mobilité et chômage. les opérations-pilotes menées en maine
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MOBILITÉ ET CHÔMAGE. LES OPÉRATIONS-PILOTES MENÉES EN MAINE-ET-LOIRE EN 1999 LIONEL GUILLEMOT 29 CARTA - UNIVERSITÉ D’ANGERS ESO ’absence de mobilité des chômeurs est largement reconnue comme l’un des facteurs explicatifs de leurs difficultés pour accéder à l’emploi. Cependant, si cette donnée semble admise par une large majorité, cette affirmation repose le plus souvent sur quelques cas présentés comme exemplaires, et non pas sur des études plus larges, car les données statistiques font défaut. En 1999, des opérations-pilotes temporaires ont été menées en Maine-et-Loire afin de faciliter la mobilité des chômeurs. Au-delà du caractère innovant de ces opérations, organisées par l’ANPE et la Mission locale angevine (MLA), elles illustrent aussi la récente prise en compte de ce problème par les acteurs de la lutte contre le chômage et l’exclusion. Cependant, le fait de faciliter temporairement la mobilité des chômeurs montre en fait que ce facteur n’est parfois que secondaire, et que d’autres problèmes peuvent expliquer le maintien au chômage. L I- SITUATION DU CHÔMAGE EN MAINE-ET-MOIRE Le département du Maine-et-Loire, comme l’ensemble de la région des Pays de la Loire, enregistrent aujourd’hui des taux de chômage légèrement inférieurs à la moyenne nationale (respectivement 10,1 % et 9,9 % contre 10,6 % à la fin décembre 1999 en données corrigées des varia- - UMR 6590 tions saisonnières). Cependant, les espaces urbains enregistrent des taux de chômage supérieurs à la moyenne nationale et régionale. La concentration 1 des logements sociaux et des moyens des politiques de lutte contre le chômage et l’exclusion ont favorisé la concentration des chômeurs dans les principaux pôles urbains. Cette situation se retrouve en Maine-et-Loire, où la majorité des chômeurs comme des RMIstes sont concentrés dans la zone d’emploi d’Angers (tableau 1). À l’inverse, les espaces ruraux enregistrent de faibles taux de chômage et n’accueillent que très peu de chômeurs. Aux périodes de forte activité saisonnière (récolte des pommes, vendanges), le nombre de chômeurs locaux s’avère très inférieur à la demande de travailleurs saisonniers, d’autant que tous ne peuvent pas forcément réaliser ces travaux éprouvants physiquement. Les arboriculteurs du Segréen, par exemple, avaient donc recours à des travailleurs saisonniers étrangers, venus notamment d’Europe de l’Est. En 1999, la Direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) a suggéré au préfet d’interdire ce recours afin de favoriser l’embauche des chômeurs locaux, notamment de ceux concentrés à Angers. Elle s’engage par ailleurs à mettre en place des moyens afin d’aider à la mobilité des Angevins vers le Segréen: cette démarche explique la mise en place Tableau 1 : Répartition géographique des chômeurs et des RMIstes à la fin 1999 en Maine-et-Loire Zones d’emploi DEFM cat. 1 % DEFM cat. 1 de l’ens. des Z.E. Commissions locales d’Insertion (CLI) Angers Choletais Saumur-Baugé 1 55 2 8 6 145 5 421 54% 21,4% 18,9% Segréen SudMayenne Total des 4 Z.E. 1 653 5,7% Angers et couronne Cholet Saumur Baugé Segré 2 87 4 7 100% Maine-et-Loire % RMIstes du département 57% 14% 16% 7% 6% 100% 1- cf. G UILLEMOT L. , 2000, Chômage et chômeurs en PoitouCharentes, université de Poitiers, thèse de Doctorat (Géographie), Poitiers, 420 p. N° 15, mars 2001 E E SO O 30 Mobilité et chômage de l’une des deux opérations-pilotes, sur laquelle nous reviendrons. Le succès des vendanges dans le Layon auprès des étudiants a par ailleurs incité la Mission locale angevine à expérimenter auprès de ses jeunes inscrits une opération similaire d’aide à la mobilité vers le Layon: ce sera notre deuxième exemple d’opération-pilote. II- TENTATIVE D’ÉVALUATION DU PROBLÈME DE LA MOBILITÉ En l’absence de données disponibles sur la mobilité des chômeurs, nous avons demandé à la Mission locale angevine (MLA) d’effectuer un tri à partir de ses 6285 inscrits en 1999. L’analyse de ce fichier permet une première évaluation de la mobilité des jeunes chômeurs angevins, mais souffre de sa non-réactualisation: les situations sont enregistrées lors de la première inscription, or certains chômeurs, pour faire face à des problèmes financiers, doivent parfois se séparer de leur moyen de locomotion, ce qui n’est pas sans incidence sur leur mobilité. Par ailleurs, le public, uniquement constitué de jeunes de 16 à 26 ans, ne peut pas être parfaitement représentatif de l’ensemble des chômeurs du département. De plus, certains jeunes qui ne possédaient pas le permis de conduire lors de leur inscription, ont pu par la suite l’obtenir. En raison de ces limites, nous utiliserons donc ce fichier avec certaines précautions. L’âge est un facteur limitant de la mobilité géographique. Les plus jeunes chômeurs, vivant encore chez leurs parents, sont peu mobiles: plus de la moitié des moins de 22 ans recherche un emploi uniquement à Angers (tableau 2). Cependant, si la mobilité s’accroît jusque vers 25 ans (même s’ils ne sont alors que 30 % à envisager pouvoir aller travailler dans les départements limitrophes du Maine-et-Loire, voire au-delà), elle diminue ensuite, et notamment chez les jeunes femmes: l’installation en couple, plus précoce chez les femmes, est alors souvent un frein à la mobilité géographique. Les jeunes hommes disposent plus fréquemment que les jeunes femmes d’un moyen de locomotion, mais l’écart est surtout important chez les moins âgés: 33 % des jeunes hommes de 16-17 ans disposent d’un cyclomoteur contre seulement 11 % des jeunes filles. Elles disposent par contre plus rapidement d’une automobile: 45,6 % des 22-25 ans contre 40% chez les jeunes hommes. Ceci peut s’expliquer par le fait que, toutes classes d’âges confondues, elles sont également plus nombreuses à être titulaires d’un permis de conduire, ce qui peut d’ailleurs être à rapprocher des niveaux d’étude plus élevés enregistrés chez elles. En effet, 86% des jeunes chômeurs possédant le niveau I ou II (licence et plus) disposent d’un permis de conduire contre seulement 9,3 % de ceux n’ayant que le niveau VI (5 e-4e). Cette dernière caractéristique est bien connue des chefs d’entreprise, qui exigent souvent le permis de conduire lorsqu’ils recrutent, y compris pour des emplois faiblement qualifiés ne le nécessitant pas. Ils s’assurent ainsi que la personne recrutée à un certain niveau global de compréhension : la possession du permis peut donc faciliter l’accès à l’emploi, y compris pour des emplois ne nécessitant pas d’être mobile. Enfin, plus le niveau d’étude est élevé et plus les jeunes sont mobiles géographiquement (tableau 3). Si Tableau 2 : Mobilité géographique des jeunes chômeurs angevins en 1999 Hommes (nbre et %) au sein du quartier ou à la Ville Départements limitrophes et au-delà Femmes (nbre et %) au sein du quartier ou à la Ville Départements limitrophes et au-delà Disposent d’un moyen de locomotion motorisé (auto, cyclo ou moto) : Hommes Femmes Titulaires d’un permis de conduire : Hommes Femmes (Source : MLA, 2000) Travaux et documents 16/17 ans 111 59% 12 6,4% 71 59,2% 12 10% 18/21 ans 652 53,1% 275 22,4% 730 52,2% 265 19% 22/25 ans 534 45,8% 355 30,5% 649 44,1% 451 30,7% > ou = 26 ans Total 99 1396 49,3% 50,2% 61 703 30,3% 25,3% 104 1554 46,6% 48,4% 52 780 23,3% 24,3% 34,6% 12,5% 40% 26,3% 49,2% 47,5% 50% 48,2% 44,4% 37,3% 0% 1,7% 23,3% 27,5% 53,8% 55,9% 54,3% 56,9% 37,3% 42% Mobilité et chômage 31 Tableau 3 : Niveaux d’étude et mobilité des jeunes chômeurs angevins en 1999 Niveaux I Mobilité limitée au quartier ou à la Ville 0% aux départements limitrophes et au-delà 100% % disposant d’une voiture 75% II III IV V Vb VI 30,8% 30,7% 39,1% 49,3% 55% 65,6% 39,1% 68,8% 43,8% 65,2% 32,7% 46,3% 20,7% 28,1% 13,6% 11,2% 11,2% 6% (Source : MLA, 2000) 100 % des jeunes possédant le niveau I sont mobiles au minimum jusqu’aux départements limitrophes du Maine-etLoire (mais l’effectif est très faible: seulement 12 jeunes concernés, contre 170 ayant le niveau II), cette proportion chute brutalement à moins de 40 % pour ceux ayant le niveau II. Enfin, à partir du niveau du baccalauréat (niveau IV), ceux n’envisageant pas de quitter Angers sont plus nombreux que ceux qui accepteraient de se rendre dans les départements limitrophes. D’après les travailleurs sociaux rencontrés, cette mobilité se fait plus aisément vers les villes moyennes et grandes que vers les espaces ruraux, même plus proches: un jeune accepte plus facilement d’aller travailler à Nantes qu’à Segré ou Vihiers. La mobilité est en effet en partie liée au contexte socio-culturel, à l’offre de loisirs dans l’espace d’accueil. Les jeunes effectuent sans problème plus de 100 kilomètres pour assister à un concert, mais ne sont pas prêts à abandonner leurs amis, leurs habitudes... pour un bourg de campagne où ils auront le sentiment d’être isolés, sans repère. Les plus diplômés disposent plus fréquemment d’une voiture, mais il doit ici y avoir un effet lié à l’âge: ceux ayant poursuivi des études supérieures sont en moyenne plus âgés que ceux ayant arrêté leurs études plus tôt. De plus, l’inégal accès aux études supérieures des différentes catégories sociales explique aussi que les plus diplômés, issus plus fréquemment de familles aisées, aient plus facilement les moyens d’acquérir une voiture. Les conditions financières de vie des chômeurs interfèrent en effet directement sur leur mobilité: les RMIstes du département, inscrits à l’ANPE en 1999, étaient 50 % à ne pas disposer d’un moyen de locomotion, 20 % déclaraient avoir une mobylette ou un vélo, et ils n’étaient que 30 % à disposer d’une voiture (mais beaucoup doivent ensuite s’en séparer, n’ayant plus les moyens de l’entretenir et/ou de l’assurer). Globalement, derrière le problème de la mobilité se cache souvent le problème des dépenses qu’elle induit: coût du permis de conduire, coût d’achat et d’assurance d’un véhicule, coût de fonctionnement et d’entretien (essence, réparations éventuelles). Des aides sont parfois versées, mais elles demeurent peu nombreuses et ponctuelles, d’où l’argument du coût souvent utilisé par les chômeurs pour expliquer-justifier leur faible mobilité. De même, le coût de la location d’un logement ou des transports est souvent avancé pour justifier le refus d’une formation ou d’un contrat de travail, notamment en milieu rural où l’argument financier est souvent mis en avant par les parents. La faible mobilité des chômeurs peut aussi être un frein pour accéder à un emploi. Ce frein est parfois plus psychologique que réel, ainsi, dans le Segréen, les chômeurs ne peuvent concevoir d’obtenir un emploi dans le département voisin de la Mayenne, parfois distant de seulement quelques kilomètres. En conclusion, cette étude montre, au-delà de caractéristiques finalement logiques et connues, même si elles ne sont pas ou mal mesurées, que le problème de la mobilité est général à l’ensemble des catégories. On est frappé par la forte proportion de jeunes qui n’envisagent pas de quitter leur ville: la moitié de l’effectif ! De gros efforts seraient donc nécessaires afin de sensibiliser les chômeurs à cette question: le fait d’accepter d’être mobile, c’est souvent déjà se positionner de façon positive dans sa recherche d’emploi. Si les politiques de lutte contre le chômage et l’exclusion ont longtemps laissé de côté ce problème, quelques expérimentations voient peu à peu le jour, à l’image de deux opérations-pilotes tentées l’été dernier en Maine-et-Loire. III- PRISE MOBILITÉ : EN COMPTE DU PROBLÈME DE LA EXEMPLE DE DEUX OPÉRATIONS- PILOTES Le problème de la mobilité des chômeurs, régulièrement évoqué, ne semble pas avoir été véritablement pris en compte avant une période très récente. Ainsi, la ville d’Angers ne dispose pas encore d’un service de prêt de mobylettes destiné aux plus démunis (jeunes notamment), contrairement à ce qui s’est fait dans l’essentiel des villes N° 15, mars 2001 E E SO O 32 Mobilité et chômage de l’Hexagone. Ceci devrait néanmoins se mettre en place prochainement, afin de faciliter certains déplacements, notamment vers des secteurs de l’agglomération non desservis par les lignes de bus ou pour des déplacements à horaires décalés (exemple des métiers de l’entretien-nettoyage). Le Conseil général du Maine-et-Loire a par ailleurs arrêté voici environ un an un tarif spécifique (1/2 Euro, soit 3,30 F) par trajet sur le réseau Anjou-bus, destiné aux chômeurs, aux RMIstes... (disposant de moins de 80 % du SMIC net). Cette aide est surtout destinée à faciliter les démarches de recherche d’emploi des chômeurs des espaces ruraux, notamment vers Angers, mais elle peut aussi leur permettre de se déplacer à moindre coût pour toute autre chose, facilitant ainsi le maintien de liens sociaux, en luttant indirectement contre l’isolement (lié au problème de la mobilité réduite) de ces jeunes en milieu rural. Enfin, il existe quelques autres mesures ponctuelles (aide financière pour le permis de conduire, etc.), mais l’ensemble des aides à la mobilité demeurait marginal et était peu mis en avant par les différents organismes. Un bouleversement s’est produit à la fin de l’été 1999 avec la mise en place de deux opérations-pilotes, basées toutes les deux sur la mise à disposition de cars pour que des chômeurs angevins puissent accéder à des emplois saisonniers: un car conduisait des RMIstes vers Morannes (canton de Durtal) pour la cueillette de pommes, un autre conduisait des jeunes vers le Layon2 pour les vendanges, sur la commune de Saint-Aubin-de-Luigné (canton de Challonnes-sur-Loire). a- Opération “cueillette de pommes” dans le Segréen pour des RMIstes angevins En 1999, l’ANPE d’Angers-Lafayette a recueilli 2 000 offres d’emplois saisonniers pour la cueillette des pommes, 500 postes pour les vendanges et 140 en maraîchage. Or, les employeurs éprouvent une grande difficulté pour recruter cette main-d'œuvre saisonnière, particulièrement à partir des rentrées scolaire et universitaire: il y a parfois jusqu’à 1/3 d’emplois non pourvus. D’un autre côté, on recensait 6000 bénéficiaires du RMI sur les commissions locales d’insertion (CLI) d’Angers, dont 3000 demandeurs d’emploi, près des 3/4 (2160) résidant sur la ville d’Angers. Devant ce constat, la 2- cf. à ce sujet l’article de Ouest-France du 28/10/1999. Travaux et documents Direction départementale de l’ANPE propose d’organiser à titre expérimental un transport gratuit vers le canton de Durtal, afin de “permettre à une population non mobile d’effectuer la saison arboricole et favoriser ainsi son insertion professionnelle à plus long terme” 3, tandis que le Conseil Général (budget RMI) finance le coût du transport. Cependant, en dépit de leur difficulté de recrutement, les arboriculteurs s’avèrent dans un premier temps méfiants vis-àvis de cette main d'œuvre RMIste ayant “perdu l’habitude du travail”, et craignant son “manque de rapidité et d’adaptabilité”... Ils reviendront sur leur jugement après avoir rencontré des RMIstes lors d’une première journée d’information sur le site. Si les conditions de travail sont rudes (1 200 kg de pommes manipulés par jour), et nécessitent une bonne résistance aux intempéries et une rapidité d’exécution (salaire au rendement), les horaires sont également très contraignants: départ à 6h30 du centre ville d’Angers et retour vers 18h30, ce qui posa problème aux personnes de certains quartiers (Belle-Beille et Verneau) et surtout pour celles des communes périphériques, car les premiers bus desservant le centre ville n’y parvenaient que plus tard. De même, ces horaires ne permettaient pas aux femmes ayant de jeunes enfants de pouvoir les placer en garderies: elles n’ont donc pas pu bénéficier de l’opération. Sur les 59 RMIstes ayant utilisé le car (entre le 6 septembre et le 28 octobre 1999), seuls 30 ont effectivement travaillé pour une durée de 4 à 8 semaines, les autres n’ayant travaillé que pour une durée de 1 à 5 jours. Cependant, ce taux d’échec n’est pas plus important qu’avec d’autres publics: ainsi, l’un des arboriculteurs avait de plus recruté 21 jeunes, mais 20 d’entre-eux ont abandonné dès les premiers jours... Globalement, les défections ont eu lieu lors des deux premières semaines, puis à l’arrivée des premières pluies. Ensuite, l’effectif constitué est resté à peu près stable jusqu’à la fin de l’opération. Une personne a même poursuivi son contrat chez l’un des employeurs, pour la pose de filet paragrêle, la taille et l’éclaircissage: on peut ici regretter que cette prolongation de contrat ne se soit pas transformée en CDI en temps annualisé. Les employeurs ont noté quelques difficultés avec ces personnes RMIstes: nécessité de renforcer l’encadrement, demandes d’autorisation d’absence importantes (rendez-vous médicaux, avec le service social, un orga3- DDANPE du Maine-et-Loire, service RMI, décembre 1999, rapport sur le bilan de l’opération “cueillette des pommes”, p.3. Mobilité et chômage nisme de formation...), difficultés pour certains à “intégrer” les règles d’un contrat de travail, entraînant un absentéisme sans autorisation (exemple d’un homme habitué à aller faire ses courses le jeudi, absent tous les jeudis!) et illettrisme de certains, posant problème pour remplir les fiches quotidiennes de suivi de productivité. Cependant, ils ont tous souhaité renouveler et étendre l’opération cette année, mais peuvent-ils faire un autre choix face à la pénurie de main d'œuvre? b- Opération “vendanges” dans le Layon pour des jeunes de la MLA À l’image des arboriculteurs du Segréen, certains viticulteurs du Layon éprouvent des difficultés pour recruter des saisonniers. Ce constat a incité la MLA à mettre en place une opération expérimentale d’aide à la mobilité auprès de jeunes inscrits dans le dispositif TRACE (Trajets d’accès à l’emploi), du 20 septembre au 22 octobre 1999. Une convention passée avec la Direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) a permis d’assurer gratuitement le transport matin et soir (départ à 6h40, retour à 19 heures) en car vers les 7 exploitations (5 situées sur la commune de Saint-Aubin-de-Luigné et 2 à Rochefort-sur-Loire). Sur les 36 jeunes concernés par l’opération, 16 ont fait défection pour différentes raisons: - 5 ont arrêté à cause du début d’un autre contrat (4 CES et 1 en apprentissage), - 4 n’ont pas donné suite à leur engagement moral signé au départ, - 6 n’ont pas satisfait leurs employeurs respectifs, mais une réorientation sur une autre exploitation a parfois permis de remobiliser ces jeunes, - 1 a dû arrêter en raison d’un handicap visuel. Globalement, cette opération a été très bien accueillie tant par les jeunes que par les employeurs. Elle a de plus été pour les jeunes concernés une occasion d’acquérir une première expérience professionnelle, même si elle demeure très insuffisante dans le cadre de TRACE (obligation d’obtention d’un CDI ou d’un CDD d’au moins six mois pour au minimum 50 % des jeunes inscrits dans le dispositif). Enfin, elle a permis à la mission locale angevine de se positionner comme acteur, force de proposition, ce qui lui manque trop souvent face à des jeunes de plus en plus exigeants et revendicatifs: comme le notait l’un des jeunes, “pour une fois, on est vraiment aidé”. Pour conclure, ces deux opérations doivent être recon- 33 duites et étendues 4 en 2000, car pour l’ensemble des organismes impliqués, elles ont enregistré un vrai succès. Cependant, si ces deux opérations-pilotes illustrent une première prise en compte du problème de la mobilité des chômeurs par les organismes de lutte contre le chômage et l’exclusion, elles soulèvent aussi un certain nombre de questions. La première remarque concerne la méthode, qui paraît finalement peu “orthodoxe” dans une démarche censée faciliter l’insertion des chômeurs: au lieu de partir des compétences, de la volonté et du profil des chômeurs à insérer, on part ici du besoin des entreprises locales et l’on positionne ensuite les personnes susceptibles de convenir à ce besoin. Il semble ici y avoir une inversion du mode de fonctionnement classique: s’agit-il d’une nouvelle vision de l’insertion, prenant davantage en considération les conditions dictées par le marché local du travail 5 ? Doit-on voir, au travers de ces opérations, l’application “territorialisée” des politiques de lutte contre l’exclusion aujourd’hui revendiquée? Lors des différents entretiens préparatoires à cette présentation, on a été frappé par le désintérêt des institutions à l’égard des chômeurs ayant bénéficié de ces opérations: quelles conséquences réelles, hormis un apport financier ce qui n’est cependant pas négligeable? En quoi ces opérations s’inscrivaient-elles dans un programme plus vaste de reconduite vers l’emploi? Ce manque de suivi semble conforter notre première observation... Une seconde remarque concerne davantage l’organisation même de ces opérations. Dans les deux cas, le coût du transport a été supporté soit par le Conseil Général, soit par la DDTEFP. Ces institutions ont-elles vocation à financer le transport des employés d’établissements privés? Ne se substituent-elles pas à des transports en commun insuffisamment développés, qui relèveraient du service public? Par ailleurs, alors que certains travailleurs sociaux 4- En plus de l’augmentation du nombre de cars et d’établissements desservis, une opération identique devrait être montée dans le Saumurois pour la cueillette des fraises. 5- Il n’est pas ici question de remettre en cause le jeu du marché : il faut naturellement inciter les personnes à rechercher un emploi dans les secteurs créateurs d’emplois. Cependant, le fait de positionner des personnes sur des offres qui ne les intéressent pas vraiment (l’accord de principe peut parfois être donné comme cage de bonne volonté face au travailleur social) risque le plus souvent de conduire vers un échec, dommageable tant pour l’employeur que pour l’employé. N° 15, mars 2001 E E SO O 34 Mobilité et chômage notent une inflation des exigences de la part des chômeurs, la mise en place de ce type de service risque à terme de favoriser une demande sociale encore plus forte. Enfin, si certains employés bénéficient d’un transport gratuit jusqu’à l’exploitation, cela risque de poser des problèmes internes, préjudiciables à l’intégration de ces chômeurs parmi l’ensemble des employés de l’établissement. De plus, sur l’ensemble des arboriculteurs du Segréen ou des viticulteurs du Layon, rares sont ceux qui ne parviennent pas à recruter suffisamment de saisonniers. Dans de nombreuses exploitations, les saisonniers reviennent tous les ans, et le bouche à oreille permet de remplacer ceux qui ne peuvent plus venir. Les quelques employeurs rencontrant des difficultés de recrutement sont généralement ceux proposant les moins bonnes conditions de travail, tant du point de vue financier que de la convivialité. La difficulté de recruter serait souvent moindre si les conditions de travail étaient meilleures, à l’image de ce que l’on observe dans le secteur du bâtiment... Il s’avère que la difficulté de mobilité des chômeurs, n’est qu’un révélateur de difficultés plus profondes qu’ils rencontrent pour se projeter dans une dynamique d’insertion. Enfin, l’accès à un moyen de locomotion peut aussi relever de la volonté de se donner un statut: un homme peut souhaiter avoir une voiture comme un jeune peut souhaiter avoir un scooter et non une mobylette... Dans ce dernier cas, le moyen de locomotion, synonyme de mobilité, a en fait davantage une raison sociale que pratique: son rôle est d’abord lié à la proximité sociale avant d’être, s’il l’est encore, un moyen d’étendre son territoire de proximité. Travaux et documents