mobilité et chômage. les opérations-pilotes menées en maine

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mobilité et chômage. les opérations-pilotes menées en maine
MOBILITÉ ET CHÔMAGE.
LES OPÉRATIONS-PILOTES MENÉES EN MAINE-ET-LOIRE EN 1999
LIONEL GUILLEMOT
29
CARTA - UNIVERSITÉ D’ANGERS
ESO
’absence de mobilité des chômeurs est largement reconnue comme l’un des facteurs explicatifs de leurs difficultés pour accéder à l’emploi.
Cependant, si cette donnée semble admise par une large
majorité, cette affirmation repose le plus souvent sur
quelques cas présentés comme exemplaires, et non pas
sur des études plus larges, car les données statistiques
font défaut.
En 1999, des opérations-pilotes temporaires ont été
menées en Maine-et-Loire afin de faciliter la mobilité des
chômeurs. Au-delà du caractère innovant de ces opérations, organisées par l’ANPE et la Mission locale angevine
(MLA), elles illustrent aussi la récente prise en compte de
ce problème par les acteurs de la lutte contre le chômage
et l’exclusion. Cependant, le fait de faciliter temporairement
la mobilité des chômeurs montre en fait que ce facteur
n’est parfois que secondaire, et que d’autres problèmes
peuvent expliquer le maintien au chômage.
L
I- SITUATION DU CHÔMAGE
EN MAINE-ET-MOIRE
Le département du Maine-et-Loire, comme l’ensemble
de la région des Pays de la Loire, enregistrent aujourd’hui
des taux de chômage légèrement inférieurs à la moyenne
nationale (respectivement 10,1 % et 9,9 % contre 10,6 %
à la fin décembre 1999 en données corrigées des varia-
- UMR 6590
tions saisonnières). Cependant, les espaces urbains enregistrent des taux de chômage supérieurs à la moyenne
nationale et régionale.
La concentration 1 des logements sociaux et des
moyens des politiques de lutte contre le chômage et l’exclusion ont favorisé la concentration des chômeurs dans
les principaux pôles urbains. Cette situation se retrouve en
Maine-et-Loire, où la majorité des chômeurs comme des
RMIstes sont concentrés dans la zone d’emploi d’Angers
(tableau 1).
À l’inverse, les espaces ruraux enregistrent de faibles
taux de chômage et n’accueillent que très peu de chômeurs. Aux périodes de forte activité saisonnière (récolte
des pommes, vendanges), le nombre de chômeurs locaux
s’avère très inférieur à la demande de travailleurs saisonniers, d’autant que tous ne peuvent pas forcément réaliser
ces travaux éprouvants physiquement. Les arboriculteurs
du Segréen, par exemple, avaient donc recours à des travailleurs saisonniers étrangers, venus notamment d’Europe de l’Est.
En 1999, la Direction départementale du travail, de
l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) a
suggéré au préfet d’interdire ce recours afin de favoriser
l’embauche des chômeurs locaux, notamment de ceux
concentrés à Angers. Elle s’engage par ailleurs à mettre en
place des moyens afin d’aider à la mobilité des Angevins
vers le Segréen: cette démarche explique la mise en place
Tableau 1 : Répartition géographique des chômeurs et des RMIstes
à la fin 1999 en Maine-et-Loire
Zones d’emploi
DEFM
cat. 1
% DEFM cat. 1
de l’ens. des Z.E.
Commissions locales
d’Insertion (CLI)
Angers
Choletais
Saumur-Baugé
1 55 2 8
6 145
5 421
54%
21,4%
18,9%
Segréen SudMayenne
Total des 4 Z.E.
1 653
5,7%
Angers et couronne
Cholet
Saumur
Baugé
Segré
2 87 4 7
100%
Maine-et-Loire
% RMIstes du
département
57%
14%
16%
7%
6%
100%
1- cf. G UILLEMOT L. , 2000, Chômage et chômeurs en PoitouCharentes, université de Poitiers, thèse de Doctorat (Géographie), Poitiers, 420 p.
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Mobilité et chômage
de l’une des deux opérations-pilotes, sur laquelle nous
reviendrons.
Le succès des vendanges dans le Layon auprès des
étudiants a par ailleurs incité la Mission locale angevine à
expérimenter auprès de ses jeunes inscrits une opération
similaire d’aide à la mobilité vers le Layon: ce sera notre
deuxième exemple d’opération-pilote.
II- TENTATIVE D’ÉVALUATION DU PROBLÈME
DE
LA MOBILITÉ
En l’absence de données disponibles sur la mobilité
des chômeurs, nous avons demandé à la Mission locale
angevine (MLA) d’effectuer un tri à partir de ses 6285 inscrits en 1999. L’analyse de ce fichier permet une première
évaluation de la mobilité des jeunes chômeurs angevins,
mais souffre de sa non-réactualisation: les situations sont
enregistrées lors de la première inscription, or certains
chômeurs, pour faire face à des problèmes financiers, doivent parfois se séparer de leur moyen de locomotion, ce
qui n’est pas sans incidence sur leur mobilité. Par ailleurs,
le public, uniquement constitué de jeunes de 16 à 26 ans,
ne peut pas être parfaitement représentatif de l’ensemble
des chômeurs du département. De plus, certains jeunes
qui ne possédaient pas le permis de conduire lors de leur
inscription, ont pu par la suite l’obtenir. En raison de ces
limites, nous utiliserons donc ce fichier avec certaines précautions.
L’âge est un facteur limitant de la mobilité géographique. Les plus jeunes chômeurs, vivant encore chez
leurs parents, sont peu mobiles: plus de la moitié des
moins de 22 ans recherche un emploi uniquement à
Angers (tableau 2). Cependant, si la mobilité s’accroît
jusque vers 25 ans (même s’ils ne sont alors que 30 % à
envisager pouvoir aller travailler dans les départements
limitrophes du Maine-et-Loire, voire au-delà), elle diminue
ensuite, et notamment chez les jeunes femmes: l’installation en couple, plus précoce chez les femmes, est alors
souvent un frein à la mobilité géographique.
Les jeunes hommes disposent plus fréquemment que
les jeunes femmes d’un moyen de locomotion, mais l’écart
est surtout important chez les moins âgés: 33 % des
jeunes hommes de 16-17 ans disposent d’un cyclomoteur
contre seulement 11 % des jeunes filles. Elles disposent
par contre plus rapidement d’une automobile: 45,6 % des
22-25 ans contre 40% chez les jeunes hommes. Ceci peut
s’expliquer par le fait que, toutes classes d’âges confondues, elles sont également plus nombreuses à être titulaires d’un permis de conduire, ce qui peut d’ailleurs être à
rapprocher des niveaux d’étude plus élevés enregistrés
chez elles. En effet, 86% des jeunes chômeurs possédant
le niveau I ou II (licence et plus) disposent d’un permis de
conduire contre seulement 9,3 % de ceux n’ayant que le
niveau VI (5 e-4e). Cette dernière caractéristique est bien
connue des chefs d’entreprise, qui exigent souvent le
permis de conduire lorsqu’ils recrutent, y compris pour des
emplois faiblement qualifiés ne le nécessitant pas. Ils s’assurent ainsi que la personne recrutée à un certain niveau
global de compréhension : la possession du permis peut
donc faciliter l’accès à l’emploi, y compris pour des emplois
ne nécessitant pas d’être mobile.
Enfin, plus le niveau d’étude est élevé et plus les
jeunes sont mobiles géographiquement (tableau 3). Si
Tableau 2 : Mobilité géographique des jeunes chômeurs angevins en 1999
Hommes (nbre et %)
au sein du quartier ou à la Ville
Départements limitrophes
et au-delà
Femmes (nbre et %)
au sein du quartier ou à la Ville
Départements limitrophes
et au-delà
Disposent d’un moyen de locomotion
motorisé (auto, cyclo ou moto) :
Hommes
Femmes
Titulaires d’un permis de conduire :
Hommes
Femmes
(Source : MLA, 2000)
Travaux et documents
16/17 ans
111
59%
12
6,4%
71
59,2%
12
10%
18/21 ans
652
53,1%
275
22,4%
730
52,2%
265
19%
22/25 ans
534
45,8%
355
30,5%
649
44,1%
451
30,7%
> ou = 26 ans Total
99
1396
49,3%
50,2%
61
703
30,3%
25,3%
104
1554
46,6%
48,4%
52
780
23,3%
24,3%
34,6%
12,5%
40%
26,3%
49,2%
47,5%
50%
48,2%
44,4%
37,3%
0%
1,7%
23,3%
27,5%
53,8%
55,9%
54,3%
56,9%
37,3%
42%
Mobilité et chômage
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Tableau 3 : Niveaux d’étude et mobilité des jeunes chômeurs angevins en 1999
Niveaux I
Mobilité limitée au quartier
ou à la Ville
0%
aux départements limitrophes
et au-delà
100%
% disposant d’une voiture
75%
II
III
IV
V
Vb
VI
30,8%
30,7%
39,1%
49,3%
55%
65,6%
39,1%
68,8%
43,8%
65,2%
32,7%
46,3%
20,7%
28,1%
13,6%
11,2%
11,2%
6%
(Source : MLA, 2000)
100 % des jeunes possédant le niveau I sont mobiles au
minimum jusqu’aux départements limitrophes du Maine-etLoire (mais l’effectif est très faible: seulement 12 jeunes
concernés, contre 170 ayant le niveau II), cette proportion
chute brutalement à moins de 40 % pour ceux ayant le
niveau II. Enfin, à partir du niveau du baccalauréat
(niveau IV), ceux n’envisageant pas de quitter Angers sont
plus nombreux que ceux qui accepteraient de se rendre
dans les départements limitrophes.
D’après les travailleurs sociaux rencontrés, cette mobilité se fait plus aisément vers les villes moyennes et grandes
que vers les espaces ruraux, même plus proches: un jeune
accepte plus facilement d’aller travailler à Nantes qu’à
Segré ou Vihiers. La mobilité est en effet en partie liée au
contexte socio-culturel, à l’offre de loisirs dans l’espace d’accueil. Les jeunes effectuent sans problème plus de 100 kilomètres pour assister à un concert, mais ne sont pas prêts à
abandonner leurs amis, leurs habitudes... pour un bourg de
campagne où ils auront le sentiment d’être isolés, sans
repère.
Les plus diplômés disposent plus fréquemment d’une
voiture, mais il doit ici y avoir un effet lié à l’âge: ceux ayant
poursuivi des études supérieures sont en moyenne plus
âgés que ceux ayant arrêté leurs études plus tôt. De plus,
l’inégal accès aux études supérieures des différentes catégories sociales explique aussi que les plus diplômés, issus
plus fréquemment de familles aisées, aient plus facilement
les moyens d’acquérir une voiture. Les conditions financières de vie des chômeurs interfèrent en effet directement
sur leur mobilité: les RMIstes du département, inscrits à
l’ANPE en 1999, étaient 50 % à ne pas disposer d’un
moyen de locomotion, 20 % déclaraient avoir une mobylette ou un vélo, et ils n’étaient que 30 % à disposer d’une
voiture (mais beaucoup doivent ensuite s’en séparer,
n’ayant plus les moyens de l’entretenir et/ou de l’assurer).
Globalement, derrière le problème de la mobilité se
cache souvent le problème des dépenses qu’elle induit:
coût du permis de conduire, coût d’achat et d’assurance
d’un véhicule, coût de fonctionnement et d’entretien
(essence, réparations éventuelles). Des aides sont parfois
versées, mais elles demeurent peu nombreuses et ponctuelles, d’où l’argument du coût souvent utilisé par les chômeurs pour expliquer-justifier leur faible mobilité. De
même, le coût de la location d’un logement ou des transports est souvent avancé pour justifier le refus d’une formation ou d’un contrat de travail, notamment en milieu
rural où l’argument financier est souvent mis en avant par
les parents.
La faible mobilité des chômeurs peut aussi être un
frein pour accéder à un emploi. Ce frein est parfois plus
psychologique que réel, ainsi, dans le Segréen, les chômeurs ne peuvent concevoir d’obtenir un emploi dans le
département voisin de la Mayenne, parfois distant de seulement quelques kilomètres.
En conclusion, cette étude montre, au-delà de caractéristiques finalement logiques et connues, même si elles ne
sont pas ou mal mesurées, que le problème de la mobilité
est général à l’ensemble des catégories. On est frappé par
la forte proportion de jeunes qui n’envisagent pas de
quitter leur ville: la moitié de l’effectif ! De gros efforts
seraient donc nécessaires afin de sensibiliser les chômeurs à cette question: le fait d’accepter d’être mobile,
c’est souvent déjà se positionner de façon positive dans sa
recherche d’emploi. Si les politiques de lutte contre le chômage et l’exclusion ont longtemps laissé de côté ce problème, quelques expérimentations voient peu à peu le jour,
à l’image de deux opérations-pilotes tentées l’été dernier
en Maine-et-Loire.
III- PRISE
MOBILITÉ :
EN COMPTE DU PROBLÈME DE LA
EXEMPLE DE DEUX OPÉRATIONS-
PILOTES
Le problème de la mobilité des chômeurs, régulièrement évoqué, ne semble pas avoir été véritablement pris
en compte avant une période très récente. Ainsi, la ville
d’Angers ne dispose pas encore d’un service de prêt de
mobylettes destiné aux plus démunis (jeunes notamment),
contrairement à ce qui s’est fait dans l’essentiel des villes
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Mobilité et chômage
de l’Hexagone. Ceci devrait néanmoins se mettre en place
prochainement, afin de faciliter certains déplacements,
notamment vers des secteurs de l’agglomération non desservis par les lignes de bus ou pour des déplacements à
horaires décalés (exemple des métiers de l’entretien-nettoyage).
Le Conseil général du Maine-et-Loire a par ailleurs
arrêté voici environ un an un tarif spécifique (1/2 Euro, soit
3,30 F) par trajet sur le réseau Anjou-bus, destiné aux chômeurs, aux RMIstes... (disposant de moins de 80 % du
SMIC net). Cette aide est surtout destinée à faciliter les
démarches de recherche d’emploi des chômeurs des
espaces ruraux, notamment vers Angers, mais elle peut
aussi leur permettre de se déplacer à moindre coût pour
toute autre chose, facilitant ainsi le maintien de liens
sociaux, en luttant indirectement contre l’isolement (lié au
problème de la mobilité réduite) de ces jeunes en milieu
rural.
Enfin, il existe quelques autres mesures ponctuelles
(aide financière pour le permis de conduire, etc.), mais
l’ensemble des aides à la mobilité demeurait marginal et
était peu mis en avant par les différents organismes. Un
bouleversement s’est produit à la fin de l’été 1999 avec la
mise en place de deux opérations-pilotes, basées toutes
les deux sur la mise à disposition de cars pour que des
chômeurs angevins puissent accéder à des emplois saisonniers: un car conduisait des RMIstes vers Morannes
(canton de Durtal) pour la cueillette de pommes, un autre
conduisait des jeunes vers le Layon2 pour les vendanges,
sur la commune de Saint-Aubin-de-Luigné (canton de
Challonnes-sur-Loire).
a- Opération “cueillette de pommes” dans le
Segréen pour des RMIstes angevins
En 1999, l’ANPE d’Angers-Lafayette a recueilli 2 000
offres d’emplois saisonniers pour la cueillette des
pommes, 500 postes pour les vendanges et 140 en maraîchage. Or, les employeurs éprouvent une grande difficulté
pour recruter cette main-d'œuvre saisonnière, particulièrement à partir des rentrées scolaire et universitaire: il y a
parfois jusqu’à 1/3 d’emplois non pourvus.
D’un autre côté, on recensait 6000 bénéficiaires du
RMI sur les commissions locales d’insertion (CLI) d’Angers, dont 3000 demandeurs d’emploi, près des 3/4
(2160) résidant sur la ville d’Angers. Devant ce constat, la
2- cf. à ce sujet l’article de Ouest-France du 28/10/1999.
Travaux et documents
Direction départementale de l’ANPE propose d’organiser à
titre expérimental un transport gratuit vers le canton de
Durtal, afin de “permettre à une population non mobile d’effectuer la saison arboricole et favoriser ainsi son insertion
professionnelle à plus long terme” 3, tandis que le Conseil
Général (budget RMI) finance le coût du transport. Cependant, en dépit de leur difficulté de recrutement, les arboriculteurs s’avèrent dans un premier temps méfiants vis-àvis de cette main d'œuvre RMIste ayant “perdu l’habitude
du travail”, et craignant son “manque de rapidité et d’adaptabilité”... Ils reviendront sur leur jugement après avoir rencontré des RMIstes lors d’une première journée d’information sur le site.
Si les conditions de travail sont rudes (1 200 kg de
pommes manipulés par jour), et nécessitent une bonne
résistance aux intempéries et une rapidité d’exécution
(salaire au rendement), les horaires sont également très
contraignants: départ à 6h30 du centre ville d’Angers et
retour vers 18h30, ce qui posa problème aux personnes
de certains quartiers (Belle-Beille et Verneau) et surtout
pour celles des communes périphériques, car les premiers
bus desservant le centre ville n’y parvenaient que plus
tard. De même, ces horaires ne permettaient pas aux
femmes ayant de jeunes enfants de pouvoir les placer en
garderies: elles n’ont donc pas pu bénéficier de l’opération.
Sur les 59 RMIstes ayant utilisé le car (entre le 6 septembre et le 28 octobre 1999), seuls 30 ont effectivement
travaillé pour une durée de 4 à 8 semaines, les autres
n’ayant travaillé que pour une durée de 1 à 5 jours. Cependant, ce taux d’échec n’est pas plus important qu’avec
d’autres publics: ainsi, l’un des arboriculteurs avait de plus
recruté 21 jeunes, mais 20 d’entre-eux ont abandonné dès
les premiers jours... Globalement, les défections ont eu
lieu lors des deux premières semaines, puis à l’arrivée des
premières pluies. Ensuite, l’effectif constitué est resté à
peu près stable jusqu’à la fin de l’opération. Une personne
a même poursuivi son contrat chez l’un des employeurs,
pour la pose de filet paragrêle, la taille et l’éclaircissage: on
peut ici regretter que cette prolongation de contrat ne se
soit pas transformée en CDI en temps annualisé.
Les employeurs ont noté quelques difficultés avec ces
personnes RMIstes: nécessité de renforcer l’encadrement, demandes d’autorisation d’absence importantes
(rendez-vous médicaux, avec le service social, un orga3- DDANPE du Maine-et-Loire, service RMI, décembre 1999,
rapport sur le bilan de l’opération “cueillette des pommes”, p.3.
Mobilité et chômage
nisme de formation...), difficultés pour certains à “intégrer”
les règles d’un contrat de travail, entraînant un absentéisme sans autorisation (exemple d’un homme habitué à
aller faire ses courses le jeudi, absent tous les jeudis!) et
illettrisme de certains, posant problème pour remplir les
fiches quotidiennes de suivi de productivité. Cependant, ils
ont tous souhaité renouveler et étendre l’opération cette
année, mais peuvent-ils faire un autre choix face à la
pénurie de main d'œuvre?
b- Opération “vendanges” dans le Layon pour
des jeunes de la MLA
À l’image des arboriculteurs du Segréen, certains viticulteurs du Layon éprouvent des difficultés pour recruter
des saisonniers. Ce constat a incité la MLA à mettre en
place une opération expérimentale d’aide à la mobilité
auprès de jeunes inscrits dans le dispositif TRACE (Trajets
d’accès à l’emploi), du 20 septembre au 22 octobre 1999.
Une convention passée avec la Direction départementale
du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle
(DDTEFP) a permis d’assurer gratuitement le transport
matin et soir (départ à 6h40, retour à 19 heures) en car
vers les 7 exploitations (5 situées sur la commune de
Saint-Aubin-de-Luigné et 2 à Rochefort-sur-Loire).
Sur les 36 jeunes concernés par l’opération, 16 ont fait
défection pour différentes raisons:
- 5 ont arrêté à cause du début d’un autre contrat (4
CES et 1 en apprentissage),
- 4 n’ont pas donné suite à leur engagement moral
signé au départ,
- 6 n’ont pas satisfait leurs employeurs respectifs, mais
une réorientation sur une autre exploitation a parfois
permis de remobiliser ces jeunes,
- 1 a dû arrêter en raison d’un handicap visuel.
Globalement, cette opération a été très bien accueillie
tant par les jeunes que par les employeurs. Elle a de plus
été pour les jeunes concernés une occasion d’acquérir une
première expérience professionnelle, même si elle
demeure très insuffisante dans le cadre de TRACE (obligation d’obtention d’un CDI ou d’un CDD d’au moins six
mois pour au minimum 50 % des jeunes inscrits dans le
dispositif). Enfin, elle a permis à la mission locale angevine
de se positionner comme acteur, force de proposition, ce
qui lui manque trop souvent face à des jeunes de plus en
plus exigeants et revendicatifs: comme le notait l’un des
jeunes, “pour une fois, on est vraiment aidé”.
Pour conclure, ces deux opérations doivent être recon-
33
duites et étendues 4 en 2000, car pour l’ensemble des
organismes impliqués, elles ont enregistré un vrai succès.
Cependant, si ces deux opérations-pilotes illustrent une
première prise en compte du problème de la mobilité des
chômeurs par les organismes de lutte contre le chômage
et l’exclusion, elles soulèvent aussi un certain nombre de
questions.
La première remarque concerne la méthode, qui paraît
finalement peu “orthodoxe” dans une démarche censée
faciliter l’insertion des chômeurs: au lieu de partir des compétences, de la volonté et du profil des chômeurs à insérer,
on part ici du besoin des entreprises locales et l’on positionne ensuite les personnes susceptibles de convenir à ce
besoin. Il semble ici y avoir une inversion du mode de fonctionnement classique: s’agit-il d’une nouvelle vision de l’insertion, prenant davantage en considération les conditions
dictées par le marché local du travail 5 ? Doit-on voir, au
travers de ces opérations, l’application “territorialisée” des
politiques de lutte contre l’exclusion aujourd’hui revendiquée?
Lors des différents entretiens préparatoires à cette présentation, on a été frappé par le désintérêt des institutions
à l’égard des chômeurs ayant bénéficié de ces opérations:
quelles conséquences réelles, hormis un apport financier
ce qui n’est cependant pas négligeable? En quoi ces opérations s’inscrivaient-elles dans un programme plus vaste
de reconduite vers l’emploi? Ce manque de suivi semble
conforter notre première observation...
Une seconde remarque concerne davantage l’organisation même de ces opérations. Dans les deux cas, le coût
du transport a été supporté soit par le Conseil Général, soit
par la DDTEFP. Ces institutions ont-elles vocation à
financer le transport des employés d’établissements
privés? Ne se substituent-elles pas à des transports en
commun insuffisamment développés, qui relèveraient du
service public?
Par ailleurs, alors que certains travailleurs sociaux
4- En plus de l’augmentation du nombre de cars et d’établissements desservis, une opération identique devrait être
montée dans le Saumurois pour la cueillette des fraises.
5- Il n’est pas ici question de remettre en cause le jeu du
marché : il faut naturellement inciter les personnes à rechercher un emploi dans les secteurs créateurs d’emplois. Cependant, le fait de positionner des personnes sur des offres qui ne
les intéressent pas vraiment (l’accord de principe peut parfois
être donné comme cage de bonne volonté face au travailleur
social) risque le plus souvent de conduire vers un échec, dommageable tant pour l’employeur que pour l’employé.
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Mobilité et chômage
notent une inflation des exigences de la part des chômeurs, la mise en place de ce type de service risque à
terme de favoriser une demande sociale encore plus forte.
Enfin, si certains employés bénéficient d’un transport gratuit jusqu’à l’exploitation, cela risque de poser des problèmes internes, préjudiciables à l’intégration de ces chômeurs parmi l’ensemble des employés de l’établissement.
De plus, sur l’ensemble des arboriculteurs du Segréen
ou des viticulteurs du Layon, rares sont ceux qui ne parviennent pas à recruter suffisamment de saisonniers. Dans
de nombreuses exploitations, les saisonniers reviennent
tous les ans, et le bouche à oreille permet de remplacer
ceux qui ne peuvent plus venir. Les quelques employeurs
rencontrant des difficultés de recrutement sont généralement ceux proposant les moins bonnes conditions de travail, tant du point de vue financier que de la convivialité. La
difficulté de recruter serait souvent moindre si les conditions de travail étaient meilleures, à l’image de ce que l’on
observe dans le secteur du bâtiment...
Il s’avère que la difficulté de mobilité des chômeurs,
n’est qu’un révélateur de difficultés plus profondes qu’ils
rencontrent pour se projeter dans une dynamique d’insertion.
Enfin, l’accès à un moyen de locomotion peut aussi
relever de la volonté de se donner un statut: un homme
peut souhaiter avoir une voiture comme un jeune peut souhaiter avoir un scooter et non une mobylette... Dans ce
dernier cas, le moyen de locomotion, synonyme de mobilité, a en fait davantage une raison sociale que pratique:
son rôle est d’abord lié à la proximité sociale avant d’être,
s’il l’est encore, un moyen d’étendre son territoire de proximité.
Travaux et documents