SEPT FIGURES DU MONTAGE
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SEPT FIGURES DU MONTAGE
SEPT FIGURES DU MONTAGE Ce résumé de cours correspond à sept séances de travail d’une heure avec les élèves. L’accent est mis alternativement sur le montage image et sur le montage son. Les exemples ont été choisis volontairement dans des films d’hier et d’aujourdhui. Tous les films cités sont disponibles en DVD, Zone 2 dans les catalogues . Pour chacun figurent entre crochets le début et la fin de l’extrait correspondant. Le montage est le travail qui transforme en film les images et les sons enregistrés au tournage, en faisant éventuellement appel à d’autre images, à d’autres sons. La perception des images et celle des sons est différente : – l’image photographique a un pouvoir de vérité, d’objectivité : on croit volontiers ce que l’on voit, l’oeil ne laisse pas facilement tromper. Le montage image prendra en charge les aspects objectifs du récit : ellipses de temps, description de l’espace, des mouvements, des gestes, des attitudes. – la voix, la musique, les bruits ont un pouvoir d’évocation, d’émotion : on laisse entrer en nous les sons, sans pouvoir fermer l’oreille comme on peut fermer les yeux. Le montage son prendra en charge les aspects subjectifs du récit : intonation des voix, commentaires en voix off, bruitages, musique. 1 - LES ELLIPSES C’est la figure fondamentale du montage image qui permet de réduire la durée de l’histoire à celle du film. On ne montre au spectateur que certaines parties de l’histoire, et donc on occulte les autres parties. L’ellipse est le temps qui s’est écoulé, mais qu’on ne montre pas. L’ellipse de scénario est celle qui sépare deux séquences du scénario. L’ellipse de montage est celle qui sépare deux plans au cours d’une scène. La durée d’une ellipse de scénario est très variable : de quelques minutes lorsqu’il s’agit du trajet d’un lieu à un autre à quelques siècles. Un exemple extrême : “2001, une odyssée de l’espace” ( S. Kubrick, 1968 ) : l’os qui retombe et devient un vaisseau spatial fait passer de “l’aube de l’humanité” au 21è siècle. A l’image, l’ellipse de scénario peut se représenter de nombreuses façons. Quelques exemples remarquables : – 2001, une odyssée de l’espace : l’os qui retombe Un raccord cut [18’39” –> 20’30” ] – La bête humaine, J. Renoir, 1938 : La nuit d’amour un fondu à l’intérieur du même cadre. [ 57’17” -> 59’03” ] – Citizen Kane, O. Welles, 1941 : les petits déjeuners des panoramiques filés [ 51’35” –> 52’53” ] – Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, J.P. Jeunet, 2001: de l’enfant à l’adulte des volets à l’intérieur du même cadre : [08’50” –> 09’28” ] – La mort aux trousses, A. Hitchcock, 1959 : sauvetage et mariage à l’intérieur d’un raccord mouvement : C. Grant sauve E. Marie Saint et se marie avec elle dans le même mouvement du bras ! [ 2h 09’13” –> 2h 10’44” ] page 1 2 - LA VOIX OFF C’est une figure de base du montage son qui permet d’ajouter une voix, et donc un point de vue au récit. Dans une interview, Hou Hsiao Hsien déclare : “La voix off permet de regarder et de réfléchir en même temps”. Une voix off peut être la voix d’un personnage ou bien celle d’un narrateur qui ne participe pas à l’histoire. La voix off n’est qu’une composante de la bande son : elle peut coexister avec les sons directs qui sont dans le champ ou hors champ, ainsi qu’avec d’autres sons off ( bruits, musique ) . Elle se démarque des autres sons par sa qualité de gros plan sonore : c’est une voix proche du spectateur. La voix off positionne le récit filmique à la première personne. Elle est subjective : elle énonce le point de vue de celui qui parle ; elle peut dire la vérité ou bien mentir. la voix off gouverne le film et son déroulement. Elle introduit les séquences, les flashbacks ; elle a le pouvoir d”arrêter l’image, voire de la modifier. Quelques exemples remarquables : – Magnolia, P.T. Anderson, 1999 : prologue ( le troisième exemple de coïncidence ) la voix d’un narrateur à la 1è personne, mélangée à d’autres sons . [ 02’42” –> 05’52” ] – Barry Lyndon, S. Kubrick, 1975 : le premier plan ( en V.O. ) la voix d’un narrateur à la 3ème personne, mélangé aux sons direct. La même voix, en V.F. est mixée trop forte et étouffe les sons directs. [ 00’54” –> 01’25” ] – La comtesse aux pieds nus, J. Mankiewicz, 1954 : l’enterrement de Maria La voix d’un personnage lançant un flash-back. Ce personnage n’ést pas toujours le même d’un flash-back à l’autre. [ 01’37” –> 03’45” ] ; [ 39’35 –> 41’13” ] ; [1h 18’29” – > 1h 19’56” ] – Les affranchis, M. Scorsese, 1991 : les voix de plusieurs personnages commentent en direct l’action, en parlant au passé : les premiers dîners entre Henry et sa future femme, avec une remarquable ellipse de montage sur le trajet en voiture lorsqu’il la raccompagne après le premier dîner. la voix off qui fige l’image, lorsque, dans un restaurant, son “parrain” ( R. De Niro ) demande à Henry d’aller liquider une “balance”. – Usual suspects, B. Singer, 1995 : la révélation de l’agent Kujan Les voix de nombreux personnages, mixées à des sons off et à de la musique pour traduire ce qui se passe dans la tête d’un personnage, lorsque l’agent Kujan réalise qui est le mystérieux Keyser Söze ( K. Spacey ). [1h 34’50” – > 1h 36’21” ] – Tous les matins du monde, A. Corneau, 1991 : M.Marais traque M de Ste Colombe la voix off de Marin Marais ( G. Depardieu ) modifie l’image : elle fait disparaître son cheval, qu’on continue pourtant à entendre, lorsqu’il raconte comment il allait chaque nuit espionner M. de Sainte Colombe ( J. P. Marielle ). – Mission impossible, B. De Palma, 1996 : le tête à tête entre Ethan et Jim la voix off qui ment sur des images qui disent la vérité : Ethan ( T. Cruise ) entre dans le jeu mensonger de Jim ( J. Voight ), pendant que les images nous montrent ce qui a dû vraiment se passer. [ 1h 18’13” –> 1h 21’00” ]. page 2 3 - LES RACCORDS D’ESPACE Voir un film, c’est s’imaginer qu’on est à la place de la caméra, qu’on voit ce qu’elle voit : tourner la tête correspond à un panoramique, se déplacer correspond à un travelling. Mais, aux débuts du Cinéma, la caméra ne peut pas tourner le tête, ni se déplacer aussi facilement qu’un être humain : il n’y aura pas de panoramiques, ni de travellings, seulement des plans fixes. En outre, la caméra reste frontale par rapport aux décors. C’est le passage d’un plan au suivant qui va imiter ce qui change dans notre champ de vision quand nous bougeons. – en profondeur ( d’avant en arrière ), le mouvement se traduira par un raccord dans l’axe : changement de grosseur de plan, sans changer la direction de la caméra. – sur les cotés ( gauche, droite, haut, bas ), un déplacement se traduira par un raccord par entrée et sortie de champ : dans le premier plan le personnage sort du champ ; il rentre dans le champ dans le plan suivant. Ce sont les deux premiers raccords de l’histoire du Cinéma. Plus tard, lorsque la caméra s’affranchira de sa frontalité, elle pourra pivoter autour des personnages ; ce sera le raccord par changement d’axe. La grosseur du plan pourra rester la même, ou changer si la caméra s’approche ou s’éloigne des personnages en pivotant autour d’eux. Ces raccords spatiaux remplacent un mouvement de caméra, en n’en montrant que le début et la fin. Cela suffit au spectateur pour retrouver les trois dimensions du récit filmique. La caméra ne lui montre qu’un point de vue à la fois, mais le montage lui permet de reconstruire tout l’espace. Cette reconstruction est imaginaire, et ce qui a disparu entre un plan et le suivant, le “milieu” du mouvement, permet toutes sortes de jeux et de trucages à la prise de vues. – Buster Keaton Shorts : Dans, “The butcher boy” ( 1917 ), le raccord par entrée et sortie de champ permet de suivre les mouvements rapides de Fatty et de son patron. [ 05’18” –> 06’11” ] Dans “The cook” ( 1918 ), le raccord dans l’axe permet de faire rebondir un oeuf par terre ; le raccord par entrée et sortie de champ permet de lancer un café et une assiette par dessus un meuble… et de les rattraper ! [03’42 –> 04’19”] Une fois le spectateur habitué à ces raccords d’espace, on a pu raccourcir encore les plans, et ne garder que les directions des mouvements pour assurer la lisibilité du montage, et la reconstruction de l’espace. Le spectateur qui s’dentifie à la caméra est partout à la fois : il a la le don d’ubiquité. – Volte face, J. Woo, 1997 : Une jeep contre un jet sur une piste d’aéroport Cas classique d’une rencontre : l’avion est droite cadre et va vers la gauche ; pour la jeep, c’est le contraire. Mais il faut aussi des plans frontaux pour saisir la chorégraphie de l’ensemble. Et des petites scènes en insert à l’intérieur de chaque véhicule pour faire durer le ballet plus longtemps. – La fureur de vivre, N. Ray, 1955 : La “chicken run” ( course à la “poule mouillée” ) Cette fois ci les deux véhicules sont parallèles et vont dans le même sens. Là encore des plans frontaux permettent de saisir le mouvement d’ensemble. Ils permettent aussi de placer, dans l’espace imaginaire reconstruit par le spectateur, les deux rivaux cote à cote, l’un à droite , et l’autre à gauche. [48’29 –> 51’07 ] page 3 4 - MONTAGE RYTHMIQUE En général, la durée des plans et la position des coupes sont déterminées par la mise en scène : raccords d’espace ( dans l’axe, changement d’axe, entrées et sorties de champ ) et raccords de jeu ( raccords sur un regard, un geste, dans un mouvement… ). Le montage image peut aussi obéir à un tempo, suivre une pulsation donnée par la bande son : musique, diégétique ou non, bruits rythmiques, sons directs. On parlera de montage rythmique. Les sons directs sont souvent atténués, voire supprimés, pour privilégier la perception musicale et rythmique. La pulsation prend le pas sur la description. les clips musicaux en sont un exemple, mais il est plus intéressant d’observer comment un montage rythmique se met au service du récit filmique. En voici des exemples : – Le train sifflera trois fois, F. Zinnemann, 1952 : A partir de midi moins deux, trente plans plans s’égrènent rigoureusement au rythme de la musique : on fait le tour de l’ensemble des personnages qui attendent fiévreusement le train de midi. L’arrivée de celui-ci soulage la tension accumulée par le spectateur. [ 1h08’05” –> 1h10’00” ] – Usual Suspects, B. Singer, 1995 : Deux courts passages d’une trentaine de secondes, l’arrestation d’un escroc bizarre, et l’atterrissage d’un avion, sont montés comme dans “Le train sifflera trois fois”sur les temps forts de la musique. Les raccords images sont “faux”, mais la pulsation, mise au premier plan par l’absence de son direct , prend “naturellement” le pas sur les images. – The Misfits, J. Huston, 1961 : La scène du jokari Les cris de la foule suivent le rythme de la musique du juke box, et transforment un jeu d’enfant en une danse sensuelle et exaltée. [ 50’16” –> 53’30” ] – Psycho, A. Hitchcock, 1960 : La séquence du meurtre sous la douche Le couteau de l’assassin ne touche jamais le corps de la victime, mais il suit la pulsation rythmique de la musique, une répétition de notes aiguës. Les images sont très épurées, pas du tout “gore” : l’épouvante provient de la bande son : les cris, le bruitage des coups de couteau, la pulsation soudain interrompue… – Jackie Brown, Q. Tarentino, 1997 : Jackie Brown entre chez Odell Les sons directs ( bruits et voix ) forment une musique à base de percussions, sans aucun silence, qui détermine les coupes entre les plans [ 1h27’52” –> 1h28’07” ] – Zero de conduite, J. Vigo, 1933 : Les images du carnaval final, dans le dortoir, sont assujetties au rythme de la musique lente et étrange : elles sont ralenties pour donner une dimension onirique et chorégraphique à cette séquence. Là encore pas de son direct. – In the mood for love, Won Kar Wai, 2000 : Deux scènes parallèles reprennent le principe de celle du carnaval de Zéro de conduite, lorsque les protagonistes se rencontrent en allant acheter des nouilles. Les images de la descente, ou de la montée des escaliers sont ralenties de façon à ce que les pas des acteurs suivent exactement le tempo de la musique, pendant que les sons directs ont disparu. [ 13’31” –> 15’17” ] ; [ 22’49” –> 24’17” ] page 4 5 - RACCORDS REGARDS Voir un film, c’est se mettre à la place de la caméra, adopter son point de vue, s’identifier à sa façon de raconter l’histoire : c’est “l’identification au récit” du spectateur. Lorsque nous voyons un film, la caméra est notre oeil, un troisième oeil qui essaie de ressembler aux deux autres. Dans la vie courante, si nous voyons quelqu’un tourner la tête pour regarder ailleurs, nous tournons automatiquement la tête pour voir ce qu’il regarde : le raccord regard imite ce comportement. Dans un raccord de ce type, le premier plan nous montre le regard d’un personnage ; le plan suivant nous montre ce que notre troisième oeil, la caméra, voit quand elle suit le regard de ce personnage. Ce deuxième plan peut être en “caméra subjective”, c’est à dire reproduire exactement ce que le personnage voit, ou bien rester en caméra “objective” et nous montrer ce qu’on voit quand on regarde dans la même direction que le personnage : celui-ci peut alors être présent dans le cadre, par exemple en amorce. Le raccord regard fonctionne aussi “à l’envers”, en nous montrant d’abord ce qui est regardé, puis celui qui regarde. Un dialogue entre deux ou plusieurs personnages peut donner lieu à une succession de raccords regards alternés : on parlera de montage en champ/contrechamp. Dans un champ/contrechamp classique, les raccords sont aussi des changements d’axe : les plans sont de la même grosseur sur chaque personnage ; celui qui est “gauche cadre” reste “gauche cadre”, et réciproquement. Si un personnage est filmé en légère plongée, l’autre est filmé en légère contre-plongée. Un des cotés du décor n’est jamais filmé ( règle des 180° ). Quelques exemples remarquables : – Les diaboliques, H.G. Clouzot, 1955 : La scène du repas avec les enfants, au réfectoire, où Véra n’arrive pas à avaler son poisson est une succession de raccords regards. [ 11’03” –> 12’48” ] – La dolce vita, F. Fellini, 1960 : La scène de ménage entre Marcello et sa fiancée, de nuit, dans une voiture, se résout au petit matin, après un magnifique fondu qui fait se lever le jour. [2h14’04 –> 2h16’56” ] – La fureur de vivre, N. Ray, 1955 : Lorsque le héros rentre chez ses parents après la “chicken run”, il s’allonge sur le sofa, la tête en arrière, et le plan nous montre sa mère descendre les escaliers tête en bas puis la caméra pivote … [ 55’36” –> 58’31”] –La comtesse aux pieds nus, J. Mankiewicz, 1954 : La même scène, où le Comte gifle Bravano, nous est montrée deux fois au cours du film, du point de vue de chacun de ces deux personnage. La comparaison du montage de chaque version est un bon exercice. [1h15’43” –> 1h17’41” ] ; [ 1h23’08” –> 1h27’04” ] page 5 6 - AVEC OU SANS MUSIQUE ? L‘ajout d’une musique aux images d’un film date des débuts du cinéma, lorsqu’un pianiste accompagnait la projection, en improvisant selon la “tonalité” des séquences. Lorsque le cinéma est devenu sonore, la musique a été une composante “naturelle” de la bande son des films, exaltant les émotions du spectateur. Elle pouvait être enregistrée indépendamment de la prise de vues. Contrairement aux sons directs, elle n’exigeait pas de changer d’habitudes et de matériel lors du tournage. Sons directs seuls ? Sons directs et musique mixés ? Musique seule ? La question est ancienne mais toujours d’actualité. Toutefois aujourdhui la technologie permet de mixer de nombreux sons que l’oreille du spectateur, plus affinée, est capable de distinguer. L’alchimie de l’image et du son est très subtile, car la perception qu’on a des images est modifiée par les sons qu’on entend en même temps. Ajouter ou non de la musique sur des images est un choix de réalisation. En voici quelques exemples, qui sont loin d’épuiser toutes les possibilités – Le train sifflera trois fois, F. Zinnemann, 1952 : Fin du générique et début de l’action Le générique est traité comme un film muet : pas de son direct, mais une chanson. La transition avec la partie sonore se fait par des cloches. [00’24” –> 3’00” ] – Zero de conduite, J. Vigo, 1933 : la séquence du train, au début. Là encore, la séquence est traitée comme un film muet, sans sons directs. La musique prend en charge le bruit de la locomotive, dans les “basses” de la partition, en fonction de la vitesse du train. [ 01’38”–> 02’40” ] – L’homme qui tua Liberty Valance, J. Ford, 1962 : l’arrivée du train. A la fin du générique, une ligne rythmique de basses apparaît dans la musique, pour faire la transition avec le bruit de la locomotive. [ 01’25”–> 02’04” ] – O’Brother, J. & E. Coen, 1999 : les sirènes La chanson des sirènes reste diégétique, mais un son étrange et très discret apparaît peu à peu pour donner une impression d’irréalité. – Magnolia, P.T. Anderson, 1999 : la chanson Après deux heures de film, où les histoires de plusieurs personnages nous ont été racontées en parallèle, de façon classique, chacun des personnages se met à chanter à tour de rôle les couplets d’une chanson, chantée en même temps par la voix off d’une chanteuse. Le temps d’une chanson, le film bascule dans la convention de la comédie musicale, comme si seule la musique pouvait exprimer ce qu’ils ressentent à ce moment. C’est le moment où les trajectoires de chacun des personnages sont dans une impasse, et où ils se mettent à avoir quelque chose en commun. [ 2h13’20” –> 2h16’35” ] – Les parapluies de Cherbourg, J. Demy, 1964 : scène du garage Film totalement musical : même les dialogues les plus triviaux sont chantés. On est dans la convention de la comédie musicale, poussé à son extrême. [ 02’41”–> 05’14” ] page 6 7 - LE PLAN SEQUENCE Le plan unique des origines ( autour de 1900 ) a assez vite laissé la place aux premières formes du montage: ellipses de scénario, raccords d’espace ( autour de 1910 ). Avec l’arrivée du son, les figures du montage ont ensuite évolué vers l’académisme hollywoodien ( à partir de 1930 ), et le spectateur a suivi. Une fois acceptées les conventions de la représentation cinématographique, le principe était l’invisibilité des coupes, garantie par les règles de continuité. Revenir à un plan long, le plan séquence, plus difficile à diriger et à tourner, est devenu un parti-pris stylistique : – soit par goût de la virtuosité et de la prouesse technique, comme dans le générique de “La soif du mal” ( O. Welles, 1956 ). – soit par refus de l’académisme hollywoodien : J. Tati et J. L. Godard refuseront tous deux le champ/contrechamp, mais ils l’exprimeront différemment dans leurs films. – soit par choix d’une direction d’acteurs laissant une grande part à l’interprétation et à l’improvisation: voir par exemple les films de Cassavetes, d’Hou Hsiao Hsien. Cas extrême, “La corde”, A. Hitchcock, 1948 a été construit selon le principe du “filmséquence”, sans aucune coupe apparente du début à la fin. En réalité, la longueur d’une bobine de pellicule ne permet pas de dépasser 10 minutes : le film est donc composé de huit plans séquences de 10 mn. La mise en scène se retrouve prisonnière de ce principe, dont Hitchcock a dit après coup que c’était “un truc complètement idiot”. L’effet d’un plan séquence dans le récit filmique est très variable selon les films. Dans tous les cas, l’absence de coupe finit par mettre en alerte le spectateur, par le placer en situation d’attente. En voici quelques exemples. - Arizona dream, E. Kusturica, 1993 : le retour d’Axel chez Elaine Le plan séquence suit les personnages au fur et à mesure de l’évolution dramatique : le jeu des comédiens acquiert une très grande force d’expression. [1h28’19”–> 1h30’45” ] - Les affranchis, M. Scorsese, 1991 : Le dîner au cabaret Le plan séquence, tourné à l’épaule, témoigne d’une grande virtuosité. Son originalité est dans la bande son, qui continue sur les plans suivants, où on voit Henry préparer son prochain hold-up. le son représente ce qui se passe en surface, mensonges et aimables plaisanteries, et l’image ce qui se passe vraiment au fond, les délits et les crimes organisés. – Le mépris, J.L. Godard, 1963 : la discussion avec l’abat jour : “je ne t’aime plus” Le refus du champ/contrechamp, le parti-pris de tourner dans les lieux tels qu’ils sont ont conduit Godard à diriger ce dialogue au rythme des allers retours de la caméra. [1h00’20”–> 1h01’50” ] – Les fleurs de Shanghai, Hou Hsiao Hsien, 1998 : Wong et Rubis La longueur du plan séquence est très perceptible, car l’action est lente, feutrée ; le mouvement doux et ininterrompu de la caméra l’est beaucoup moins. Pourtant, c’est ce mouvement qui permet d’échapper à la très forte théâtralité de la scène : c’est bien du cinéma ! [ 41’01”–> 45’36” ] page 7 UN PEU DE PEDAGOGIE ? Ces sept figures sont les plus fréquentes et les plus signifiantes : l’objectif est d’être capable de les repérer dans un film. Pour cela, il faut affiner sa perception des images et des sons, affûter sa capacité d’observation “en temps réel”. Chaque cours débute donc par un exercice d’observation : projection d’un extrait, puis remplissage d’une grille ( cf document ci après ). La durée des extraits a été volontairement à 3 minutes, d’une part pour rester dans le cadre légal de la “citation”, d’autre part pour ne pas épuiser la capacité de concentration des élèves, et avoir le temps de revisionner tel ou tel extrait. Même les films récents n’ont pas été vus par la totalité des élèves : il est nécessaire, avant la projection de chaque extrait, de présenter le film ( titre exact, titre original, réalisateur, année ), et de situer l’extrait dans le film. Après la projection de chaque extrait, la question posée par le professeur est toujours la même : “D’après vous, pourquoi est-ce que j’ai choisi de vous montrer cet extrait ?”. Les réponses proposées par les élèves permettent d’avancer dans le cours. Elles ont souvent enrichi la réflexion du professeur ! Enfin, pour évaluer cette séquence d’enseignement, les élèves doivent rendre au professeur un exercice écrit dont voici l’énoncé : choisir une séquence d’environ 1 mn 30 dans Foutaises ( J. P. Jeunet, 1989 ), et l’analyser sous l’angle du montage. EN GUISE DE CONCLUSION Les sept figures évoquées ci-dessus n’épuisent pas toutes les possibilités du montage. En particulier, on n’a pas parlé du montage des flashbacks, ni du montage dit alterné, car ils concernent plutôt des séquences que des plans, et ils exigent donc des extraits plus longs pour être observés et analysés. Une autre forme importante de montage est celui des génériques de début de film : ce sujet peut à lui seul faire l’objet d’un travail important, et spécifique : –d’une part, aux images et aux sons s’ajoutent des textes, dont la lisibilité se fait sur un mode différent de celui des images photographiques. Les notions de cadre et de composition sont alors intimement mêlées à celle de montage – d’autre part, le générique a un effet d’annonce, de mise en condition du spectateur, ce qui pose de nouvelles questions : qu’est-ce qu’un générique nous donne à voir, à entendre, à lire ? Que nous dit-il sur le film ? A quel moment du film apparaît-il ? Etc … Enfin, ce travail est centré sur les films de fiction, qui sont les films les plus vus, les mieux distribués et les plus disponibles en DVD. Une réflexion sur le montage dans les documentaires, voire dans les films expérimentaux pourrait faire apparaitre de nouvelles idées … Jacques LUBCZANSKI page 8 EXERCICE D’OBSERVATION L’objectif de cet exercice est de travailler sur votre perception des images et des sons, pour améliorer vos capacités d’analyse en matière de montage et de mixage. Une seule consigne : posez les crayons, et ouvrez bien vos yeux et vos oreilles ! Titre du film, réalisateur, année : 1 – Quelle est la durée approximative de l’extrait visionné ? /1,5 moins d’une minute entre une et deux minutes plus de deux minutes QUESTIONS DE CADRE 2 – Dans l’extrait visionné, combien de plans avez vous vu ? /1,5 un seul entre deux et dix plus de dix 3 – Dans l’extrait visionné, avez vous vu /1,5 un travelling ? un panoramique ? un zoom ? QUESTIONS DE MONTAGE IMAGE 4 – Dans l’extrait visionné, combien de fondus avez vous vu ? /1 aucun un ou deux plus de deux 5 – Dans l’extrait visionné, avez vous vu /1,5 un raccord dans l’axe ? un raccord dans le mouvement ? un raccord regard ? QUESTIONS DE MONTAGE SON 6– Dans l’extrait visionné, qu’avez vous entendu comme sons diégétiques ? /1,5 des dialogues des bruits un autre son ( précisez ) 7– Dans l’extrait visionné, qu’avez vous entendu comme sons extradiégétiques ? /1,5 une musique une voix off un autre son ( précisez ) VOS REMARQUES EVENTUELLES bonus page 9