armes chimiques et biologiques

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armes chimiques et biologiques
ARMES CHIMIQUES ET BIOLOGIQUES
Article écrit par Pierre RICAUD ingénieur général de l'armement http://www.whoswho.fr/decede/biographie-pierre-ricaud_19158
Prise de vue
La guerre chimique ou biologique consiste en l'emploi délibéré, à des fins militaires, de produits chimiques ou
d'origine biologique contre des organismes vivants, et en l'utilisation de moyens de défense appropriés contre
de telles attaques.
Son objectif principal tend à réduire plus ou moins profondément, parfois définitivement, les capacités
humaines en portant atteinte à certains tissus, organes ou fonctions, et accessoirement en tarissant les
sources de ravitaillement animal ou végétal.
Contrairement aux armes classiques ou nucléaires, cette forme de guerre n'affecte pas le matériel et
l'infrastructure qui pourraient ainsi être récupérés intacts par l'adversaire. La gamme extrêmement diversifiée
des produits utilisables permettrait d'adapter assez strictement de telles opérations de guerre au but militaire
recherché et de fournir des charges actives pour la grenade comme pour le missile.
Les armes chimiques, et plus encore les armes biologiques, que l'on peut regrouper sous le terme générique
d'armes toxicologiques, seraient enfin beaucoup plus insidieuses, même sans considérer leur emploi par des
équipes de saboteurs, rendu possible par l'efficacité élevée de quantités réduites de produits ou de
micro-organismes.
Si le danger de telles armes ne peut être négligé, il convient cependant de considérer qu'il est relativement
plus aisé de s'en protéger que de se prémunir contre des attaques nucléaires ou même classiques. Si les
conventions internationales n'ont pu dans le passé empêcher de telles attaques, une défense adéquate,
permettant de déceler le danger, de s'en protéger et de traiter les troubles qui en résultent, en réduirait
l'efficacité, et donc la tentation d'emploi généralisé.
Toutefois, cette protection, malgré les progrès techniques constants, imposera toujours une certaine gêne
réduisant quelque peu les capacités opérationnelles, si bien qu'une simple menace d'emploi unilatéral créera
un handicap pour l'autre partie.
I- Historique
Avant 1914
Des moyens chimiques et biologiques furent employés dans les campagnes militaires dès l'Antiquité, mais
d'une manière épisodique et limitée.
Si les épidémies naturelles qui faisaient fondre les effectifs des armées anciennes ne constituaient pas des
attaques biologiques, elles inspirèrent certaines opérations : des cadavres d'animaux ou même de soldats
victimes d'épidémies étaient lancés par-dessus les remparts de cités assiégées, des puits étaient infectés de la
même façon. Un général polonais, Sieminowicz, envisage en 1650 l'emploi d'armes plus élaborées : des globes
remplis de bave de chien enragé. Un siècle plus tard, un général anglais, Bouruet, voulut répandre la petite
vérole parmi les tribus indiennes rebelles en leur faisant parvenir des couvertures contaminées.
Les références historiques de la guerre chimique sont encore plus anciennes. Sans parler de l'emploi de
flèches empoisonnées, les eaux du Pleistos auraient été contaminées, d'après Pausanias, avec des racines
d'ellébore au cours d'opérations contre la ville de Crissa au VIe siècle avant J.-C. Si la combustion de soufre ou
de poix ne semblait pas destinée, dans l'Antiquité, à produire des fumées asphyxiantes, l'amiral Dundonald
suggéra, pendant la guerre de Crimée, de suffoquer la garnison russe des forts de Sébastopol par des vapeurs
sulfureuses. Et, tout au long du XIXe siècle, divers inventeurs proposèrent de véritables munitions chimiques.
Première Guerre mondiale
La guerre chimique débuta véritablement, le 22 avril 1915, par l'émission d'une vague de chlore à partir
des lignes allemandes dans le saillant d'Ypres (Belgique). Grâce au secret qui avait entouré sa préparation,
l'opération surprit les troupes françaises. En l'absence de moyens de protection, elle eut une efficacité
considérable : 15 000 hommes hors de combat, dont 5 000 devaient mourir, un important matériel abandonné,
une brèche de 6 kilomètres de large ouverte vers les ports de la Manche et de la mer du Nord. Mais ce succès
ne fut pas exploité par l'état-major allemand qui n'avait pas cru à cette nouvelle arme. Deux jours plus tard,
des masques à gaz improvisés réduisaient l'effet d'une nouvelle vague de chlore lancée dans le même secteur.
Le phosgène, qui le 31 mai 1915 causa 6 000 morts sur le front russe, devait progressivement remplacer le
chlore.
Mais ces vagues de gaz étaient tributaires d'un vent favorable pour atteindre les lignes ennemies. Aussi les
belligérants mirent-ils au point le lancement par projectiles d'artillerie ou de mortier (projector britannique de
Livens). Aux suffocants (phosgène, diphosgène, chloropicrine...), les Français ajoutèrent l'acide cyanhydrique,
dont l'effet foudroyant surprit l'adversaire. Pour tourner l'efficacité des masques contre les vapeurs, l'armée
allemande lança, au début de 1917, des obus chargés en arsines pulvérulentes. Malgré leur pouvoir de
pénétration, leur efficacité militaire resta réduite.
L'apparition d'obus à l'ypérite, le 12 juillet 1917, marqua un pas beaucoup plus important : ce toxique
attaquait n'importe quelle partie du corps en causant des brûlures étendues. Insidieux et persistant, il obligeait
à garder, outre le masque, des vêtements de protection imperméables, très contraignants. Dès son apparition,
l'ypérite devint le principal gaz de combat, rapidement adopté, après l'Allemagne, par les autres belligérants.
Elle fut responsable de la plupart des pertes dues aux gaz, bien que le taux de mortalité restât faible. Un autre
vésicant, la lewisite, aux effets plus fréquemment mortels, fut mis au point aux États-Unis à la fin de 1918.
Ravitaillement des troupes, 1918
Une équipe chargée du ravitaillement, en 1918. Le conducteur allemand et les
chevaux sont équipés de masques à gaz.(Hulton Getty)
Avec l'ypérite, l'importance de la guerre chimique allait augmenter considérablement et, à partir de juin
1918, 25 p. 100 des munitions d'artillerie de l'armée française étaient des obus à l'ypérite.
Au contraire des agents chimiques, l'emploi des agents biologiques fut très limité pendant tout le premier
conflit mondial, se réduisant à quelques tentatives contre le bétail. Ces actions de sabotage, d'ailleurs non
reconnues par les autorités allemandes, se seraient produites en 1915 dans différents ports américains contre
des chevaux et du bétail prêts à être embarqués pour l'Europe et, en 1916, contre les chevaux de l'armée
roumaine, dont le fourrage aurait été souillé par des germes de morve.
Depuis 1918
La fin de la guerre n'arrêta pas les recherches sur des armes qui venaient de prouver leur puissance. Les
progrès de l'aviation aggravaient encore cette menace pour les populations civiles comme pour les armées, et
la mise au point d'armements et d'équipements de protection préoccupaient les différents pays. Cependant, il
n'y eut pas d'opérations de guerre chimique, ou biologique, répétées et d'une certaine ampleur de novembre
1918 à novembre 1983. Certes, depuis 1960, de nombreuses attaques chimiques furent dénoncées, et toujours
niées par les puissances accusées, sans que les faits puissent être formellement établis, au Yémen, au Laos, en
Afghanistan, en Angola...
Plus caractérisées furent en 1936, en Abyssinie, les attaques à l'ypérite de l'aviation italienne sur les
troupes éthiopiennes qui, dépourvues de toute protection, furent sévèrement éprouvées. De 1937 à 1943, les
Japonais auraient à plusieurs reprises utilisé les gaz contre les Chinois, répandant en particulier, en 1941, des
quantités importantes d'ypérite et de lewisite sur la ville d'Yichang. De 1964 à 1970, un irritant respiratoire, le
CS, employé aux États-Unis pour réprimer les émeutes, fut utilisé par les forces américaines au Vietnam, à
beaucoup plus grande échelle par moyens aériens et terrestres. Des défoliants furent aussi largement utilisés
pour priver les forces du F.N.L. (Vietcong) du camouflage offert par la jungle, mais aboutissant parfois à une
véritable stérilisation du sol. Démentant tout emploi de toxiques mortels ou de produits de mise hors de
combat, l'armée américaine a toujours considéré que ces opérations ne relevaient pas de la guerre chimique.
Mussolini envahit l'Éthiopie, 1935
En octobre 1935, les troupes de Mussolini envahissent l'Éthiopie à partir des colonies
italiennes d'Érythrée et de Somalie, déclenchant ainsi la dernière guerre de conquête
coloniale. La lutte est âpre, mais totalement inégale, entre une armée mécanisée
moderne qui n'hésite ni à employer les gaz de combat, ni à avoir recours aux
massacres de populations, …(National Archives)
Largage de défoliants
En 1966, un appareil de l'U.S. Air Force largue des défoliants sur le tracé de la piste Hô
Chi Minh, construite dans la jungle pour approvisionner le Front national de libération
du Sud-Vietnam (F.N.L.).(Hulton Getty)
Au contraire, de 1983 à 1988, l'Irak a eu indiscutablement recours à cette forme de guerre contre l'Iran, en
particulier en 1986, pour stopper l'avance iranienne dans la péninsule de Fao, et en 1988, où leurs armes
chimiques aidèrent les Irakiens à reprendre Fao et les îles Majnoun, actions auxquelles il faut ajouter l'attaque
de la ville irakienne kurde de Halabja, le 16 mars 1988, qui aurait tué près de 5 000 civils, les pertes militaires
iraniennes dues aux attaques chimiques s'élevant à plusieurs dizaines de milliers de morts et de blessés. Les
forces irakiennes ont utilisé essentiellement l'ypérite et peut-être un peu de tabun, ainsi que d'acide
cyanhydrique dans le cas d'Halabja, ces toxiques étant dispersés par avion et hélicoptère sous forme de
bombes ou d'épandages, mais aussi, dans les dernières offensives, par roquettes.
Victimes de la guerre Irak-Iran
Cet homme pleure son enfant mort, victime des bombardements chimiques de l'armée
irakienne sur la ville d'Halabja, dans le Kurdistan irakien, en 1988.(Hulton Getty)
Si les produits de la Première Guerre mondiale se sont montrés toujours redoutablement efficaces,
l'entre-deux-guerres a vu apparaître des produits nouveaux de plus en plus toxiques. À côté des ypérites à
l'azote, le chimiste allemand Schrader découvrait en 1937, à l'occasion de recherches d'insecticides, les
toxiques organophosphorés. De 1942 à la fin de la guerre, entre 15 000 et 30 000 tonnes de l'un d'eux, le
tabun (ou GA), furent produites et en partie chargées en munitions. L'Allemagne disposait en 1945 d'une
capacité de production annuelle de 7 000 tonnes d'un autre organophosphoré, le sarin (ou GB), encore plus
toxique, et avait mis au point la synthèse du soman (ou GD).
Pourquoi ces produits n'ont-ils pas été utilisés lors du second conflit mondial ? Est-ce absence d'intérêt lors
de l'offensive de 1940, perte de la supériorité aérienne nécessaire à leur emploi, ou crainte des représailles
annoncées par les dirigeants alliés ? Si l'Irak, qui était parvenu à fabriquer du sarin, n'y a pas eu recours, lors
de la guerre de libération du Koweït (1991), cela s'explique mieux par la destruction de ses dépôts et usines.
Mais la menace en a pesé sur les forces alliées pendant tout le conflit.
Les inspections conduites par l'O.N.U. ont permis de découvrir un arsenal important, essentiellement sur le
site de Muthanna. La crainte qu'une partie de cet arsenal ait échappé aux opérations de destruction de l'O.N.U.
fut l'une des motivations, apparemment infondée, de la guerre d'Irak commencée en 2003.
Après 1945, les recherches d'insecticides plus efficaces ont mené à la découverte de nouveaux composés
organophosphorés très toxiques, les produits V, agissant en particulier à travers la peau. Parallèlement, les
progrès de la pharmacologie ont conduit à des produits rendant un adversaire incapable de se battre pendant
un certain temps sans théoriquement présenter un danger pour sa santé : ce sont les incapacitants.
L'évolution de la guerre biologique depuis 1918 est restée plus mystérieuse que celle de la guerre
chimique. Parallèlement aux agressifs chimiques, des attaques bactériologiques auraient été lancées contre les
Chinois par les Japonais, en utilisant des bacilles pesteux. Des indications ont été fournies sur ces opérations,
comme sur les installations de production d'agents de guerre biologique installées en Mandchourie de 1936 à
1944, par des officiers et sous-officiers de l'armée japonaise comparaissant devant un tribunal militaire russe à
Khabarovsk.
Des phénomènes épidémiologiques anormaux relevés en 1952 en Corée firent accuser les forces
américaines d'avoir expérimenté, contre la Corée du Nord, des formes de guerre biologique, accusations
rejetées par les États-Unis. Le Vietnam a également rejeté l'accusation d'emploi de mycotoxines contre les
populations du Cambodge, accusation formulée aux Nations unies en 1981. De même l'U.R.S.S. a-t-elle nié
préparer des armes biologiques à Sverdlovsk, après l'apparition de cas de maladie du charbon (anthrax) dans
cette ville en 1979. Elle devait reconnaître en 1987 avoir effectué des travaux sur la bactérie correspondante,
mais dans un but de protection. En 1998, les révélations d'un transfuge, Kanatjan Alibekov, chercheur – et
numéro deux à partir de 1988 – à Biopreparat (organisme de recherche en armes bactériologiques,
toxicologiques et virologiques) de 1975 à 1992 et devenu américain sous le nom de Kenneth Alibek, ont
conforté les renseignements sur l'effort soviétique en ce domaine.
Aussi, à la différence de la guerre chimique, aucune date et peu de faits précis jalonnent l'histoire
mystérieuse des armes biologiques, dans leur emploi ou dans les recherches les concernant. Mais de
nombreuses publications scientifiques de bactériologistes du monde entier et, en particulier, des laboratoires
de Fort Detrick aux États-Unis et de Porton en Grande-Bretagne, attestent le danger d'une telle guerre.
II- Les agents de la guerre chimique et biologique
Produits chimiques visant l'être humain
Ces produits, aussi appelés gaz de combat, sont d'une manière générale tous les composés chimiques
pouvant être dispersés sous forme de liquides, de gaz ou d'aérosols pour produire des effets physiologiques
allant de l'incapacité temporaire à une maladie grave et à la mort.
Les agents létaux provoquent la mort à défaut d'un traitement prompt et approprié, tandis que les agents
incapacitants entraînent une inaptitude temporaire de la victime à tenir son rôle sans provoquer de lésions
irréversibles.
Pour constituer un agent de guerre chimique, un produit, même hautement toxique, doit répondre à un
certain nombre de critères, indiqués dans le tableau 1, et, en particulier, pouvoir être fabriqué en tonnages
importants. La capacité d'un pays à préparer et à mener une guerre chimique dépend donc de son potentiel
chimique industriel.
Irritants
Caractéristiques des agents chimiques.(2009 Encyclopædia Universalis France S.A.)
Selon la nature des effets physiologiques, on peut distinguer les familles de toxiques suivantes : irritants,
vésicants, suffocants, toxiques généraux, et parmi les agents incapacitants ceux qui influencent le
comportement physique et ceux qui perturbent le psychisme.
Irritants
Ces produits excitent les terminaisons des nerfs sensitifs, en particulier au niveau des muqueuses. En
général peu toxiques, du moins aux doses réalisables en plein air, à effet très passager, ils sont employés en
temps de paix pour le maintien de l'ordre, mais la multiplication des guerres subversives conduit à les utiliser
largement.
Les lacrymogènes agissent électivement au niveau de la cornée et des conjonctives, créant une douleur
variable selon la concentration du produit. Des troubles plus graves peuvent se manifester dans des espaces
clos où la durée de séjour sera plus grande et où les concentrations atteintes pourront les rendre suffocants.
Ainsi à Tbilissi, en Géorgie, en avril 1989, l'utilisation massive, dans des bâtiments, de grenades à base de
chloracétophénone, et peut-être de chloropicrine, tua vingt personnes et en blessa plus d'une centaine. La
projection de quantités importantes sur la peau humide peut provoquer un érythème et, dans l'œil, une
conjonctivite grave.
Compte tenu de son action locale, il suffit en général de protéger les yeux au passage du nuage
lacrymogène. Si nécessaire, l'œil sera lavé avec une solution isotonique aux larmes avant application d'un
collyre calmant.
Les sternutatoires excitent les terminaisons nerveuses des voies respiratoires supérieures. Aux
concentrations élevées, ils peuvent irriter les muqueuses et la peau. Ils provoquent, après quelques dizaines de
secondes, une sensation de brûlure et des réflexes de défense glandulaires et moteurs (hypersécrétion nasale,
salivaire et bronchique, éternuement, toux, vomissements et diminution de la ventilation pulmonaire).
Ces produits, tous solides, à faible tension de vapeur, sont utilisés sous forme de nuages de particules d'un
diamètre de l'ordre du micron. L'irritation persiste plusieurs dizaines de minutes après avoir quitté
l'atmosphère contaminée, les arsines irritantes pouvant, à la différence du CB (tabl. 2), présenter aux fortes
doses une toxicité à long terme due à l'arsenic. Mais, comme les lacrymogènes, ces irritants employés à doses
trop importantes, en particulier en milieu clos ou mal ventilé, peuvent produire des troubles plus graves.
L'inhalation de corticoïdes (dexaméthasone) ou d'un mélange d'alcool, d'éther et de chloroforme avec des
traces d'ammoniaque calme l'inflammation.
Agents chimiques : caractéristiques
Irritants (Pf: point de fusion).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)
Les urticants provoquent, à très faibles doses, des brûlures et des démangeaisons cutanées plus ou moins
passagères. En l'absence de protection, ils attaqueront également les muqueuses respiratoires et les yeux.
Vésicants
Les vésicants produisent sur la peau ou les muqueuses des brûlures caractéristiques, mais sont rarement
mortels si les voies respiratoires sont protégées. Leur seuil d'action est très bas, leur persistance très grande,
et leur décontamination difficile. Les caractéristiques des principaux vésicants sont indiquées dans le
tableau 3, où la toxicité est exprimée en Ct 50. Ce symbole représente le produit de la concentration C (en
mg/m3) par le temps t d'exposition en minutes, produisant un effet déterminé sur 50 p. 100 des sujets exposés.
Il suppose la constance des effets pour un même Ct (loi de Haber), ce qui n'est pas vérifié pour tous les
toxiques.
Vésicants
Vésicants.(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)
La trichloréthylamine, découverte entre les deux guerres mondiales, est plus insidieuse, plus persistante,
moins inflammable que l'ypérite mais se conserve moins bien. De plus, sa volatilité réduite permet difficilement
la réalisation de concentrations assez élevées.
À l'inverse, l'ypérite répond aux caractéristiques militaires : elle traverse un grand nombre de matériaux,
compliquant beaucoup la protection. Sa persistance, rendant les surfaces souillées longtemps dangereuses,
peut encore être accrue par l'adjonction d'épaississants, compliquant aussi la décontamination. Par temps
froid, sa faible volatilité, réduisant le danger d'inhalation, et sa solidification peuvent être compensées par
mélange avec des solvants ou avec la lewisite.
Les vésicants ont une action alkylante, cytotoxique, aux niveaux macromoléculaire et cellulaire :
l'alkylation des centres nucléophiles (groupements carbonyle, amino- ou sulfhydrile) des acides nucléiques et
des protéines bloque la respiration et la division cellulaires, entraînant la mort du noyau et de la cellule,
l'altération des membranes... Macroscopiquement, les lésions cutanées se manifestent après quelques heures
par un érythème évoluant en phlyctènes et ulcérations, l'humidité de la peau favorisant les lésions. La
réduction de l'activité mitotique des cellules retarde la cicatrisation, qui demande de deux à trois semaines au
minimum si la plaie est maintenue stérile. L'œil est encore plus sensible que la peau, la cornée s'opacifiant. La
guérison est très longue, quoique la perte totale de l'œil soit rare. L'atteinte des tissus respiratoires est
d'autant plus grave que le toxique est plus volatil (température élevée, incorporation de solvant), ou dispersé
sous forme d'aérosol. Elle se traduit par une obturation des bronches ou une pneumonie massive.
La thérapeutique consiste d'abord à éliminer le plus rapidement possible le toxique (un temps de contact
de dix à quinze minutes rend la vésication inévitable), puis, en l'absence d'antidotes spécifiques, à éviter
l'infection, calmer la douleur et favoriser la cicatrisation : sur la peau, compresses d'acide borique,
corticostéroïdes, antibiotiques sur l'œil, lavage avec une solution isotonique, puis instillation d'hydrocortisone
et d'anesthésiques locaux.
Une certaine prophylaxie contre les effets généraux peut être assurée par des radioprotecteurs vis-à-vis
des ypérites azotées, à caractère radiomimétique, ou par le dimercaptopropanol (BAL) et ses dérivés contre la
lewisite. Ces dernières drogues ont d'ailleurs une action curative des lésions cutanées et oculaires dues à la
lewisite, qui a de ce fait perdu un peu de son intérêt militaire, sauf en mélanges.
Suffocants
Si le chlore et le phosgène ont été les principaux suffocants utilisés pendant la Première Guerre mondiale,
c'est qu'ils étaient déjà produits en grande quantité par l'industrie chimique.
Les suffocants n'agissent que sur le poumon, si l'on excepte une irritation très passagère des voies
respiratoires supérieures, suivie d'une phase de rémission trompeuse au cours de laquelle se développe
insidieusement l'œdème pulmonaire, dû à l'attaque de la muqueuse alvéolaire. D'autres troubles, circulatoires
et rénaux, apparaissent. Cette évolution conduit à immobiliser les sujets même apparemment peu atteints.
La thérapeutique vise à réduire le besoin en oxygène de l'intoxiqué et les efforts respiratoires et
cardiaques. Un repos absolu et une réduction de la pression sanguine alvéolaire, accompagnée de l'inhalation
d'oxygène et de l'administration de tonicardiaques, n'empêchent pas une longue convalescence et un
pourcentage de décès élevé.
Mais l'intérêt militaire des suffocants est limité par les quantités nécessaires à l'obtention de Ct létaux
(11 000 pour le chlore, 3 200 pour le phosgène) imposant des moyens de dispersion importants. De plus, ces
produits, très volatils, sont sensibles aux agents atmosphériques et aisément adsorbés par le charbon actif des
masques.
Toxiques généraux
Les toxiques généraux ne lèsent aucun tissu constitutif, mais perturbent le fonctionnement de l'organisme,
entraînant généralement une mort rapide.
Les toxiques de l'oxygénation, utilisables comme gaz de combat, comprennent l'acide cyanhydrique et le
chlorure de cyanogène, dont la volatilité restreint toutefois l'emploi.
Leur détoxification spontanée par l'organisme est rapide, expliquant pourquoi leur Ct varie avec la durée
d'exposition (de 2 000 à 5 000 et plus pour l'acide cyanhydrique). Ils bloquent la cytochrome-oxydase, enzyme
qui permet aux cellules d'utiliser l'oxygène apporté par le sang, et perturbent le métabolisme de l'acide
gamma-aminobutyrique, important pour le système nerveux central. Les cellules nerveuses, en particulier
celles du centre respiratoire, sont très sensibles à ces toxiques dont l'inhalation, aux doses élevées, arrête en
quelques secondes la respiration, le cœur s'arrêtant quelques secondes plus tard, sans possibilité
d'intervention thérapeutique. Aux doses moindres, à une période d'excitation respiratoire succèdent des
vertiges, puis une asphyxie, avec paralysie et coma.
Le chlorure de cyanogène, ininflammable et plus lourd que l'acide cyanhydrique, se prêterait mieux à un
emploi militaire. De plus, il est difficilement retenu par le charbon actif du masque, qui exige une imprégnation
métallique assez sensible à l'humidité.
Son mode d'action physiologique est analogue à celui de l'acide cyanhydrique, bien qu'il s'y ajoute un
certain effet suffocant et une action lacrymogène importante.
La thérapeutique tend à dissocier l'ion cyané de sa combinaison avec la cytochrome-oxydase par des
injections de thiosulfate, de complexes du cobalt – hydroxycobalamine (vitamine B12a) – ou de
méthémoglobinisants – p-aminopropiophénone, nitrite de sodium – dont certains, inhalables – nitrite d'amyle –,
ont un effet plus rapide. Le traitement doit en effet débuter sur place le plus rapidement possible et être
complété éventuellement par la respiration artificielle avec oxygène pur.
Les neurotoxiques constituent la dernière famille connue de toxiques de synthèse mortels, militairement
utilisables. Ce sont des composés organiques du phosphore apparentés à des insecticides (tabl. 4). Ils inhibent
les cholinestérases. Or, normalement, l'acétylcholinestérase détruit l'acétylcholine après qu'elle a transmis
l'influx nerveux au niveau des terminaisons nerveuses. L'accumulation d'acétylcholine provoque :
Toxiques organophosphorés
Toxiques organophosphorés (Pe: point d'ébullition).(2005 Encyclopædia Universalis
France S.A.)
– au niveau des jonctions neuromusculaires, une contraction durable des muscles lisses, d'où myosis et
bronchospasme, et la fibrillation, puis la curarisation des muscles striés ;
– une hypersécrétion glandulaire, bronchique, salivaire... ;
– au niveau du système nerveux central, la dépression des centres respiratoire et circulatoire, ainsi que des
convulsions dont l'acétylcholine n'est pas seule responsable ;
– au niveau des relais ganglionnaires, des phénomènes, antagonistes des précédents, de mydriase et
d'hypertension.
L'effet du toxique dépend de sa nature chimique exacte (convulsions plus importantes avec le soman), de
la voie de pénétration (le myosis précoce caractérise l'action directe sur l'œil) et de la dose reçue. Aux fortes
concentrations, la mort survient par arrêt respiratoire de quelques minutes à une demi-heure après
l'intoxication.
La thérapeutique cherche à réduire l'accumulation d'acétylcholine au niveau des récepteurs – par
administration d'anticholinergiques (atropine, benactyzine), surtout efficaces aux jonctions neuromusculaires –
par réactivation de l'acétylcholinestérase inhibée grâce à des oximes, plus ou moins efficaces selon le toxique
inhibiteur (tabl. 5). Elle s'accompagne de l'administration d'anticonvulsivants [diazépam (Valium⌖)]. Cette
thérapeutique doit être mise en œuvre très précocement et est facilitée par l'administration préventive
d'oximes ou d'inhibiteurs réversibles des cholinestérases. Enfin, l'arrêt respiratoire nécessite dans certains cas
la respiration artificielle.
Oximes réactivatrices
Oximes réactivatrices.(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)
Parmi les produits résultant de synthèses chimiques, les toxiques de la transmission nerveuse constituent
actuellement la principale menace, en raison de leur toxicité élevée et de la variété de leurs voies de
pénétration : respiratoire pour le tabun, le sarin, le soman, cutanée pour les produits V.
Les agents binaires ne constituent pas une classe de produits nouveaux, mais un conditionnement nouveau
de certains organophosphorés. Les munitions chimiques correspondantes contiennent en effet des précurseurs
peu ou pas toxiques de ces organophosphorés, dont le mélange après lancement produit le toxique voulu au
moment où la munition arrive sur son objectif. La structure d'une telle munition est détaillée au chapitre 3.
Les munitions « binaires » irakiennes étaient en fait des munitions chimiques classiques, chargées d'un
mélange de sarin et de sarin cyclohexylique (ou GF). Ce mélange, moins volatil que le sarin, aurait été mieux
adapté au climat irakien.
Produits de mise hors de combat
Des produits rendant l'individu incapable de poursuivre le combat sans mettre ses jours en danger, ni lui
laisser de séquelles, pourraient prendre le relais des toxiques de plus en plus meurtriers. À la différence des
irritants utilisés dans les opérations de maintien de l'ordre, ils visent moins à mettre en fuite l'adversaire en lui
permettant de regrouper ses forces un peu plus loin que de le handicaper d'une manière plus insidieuse et
pour des durées plus longues. Une telle action prolongée, mais indépendante de lésions organiques définitives
ou durables, relève de substances à action centrale plutôt que locale.
Les psychodysleptiques perturbent le psychisme des individus. À cette famille appartiennent les
hallucinogènes comme le diéthylamide de l'acide lysergique (ou L.S.D. 25), la psylocybine et la mescaline. Bien
qu'actifs à très faibles doses (1 μg/kg pour le L.S.D.), ils répondent mal à certains critères des agents de mise
hors de combat. Les dérivés de la pipéridine pourraient fournir d'autres psychodysleptiques comme la
phencyclidine (ou P.C.P., ou Sernyl⌖), hallucinogène très dangereux capable de provoquer des psychoses
prolongées. Un composé voisin, le fentanyl, a été utilisé à Moscou en octobre 2002 par les forces armées
russes pour tenter de libérer 600 spectateurs pris en otage par des Tchétchènes dans un théâtre.
Malheureusement, l'emploi dans un local fermé et le manque de concertation avec les services médicaux ont
entraîné la mort de plusieurs centaines de personnes.
Les anticholinergiques à action hallucinogène peuvent également constituer des agents incapacitants : il
en est ainsi de certains glycolates comme le benzilate de 3-quinuclidinyle (ou BZ) [tabl. 6], qui fut développé
jusqu'au stade de munitions par l'armée américaine et qui provoque à très faibles doses confusion mentale et
sédation profonde. Absorbable par la peau, surtout en solution dans certains solvants, il est particulièrement
actif par inhalation sous forme d'aérosol.
Benzilate de 3-quinuclidinyle
Structure et activité du benzilate de 3-quinuclidinyle (BZ).(2009 Encyclopædia
Universalis France S.A.)
Si, par définition, les troubles dus aux incapacitants doivent régresser spontanément et sans séquelles, une
intervention thérapeutique peut s'avérer nécessaire, au moins pour accélérer le rétablissement. Ainsi, l'action
des glycolates sera réduite par les anticholinestérasiques. Réciproquement, ces incapacitants peuvent, comme
succédanés de l'atropine, combattre partiellement la toxicité des organophosphorés.
Les incapacitants physiques provoquent, par action sur le système nerveux, des troubles physiologiques :
troubles de la vision ou de l'audition, paralysies temporaires ou convulsions passagères, hypotension
orthostatique rendant l'individu incapable de se tenir debout, état d'indifférence et augmentation du seuil des
réflexes conditionnés...
Mais rares seraient parmi eux les produits aptes à un emploi militaire. Parmi les plus actifs, citons les
analgésiques morphiniques et la phencyclidine (déjà mentionnée comme psychodysleptique) : ils provoquent
une analgésie profonde, une hypothermie, des troubles de la volonté et une dépression du tonus musculaire.
Mais l'exposition répétée à de telles substances peut développer une toxicomanie qui permet difficilement de
les retenir comme agents incapacitants, même si leurs caractéristiques militaires étaient convenables.
Aussi, d'une manière générale, les agents de mise hors de combat à action centrale représentent un avenir
encore mal défini de la guerre chimique.
Agents biologiques pathogènes pour l'être humain
La menace de guerre biologique est, elle aussi, mal définie. Les armes biologiques peuvent apparaître peu
fiables en raison de la faible prévisibilité des épidémies, mais elles pourraient plus sûrement s'attaquer
directement à chaque individu, principalement par ses voies respiratoires. Les agents biologiques seraient alors
dispersés comme les agents chimiques. Des insectes familiers des théâtres d'opérations choisis pourraient
aussi être contaminés pour infecter les individus. L'épidémicité serait alors considérée par l'agresseur comme
un facteur secondaire, sinon gênant, en raison des risques en retour qu'elle ferait courir. Si des possibilités
d'immunisation et de thérapeutique lui donnaient une sécurité plus grande, le secret de vaccinations de masse
devrait être bien gardé pour que l'adversaire ne s'immunise pas, réduisant considérablement l'efficacité des
attaques.
Certes, de telles attaques directes des individus, non relayées et multipliées par des épidémies,
demanderaient des quantités importantes d'agents, malgré leur haute toxicité. Mais le développement de
l'industrie biologique permet de réunir aujourd'hui les moyens de production nécessaires, ou même d'adapter
un outil industriel normalement utilisé à des fins civiles, agroalimentaires ou médicales. Cela est vrai de
cultures de bactéries ou de cellules nourricières de virus, de l'expression de toxines par des organismes
génétiquement modifiés ou même de l'élevage d'insectes contaminés.
Un autre facteur à considérer est le délai de déclenchement de la maladie, variant de quelques heures à
plusieurs jours selon les agents considérés. Indépendamment des maladies n'apparaissant que plusieurs mois
ou plusieurs années après l'infection, dont les agents ne constitueront pas des armes biologiques, celles-ci ne
permettront jamais de clouer au sol une attaque adverse. Leur emploi serait rarement tactique mais plutôt
stratégique, de caractère offensif et non défensif.
Ainsi les agents biologiques, mortels ou incapacitants, devraient, pour entrer dans la constitution d'un
système d'armes, répondre aux critères suivants : pouvoir infectieux élevé, période d'incubation brève,
production industrielle aisée, vitalité élevée (survie au stockage, à la dispersion et sur le terrain), possibilité de
transmission à l'être humain, épidémicité réduite, absence de vaccins et précarité de la thérapeutique.
L'évaluation du risque d'emploi des différents types d'agents biologiques nécessiterait leur étude en
fonction de chacun de ces critères. Un résultat négatif n'impliquerait d'ailleurs pas l'impossibilité pour un
laboratoire d'adapter un agent considéré comme inapte à un emploi militaire. Aux nombreuses possibilités
classiques de sélection de mutants, éventuellement artificiels, aux recombinaisons de fractions protéiques ou
nucléiques issues de virus différents, aux techniques industrielles de microencapsulation pouvant protéger les
agents des facteurs d'environnement, s'ajoutent les techniques de génie génétique permettant de modifier le
patrimoine génétique des bactéries pour augmenter leur résistance aux antibiotiques par transfert de gènes de
résistance, pour exprimer une virulence et sécréter des toxines par introduction de plasmides de virulence
dans des germes non pathogènes. Le génome des virus peut également être modifié pour les rendre
insensibles aux vaccins habituels. Sous réserve de ces possibilités nouvelles, dont les exemples ci-dessus ne
sont pas exhaustifs, des maladies bien connues, bactériennes comme le choléra ou la fièvre typhoïde, virales
comme la fièvre jaune ou la variole, à rickettsies comme le typhus, ne seraient sans doute pas provoquées,
tout au moins contre les pays développés et leurs forces, où les vaccins correspondants sont produits à grande
échelle et largement utilisés, tandis que les symptômes bien décrits permettraient un dépistage précoce.
Les agents de guerre biologique, plus exactement les agents d'origine biologique (ABO), constituent un
large spectre, de l'organisme vivant (mycètes) à structure complexe aux toxines de faible masse moléculaire, à
structure chimique relativement simple et synthétisable, qui font le lien avec les agents chimiques. Ils se
classent en agents infectants (mycètes, bactéries, rickettsies, virus) et en agents intoxinants (toxines
protéiques, peptides et toxines de faible masse moléculaire).
Plusieurs dizaines d'agents infectants pourraient constituer des armes biologiques : le tableau 7 en donne
quelques exemples. Parmi les bactéries, le charbon a contaminé pour des décennies l'île déserte de Gruinard,
en Écosse, à la suite d'une dispersion expérimentale en 1942, et fait de nombreuses victimes en 1979 à
Sverdlovsk, en U.R.S.S., à la suite d'un accident de laboratoire évoqué au chapitre 1. Aux arbovirus
responsables d'encéphalites, il faudrait ajouter, entre autres, les virus des fièvres hémorragiques (Ebola,
Lassa...).
Agents microbiologiques militarisables
Exemples d'agents microbiologiques militarisables.(2005 Encyclopædia Universalis
France S.A.)
Les agents intoxinants sont encore plus nombreux : le tableau 8 en donne quelques exemples de diverses
origines naturelles, mais le génie génétique permet de les obtenir différemment. À signaler la parenté entre
certaines toxines de faible masse moléculaire, peptidiques ou non, et des biorégulateurs qui, agissant sur les
mêmes récepteurs, peuvent avoir, selon leur concentration, des effets analogues et donc se classer parmi les
ABO. Rappelons les allégations d'emploi des trichothécènes dans le Sud-Est asiatique dans les années 1980 et
les assassinats par injection de ricine grâce à des parapluies truqués (parapluies bulgares), ainsi que, en 2001,
sur la côte est des États-Unis, la vague d'attaques bioterroristes par des spores du charbon disséminées dans
des enveloppes piégées adressées en particulier à des membres du Sénat.
Toxines militarisables
Exemples de toxines militarisables.(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)
Les exemples mentionnés montrent la possibilité de choisir un agent de guerre biologique en fonction du
but retenu : mise hors de combat (tularémie, dengue, etc.) ou élimination de l'adversaire (charbon, peste,
botulisme, etc.), extension secondaire souhaitable (peste, psittacose, etc.) ou à proscrire (tularémie, botulisme,
etc.) selon l'éloignement de l'objectif.
L'efficacité élevée de l'arme biologique, comparée à l'arme chimique, jointe aux nombreuses variantes
possibles, oblige à prendre en considération la menace biologique malgré son caractère spéculatif.
Agents chimiques et biologiques visant les animaux et les végétaux
Des produits chimiques ou des organismes biologiques peuvent être employés pour détruire les animaux
ou les végétaux.
Les animaux visés interviennent dans l'économie du pays attaqué, comme sources de ravitaillement ou
comme animaux de travail. Si des produits chimiques peuvent être utilisés, des destructions plus généralisées
seraient confiées à des micro-organismes, cherchant à déclencher des épizooties. Certains des agents
responsables sont communs à l'être humain et à l'animal : bactéries du charbon, de la brucellose, de la
tularémie, de la morve, dont on a cité dans l'aperçu historique l'utilisation pendant la Première Guerre
mondiale, virus de l'encéphalomyélite équine. D'autres sont plus spécifiques : fièvre aphteuse, myxomatose.
Pour la destruction des végétaux, on pourrait faire appel aux insectes, aux micro-organismes et aux
produits chimiques.
Les dégâts que les insectes (sauterelles, doryphores...) peuvent causer aux récoltes sont bien connus. Mais
les épiphyties dues aux champignons (mildiou de la pomme de terre, rouille noire du blé) ont aussi des
conséquences économiques importantes ; aussi ne peut-on exclure leur emploi en temps de guerre.
Les produits chimiques permettraient de détruire la végétation, sélectivement ou globalement, en mettant
en œuvre des quantités plus importantes, mais sans les aléas des épiphyties.
Si en 1943 la proposition de chercheurs américains de détruire les rizières japonaises par du
phénylcarbamate d'isopropyl ne fut pas retenue, l'emploi des défoliants s'est développé au Vietnam pour
supprimer le camouflage offert par la jungle. Seule l'ampleur des traitements, par épandage aérien au-dessus
de territoires ennemis, différencie cet emploi de la lutte contre les végétaux nuisibles.
La voie de pénétration (feuilles ou racines), l'insolubilité (donc la persistance) du produit, la nature et
l'intensité de la végétation à détruire (graminées, végétaux ligneux...) conduisent à choisir tel herbicide pour
un but déterminé, ou à en associer plusieurs tels que l'acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique (2,4,5-T), le
picloram ou l'acide cacodylique, éléments de base des agents Orange, Blanc ou Bleu de l'armée américaine.
Leur emploi, théoriquement inoffensif pour l'être humain, pose cependant des problèmes au-delà des
destructions immédiates recherchées et des risques de stérilisation des sols pour de longues années : les
produits dispersés en grande quantité sur des zones habitées ou pouvant y être apportés par le vent peuvent
avoir des effets irritants ou nocifs. L'agent Orange utilisé au Vietnam contenait des traces de dioxine, dont la
toxicité (elle est cancérigène et tératogène) a été relevée à l'occasion d'accidents industriels, en particulier en
1976, à Seveso, en Italie.
III- La mise en œuvre des agents chimiques et biologiques
Quelle que soit l'efficacité intrinsèque des produits chimiques ou des organismes, leur valeur militaire
dépend des moyens de mise en œuvre. L'attaque au sarin dans le métro de Tōkyō en mars 1995 par des
adeptes de la secte Aum Shinri Kyo en est un exemple (12 morts et 5 500 blessés). Le pourcentage de produit
dispersé qui atteint les personnes visées est extrêmement faible, du fait de la destruction au moment de la
dispersion, de la diffusion dans l'atmosphère, de la destruction dans l'air ou au sol par l'humidité, le
rayonnement solaire, etc. Le développement des armements, parallèlement à celui de la chimie et de la
biologie, doit cependant faire envisager avec gravité la dissémination à grande échelle par avions ou engins
balistiques.
Principes de la dispersion
L'état physique des agents détermine leur voie d'entrée dans l'organisme et leur persistance : importante
pour des gouttes d'un toxique peu volatil (ypérite ou VX) atteignant la peau directement ou par contact avec
des surfaces souillées, faible pour des nuages de vapeurs ou d'aérosols soumis à la dilution par la turbulence
atmosphérique due au vent et au gradient de température entre le sol et l'atmosphère. Ces vapeurs ou ces
aérosols pénètrent par les voies respiratoires : les aérosols chimiques et biologiques agissent au niveau des
alvéoles pulmonaires, où ne séjournent que les particules de 1 à 5 micromètres de diamètre (dimensions les
plus dangereuses). De plus, les vapeurs et aérosols chimiques agissent aussi au niveau des voies respiratoires
supérieures.
Les munitions chimiques devraient amener leur charge toxique à l'endroit voulu et l'y disperser sous la
forme correspondant au but fixé. L'objectif pourrait être soumis directement à une attaque ou être atteint
indirectement, le nuage toxique étant amené par le vent, cette dernière méthode, plus insidieuse, dépendant
davantage des conditions météorologiques.
La munition dissémine son chargement sous l'effet :
– d'une vaporisation par chauffage : le produit se condense dans l'atmosphère pour former un aérosol
efficace ; mais cette dissémination est lente et ne s'applique pas aux suspensions biologiques ; elle serait
surtout réservée aux produits irritants ;
– de l'explosion d'une charge intérieure : cette méthode provoque une grande hétérogénéité dans l'état du
produit dispersé, qui se retrouve, en fonction de la distance au point d'explosion, sous forme de vapeur,
d'aérosols fins et grossiers et de gouttes plus ou moins volumineuses ; mais la dissémination est rapide,
réalisant des concentrations locales importantes avant qu'intervienne la dilution atmosphérique ; elle convient
à la contamination par gouttes ; elle pourrait être employée en guerre chimique et biologique et s'effectuer à
l'impact au sol de la munition, ou en altitude, en particulier avec des produits peu volatils ;
– d'une pulvérisation par pression du liquide à travers des orifices appropriés : cette pression pourrait être
fournie par un gaz préalablement comprimé ou provenant de la combustion d'une charge de poudre ; dans ce
procédé, la taille des particules serait assez homogène, et la vitesse de dispersion intermédiaire entre celles
obtenues par explosion ou par vaporisation.
Armes de dispersion
Ces armes peuvent se classer suivant le chargement, le mode de dispersion de ce chargement, le moyen
de lancement permettant d'amener le produit à l'endroit voulu.
L'avancement des discussions internationales sur le désarmement chimique a fourni quelques indications
sur la composition des arsenaux chimiques américains et ex-soviétiques. Si de nombreuses informations
avaient été publiées sur les munitions américaines, les munitions soviétiques n'ont été dévoilées qu'en 1987,
lors de la visite du polygone de Shikany par les membres de la Conférence du désarmement de Genève.
Certes, des doutes subsistent sur l'exhaustivité de ces informations, résumées dans le tableau 9.
Munitions chimiques
tabl. 9 - Munitions chimiques(2009 Encyclopædia Universalis France S.A.)
À côté des armes chimiques classiques sont apparues aux États-Unis des armes de type binaire, contenant
deux précurseurs non toxiques séparés, se mélangeant au lancement du projectile pour former le toxique. La
figure 1 donne le schéma d'un obus binaire de calibre 155 mm. L'accélération, au départ de l'obus, rompt le
disque de rupture c. Le contenu des deux réservoirs se mélange, ce mélange étant favorisé par la rotation de
l'obus.
Obus
Schéma d'un obus.(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)
Des systèmes plus compliqués ont été étudiés pour des bombes d'avion au VX (fig. 2) : un système
mécanique mélange du soufre solide à l'autre constituant liquide.
Bombe
Schéma d'une bombe.(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)
Ces types de munitions présentent une sécurité de fabrication, de manipulation, de transport, de stockage
et une facilité de démilitarisation bien supérieures à celles d'une munition chargée directement en toxique,
puisque avant le lancement ils ne contiennent pas de toxique.
Dans la conception de munitions de grande capacité, l'efficacité élevée des toxiques modernes et des
agents biologiques conduit, pour obtenir la dispersion la plus homogène et la plus adéquate possible, à
assembler dans des munitions gigognes des sous-munitions de dimensions réduites se répartissant
d'elles-mêmes sur une large zone à l'ouverture de la munition d'ensemble (petites bombes à parachute à
ouverture retardée ou à profil aérodynamique spécialement étudié).
IV- Les moyens de défense contre les attaques toxicologiques
Il existe des moyens de protection individuels ou collectifs relativement simples contre les armes
toxicologiques. Leur mise en œuvre doit toutefois entraîner une gêne minimale et être limitée dans le temps.
Aussi faut-il d'abord être prévenu de l'apparition du danger et pouvoir l'identifier pour y adapter les mesures de
protection et en suivre l'évolution.
Détection
Détecter l'approche ou la présence d'agents chimiques ou biologiques afin de donner l'alerte est la
première mesure de défense. Cette détection doit reposer sur des dispositifs très sensibles et de plus en plus
automatisés, car elle doit s'effectuer en quelques secondes en raison de la soudaineté possible des attaques et
du délai de mise en œuvre des dispositifs de protection.
Le nuage agressif doit pouvoir être détecté à distance ou localement. La détection à distance fait appel à
des méthodes optiques, soit passives (analyse du spectre infrarouge émis par le nuage toxique ou des
perturbations par le nuage toxique du spectre naturel du paysage – c'est le M21 américain détectant les
nuages d'organophosphorés et de vésicants), soit actives (émission d'un rayonnement laser et analyse
différentielle du rayonnement réfléchi par le paysage ou des particules atmosphériques en présence ou en
l'absence du nuage toxique – c'était le cas du Detadis français resté à l'état de prototype – ; d'autres dispositifs
ont été conçus pour mesurer la réémission secondaire de lumière par les molécules du nuage illuminé par un
rayon laser – c'est la rétrodiffusion Raman). Des études se poursuivent pour utiliser les radars météorologiques
afin de détecter des nuages toxiques. Selon les mêmes principes est étudiée la détection des nuages d'agents
biologiques.
Intermédiaire entre la détection à distance et la détection locale, se situe le déploiement de détecteurs
locaux à la périphérie ou au vent des zones à protéger, ces détecteurs étant reliés à une alarme centralisée.
La détection locale est beaucoup plus ancienne que la détection à distance. À la simple observation
humaine ont succédé des prélèvements par pompage manuel sur des réactifs appropriés puis des appareils de
prélèvement automatique. Les détecteurs locaux peuvent se classer en trois grandes familles, selon qu'ils font
appel à une réaction colorimétrique, à la mobilité différentielle des ions dans un champ électrique ou à la
photométrie de flamme.
Dans les détecteurs « colorimétriques », l'air atmosphérique est aspiré le plus souvent à travers un papier
imprégné de réactif qui défile devant une cellule photoélectrique. La réaction colorimétrique est souvent
associée à une réaction biochimique très sensible à la présence d'organophosphorés, l'inhibition de la
cholinestérase (ACAL néerlandais, GSP russe, Naiad britannique à enzyme immobilisé). Une réaction
électrochimique peut remplacer la réaction colorimétrique (Icad américain avec deux senseurs
électrochimiques, l'un pour les organophosphorés, l'autre pour les vésicants).
Dans les détecteurs à mobilité ionique, les molécules présentes dans l'air sont ionisées par une source
radioactive et diffusent à des vitesses différentes, l'analyse du courant produit déclenchant l'alarme (CAM
britannique, très largement répandu sous différentes versions). L'adjonction de cellules d'alarme au CAM
américanisé fournit des détecteurs d'alerte locale comme le M8A1 ou l'Acada (automatic chemical agent
alarm).
Les détecteurs à photométrie de flamme font appel au rayonnement d'un atome de phosphore dans une
flamme d'hydrogène pour détecter les organophosphorés [Detalac (détecteur automatique local des agents
chimiques) français, Chase israélien]. La spectrophotométrie comparative des atomes de phosphore et de
soufre permet de distinguer les organophosphorés et les vésicants [A.P.A.C.C. (appareil portatif d'alerte et de
contrôle chimique) français]. D'autres détecteurs construits autour du même module de détection (l'A.P.2C.,
appareil portatif de contrôle de la contamination chimique) se différencient par leur source d'hydrogène, par
hydrolyse de l'eau par exemple dans l'ADLIF, au lieu des cartouches d'un alliage approprié fixant l'hydrogène.
Les gouttes de toxique peu volatil sont chauffées par un dispositif approprié sous le nez du détecteur ou
détectées par leur action dissolvante sur un isolant électrique, entraînant des variations de résistivité (Alad
américain).
La détection d'alerte doit être suivie de la détection de contrôle qui détermine, après une attaque ou une
présomption d'attaque, les zones ou les matériels contaminés, et contrôle l'efficacité de la décontamination.
Les appareillages utilisés sont souvent les mêmes que ceux destinés à l'alerte locale (CAM, Acada, A.P.2C.), ou
même à l'alerte à distance : ils opèrent par prélèvement d'air au plus près de la surface à contrôler ou par
prélèvement d'échantillons de terrain ou par illumination de celui-ci par un rayonnement laser. Ils sont installés
sur des véhicules blindés étanches comme le VAB Reco NBC (véhicule de l'avant blindé de reconnaissance
nucléaire, biologique et chimique) français, le Fuchs allemand ou le Fox américain qui en dérive. Des
illuminateurs laser peuvent aussi être montés sur des drones. À l'intérieur de ces véhicules, des
spectrographes de masse couplés à des chromatographes permettent l'identification rapide des substances
chimiques présentes dans les échantillons. Au plus près du combattant, des CAM, Chase ou autres A.P.2C.
peuvent être mis en œuvre par des équipes de détection pédestres disposant aussi de trousses de tickets
détecteurs comme la T.D.C.C. (trousse de détection de contrôle chimique) française, permettant une première
identification du toxique détecté.
Le combattant isolé ou l'unité élémentaire doivent disposer de détecteurs individuels dont l'exposition à
une atmosphère suspecte révèle la présence d'organophosphorés. Il s'agit le plus souvent de petits étuis en
plastique contenant un papier filtre imprégné de cholinestérase et d'un réactif coloré [Detindiv (détecteur
individuel de neurotoxiques) français, Detector canadien, Bouton néerlandais, où l'air est aspiré à travers le
papier en appliquant le dispositif sur l'entrée d'air du masque]. D'autres détecteurs, de la taille d'un paquet de
cigarettes, font appel à des réactions électrochimiques, comme l'Icad américain déjà mentionné.
Des trousses plus complètes permettent, outre le contrôle de la contamination chimique de l'eau et des
aliments, l'identification des toxiques à des niveaux dépourvus de moyens lourds d'analyse. Elles se trouvent
essentiellement dans les formations du service de santé (trousse Z française). L'identification des agents
d'origine biologique fait appel aux méthodes microbiologiques ou biochimiques classiques, fiables, sensibles
mais lentes ou progressivement au croisement des indications de plusieurs biosenseurs de principes différents,
immunologiques et réceptologiques par exemple.
Parmi les équipements de défense chimique, ceux de détection sont sans doute ceux qui bénéficient le plus
des progrès scientifiques et technologiques.
Protection
Épuration de l'air
Les personnels alertés doivent protéger en premier lieu leur système respiratoire, particulièrement
vulnérable. L'air inspiré doit être épuré des particules en suspension et des gaz et vapeurs toxiques. Des filtres
arrêtent les particules, les plus grosses par un effet de tamis, les plus fines du fait de leur mouvement
brownien, les particules de dimension intermédiaire, autour de 0,3 μm, étant les plus difficiles à retenir. Ces
filtres sont constitués de réseaux de fibres de divers diamètres, sous forme de papiers, bourres ou feutres. Les
fibres d'arrêt ont un diamètre de 1 à 2 μm, ordre de grandeur des aérosols à retenir. Des fibres plus grosses
peuvent contribuer à la tenue mécanique des filtres sans créer une trop forte dépression au passage de l'air,
grâce à une grande surface de papier.
Un charbon actif retient les gaz et vapeurs toxiques qui traversent ce papier en même temps que l'air, ainsi
que les vapeurs réémises par les aérosols liquides fixés sur le papier. Ce charbon agit par adsorption dans des
structures finement poreuses, les forces capillaires condensant les gaz à des pressions bien inférieures à leur
pression de vapeur normale, ce qui permet d'arrêter des produits difficilement condensables. Aussi les
charbons actifs choisis, minéraux ou végétaux, présentent-ils une structure très poreuse, débarrassée de ses
goudrons par l'opération d'activation à la vapeur : la surface spécifique peut atteindre de 2 000 à 3 000 m2/g.
Le charbon peut aussi catalyser la décomposition du toxique, facilitée, pour certains toxiques mal adsorbés,
comme le chlorure de cyanogène, par l'imprégnation du charbon par divers sels métalliques.
Cette filtration de l'air peut être collective à l'intérieur d'une enceinte (véhicule terrestre ou navire,
bâtiment...) étanche aux gaz ou maintenue en surpression. Un système d'arrêt des poussières (filtre, cyclone...)
évite le colmatage rapide des filtres antiaérosols qui sont suivis des filtres charbon antivapeur. Le maintien
d'une atmosphère respirable dans les espaces clos peut aussi être assuré en circuit fermé : le gaz carbonique
et la vapeur d'eau sont fixés chimiquement par des granulés de soude ou de chaux sodée, l'oxygène est fourni
par des bouteilles d'oxygène comprimé ou par la décomposition de composés oxygénés (eau oxygénée,
peroxydes alcalins comme l'oxylithe).
À l'extérieur, la protection est assurée par un masque respiratoire filtrant comportant classiquement une
cartouche constituée d'un compartiment antiaérosol laissant passer moins de 1 particule sur 10 000 et d'un
compartiment antivapeur dont le pouvoir protecteur représente plusieurs centaines de Ct létaux. Mais cette
cartouche crée, principalement par son compartiment papier, une dépression à l'inspiration engendrant une
gêne respiratoire. Le perfectionnement des dispositifs filtrants a visé à accroître leur efficacité, mais aussi à
diminuer cette dépression, quatre ou cinq fois moins élevée aujourd'hui qu'avec les masques de 1915. Cette
dépression dépend d'ailleurs de l'ensemble du masque et des obstacles qu'y rencontre l'air inspiré, en
particulier au niveau des soupapes d'inspiration et d'expiration.
Une seconde contrainte du masque est visuelle : le champ est réduit par les viseurs, qui s'agrandissent
avec la modernisation des masques jusqu'à des viseurs panoramiques ou des couvre-faces entièrement
transparents. Transparent ou opaque, le matériau du couvre-face doit être imperméable aux toxiques et
permettre une bonne adaptation au visage. La formation de buée, gênant la vision, est réduite par un
agencement intérieur du masque (poche oronasale) assurant le balayage des viseurs par l'air frais inspiré et
par un traitement antibuée de la surface interne de ces viseurs.
Les masques modernes permettent aussi une transmission acceptable de la voix (éventuellement par
adjonction d'un microphone) et la prise de boissons lors de ports prolongés.
Tous les pays possèdent maintenant des masques efficaces et d'un confort acceptable.
Ce masque filtrant peut être inefficace dans une atmosphère trop pauvre en oxygène ou contenant des gaz
pratiquement incondensables comme le monoxyde de carbone. Bien que ce dernier puisse être détruit par des
substances chimiques (hopcalite, mélange de CuO et de MnO2), les personnes exposées sont en général dotées
d'appareils autonomes rejetant à l'extérieur l'air expiré et alimentés par des bouteilles d'air comprimé, ou
fonctionnant en circuit fermé comme certaines installations collectives.
Vêtements et survêtements
Si la vulnérabilité du système respiratoire est très diminuée par les systèmes de filtration, toute la surface
du corps doit être protégée contre les produits à action cutanée (ypérite) et percutanée (produits V). Cette
protection est difficile, car ces produits traversent beaucoup de matériaux, et des vêtements totalement
étanches et imperméables, empêchant les échanges cutanés, ne peuvent être portés longtemps. Deux types
de solutions sont donc concevables : vêtements de perméabilité sélective, n'arrêtant que les toxiques,
portables presque en permanence, et survêtements imperméables à ne revêtir qu'au moment du danger.
Aux solutions anciennes, visant spécialement l'ypérite, d'imprégnation des uniformes par des produits
hydrofuges et oléofuges réduisant leur mouillabilité aux toxiques, ou par des solutions en général chlorées
neutralisant ces toxiques, ont succédé des uniformes ou des survêtements confectionnés dans des matériaux
complexes : une couche externe voisine du tissu de la tenue normale, éventuellement traitée hydrofuge et
oléofuge, arrête les toxiques liquides ; une couche carbonée (mousse poreuse fine, d'une épaisseur voisine du
millimètre, imprégnée de charbon actif – ou support textile ou plastique microporeux d'amas de particules de
charbon actif régulièrement espacés) arrête les vapeurs, à moins que le charbon ne soit directement fixé à
l'intérieur du tissu externe ; une doublure peut compléter l'ensemble.
Pour confectionner des uniformes, une telle structure doit être décontaminable et lavable, et son confort
sensiblement équivalent à celui de la tenue normale. Comme elle, elle incorpore de nombreuses autres
fonctions : protection (contre les rayonnements, les éclats...), mais aussi assistance au combattant isolé, grâce
à l'intégration de nombreux équipements électroniques (téléphone, G.P.S...), comme dans la tenue française
Félin (fantassin à équipement et liaisons intégrées), réalisée par la société Sagem et livrée à partir de 2007.
Ces matériaux complexes peuvent entrer dans la confection de survêtements semi-perméables, arrêtant
les toxiques pendant plusieurs jours comme les vêtements correspondants, mais non réutilisables après une
attaque. De plus, la superposition du survêtement et de la tenue normale réduit évidemment le confort.
Ce confort est encore plus réduit par des survêtements imperméables, housses en plastique ouvertes à la
partie inférieure protégeant des pluies toxiques mais non des gaz ou des aérosols. Aussi, malgré leur faible
coût, leur inconfort et la réduction de mobilité qu'ils entraînent limitent-ils leur emploi.
Les personnels particulièrement exposés à un risque de contamination revêtent au moment voulu un
survêtement étanche et imperméable, soit léger (ATLD français), soit lourd en tissu enduit de caoutchouc butyl
ou laminé avec une pellicule plastique appropriée. Pour réduire l'inconfort, des systèmes de refroidissement
portables sont développés.
Ces différents types de vêtements sont complétés par des gants de protection et des bottes imperméables
dont les caractéristiques correspondent aux conditions de port du vêtement lui-même. Pour conserver au
combattant une capacité opérationnelle maximale, le confort de ces équipements doit être étudié au même
titre que leur valeur protectrice.
D'une manière générale, les équipements de protection modernes ne visent plus simplement la survie du
combattant, mais aussi le maintien de sa pleine capacité opérationnelle.
Décontamination
La décontamination des surfaces contaminées (peau, équipements, matériels, sols) doit concilier l'efficacité
et l'innocuité pour la surface avec la facilité de mise en œuvre. La pénétration des toxiques peut être réduite
par les matériaux de revêtement (peintures polyuréthanes...), la suppression des anfractuosités, l'arrosage en
pluie des navires, et par une intervention rapide.
La décontamination fait appel à deux principes, d'ailleurs associables : le déplacement du toxique ou sa
destruction. Le déplacement, appliqué en décontamination nucléaire, doit être rapide et, selon le procédé
choisi, respectueux de la surface :
– le lavage à l'eau, applicable à beaucoup de gros matériels, nécessite un approvisionnement abondant,
parfois difficile selon les théâtres d'opérations, et produit des volumes importants d'eaux faiblement
contaminées ;
– l'extraction par les fréons, étudiée pour la décontamination des petits matériels électroniques, exige le
recyclage et la purification de ces fréons, dangereux pour l'environnement ;
– l'évaporation par de la vapeur surchauffée ou des gaz chauds (provenant de turbines à gaz montées sur
camions) détruit une partie du toxique mais vaporise le reste dans l'atmosphère ;
– l'adsorption par des poudres inertes (bentonites), souvent conditionnées en gants décontaminants pour
usage individuel, peut produire des poussières contaminées dangereuses si elles relarguent trop facilement le
toxique.
La destruction de nombre d'agressifs chimiques et d'agents biologiques est assez facile, bien que certains
(ypérite, agents épaissis, spores de bactéries) soient beaucoup plus résistants. Mais les décontaminants, en
général des produits chlorants minéraux comme les hypochlorites, ou des bases organiques (amines)
demandent un certain temps de réaction et peuvent corroder le matériel.
Ils sont appliqués avec des pulvérisateurs à main ou des systèmes sur véhicules pulvérisant des solutions
aqueuses de décontaminant, éventuellement chaudes, ou des émulsions aqueuses de solvant et de
décontaminant se fixant sur le matériel pour une action prolongée et une extraction du toxique. Ces
décontaminations nécessitent souvent un rinçage du matériel.
La décontamination pose des problèmes particuliers pour :
– la peau, où elle est urgente pour éviter l'intoxication mais exige des procédés inoffensifs comme le gant
poudreur ; la décontamination et la protection des blessures font appel à des compresses spéciales
comprenant un tissu carboné ;
– l'eau, et surtout l'eau potable, à débarrasser du toxique, de ses produits de destruction et du
décontaminant ; des matériels spécifiques mobiles coagulant, chlorant et épurant l'eau avec des charbons
actifs complètent les procédés habituels, insuffisants surtout dans les cas de fortes contaminations qui se
rencontrent en cas de guerre toxicologique.
Thérapeutique
La décontamination cutanée constitue déjà un traitement, mais il est souvent nécessaire d'administrer les
antidotes spécifiques de chaque famille de toxiques, précédemment indiqués.
L'urgence de l'intervention, en particulier dans le cas des organophosphorés, nécessite des moyens
individuels de premier secours : seringue auto-injectante administrant par simple contact, à travers le
vêtement, atropine, oxime et éventuellement anticonvulsivant. L'incompatibilité au stockage de certains de ces
médicaments oblige à les séparer dans le corps de la seringue qui les injectera successivement (Combopen
britannique, Multipen français).
Les intoxications graves doivent être traitées dans des délais très brefs dans les formations sanitaires, ce
qui pose un problème logistique d'évacuation. Le même genre de médicaments y est administré, à doses plus
fortes et répétées, sous surveillance médicale, et éventuellement associé à la respiration artificielle.
Un prétraitement, déjà évoqué, facilite le traitement ultérieur. S'il semble établi qu'il n'interfère pas avec
les capacités opérationnelles, ce n'est pas le cas du traitement individuel d'urgence, surtout avec un
anticonvulsivant.
Les possibilités de vaccination pourraient donner une place beaucoup plus importante à la prévention dans
l'intervention médicale en guerre biologique. Mais elles pourraient être limitées vis-à-vis de certains agents,
naturels ou modifiés, ou de fortes infections par les voies respiratoires : celles-ci pourraient être mieux
protégées par l'inhalation d'antigènes aérosolisés, mais ce mode de vaccination est d'un dosage délicat. Le
nombre élevé d'agents biologiques potentiels obligerait à des polyvaccinations parfois difficilement associables
ou à des vaccinations multiples et décalées incompatibles avec une protection rapide, et en outre
dangereuses.
L'usage préventif, en combinaison avec les mesures immunologiques, d'antibiotiques retard et à large
spectre pourrait éviter le déclenchement de la maladie, en diminuer la gravité ou la retarder, mais cela exige
une bonne connaissance de la maladie en cause. Il en est un peu de même de la chimiothérapie et de
l'antibiothérapie, qui ont un rôle essentiel.
D'une manière générale, si l'agent infectieux et la thérapeutique de l'infection sont connus, il reste un
problème de traitement de masse, souvent de plus longue durée qu'après une attaque chimique, imposant un
gros effort aux services hospitaliers, mais ne se posant pas à eux avec la soudaineté et la simultanéité des
hospitalisations qui suivraient une attaque chimique ou à plus forte raison une attaque nucléaire.
V- Le désarmement biologique et chimique
Le droit international
Le caractère insidieux des attaques chimiques et biologiques, la possibilité d'un nombre élevé de victimes,
y compris parmi les populations civiles, malgré des moyens de défense de plus en plus perfectionnés, amena à
plusieurs reprises les nations à envisager d'interdire l'emploi de telles armes.
Les conférences de La Haye de 1899 et de 1907 prohibèrent l'utilisation de projectiles chimiques ainsi que
de poisons et d'armes empoisonnées. Après le traité de Washington de 1922, le protocole de Genève
(« Protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de
moyens bactériologiques ») du 17 juin 1925 interdit « l'utilisation, en temps de guerre, de gaz asphyxiants,
toxiques ou autres, et de tous liquides, substances ou matériels analogues, ainsi que de méthodes
bactériologiques de guerre ». Cent trente-quatre nations avaient ratifié ce protocole début 2007, nombre
d'entre elles se réservant le droit de répondre à des attaques chimiques ou biologiques par des représailles de
même nature.
N'était prohibé que l'emploi des agents toxicologiques lors de guerres étrangères, mais non lors de guerres
civiles ou au cours d'actions d'un État contre une partie de sa population, comme en 1988, à Halabja, en Irak.
Ces différents protocoles ne prévoyaient pas de mesures de vérification ni d'interdiction de fabrication. La
Conférence du désarmement de la Société des Nations s'efforça en vain de remédier à ces insuffisances dans
les années 1930. Seuls les traités de Versailles, de Trianon et de Saint-Germain imposèrent cette interdiction
aux vaincus de la guerre de 1914, interdiction que le IIIe Reich devait tenir pour nulle. Au contraire, la
République fédérale d'Allemagne s'engageait en 1954 par les accords de Paris à ne pas fabriquer d'armes
atomiques, biologiques et chimiques. L'Agence de contrôle des armements de l'Union de l'Europe occidentale
élabora et expérimenta ensuite des procédures de contrôle correspondantes.
Dès 1946, tous les membres des Nations unies s'engageaient à supprimer les armes de destruction
massives, qui incluaient, selon le secrétaire général de l'Organisation, les armes bactériologiques et chimiques.
Le désarmement biologique
Divers projets de désarmement, associant ou traitant séparément les armes chimiques et biologiques, ont
été présentés à l'O.N.U. depuis les propositions britanniques de 1968 au Comité du désarmement des dix-huit
pays.
La « Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes
bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction », ouverte à la signature à Londres, Moscou
et Washington le 10 avril 1972, est entrée en vigueur le 26 mars 1975 et comptait 155 États parties au début
de 2007. La France l'a ratifiée en 1984, après avoir adopté en 1972 une loi nationale de même objet et de
même portée. Mais cette convention ne prévoit ni mesures de vérification ni sanctions, ce à quoi s'efforcent de
remédier des conférences quinquennales des signataires.
Le désarmement chimique
Un accord de désarmement chimique était plus difficile en raison de l'existence d'arsenaux importants,
déclarés ou clandestins, et de l'efficacité des armes chimiques dans plusieurs conflits depuis 1915. Des
négociations internationales se sont néanmoins poursuivies depuis 1968 au Comité du désarmement des
Nations unies.
Depuis 1980, un groupe « ad hoc » a travaillé à un projet de convention, parallèlement à des discussions
bilatérales américano-soviétiques sur la réduction de leurs stocks d'armes chimiques.
Les négociations américano-soviétiques
Le refus prolongé de l'Union soviétique de reconnaître la possession d'armes chimiques freina longtemps
ces discussions. Celles-ci s'accélérèrent à la suite de l'annonce par le président Gorbatchev, au printemps
1987, de l'arrêt de la fabrication d'armes chimiques, et de l'ouverture aux négociateurs de Genève, en octobre
de la même année, de la plus grande installation soviétique d'armes chimiques, à Shikhany, où furent
présentées les armes mentionnées dans le tableau 9.
Un protocole signé en 1989 par les deux pays prévoyait des échanges d'informations et des visites
réciproques. Il fut suivi d'un accord Bush-Gorbatchev pour une coopération sur les méthodes de destruction,
l'arrêt des fabrications (en particulier l'arrêt des munitions binaires amorcé par les États-Unis) et la destruction
programmée de 1993 à 2002 des stocks d'armes existants jusqu'à un seuil de 5 000 tonnes dans un premier
temps et de 500 tonnes ensuite. Cette clause d'un stock de sécurité, défendue jusqu'en 1988 par la diplomatie
française, fut finalement abandonnée par les États-Unis en 1991 devant les progrès de la Convention de
désarmement et l'opposition de nombreux pays à un simple traité de non-prolifération.
Le groupe « australien »
Les difficultés rencontrées par le groupe « ad hoc » de l'O.N.U. et l'émotion soulevée par l'utilisation
d'armes chimiques dans la guerre entre l'Irak et l'Iran, ainsi que l'aide apportée à l'Irak par certaines firmes
chimiques internationales, amenèrent le gouvernement australien à créer en 1985 un forum international pour
empêcher l'exportation de produits ou matériels pouvant concourir à la fabrication d'armes chimiques.
Ce groupe, constitué des représentants d'une trentaine d'États, les aide à élaborer et à harmoniser leurs
procédures de contrôle de leurs exportations de produits sensibles. Pour cela, il a établi une liste de produits et
une liste d'équipements, mises à jour lors de réunions annuelles.
Ainsi, un règlement français d'août 1991 soumet à contrôle l'exportation de cinquante produits et des
technologies afférentes ; il complète des dispositions de 1985 qui classaient « matériels de guerre » les
toxiques et leurs précurseurs clés, l'exportation des chlorure et oxychlorure de phosphore et du thiodiglycol
étant déjà soumise à déclaration préalable.
En janvier 1986, l'Union soviétique réglementait l'exportation de produits chimiques à usage industriel
pouvant servir à la production d'armes chimiques.
On pourrait encore citer la réglementation allemande de novembre 1990, l'export of goods order
britannique de décembre 1990, l'executive order américain de novembre 1990. En janvier 1991, le Congrès
américain demandait des sanctions contre tout État préparant ou utilisant des armes chimiques et contre toute
personne ou société participant à leur prolifération à partir du territoire ou de produits américains. Le Congrès
demandait également la poursuite des efforts du groupe australien.
L'existence de ce groupe après la conclusion de la Convention d'interdiction est cependant contestée par
certains États, qui lui reprochent de proposer des mesures de contrôle allant au-delà des dispositions de la
Convention.
La Convention d'interdiction
Les efforts du groupe « ad hoc » ont fini par aboutir à un texte de compromis, ouvert à la signature lors
d'une conférence réunissant à Paris, du 13 au 15 janvier 1993, les représentants de 130 États.
Cette « Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des
armes chimiques et sur leur destruction » est un document (de 153 pages, y compris les trois annexes)
ambitieux dans son objectif d'éliminer toute une catégorie d'armes, ce qui est particulièrement novateur, et
dans sa volonté d'utiliser les moyens adéquats pour y parvenir.
La Convention se situe, dans son Préambule et son article 13, dans la ligne du protocole de Genève de
1925 et de la Convention sur l'interdiction des armes biologiques de 1972. Elle formule des obligations
générales de non-acquisition et non-stockage d'armes chimiques, définies (art. 1) comme produits toxiques et
munitions correspondantes. Les stocks existants et les installations de fabrication doivent être déclarés (art. 3)
et détruits en dix ans (art. 4 et 5), sauf dérogations particulières autorisant un délai de quinze ans. On verra
que les rédacteurs ont été très optimistes quant à ces délais. Pour l'application de la Convention et la mise en
œuvre des mesures de vérification est créé (art. 8) une Organisation pour l'interdiction des armes chimiques
(O.I.A.C.), qui comprend trois niveaux :
– la Conférence des États parties ;
– le Conseil exécutif, composé de 41 membres choisis sur tous les continents ;
– le Secrétariat technique, disposant d'un corps d'inspecteurs.
La Convention évoque la coopération entre les États membres (art. 9 et 10), en particulier pour la
fourniture de moyens de défense contre des agressions chimiques, ce qui est tout à la fois une compensation
offerte aux États parties pour les contraintes que leur impose la Convention et une appréciation réaliste de la
persistance d'un danger en dépit de la Convention. L'article 11 exprime précisément le souci de ne pas
entraver par des contrôles ou des interdictions excessives le développement économique ou technologique des
États membres. C'est précisément sur ce point que certains États critiquent la pérennité du groupe australien.
Les sanctions en cas d'infraction constatée pourront aller jusqu'à la saisine du Conseil de sécurité de
l'O.N.U.
La Convention a une durée illimitée (art. 16) et aucune réserve n'est possible sur les différents articles
(art. 22), à la différence de la Convention de Genève de 1925.
Enfin, la Convention est entrée en vigueur le 29 avril 1997, soit six mois après sa ratification par plus de
65 États, quorum atteint le 31 octobre 1996.
Ce texte est complété par trois annexes, portant respectivement sur les produits chimiques objets de la
Convention, sur les procédures de vérification à leur appliquer et sur les règles de confidentialité.
L'annexe sur les produits chimiques définit les principes directeurs d'une classification en trois tableaux, en
fonction des dangers qu'ils représentent pour les objectifs de la Convention.
Le tableau 1 regroupe des produits de toxicité élevée, développés ou utilisés dans le passé comme armes
chimiques, ayant peu ou pas d'applications autres. On y trouve les toxiques organophosphorés (sarin, soman,
tabun, VX et produits homologues) et leurs précurseurs clés, les ypérites (au soufre et à l'azote) et les
lewisites, ainsi que des toxines ( saxitoxine, ricine). À noter que tous les produits cités sont identifiés par leur
numéro de fichier du Chemical Abstracts Service.
Le tableau 2 inclut des précurseurs des toxiques du tableau 1 ne figurant pas dans ce premier tableau, qui
créent un risque significatif au regard de la Convention et qui ne sont pas fabriqués en quantités
commercialement importantes. On y trouve également quelques toxiques qui n'ont pas atteint le stade de
développement des produits du tableau 1 (Amiton⌖, PFIB).
Enfin, le tableau 3 rassemble, soit des produits autrefois utilisés comme armes chimiques (phosgène par
exemple), soit des précurseurs plus lointains des produits du tableau 1 mais qui sont tous fabriqués en
quantités importantes pour des besoins commerciaux légitimes.
L'annexe sur la vérification est un document de plus de cent pages, traitant des différentes phases des
opérations d'élimination des armes chimiques et des procédures de contrôle international qui les
accompagnent.
Ces contrôles sont fondés a priori sur les déclarations des États parties. Mais, à côté des inspections de
routine destinées à vérifier l'exactitude des déclarations, accompagnées éventuellement d'une surveillance
instrumentale continue, existe la possibilité d'inspections par mise en demeure, à la demande d'un État en
suspectant un autre d'activités illicites. Ces inspections débuteraient avec un très court préavis selon des
procédures détaillées dans le chapitre correspondant de l'annexe, en particulier pour le choix des inspecteurs,
la délimitation de la zone à inspecter, la durée et la conduite des inspections. Un peu analogue serait la
demande d'un État partie estimant être victime d'attaques par armes chimiques.
Une quatrième partie de cette annexe traite de la destruction des stocks d'armes chimiques, initiée par un
formulaire de déclaration très détaillé, des plans de destruction (plans généraux et plans détaillés), dont la
responsabilité est laissée à la discrétion de l'État déclarant, à l'exclusion toutefois du rejet dans les eaux, de
l'enfouissement et de la combustion à ciel ouvert. Cette destruction doit commencer un an après l'entrée en
vigueur de la Convention pour l'État considéré et être achevée en dix ans.
Parallèlement aux stocks d'armes, les installations de fabrication sont soumises à déclaration préalable six
mois avant le début des opérations, avec un calendrier de destruction et des rapports annuels sur son
avancement. Enfin, un dernier paragraphe de ce chapitre traite de la vérification internationale de l'ensemble
de la procédure (de la déclaration initiale des installations à leur fermeture et finalement à leur destruction).
Trois chapitres traitent du contrôle des activités non interdites relatives aux produits des tableaux 1, 2 et 3.
Les produits du tableau 1 ne peuvent être fabriqués que dans une installation unique pour un État, en quantité
inférieure à une tonne et exclusivement à des fins de recherche, médicales, pharmaceutiques ou de protection.
Cette installation unique est soumise à déclaration annuelle et vérification internationale systématique. Le
chapitre suivant fixe le régime applicable aux produits du tableau 2, dont des inspections veillent au
non-détournement. Enfin, pour les produits du tableau 3, l'État partie doit déclarer ses productions annuelles si
elles sont supérieures à 30 tonnes.
Ce résumé de l'annexe sur la vérification traduit assez mal les contraintes qu'imposent à l'industrie
chimique ces multiples déclarations et le coût de ces inspections.
L'annexe sur la confidentialité traite des principes de manipulation des informations confidentielles, et de la
conduite du personnel du Secrétariat technique et des inspecteurs au cours des visites sur site.
La destruction des stocks d'armes chimiques
L'élimination d'armes chimiques et de toxiques inutilisables a commencé dès la fin de la Première Guerre
mondiale : on eut longtemps recours à l'enfouissement ou à l'immersion dans des fosses marines plus ou moins
profondes. La mer Baltique reçut ainsi, après 1945, des milliers d'obus allemands au tabun et des milliers de
tonnes d'ypérite en tonneaux métalliques, et l'océan Pacifique recueillit de nombreuses munitions japonaises.
Si l'eau de mer fut rarement polluée, des pêcheurs furent intoxiqués par des munitions fuyardes ramenées
dans leurs filets. Après que l'enfouissement de neurotoxiques dans un forage profond du Colorado eut
provoqué de légères secousses sismiques, l'armée américaine procéda à plusieurs immersions d'armes
chimiques dans l'Atlantique dans les années 1960. L'opération Chase, en août 1970, fut la plus médiatisée : un
navire transportant douze mille roquettes contenant 65 tonnes de sarin fut coulé par 5 000 mètres de fond à
450 kilomètres à l'est du cap Kennedy.
Des considérations écologiques amenèrent à renoncer à ces modes d'élimination en faveur d'une
destruction effective des toxiques, soit physiquement (par chauffage ou pyrolyse), soit chimiquement (par des
réactifs alcalins ou chlorants ou par réaction catalytique). La reconversion des toxiques en produits de base
pour l'industrie chimique n'a, en général, pas été retenue en raison du prix de revient et de la mauvaise image
de marque des produits ainsi obtenus. La destruction des munitions chimiques se complique par la nécessité
de séparer le toxique et les explosifs par perçage ou désassemblage de la munition dans des installations
étanches résistant aux explosions.
Une des premières opérations à grande échelle sur ce principe eut lieu dans les années 1960 au Rocky
Mountain Arsenal, dans le Colorado, dans des installations de fabrication de sarin reconverties en installations
de démilitarisation, reconversion envisagée dans le projet de convention de désarmement. L'opération portait
sur des bombes gigognes d'avion renfermant des bombettes contenant chacune 1,2 kg de sarin et 0,25 kg
d'explosif. Après extraction de la bombette et inactivation de sa fusée, elle était percée, et le sarin soutiré pour
neutralisation chimique par la soude. La saumure produite était séchée, et le mélange de sels solides mis en
tonneaux et stocké. L'explosif était brûlé dans un four de désactivation.
La même technique de neutralisation chimique était utilisée dans la station mobile de démilitarisation
soviétique présentée à Shikhany, mais les produits de la réaction étaient incinérés à 1 200 0C et non plus
simplement séchés. Les stocks d'ypérite canadiens ont également été neutralisés chimiquement, dans les
années 1970, par l'hydroxyde de calcium ; l'hydrolysat était incinéré par atomisation dans une flamme de gaz
naturel, le four d'incinération étant équipé d'une tour de lavage des gaz dont l'eau était neutralisée et recyclée.
L'incinération des toxiques eux-mêmes avait été utilisée dès la fin de la Première Guerre mondiale dans de
simples fosses à ciel ouvert, sans grand souci des vapeurs toxiques ou des résidus dégagés. Le principe en a
été repris dans des incinérateurs spécialement conçus pour une destruction totale à haute température, reliés
à des tours de lavage des effluents gazeux. En 1972, la même usine de Rocky Moutain Arsenal détruisit ainsi
3 000 tonnes d'ypérite : le toxique, injecté dans une flamme de gaz naturel, était totalement décomposé entre
750 et 875 0C, les oxydes de soufre et l'acide chlorhydrique formés étant lavés par une solution de soude
concentrée. Les produits, représentant un tonnage supérieur à celui de l'ypérite détruite, étaient séchés et
stockés.
À partir de 1982, l'incinération a remplacé l'hydrolyse des toxiques organophosphorés aux États-Unis. Une
installation expérimentale fut construite à Tooele, dans l'Utah, et une usine de destruction a été ensuite édifiée
sur l'île Johnson, dans le Pacifique, dans un très grand dépôt de toxiques de l'armée américaine. L'installation
comprend une unité de désassemblage des munitions, suivie de quatre fours doubles : un incinérateur de
toxiques à 1 500 0C, un four rotatif brûlant l'explosif et la charge propulsive, un four décontaminant les
éléments métalliques à 800 0C, un incinérateur pour les emballages et éléments divers. Les gaz brûlés sont
refroidis, lavés, et les saumures évaporées. Les sels formés et autres résidus secs sont mis en fûts pour être
stockés sur le continent américain. L'installation, ventilée, comporte de nombreux appareils de contrôle de
l'atmosphère pour garantir la sécurité des opérateurs et l'absence de rejet de toute trace de toxique à
l'extérieur.
La complexité des opérations a retardé la mise au point de l'installation dont l'évaluation devait se terminer
à la fin de 1991. Au total, le stock à détruire dans l'île Johnson serait composé d'environ 300 000 munitions et
de toxiques en conteneurs : roquettes de sarin et de VX, obus (dont 100 000 ramenés des dépôts de l'armée
américaine en Allemagne en juillet 1990), bombes et mines, conteneurs d'ypérite, de sarin et de VX. Il
représenterait environ 6 p. 100 de l'arsenal chimique américain.
L'ensemble du programme de destruction prévoit la construction d'installations semblables à celles de l'île
Johnson dans chacun des huit dépôts d'armes chimiques sur le continent américain, à commencer par le plus
important, celui de Tooele, qui renferme plus de 40 p. 100 de l'arsenal chimique américain. Le budget de
l'ensemble du programme de destruction de cet arsenal se montait en 2006 à plus de 35 milliards de dollars,
en investissements et fonctionnement. Mais nombre de ces implantations se heurtent à des objections
écologiques, comme d'ailleurs le transfert des munitions à détruire. L'installation de l'île Johnson a soulevé des
protestations des mouvements écologiques, de différentes organisations de l'océan Pacifique et même du
gouvernement et du parlement des États fédérés de Micronésie.
Compte tenu de l'ensemble des problèmes techniques, écologiques et budgétaires, les autorités
américaines reconnaissaient en 2006 que les États-Unis ne pourraient éliminer la totalité de leur arsenal
chimique avant 2017. Rappelons que la Convention d'interdiction stipulait une destruction complète, à l'échelle
mondiale, pour avril 2007, date une première fois repoussée à 2012. À cette dernière date, les États-Unis
auront vraisemblablement détruit 66 p. 100 de leur arsenal, évalué à 31 500 tonnes.
En Russie, les protestations des populations ont retardé la mise en service de l'installation construite à
Chapayevsk (oblast de Samara, dans le district fédéral de la Volga), basée sur un procédé de destruction
chimique. En 2006, la Russie avait détruit moins de 3 p. 100 de son arsenal de 40 000 tonnes, mais affirmait
pouvoir achever la destruction complète pour 2012... sous réserve d'une aide financière étrangère
conséquente. Le budget russe consacré au démantèlement des armes chimiques est passé de 185 millions de
dollars en 2004 à 644 millions en 2006. Les autorités russes évaluent entre 8 et 10 milliards de dollars le
programme total, 5,7 milliards étant à la charge du budget russe et le complément étant attendu d'une aide
internationale. La majeure partie de cette aide proviendrait des États-Unis, dans le cadre du Nunn-Lugar
Cooperative Threat Reduction Program, initié en 1991 par les sénateurs américains Sam Nunn et Richard Lugar
pour réduire la menace des armes de destruction massive dans l'ex-U.R.S.S. Cette aide a permis la
construction d'une deuxième installation de démantèlement, à Kambarka (Oudmourtie).
À titre anecdotique, citons, à côté de ces grands programmes, l'aide de 20 millions de dollars consentie par
les États-Unis à l'Albanie pour la destruction, entre 2005 et 2007, de son arsenal de 16 tonnes.
Pierre RICAUD ingénieur général de l'armement
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