la mort suspendue
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la mort suspendue
Société Roger Mc Gowen : la mort suspendue Roger Mc Gowen est dans le couloir de la mort depuis 1987. (Voir REFLETS N°1) Début 2006, un comité international a été mis sur pied afin de pouvoir mieux défendre Roger. Ce dernier a loué les services d’un excellent avocat, Anthony Haughton de Houston (Texas). Après des années d’efforts et de recours, une juge fédérale du Texas a prononcé en avril 2010 la suspension de la peine de mort de Roger, compte tenu des irrégularités graves dans le premier procès de 1987. Le procureur texan en charge du dossier a recouru contre cette suspension, et le dossier a été repris par une cour fédérale régionale sise à la Nouvelle Orléans. Après deux ans, cette dernière vient d’accorder à Roger le droit à un nouveau procès, mais portant uniquement sur la nature de la peine, non sur son innocence éventuelle. Le procureur a de nouveau fait appel à ce jugement, appel qui serait tranché par la Cour Suprême à Washington, si cette dernière acceptait de se prononcer sur ce cas, ce qui est tout sauf certain. Dans ce cas, ce serait une cour texane qui serait saisie du dossier. Anthony Haughton écrivait au Comité international («Roger Core group») le 19 avril: «Veuillez prendre note du fait que nous entrons dans une nouvelle phase de préparation d’un nouveau procès et que le besoin de ressources (financières) augmentera de façon dramatique,» et ceci quel que soit le scénario (Cour Suprême ou cour texane). Pierre Pradervand La montagne à gravir pour rejoindre Dieu Christian Roesch est allé lui rendre visite à la prison POLUNSKY UNIT à Huntsville (TEXAS) en avril 2012. L’arrivée pour la première fois la fouille corporelle. Nous pouvons remettre chaussures, ceinture et montre. Au guichet une gardienne nous remet une plaquette avec un numéro accrochée à une chaînette à nous mettre au tour du cou. Derrière, une porte blindée électrique ouvre sur deux rangées de barbelés espacées de 10 mètres. Inoxydables, ils scintillent au soleil matinal. Puis nous suivons une allée bordée de roses délimitant un vaste espace gazonné, bien tondu. Nouvelles portes blindées successives jusqu’au parloir. Une trentaine de box sont alignés sur la longueur de la pièce. Un siège devant chaque vitre. La largeur est d’environ 1,20 m. De l’autre côté, le box du prisonnier, carré, avec une porte grillagée derrière et une tablette devant. Le long du mur, les distributeurs de nourriture. Ce jeudi ils sont peu achalandés. Ils le seront le lendemain. Nous faisons acheter par la gardienne différents aliments pour le repas de Roger ainsi En vue de la révision du procès, pour l’envoi des dons, que des boissons. Pasprière de faire un chèque libellé à l’ordre du cal connaît bien les Comité Français de Soutien à Roger Mc Gowen préférences de Roger. Poitou - 47220 – CAUDECOSTE. (France). Notre gardienne est Ou sur www.rogermcgowen.fr jeune, mignonne, symPaiement par CB ou Paypal. pathique. Nous ne met- C’est la première fois que je viens voir Roger ce jeudi 5 avril pour deux visites de 4h. Je suis accompagné de Pascal le premier jour, de Béatrice le second. Ils connaissent parfaitement les lieux, les codes, et contrairement à moi, ils maîtrisent l’anglais et presque le texan. Nous arrivons en voiture avant 8h. Un premier poste de garde pour la fouille de la voiture. Ouverture de tout : Du capot moteur au coffre, à la boite à gants. Vérification des papiers, passeports, permis de conduire. Nous pouvons passer direction le parking. Nous laissons toutes nos affaires dans la voiture car nous ne pouvons rien amener. Magnéto, appareil de photos, bijoux, lunettes de soleil… Juste 25$ en pièces de 25 cents. Première grande porte de l’enceinte donnant sur la salle de fouille. Nous passons le portique électronique pour tons pas longtemps à la dérider. Elle met les denrées dans un sac qu’elle dépose dans le box de Roger avant qu’il arrive. Roger Roger arrive un quart d’heure après nous. (Le lendemain nous attendrons une heure et quart). Il est menotté dans le dos. Il est jovial, plaisantant avec ses gardes. Il s’assoit ; la porte est refermée. Un guichet rectangulaire à hauteur de sa chaise permet au gardien de retirer les menottes. L’étonnement est de taille : Rien dans son corps, rien dans son allure ne manifeste qu’il est enfermé depuis 28 ans. Rien ne montre le poids des souffrances infligées quasi quotidiennement (Il vient de subir un « lookdown » de 15 jours suivi d’une punition personnelle de 10 jours.) Rien ne montre la nourriture infecte, déséquilibrée. La peau du visage est ferme, lisse. Les bras posés sur la tablette sont musclés, solides. Les yeux sont étonnants. Bien sûr, très noirs et en même temps limpides. Comme si l’âme était juste derrière. Ces yeux sont si paisibles, sans calcul, doux, juvéniles, joyeux. Je me sens bien dans ces yeux. REFLETS - n°4 • 67 Société Roger, Béatrice et Christian. Roger, avec un grand sourire met ses mains sur la vitre épaisse. De l’autre côté, Pascal et moi mettons nos mains contre les siennes. Puis je mets mon front. Roger met son front contre mon front. Nous nous découvrons. Il est comme je me le représentais. Simple, souriant, heureux de la rencontre. Il me connaît très bien à travers les courriers. Il a la mémoire de tout. Nous voir ne fait que confirmer. Nous nous connaissons. Un détail physique me frappe. Sur les photos il parait bien enveloppé. Il est plus svelte en réalité. Quand la gentille gardienne vient un quart d’heure plus tard prendre des photos (vendues 3$), je comprends : C’est l’épaisse vitre blindée qui déforme. Apres les effusions nous prenons les téléphones. Roger prend un air malicieux et dit en français « Avez-vous fait un bon voyage ?» C’est Catherine qui lui a appris la phrase le mois dernier. Je rassemble tout mon anglais pour lui répondre : « fine ! And you, good travel ? » Nous rions aux éclats. La joie, les rires, parfois la gravité ponctuent ces quatre heures passées ensemble. Jamais le ton du drame. Ce qui n’est pas le cas dans les autres box. La montagne à gravir pour rejoindre Dieu Roger nous dit que sa vie ressemble à une montagne à gravir pour rejoindre Dieu. Depuis quand le sait-il, lui demandons-nous ? Il le sait depuis tout petit. Il a été élevé par des femmes. Sa mère, sa grand-mère, entouré de dix sœurs, lui ont transmis leur foi. En même temps du côté des hommes, il 10 ans après « Messages de vie du couloir de la mort » éd Jouvence, Pierre Pradervand publie un nouveau livre : « L’audace d’aimer » En dépit de plusieurs témoignages attestant son innocence, Roger McGowen a passé 25 ans dans l’un des pires couloirs de la mort des États-Unis. Au-delà des conditions déplorables de détention, des maltraitances, de la misère physique et morale, par-delà la colère, la révolte, le découragement, au-delà du NON du désespoir, Roger, avec une force d’âme exceptionnelle, a fait le choix du OUI, de la vie, de l’acceptation, le choix de la liberté intérieure, de la foi sereine, de l’espérance, du service et du don de soi. Pour « oser » ce choix-là, Roger a développé, en une persévérance sans commune mesure, des outils spirituels forts, parmi lesquels : la prière qui ressource l’âme, le pardon qui apaise, l’art de bénir qui nourrit l’humanité des relations, mais encore la culture de l’humour qui se « joue » de tout, même du pire, l’attention et l’écoute de ce qu’il y de plus spirituel en l’homme, l’esprit de gratitude et une intangible capacité à s’émerveiller des plus petites choses, même au sein de l’enfer… 68 • REFLETS - n°4 était dans un environnement très violent. Il habitait dans la banlieue de Houston la plus pauvre. La violence était omniprésente. Tout petit il a été le témoin de scènes brutales et de morts d’hommes. Il se disait « je ne veux pas être comme ça ! Ce n’est pas la vie que j’espère. Je ne suis pas un violent. » Déjà il avait le sentiment qu’il aurait des difficultés en étant dans ce contexte de vie. Si bien que lorsqu’il a été pris dans l’engrenage aveugle de la justice, de l’accusation à la condamnation à la peine de mort, c’était déjà la montagne. Quand l’appel, il y a six ans a été refusé (le dossier a été déposé avec deux semaines de retard car le nouvel avocat Tony qui reprenait juste le dossier n’a pas pu faire autrement.), il savait que c’était un autre « jump » à faire, pour continuer à grimper vers Dieu. Récemment, lorsque la cour qui l’avait condamné a fait appel du jugement comme quoi il n’aurait pas du être condamné à mort, c’était encore un bond à réaliser sur sa montagne. L’avocat, Tony, est stupéfait qu’il ne se mette pas en colère devant cette nouvelle injustice. Roger lui répond que non, il ne veut plus que la colère entre en lui. Ca lui fait du mal. Ca le ferait redescendre de sa montagne. Il sait que c’est une nouvelle altitude à gagner. Cette épreuve qui ressemble de l’extérieur à de l’acharnement a, pour lui, sa raison d’être. Il doit encore apprendre, il doit encore aider dans cette prison. Un peu plus tard, cette épreuve prend un nom : une gardienne particulièrement peau de vache, partie depuis deux ans au grand soulagement de tous doit revenir. Les prisonniers sont atterrés ; même le personnel redoute son arrivée. Roger l’attend avec délectation. Elle était une des rares gardiennes à avoir réussi à le mettre en colère. Cet échec demande à être transformé ! Au passage, il nous dit que les gardiennes sont pires que les hommes. Elles sont plus dures. Une des explications est qu’elles ne sont jamais réprimandées pour leurs sévices. Roger nous dit tout ça sans la moindre intonation de reproche. Comme je ne parle pas anglais, pendant que Pascal l’écoute, je suis Roger dans ses yeux, dans sa voix, dans son ton, dans ses gestes. Il peut parler du pire sans acrimonie, sans réveiller d’émotion, sans chercher à attirer de la pitié. Il parle de sa vie avec une tranquillité désarmante. C’est la montagne qui l’intéresse. Toute épreuve est l’occasion de se rapprocher du sommet. C’est tout ! Il n’aucun regret. Tout est juste. ■ Le récit complet de la visite est sur le site du comité Français de Soutien à Roger Mc Gowen. www.rogermcgowen.fr Un moment savoureux est relaté sur www.revue-reflets.org Société Chercher le bon de chaque journée ! Roger Mc Gowen - Traduction Catherine SPEC Régulièrement Roger Mc Gowen écrit une chronique que le comité français diffuse dans les journaux dont Libération. Il en a offert une à REFLETS. I l n’est pas facile de maintenir une attitude ou une vision positive de la vie en étant confiné pendant de nombreuses années dans l’une des pires - si ce n’est la pire - des prisons américaines et en étant soumis aux règlements intérieurs et aux règles de conduite les plus dures parmi toutes celles qui existent dans les institutions du pays. Chaque jour nous sommes insultés, humiliés, bafoués et, pour être honnête, carrément déshumanisés. Notre nourriture est toujours froide, chaque boisson que l’on nous sert est toujours amère, on nous envoie en promenade sous la pluie ou dans le froid glacial, on nous fait nous dévêtir de la même façon quelles que soient les conditions climatiques quand nous allons et quand nous revenons de promenade. Ces petites choses pourraient sembler simples ou banales, pour ceux qui sont confrontés aux défis les plus exigeants de la vie quotidienne, pour ceux qui doivent faire face à des collègues aigris, des patrons difficiles à satisfaire, des enfants turbulents, ou simplement à des épreuves quotidiennes que la vie met quelquefois sur leur chemin, et ils ont raison. Mais parfois les solutions à de nombreux problèmes sont les choses les plus simples. Pour chaque prisonnier, l’un des temps forts d’une journée, c’est quand il reçoit la visite de sa famille ou de ses amis. Pour les familles, c’est l’occasion de retrouver un peu de vie partagée avec l’autre, de lui donner du courage, de distiller de la force dans le cœur et l’âme du prisonnier. C’est un temps pour être heureux, mais ici les gardiens font tout ce qui est en leur pouvoir pour s’assurer que le bonheur soit la dernière chose que l’on puisse avoir pendant la visite. On nous laisse souvent dans les toutes petites cellules du parloir pendant des heures après que nos visiteurs soient partis et sans que nous puissions aller aux toilettes pour nous soulager. Je refuse de mettre l’accent sur les aspects négatifs de ce qui m’arrive parce que j’ai réalisé que je n’ai jamais résolu un problème en faisant ainsi. Je n’ai aussi jamais résolu un problème en me mettant en colère. Alors je préfère revenir chaque nuit sur la journée vécue pour trouver ce moment positif, ce moment bon qui m’a fait sourire, qui m’a fait rire, qui m’a donné envie de faire rire et sourire les autres, et je m’accroche à ce « bon » comme à une bouée de sauvetage. C’est le seul fil qui me fait sourire pendant les visites de mes amis, qui me fait sourire malgré tout ce que j’endure ici, et qui empêche le poids de tant d’années d’abus et de négligence de me mettre à terre. Au cours des années, j’ai lié amitié avec quelquesunes des plus belles personnes que l’on puisse imaginer. Car ils sont nombreux à me rendre visite, et l’une des premières choses qu’ils me demandent est : « Comment fais-tu pour garder ton sourire ? Que fais-tu quand tu te sens déprimé, quand le poids de tant d’années de mauvais traitements et de négligence menace de te mettre à terre ? » Je leur réponds que peu importe combien la journée semble prendre une mauvaise tournure à certains moments, car il y a toujours un élément bon qui en ressort. Souvent j’ignore quelle sera cette chose bonne, et il y a même des fois où je ne la vois pas avant la fin de la journée, mais elle est là. Ce peut être un simple sourire d’un gardien ou d’un prisonnier ; ce peut être d’aider quelqu’un à écrire une lettre pour les siens ; ce peut être de recevoir un conseil d’une personne dont je n’aurais jamais soupçonné en recevoir un, et pourtant ! Aussi, quand votre journée s’est, d’une certaine façon, très mal passée, que vous vous trouvez au bout de votre corde et que vous êtes en train de relâcher votre prise, abandonnez-vous. Vous ne savez jamais où vous pourriez bien atterrir, et il se pourrait que quelqu’un soit là pour vous rattraper. Mais pour être sûr de ne jamais vous balancer tout au bout de votre corde, ne laissez pas la vie vous pousser à l’extrémité, cherchez toujours ce « bon », ce fil qui vous maintient lié à tout ce qui est bon. Chaque soir, avant de me coucher, je remercie Dieu pour cet instant d’espoir qui est entré dans ma vie, parce que peu importe combien la journée fut mauvaise : je sais que cela n’a pas été une journée de perdue. Alors je peux m’endormir et attendre avec impatience de pouvoir faire face au lendemain avec un sourire. Essayez… Cela ne vous coûtera rien mais vous apportera de la sérénité. ■ REFLETS - n°4 • 69