comment mesurer l`impact du secteur culturel et créatif à bruxelles

Transcription

comment mesurer l`impact du secteur culturel et créatif à bruxelles
Interview Jelena Dobbels
Septembre 2014
COMMENT MESURER L’IMPACT DU SECTEUR CULTUREL ET CRÉATIF À BRUXELLES ?
ENTRETIEN AVEC JELENA DOBBELS (RESEARCH & DEVELOPMENT - VUB)
Jelena Dobbels a étudié l’histoire à l’université d’Anvers où elle s’est notamment intéressée aux politiques anciennes de
préservation des monuments. En 2011, elle décide de poursuivre son parcours académique à Bruxelles. Un an plus tard, un
appel de l’« Onderzoekscel Data en Beleid (OCDB) » du département Recherche de la Vrije Universiteit Brussel lui offre
l’opportunité d’élargir ses compétences en travaillant sur des questions culturelles actuelles.
En
quoi
consistait le
projet proposé par le
département
Recherche de
la VUB ?
Le projet visait à créer un cadre théorique efficace pour pouvoir mesurer
l’impact du secteur culturel et créatif
en région bruxelloise. Le projet m’a
interpellé car il s’agissait, en un temps
limité – à peine un an – de faire le
point sur les publications internationales et locales déjà publiées sur le sujet,
tout en inventoriant, en même temps,
les données existantes qui permettaient d’identifier les multiples manifestations du secteur culturel à Bruxelles. J’avais déjà développé auparavant
un intérêt pour les secteurs créatifs
(comme la danse, l’architecture ou le
design par exemple) puisque j’avais
travaillé dans le domaine de l’histoire
culturelle. Etudier la question plus
spécifiquement à Bruxelles m’a paru
d’autant plus captivante que cela me
permettait d’analyser en pratique la
manière dont la politique belge et ses
spécificités régionales et communautaires se manifestaient sur un terrain
concret.
Des caractéristiques se détachentelles en étudiant le cas de Bruxelles ?
Oui, très rapidement, j’ai constaté que
tant les recherches flamandes que
francophones s’intéressaient la plupart du temps au secteur culturel à
l’échelle de la communauté entière et
très rarement au seul niveau bruxellois. En définitive, peu de travaux se
sont penchés sur les institutions culturelles bruxelloises en tant que telles.
Le faits que les informations disponibles soient dispersées entre différents
niveaux de pouvoirs (national, régional et communautaire), qu’elles soient
de nature différente et donc rarement
comparables n’est certainement pas
étranger à ce constat ! Le défi principal du projet était donc de créer un
cadre de mesure global spécifique
pour Bruxelles, cadre qui, en réalité,
n’existait tout simplement pas.
Concrètement, comment peut-on
identifier un secteur aussi flou que
celui de la culture et de la création ?
L’objectif de l’étude était d’abord de
construire un cadre théorique solide
qui rendait possible l’identification des
données pertinentes pour mesurer
l’impact du secteur culturel et les
sources par lesquelles les collecter.
Avec mes collègues, nous nous sommes donc appuyés d’abord sur les
définitions standards déjà existantes
dans la littérature scientifique internationale. Nous voulions tenir compte
d’un maximum de domaines pour
pouvoir ensuite facilement réaliser
des comparaisons à un niveau national ou international. Dans un deuxième temps, il sera toujours possible de
donner plus de poids à certains éléments spécifiques de la scène bruxelloise pour affiner l’analyse. Mais il
s’agissait, en premier lieu, de créer
une structure qui permettait de réaliser un bon aperçu global d’un secteur
culturel bruxellois multiforme qui
reste encore mal cerné aujourd’hui.
En pratique, nous avons non seulement pris en compte des paramètres
économiques classiques comme celui
du chiffre d’affaires de certaines entreprises mais nous voulions aussi
mesurer sa valeur ajoutée plus large
en analysant des éléments moins
évidents comme le capital humain ou
les répercussions matérielles de la
présence du secteur créatif dans la
capitale. Quelles sont les personnes
nécessaires pour le fonctionnement
du secteur ? Quelles infrastructures lui
sont-elles indispensables ? Quels sont
les capitaux disponibles pour lancer
des entreprises créatives et culturelles ? Etc.
Nous avons listé un ensemble
d’éléments précis qui pouvaient ainsi
être mesurés en effectuant le pas
supplémentaire de s’interroger sur la
manière de les rassembler en tenant
compte de la dispersion institutionnelle des informations.
Quelles sont les premières conclusions du projet ?
La principale est assurément de pointer que, si l’on veut réellement mesure l’impact exact du secteur au niveau
régional, il est indispensable de rassembler les informations de manière
uniforme dans toutes les institutions
afin d’avoir une vision globale correcte
de la situation. L’article publié à ce
sujet dans Brussels Studies propose,
par exemple, d’utiliser le concept de
« compte satellite » pour réunir efficacement les données. Cette récolte
d’indicateurs devrait se faire de manière top-down classique (en interrogeant les autorités publiques) mais
aussi en bottom-up en permettant aux
entreprises culturelles elles-mêmes
d’ajouter et compléter directement
leurs informations. Cette approche
offrirait une image plus détaillée du
secteur.
Espères-tu des réactions concrètes
des autorités publiques bruxelloises
suite à ce projet ?
Cette étude découle en réalité d’un
appel direct du Ministère des Finances
de la Région de Bruxelles-Capitale. Les
autorités publiques ont en effet pris
conscience du rôle réel des secteurs
culturels et créatifs dans le développe-
Interview Jelena Dobbels
ment économique de Bruxelles. Elles se
sont aussi naturellement rendu compte
qu’il leur serait bien difficile de prendre
des mesures politiques efficaces pour le
soutenir et le développer sans instrument de monitoring efficace pour
connaître la situation actuelle. Le projet
est aujourd’hui terminé et a été officiellement rendu mais, suite aux élections
et à la formation d’un nouveau gouvernement, j’ignore si cette thématique
figure toujours à l’agenda politique.
Tout dépend donc de la volonté des
autorités et de leurs perspectives budgétaires mais j’espère évidemment que
le cadre théorique que nous avons tracé
permettra de concrétiser d’autres initiatives. Toute une série d’activités et de
personnes sont placées sous le vocable
« industrie culturelle et créative » mais
ce sont des milieux souvent très différents les uns des autres. Il me semblerait utile de pouvoir bien les identifier
pour mieux évaluer le poids respectif de
chacune de ces composantes. Les
connaître avec précision permettrait de
répondre enfin à certaines difficultés
inhérentes au secteur, à savoir, en priorité, son hétérogénéité fondamentale et
l’éclatement des données disponibles à
son sujet. Les acteurs du secteur, rassemblés au sein de la Plateforme des
Industries Créatives et Culturelles de la
Région de Bruxelles-Capitale, insistent
d’ailleurs eux-mêmes sur cette nécessité.
Et pour la suite ?
Je continue clairement à explorer le
terrain bruxellois ! J’ai ainsi récemment mené une étude sur la valorisation non-académique de la recherche
dans le cadre d’un projet plus large du
BSI intitulé « Analyse multidimensionnelle de la dialectique « ville – université » à Bruxelles ». Il s’agissait d’analyser la manière dont les professeurs
et chercheurs des institutions d’ensei-
Septembre 2014
La Zinneke Parade - Photographie d’Edgar Denis
gnement supérieur de la capitale
diffusent leurs recherches au-delà du
monde académique traditionnel. J’ai à
nouveau apprécié que cette thématique adopte une approche globale du
cadre bruxellois, à la fois néerlandophone et francophone, en interrogeant l’ensemble des chercheurs, toutes disciplines confondues, travaillant
à Bruxelles.
A partir d’octobre, je me lance dans
un nouveau projet en entamant une
thèse auprès du département d’architecture (ARCH) et du labo architectural engineering [ae-lab] de la VUB.
J’intègre un groupe de recherche
multidisciplinaire « ReUSE », qui associe des ingénieurs-architectes, des
architectes et des historiens (de l’art).
Son objectif est d’étudier les aspects
matériels du bâti ancien bruxellois :
ses structures, ses techniques mais
aussi ses acteurs, etc. Je reviens donc
à ma première spécialisation en patrimoine. Je travaillerai sur l’histoire
culturelle du bâti en me focalisant sur
e
e
les 19 -20 siècles et je m’arrêterai
plus précisément sur les relations
tissées entre entrepreneurs, architec-
tes et ingénieurs dans une périodecharnière de transformations de ces
métiers et du développement urbanistique de la région bruxelloise. Notre
groupe travaillera en contact avec le
service « BATIR » de l’ULB.
A la veille d’entamer une nouvelle
étape de sa carrière académique,
Jelena Dobbels conclut l’entretien en
soulignant qu’elle a toujours su saisir
les opportunités de recherches différentes qui se présentaient à elle. Si ses
choix doivent parfois au hasard, elle y
décèle cependant deux dénominateurs communs : Bruxelles et l’étude
du domaine culturel sous diverses
formes. En définitive, elle apprécie
d’avoir rencontré, grâce à ses travaux,
une multitude d’acteurs académiques
et publics fort variés. Ces collaboration interuniversitaires lui ont ainsi
permis d’esquisser une vision plus
large du paysage bruxellois et l’ont
convaincue de la pertinence scientifique de tendre des ponts entre les
divers groupes et identités cohabitant
en région de Bruxelles-Capitale.
Interview de Virginie JOURDAIN (BSI).
POUR EN SAVOIR PLUS :



B.MARTENS, J.DOBBELS, L.AMEZ, W.YSEBAERT, Culture et créativité : ébauche d’un instrument de mesure pour la métropole bruxelloise in Brussels Studies, n°79 (Septembre 2014).
J.VAESEN, B.WAYENS (dir.), L’enseignement supérieur et Bruxelles in Brussels Studies, n°76 (Avril 2014).
Sur le projet en histoire du bâti par le groupe de recherche Re-Use (Faculteit Architectonische Ingenieurswetenschappen - VUB)