notre droit fiscal, notamment en matière d’impôt
des personnes physiques. ■
Propos recueillis par
FRANÇOIS MATHIEU
Le SPF Finances fait appel au privé pour tracer la fraude
e service public fédéral (SPF) Finances, structure partiellement mais
L
immanquablement héritière des réflexes
et lenteurs bureaucratiques de feu le ministère éponyme, n’est pas suffisamment
armé pour faire face aux fraudeurs les plus
ingénieux. La preuve, Business & Decision, entreprise de consultance internationale spécialisée dans le traitement et l’exploration de données, vient d’être désignée
pour dépêcher un groupe d’experts au secours de l’administration publique. Objectif : tailler des croupières aux grands allergiques de l’impôt. Et pour maximiser ses
chances de succès aux côtés du SPF, Business & Decision vient d’engager une experte parmi les experts à la tête de cette
« troupe d’élite ». Son nom : Cécile de Barsy. Son nouvel employeur la présente
comme « une experte reconnue de la détection des fraudes et un membre actif de la
Transparency International, une ONG
qui surveille et rend public le niveau de
corruption des politiciens, fonctionnaires
et entreprises dans le développement international ». Le ton est donné.
C’est que les métiers de la lutte contre la
fraude fiscale ont radicalement changé ces
dernières années. Non que les interviews,
croisements manuels d’informations,
grands tableaux à punaises et intime
conviction n’aient plus droit de cité dans la
discipline – quoique les agents de terrain
du fisc voient ces méthodes céder chaque
année un peu plus de terrain aux « providentiels » ordinateurs –, mais la fraude
s’est à ce point sophistiquée qu’elle nécessite aujourd’hui compétences et outils à la
hauteur des trésors d’ingénierie déployés
par les fraudeurs.
Cela tombe bien, puisque Cécile de Barsy, passée maître dans l’art du recoupement informatique d’informations liées à
la grande fraude fiscale ou au crime organisé, était justement en manque de défis.
« Je savais que mon métier allait devenir
de plus en plus technologique et je cherchais un partenaire profondément impliqué dans le “data mining », soit l’exploration de données.
Ces données, ce sont les noms et
adresses des entreprises et personnes physiques suspectes, les données bancaires de
transactions financières, les communications téléphoniques et autres indices éventuellement fournis par la police. Mais aussi, et c’est là que réside toute l’expertise de
la dame, ce sont les relations interpersonnelles, privées ou professionnelles, et l’ensemble des informations contenues sur les
Cécile de
Barsy,
consultante
chez B & D.
© D.R.
réseaux sociaux. « À l’aide de logiciels tels
que SAS ou I2, la “social network analysis”
permet de matérialiser les connexions
entre les différents intervenants de la
fraude sous forme de graphes. Aussi, cette
analyse tient compte de la dimension temporelle. Aujourd’hui, nous pouvons détecter des liens et activités suspectes comme
jamais auparavant. Établir que telle transaction a eu lieu au même moment que tel
changement d’adresse, qu’un même protagoniste est présent dans deux pays à la fois
et réitère des schémas de fraude éprouvés
par le passé, type carrousel TVA, et reconnus par le système. Définir la taille d’un réseau et en identifier le leader… », explique
Cécile de Barsy.
Toute l’intelligence de ce type de logiciel
réside dans son calibrage, pour éviter de
faire remonter un torrent d’informations
inutiles ou trop pauvres en indices pour
justifier une investigation approfondie.
C’est précisément là que Cécile de Barsy
devrait apporter son expertise et ainsi réduire les coûts de la lutte contre la fraude
fiscale. Par ailleurs, Business & Decision
devrait également former la vingtaine de
jeunes « data miners » récemment engagés par le SPF Finances. ■
OLIVIER CROUGHS
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