Bonnard enseignant

Transcription

Bonnard enseignant
Pierre BONNARD
Fontenay-aux-roses, 1867 – Le Cannet, 1947
Paysage Normand, 1920
Huile sur toile
105 x 57,9 cm
Face à l’œuvre
Bonnard a peint cette vue à Vernonnet en Normandie, dans l’atelier de sa maison « Ma
Roulotte » qu’il habite entre 1912 et 1940. Il est fasciné par son environnement et par les
visions nouvelles et inattendues que lui offre la nature.
Décris le paysage que Bonnard a représenté. Quels éléments peux-tu distinguer ?
Ce paysage est découpé en plans successifs aux ombres et lumières très marquées. Une haie
et des branches d’arbres et troncs de conifères débordent du premier plan puis apparaît une
prairie où émerge ce qui semble être la silhouette d’une vache, plus loin un groupe d’arbres,
une maison accolée au bord gauche du tableau et le ciel qui se distingue en arrière-plan.
Les paysages de Bonnard traduisent une grande connivence de l’homme avec son
environnement. Quoique le sujet premier est bien d’entraîner le spectateur dans son
émerveillement face à la nature, ses paysages sont toujours humanisés par une présence : ici
un toit de maison qui émerge peu à peu du tableau.
Quelles couleurs Bonnard a-il utilisées pour peindre ce paysage?
Les plages de couleurs se réduisent à une harmonie chromatique basée sur des passages
subtils du bleu au vert et du vert au jaune, rompue par quelques notes de rouges (branches et
troncs d’arbres, toit de la maison , barrière…) qui rythment l’espace.
Ces couleurs sont-elles réalistes ?
Bonnard ose des couleurs exacerbées et irréelles qui changent graduellement selon
l’environnement.
Par exemple les branches et troncs des arbres peuvent êtres peints en brun, rouge ou bleu
selon leur emplacement dans l’espace du tableau. « Le principal sujet, c’est la surface qui a
sa couleur, ses lois, par-dessus les objets » écrit-il dans ses Notes (du 2 décembre 1935). Le
peintre transpose la réalité dans un riche tissu de taches colorées, surface lumineuse et
vibrante dans laquelle se dissolvent les figures tandis que fusionnent le proche et le lointain.
Comment Bonnard s’y prend-il pour attirer le regard du spectateur dans la profondeur
de l’espace ? Comment circule le regard dans ce tableau ?
Le Paysage Normand est construit tout en hauteur, comme délimité par l’encadrement d’une
fenêtre.
Les variations de l’intensité lumineuse donnent à l’œil, attiré par les touches jaunes et grisbleu pâle de la partie inférieure du tableau, la possibilité de reconstituer la profondeur.
Le regard glisse ainsi doucement et sans solution de continuité, d’une plage à l’autre, soit,
grosso modo, de bas en haut, du jaune verdâtre et du vert de la haie au bleu turquoise du
champ puis au vert des arbres (parfois accompagné de touches jaunes pouvant signifier le
début de l’automne), puis à nouveau au bleu (surtout turquoise), du ciel pour finir sur une
bande jaune.
La couleur ne se limite pas à l’harmonie, elle a aussi pour fonction, essentielle, de structurer
l’espace et la circulation du regard.
Bonnard est à ce titre extrêmement attentif à deux endroits privilégiés où le plan du tableau
est le plus fragile, c’est-à-dire l’avant-plan, par où le regard pénètre et l’arrière-plan par où il
tente de s’évader. Aussi, a-t-il placé la couleur vive du jaune en haut et en bas, tout en
donnant à la zone centrale une tonalité moins forte.
Dans Paysage normand, la haie de l’avant-plan pour fonction de rendre l’espace frontal et la
couleur vive d’arrêter le regard. La bande jaune qui barre toute la partie supérieure de la toile
à la même fonction : faire en sorte que le regard ne se perde pas dans le bleu du ciel en
redressant ainsi l’espace, afin qu’il apparaisse bien comme une surface.
Décris la manière de peindre de Bonnard. Comment est appliquée la peinture ?
Le Paysage normand est composé à l’aide de touches inégales prélevées sur une palette riche
en nuances. L’exécution apparaît rapide, la matière fine, laisse la toile nue apparaître par
endroits. Il est possible de distinguer les traces du pinceau qui s’écrase sur la toile.
Le peintre transpose la réalité dans un riche tissu de taches colorées, surface lumineuse et
vibrante dans laquelle se dissolvent les figures tandis que fusionnent le proche et le lointain.
Pierre Bonnard utilise des touches impressionnistes et développe un paysage aux contours
imprécis traité avec aisance.
Pierre Bonnard rend régulièrement visite à Claude Monet et s’intéresse de près aux
œuvres récentes du peintre impressionniste.
Compare La Vallée de la Creuse de Claude Monet avec le Paysage Normand de Pierre
Bonnard. Qu’est ce qui rapproche ces deux tableaux ? Qu’est-ce qui les différencie ?
Comment Bonnard recrée-t-il une nouvelle réalité?
Comme Claude Monet, Pierre Bonnard juxtapose des touches de couleurs sur la toile.
Mais, tout en gardant la représentation du même motif (ici le paysage), Pierre Bonnard le
recrée et pour l’intégrer à une composition d’ensemble très élaborée, il utilise des couleurs
irréelles.
Car Pierre Bonnard ne peut accepter de suivre les peintres impressionnistes, dont la vision lui
paraît trop soumise à la nature et les couleurs trop proches du réel. Les impressionnistes (et
notamment Claude Monet dans Vallée de la Creuse) recomposaient les nuances de couleur
qu’ils observaient dans la nature, dans un but essentiellement descriptif.
Bonnard, lui, transpose les couleurs, et crée un monde où les feuillages, les champs, les fleurs,
le ciel échangent le bleu, le jaune, le vert, le rouge et l’orangé, un monde où les couleurs
circulent, se répondent les unes aux autres en totale liberté.
De plus, Bonnard contrecarre la technique traditionnelle de la perspective aérienne (utilisée
par Monet) qui consiste à éclaircir et estomper les plans à mesure que l’on s‘éloigne de
l’avant-plan, pour suggérer la profondeur.
Le premier plan de la haie du Paysage normand est clair et flou, démontrant la volonté de
Bonnard de mettre en avant la surface comme telle.
Il est aussi utile de rappeler que les méthodes de travail des deux peintres sont tout à fait
différentes. Claude Monet se déplace pour peindre sur motif dans la nature à un endroit précis
dans la vallée de la Creuse et à un moment choisi : le coucher du soleil, alors que Pierre
Bonnard peint le paysage dans son atelier et jamais sur le motif.
Il écrit dans 7 jours, 11 janvier 1942, p16:
« J’ai toujours mes sujets sous la main. Je vais les voir, Je prends des notes. Et puis, je rentre
chez moi ; Et avant de peindre je réfléchis, je rêve. »