Le trail, ce n`est pas que courir, c`est aussi changer de rythme
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Le trail, ce n`est pas que courir, c`est aussi changer de rythme
RENCONTRE ANTOINE GUILLON L’ULTRA AU CŒUR ! Quand on dit ultra en France, on dit Antoine Guillon. Vainqueur en octobre dernier du Grand Raid de la Réunion, il couronne avec panache une carrière de coureur débutée par la course sur route pour s’épanouir dans l’ultra, sans compter sa victoire dans l’Ultra Trail® World Tour. L’ultra ; c’est une discipline qu’il affectionne au point de créer en 2016 le premier challenge français d’ultra, avec l’Ultra Mountain National Tour. Conversation avec un esthète du trail sur le mode doux ! Propos recueillis par Serge Moro. Esprit Trail : Comment as-tu débuté en trail ? Antoine GUILLON : J’ai commencé par les Templiers, en 2002, avec une première participation au bout de deux ans de reprise, après un long arrêt de course à pied. Les longues distances m’attiraient. Cela correspondait à mon désir d’aventure, et je voulais tester mes limites. Je me suis découvert des qualités de finish assez étonnantes, et j’ai mordu complètement à la discipline à partir de là. La convivialité et l’effort en nature m’ont conquis. J’ai continué sur cette lancée en allongeant les distances. ET : Que dirais-tu de l’évolution du trail en 14 ans de pratique ? AG : En premier lieu, que les visages ont changé ! L’élite du trail n’est plus celle des années 2000-2005, et de nombreux amis de tout niveau ne courent plus, blessés à répétition. C’est un fait, l’ultra pratiqué de manière trop hâtive conduit soit au dégoût soit à la blessure. L’être humain, souvent, ne sait pas attendre ; j’avoue que la tentation est forte, vue la multipli- obligés de quitter leur emploi ou d’aménager leur horaires pour sortir du lot. J’en viens à dire que la pratique se professionnalise, mais attention, les athlètes n’ont aucune protection sociale ni aucune reconnaissance officielle, mis à part ceux détenant un titre reconnu par une fédération, champion de France ou du monde pour une durée de un an, voire 2. Pas de quoi vivre pour autant. Mais mon constat général est positif, avec une discipline mieux cadrée, un matériel qui a énormément évolué, une quantité d’organisations pour satisfaire tous les goûts, et un suivi médiatique bien marqué aujourd’hui, aussi bien en presse écrite que télévisuelle. J’aime ce sport, c’est un art de vivre, un phénomène sociétal intéressant et inspirant. ET : Tu as participé au Tor des Géants avec succès. Quel est ton regard sur ce type d’épreuves de 200 ou 300 km ? AG : Je remarque qu’un 100 miles devient banal, il y en a tant, les barrières horaires parfois très larges permettant un grand nombre de finishers d’aller au bout, à la limite de la randonnée (je « Le trail, ce n’est pas que courir, c’est aussi changer de rythme, c’est marcher, c’est des pentes qui durent très longtemps, c’est du technique aussi en descente... » cation des épreuves. C’est un autre constat : des centaines de trails, aucune région épargnée, cette discipline a conquis les coureurs et incité un public sédentaire à découvrir le sport en nature. La multiplication des teams est remarquable, celle du nombre d’athlètes qui passent un examen d’accompagnateur moyenne montagne l’est tout autant ; il y a un réel désir de vivre en harmonie avec sa passion de la part de l’élite et c’est bien normal, car la plupart d’entre eux sont 80 | ESPRIT TRAIL sais en disant cela que ça ne plaira pas à tous, mais c’est une réalité). Le coureur veut passer à l’étape suivante, en faisant encore plus de kilomètres. Il y a peut-être une volonté des organisateurs de se distinguer en proposant plus, pour avoir de la « clientèle ». Mais je resterais prudent, car même si on commence à avoir un peu de recul sur les longues distances, là c’est un autre monde. Bien souvent, les gens qui s’y engagent ne sont pas forcément aguerris, et le ESPRIT TRAIL | 81 RENCONTRE ANTOINE GUILLON AG : La palme revient pour moi au Grand Raid de la Réunion, très varié, d’une ambiance incroyable, une vraie aventure humaine et sportive. Ensuite, en métropole, changeons un peu de Chamonix, la France possède des joyaux dans tous ses massifs, comme les terrains calcaires de la Drôme, les montagnes des Pyrénées, mon petit Caroux… Le trailer est normalement un aventurier ; qu’il teste dans tous les coins de France et au-delà, il ne sera pas déçu ! Ultra Mountain National Tour 2016 LE CALENDRIER 2016 23 et 24 avril L’Ultra Pas du Diable (Trail du Roc er de la lune) C’est le 1 challenge 120 km/6500mD national d’ultra-endurance traildurocdelalune.blogspot.fr pour les trailers friands 6, 7, 8 mai d’aventures et de découLes aventuriers du bout de la Drôme vertes, avec 9 épreuves de 125 km/7470mD caractère, 9 épreuves engagées et techwww.challenge-drome.com niques, 9 épreuves au profil montagnard 10, 11 et 12 juin avec pas moins de 100 km et 6 000 m de Le Grand Raid 6666 (course Master 2016) denivelé positif. L’objectif est de réunir les 117 km/6800mD plus grandes courses d’ultra-endurance www.6666occitane.fr de France (métropole et outre-mer) pour proposer, à tous les coureurs, de découvrir 9 juillet L’Ultra Trail di Corsica de nouveaux territoires avec des courses 110 km/8000mD mythiques et offrir ainsi un classement de www.restonicatrail.fr référence national. Des Alpes aux Pyrénées, des Vosges au bas du Massif Central, 26, 27, 28 août L’Echappée Belle (course Master 2016) de la Méditerranée à l’Océan indien, ces 144 km/10 900mD 9 épreuves illustrent la diversité du trail. www.lechappeebelledonne.com “L’idée, au-delà d’offrir aux trailers l’occasion d’un classement de référence national 9 septembre d’ultra, est d’inciter au voyage, de pousser L’Infernal Trail des Vosges 200 km/10 000mD à la découverte de nouveaux terrains de www.linfernaltrail.com jeu” explique Antoine Guillon, créateur du 7 octobre challenge. Les 100 Miles Sud de France Bien que fondamentalement différentes, 164 km/7600mD les courses de l’UMNT portent des valeurs communes qu’elles sont fières de partager et www.100miles-suddefrance.fr 21 octobre promouvoir : aventure, partage, goût du défi, Le Trail de Bourbon (course Master 2016) respect des autres et de l’environnement, 111 km/7300mD découverte des richesses de nos terroirs www.grandraid-reunion.com et territoires. Le challenge national d’ultra 10 et 11 décembre endurance, baptisé UMNT est organisé par La TransMartinique l’association Ultra Mountain Events présidée 150 km/6130mD par Antoine Guillon, vainqueur de l’UTWT. www.transmartinique.com 82 | ESPRIT TRAIL ET : En tant qu’organisateur du Grand Raid 6666, penses-tu proposer des choses différentes de ce que ferait un organisateur non pratiquant ? AG : Je suis convaincu que c’est un plus d’être pratiquant pour organiser un ultra trail, pour pouvoir se mettre à la place du coureur et comprendre vraiment ses besoins. Quand j’ai conçu le parcours de la 6666, je n’ai pas simplement dessiné un parcours sur une carte pour aller d’un point à un autre. Je l’ai fait de manière à ce que chaque chemin ait sa place, à ce que le coureur après un certain temps, se retrouve sur Ultra du pas du Diable risque, c’est de se blesser sur du long terme. Deux ans après, je n’ai pas retenté l’expérience. Je m’estime heureux de m’en être tiré à bon compte. J’apprécie de regarder et d’encourager les coureurs chaque année, j’en serai encore en 2016 pour aider Christophe Le Saux et faire partie de la fête, j’ai un profond respect pour tous ces courageux, mais je pense rester encore à l’écart. ET : Et au niveau de la technicité, est-ce que pour toi, on a atteint les limites ? AG : Si on allait sur des courses encore plus engagées, ce ne serait plus du trail, il faudrait trouver une autre appellation. Le trail est une discipline ouverte à tous, et je pense qu’on a atteint les limites en termes de technicité liée à la distance. Le parcours du GRR est très difficile, et je pense qu’on arrive à la limite du raisonnable. Je ne vois pas l’intérêt de compliquer encore plus les choses, du moins sur une épreuve non stop qui ne prévoit pas des espaces pour le vrai repos. Le Tor des Géants se veut non stop, mais chaque coureur gère ses étapes. Ceci dit, sur des distances plus courtes il y a plus technique, comme le Volcano Trail. ET : Dans ton palmarès des plus beaux ultras, qu’est-ce que tu proposerais aux coureurs ? Dès le 23 avril, l’Ultra du Pas du Diable ouvre la saison de l’UMNT, avec un parcours inoubliable, s’enfonçant au plus profond des terres cévenoles. un chemin un peu plus large pour avoir la commodité de manger sans risque, pour se reposer un peu avant d’attaquer telle autre difficulté du parcours. Le tracé doit être ludique et très beau. J’ai aussi tenu à installer des ravitaillements vraiment de qualité, de façon à satisfaire tous les besoins. Je les module en fonction de si ils seront atteints plutôt la nuit ou si ce sera en plein soleil, avec un choix de boissons adaptées selon ces conditions. Beaucoup de petits détails ont vraiment leur importance, lorsque le coureur se trouve bien avancé dans l’épreuve et que cela devient difficile. Il faut lui apporter ce dont il a besoin, pour passer le cap. Je n’hésite pas par exemple à rajouter des poubelles d’eau pour qu’il puisse se rafraîchir, lorsque je sais qu’il ne trouvera pas de ruisseau pendant 1h30 ou 2h. ET : Pourquoi avoir créé l’Ultra Mountain National Tour ? AG : L’idée m’est venue au fil de mes participations à l’Ultra Trail® World Tour, dont j’ai couru une bonne partie des épreuves. Je me suis reconnu dans deux d’entre elles : la Transgrancanaria et le Grand Raid de la Réunion, qui proposent deux parcours assez sauvages avec du terrain technique et montagneux. J’étais assez mitigé avec celui du Lavaredo qui comporte une partie montagneuse, mais tout de même beaucoup de pistes « blanches ». J’ai eu le sentiment que l’on courait différemment à l’étranger, et qu’on n’a pas la même façon de dessiner un parcours dans tous les pays. En France, on a tendance à être un peu plus montagne et cela s’apparente peut-être un peu plus à du raid. Je me suis donc dit que c’était un peu dommage de passer à côté de nos épreuves françaises, avec des organisateurs qui s’appliquent à proposer des parcours très sympas, et qui travaillent beaucoup pour amener les coureurs sur des terrains techniques avec de beaux points de vue. J’ai pensé qu’il serait bien de valoriser ces épreuves qui sont un petit peu dans l’ombre des géants. ET : Comment tu t’y es pris pour sélectionner les courses de ce challenge ? AG : J’ai choisi des courses qui avaient un ratio distance/dénivelé assez costaud, et sur lesquelles on ne pouvait que marcher sur une bonne partie. Parce que le trail, ce n’est pas que courir, c’est aussi changer de rythme, c’est marcher, c’est des pentes qui durent très longtemps, c’est du technique aussi en descente… On a donc mis des critères, avec un minimum de 100 km et de 6 000 m de dénivelé. J’ai regardé ce qui était proposé dans le calendrier, des courses dont des coureurs m’avaient parlé… J’ai contacté des organisateurs, j’ai proposé le projet et la plupart ont adhéré tout de suite. ET : On précise bien qu’on peut être classé en n’ayant participé qu’à 2 épreuves, et qu’on ne peut pas en avoir plus de 3 qui comptent… AG : Exactement, il ne s’agit pas d’entraîner les coureurs à en faire trop. Je me demande même si ce n’est pas un peu trop de devoir en faire 3 pour être bien classé, et 2 juste pour être classé… C’est peut-être beaucoup… Je vais voir comment les coureurs s’en sortent sur cette première année. Je ferai un sondage aussi pour voir ce qu’ils en pensent, et éventuellement je pourrais revoir à la baisse le nombre de participations pour être classé. Le but, c’est que les coureurs prennent du plaisir, il ne s’agit pas qu’ils se forcent à faire des compétitions et qu’ils se blessent. On peut d’ailleurs préciser qu’on a créé sur le site une plateforme d’échange, une partie conseils. C’est très sympa qu’un certain nombre de coureurs, spécialistes des ultra trails, se soient rendus disponibles afin de répondre aux questions et donner des conseils. BIO EXPRESS Antoine Guillon 45 ans, marié avec Anne, deux enfants, réside à Vailhan dans l’Hérault. Organisateur du Grand Raid 6666, de la Saute Mouflon et de la Roquebrune. Palmarès résumé : UTMB® : 4, 11, 6, 16, 5, 8 ; TDS 2 fois 2e et 1 fois 3e ; GRR 1 fois 1e, 3 fois 2e, 1 fois 3e, 3 fois 4e ; Cro-Magnon : 2 fois 2e, 1 fois 1e ; Transmartinique : 3 fois 1e et 1 fois 2e ; Citadelles 2007 : 1e ; Ultra Ardéchois 2012 : 1e ESPRIT TRAIL | 83