Date d`évaluation des droits sociaux lors de l`exclusion d`un associé
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Date d`évaluation des droits sociaux lors de l`exclusion d`un associé
Analyses droit des sociétés Date d’évaluation des droits sociaux lors de l’exclusion d’un associé Le temps est un facteur déterminant dans la valorisation des droits sociaux et à plus forte raison lorsque l’associé est tenu de céder ses actions du fait d’une décision d’exclusion. A ce titre, la Cour de cassation décide, aux termes de son arrêt en date du 16 septembre 20141, qu’en l’absence de dispositions statutaires contraires, la valeur des droits sociaux d’un associé exclu est évaluée à la date de la cession future la plus proche. E Par JeanPhilippe Erb, avocat, 1. Cass. Com. 16 septembre 2014, n° 13-17.807, FS-P-B. 2. Cass. Com. 17 juin 2008, n° 06-15.045 – FS-P-B-R. Voir également Cass. com. 17 juin 2008, n° 07-14.965 – FS-PB-R. «Retrait et qualité d’associé… Enfin une solution», RTD Com 2008, p. 588. 3. Cass. Com. 4 mai 2010, n°08-20.693. 4.«Perte de la qualité d’associé : quelle date retenir ?», Maud Laroche, Recueil Dalloz 2009, p 1772. 8 Mercredi 5 novembre 2014 n juillet 2008, un associé d’une société par actions simplifiée fait l’objet d’une décision d’exclusion. Conformément aux dispositions statutaires, l’associé exclu est tenu de céder la totalité de ses actions aux autres associés et est privé des droits non pécuniaires attachés à ses actions. Le prix de cession des actions n’ayant pu être fixé d’un commun accord, un expert a été désigné en application des dispositions de l’article 1843-4 du Code civil afin de déterminer la valeur des actions. Dix-huit mois après l’exclusion de l’associé, le tiers évaluateur remet un rapport aux termes duquel la valeur des parts de l’associé exclu est évaluée à 101 892 euros, au jour de son exclusion, et à 39 600 euros au jour de la cession future la plus proche. Le désaccord subsistant quant à la date à laquelle la valeur des parts devait être évaluée, un recours est formé devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Aux termes de son arrêt en date du 21 mars 2013, la cour d’appel fixe la valeur des actions de l’associé exclu à la date de la cession future la plus proche en retenant que la perte de la qualité d’associé est intervenue «au jour du remboursement de la valeur de ses droits sociaux» et que la valeur des droits sociaux «devait ainsi être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de ses droits». La Cour de cassation valide l’arrêt de la cour d’appel en jugeant que «la suspension de l’exercice des droits non pécuniaires de l’associé tenu de céder ses actions tant qu’il n’a pas procédé à cette cession [est] sans incidence sur sa qualité d’associé» et que la cour d’appel, «ayant relevé que les statuts de la société ne précisaient pas la date à laquelle la valeur des titres de l’associé exclu devait être déterminée et constaté que le tiers estimateur avait fixé […] la valeur des actions à la date la plus proche de la cession future», a fait «l’exacte application des dispositions de l’article 1843-4 du Code civil». La décision rendue par la Cour de cassation est cohérente avec sa jurisprudence antérieure relative aux associés usant de leur droit de retrait. Cependant, il apparaît clairement que les associés ont tout intérêt à fixer dans les statuts de la manière la plus claire et la plus précise possible les conditions de valorisation des actions et notamment la date à laquelle elle intervient. Vers une harmonisation des solutions des associés retrayant et exclus Par sa décision en date du 17 juin 20082, la Cour de cassation avait jugé que «l’associé qui est autorisé à se retirer d’une société civile pour justes motifs par une décision de justice, sur le fondement de l’article 1869 du Code civil, ne perd sa qualité d’associé qu’après remboursement de la valeur de ses droits sociaux». La solution posée par la Cour de cassation s’inspirait des dispositions de l’article 1860 du Code civil qui prévoient qu’en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l’encontre d’un associé d’une société civile «il est procédé, dans les conditions énoncées à l’article 1843-4, au remboursement des droits sociaux de l’intéressé, lequel perdra alors la qualité d’associé». Par décision en date du 4 mai 2010, la Cour de cassation3 s’est prononcée sur la question de la date à laquelle la valeur des droits sociaux de l’associé retrayant doit être déterminée. La Cour de cassation décide qu’en «l’absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l’associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ses droits.» Elle casse ainsi l’arrêt de la cour d’appel qui avait jugé que la valeur des parts sociales de l’associé retrayant devait être arrêtée à la date à laquelle celui-ci a manifesté sa volonté de se retirer. La solution prétorienne posée par les décisions du 17 juin 2008 et du 4 mai 2010 n’a pas manqué de soulever les critiques d’une partie de la doctrine qui fit remarquer d’une part que le remboursement ne se confond pas avec la cession des parts sociales et, d’autre part, que l’article 1860 du Code civil ne vise que la situation de l’associé d’une société civile placé en procédure collective4. Analyses En retenant que «la suspension de l’exercice des droits non pécuniaires de l’associé tenu de céder ses actions tant qu’il n’a pas procédé à cette cession [est] sans incidence sur sa qualité d’associé» et que la valeur des actions de l’associé exclu devait être déterminée à la date «la plus proche de la cession future», la Cour de cassation se réfère uniquement à la date de la cession des actions et, contrairement à la cour d’appel, abandonne toute référence au remboursement des droits sociaux. Pour autant, et à l’instar de la solution posée pour les associés retrayants, la Cour de cassation laisse entendre que la valeur des actions de l’associé exclu doit être déterminée à la date de «la cession la plus proche» et non pas à la date de la décision d’exclusion. La décision commentée conduit donc à une certaine harmonisation quant à la date à laquelle est déterminée la valeur des droits sociaux pour les associés retrayant et exclus. Toutefois, cette solution est susceptible d’être en pratique particulièrement préjudiciable pour l’associé exclu. Le risque de «double peine» supporté par l’associé exclu Le maintien de la qualité de l’associé retrayant jusqu’au complet remboursement de ses titres permettait d’assurer l’effectivité de son droit de retrait : l’associé retrayant n’étant privé d’aucun droit de nature extrapécuniaire, il peut se prévaloir de l’intégralité des droits résultant de sa qualité d’associé afin d’assurer la défense de ses intérêts. La logique opérant dans le cadre de la mise en œuvre d’une clause d’exclusion est tout autre. Conformément à l’article L. 227-16 du Code de commerce, les statuts «peuvent également prévoir la suspension des droits non pécuniaires de cet associé tant que celui-ci n’a pas procédé à cette cession». La restriction apportée aux droits de l’associé exclu permet d’assurer l’efficacité de son exclusion en l’incitant à céder ses titres rapidement. A ce titre, les statuts peuvent prévoir que l’associé exclu sera privé de son droit de vote et de son droit à l’information. Privation qui, à défaut de dispo- & DROIT AFFAIRES Directeur de la publication : Jean-Guillaume d’Ornano 01 53 63 55 55 Rédactrice en chef : Ondine Delaunay Chambaud 01 53 63 55 61 [email protected] Rédaction : Florent Le Quintrec 01 53 63 55 73 [email protected] Delphine Iweins [email protected] sitions contraires, sera immédiate dès le prononcé de l’exclusion5. Or, en cas d’intervention d’un tiers évaluateur, la cession ne pourra avoir lieu qu’à l’issue d’une expertise dont la durée échappe à la volonté de l’associé exclu. En effet, il n’est pas exceptionnel que l’intervention de l’expert chargé d’évaluer les droits sociaux dure plus d’une année voire plusieurs années. En retenant la date de la cession la plus proche et non pas la date de l’exclusion de l’associé pour déterminer la valeur des actions, l’associé exclu pourrait subir pour ainsi dire une double peine : bien que privé d’une partie des droits attachés à ses actions, il supporte l’augmentation du passif du fait de la dévalorisation de ses parts. En effet, postérieurement à la décision d’exclusion, la valeur des titres pourrait être diminuée du fait de décisions internes des organes sociaux alors même que l’associé exclu serait privé de son droit de vote et du droit à l’information. La détermination statutaire de la date de valorisation. Conforme à la logique contractuelle des sociétés par actions simplifiées, la Cour de cassation rappelle que les statuts peuvent fixer la date à laquelle la valeur des droits sociaux de l’associé exclu doit être déterminée et que, le cas échéant, le tiers évaluateur de l’article 1843-4 du Code civil est tenu de s’y conformer. Il revient donc aux statuts de déterminer la date de valorisation des actions de l’associé tenu de céder ses parts. Celle-ci pourrait être fixée à la date de la réalisation de la cause d’exclusion, à la date de la décision d’exclusion, à la date du transfert des droits sociaux ou encore à la date du remboursement des parts. Par ailleurs, le rappel fait par la Cour de cassation de l’autonomie de la volonté des associés quant au moment de la valorisation des droits sociaux est particulièrement opportun alors que la nouvelle rédaction de l’article 1843-4 du Code civil prévoit que : «L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.» n Editeur & Responsable Commerciale: Lucy Letellier 01 53 63 55 56 [email protected] Assistante : Sylvie Alinc 01 53 63 55 55 [email protected] Conception graphique : Florence Rougier 01 53 63 55 68 Maquettiste : Gilles Fonteny (55 69) Secrétaire générale : Laurence Fontaine 01 53 63 55 54 Responsable des abonnements : Magali Viette 01 53 63 55 58 [email protected] Gabriel Mikulfka a participé à ce numéro 10 rue Pergolèse • 75016 Paris • Tél. 01 53 63 55 55 et Antoine Chatain, avocat associé, Chatain & Associés 5. 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