Note d`intention du metteur en scène, Cyril Pointurier

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Note d`intention du metteur en scène, Cyril Pointurier
Note d’intention du metteur en scène, Cyril Pointurier « J’envisage Créanciers comme un huis-­‐clos. Une femme, deux hommes. A mes yeux, cette pièce est unique en son genre. Son auteur s’empare des conventions du drame bourgeois pour aboutir à un questionnement frontal sur les rapports homme-­‐femme. J’ai envie de jouer avec la dualité de ce matériau. D’une part, en m’appuyant sur l’élégance des costumes, le confort apparent d’une méridienne et les convenances dont l’écriture se repaît faussement. D’autre part en posant un plateau aussi nu que possible afin de permettre au regard de se focaliser sur les rapports de force portés par les interprètes. Trois protagonistes confinés dans un hall d’hôtel déserté. Une femme aimée par deux hommes : son mari et son ex-­‐mari. Une unité de lieu et de temps. Une multiplicité de conflits entre dit et non-­‐dit, passé et présent. En 1888, Strindberg se passionne pour l’inégalité comme moteur des rapports humains (il vient de découvrir la pensée de Nietzche) : inégalité des sentiments amoureux, inégalité socioprofessionnelle, inégalité générationnelle et inégalité des tempéraments nourrissent fortement les personnages de Créanciers. Elle est un auteur connu. Il est un artiste sur le déclin, tandis que le troisième semble être un enseignant en mal de reconnaissance littéraire. Un ex-­‐mari amer qui manipule l’époux de celle qu’il pensait être sienne. La pièce s’ouvre sur la détresse des hommes. Violemment, ils croquent le portrait d’une femme calculatrice et sans amour. Lorsqu’ils se confrontent à elle, qu’elle apparaît sur le plateau, on découvre que Tekla est en vérité une toute autre personne. Et ce n’est pas là l’unique bascule de Créanciers : car dans les reproches qui lui sont adressés se dessine en négatif le carcan qui pèse sur cette femme : son rôle de faire-­‐valoir, la maternité comme obligation morale et surtout son maintien insidieux comme mineure au sein du couple. Or Tekla s’affranchit de ces fardeaux. Peu à peu on devine que si sa liberté paraît intolérable aux deux hommes, c’est parce qu’elle ne fait que mettre à jour leur médiocrité. Tekla refuse d’être utilisée comme un paravent derrière lequel il est valorisant de se dissimuler. Sur le plan dramaturgique, j’observe qu’il y a tous les éléments dans cette pièce pour que le spectateur ressente un subtil embarras – si ce n’est un vrai plaisir – à se découvrir lui aussi manipulé par le stratagème de Gustave, l’ex-­‐mari. Certes, le glaçant portrait qu’il fait de Tekla est approuvé par Adolphe, l’époux actuel, mais ce sont ses propres préjugés sur les clichés de la femme vampirique et dominatrice qui nous poussent à condamner Tekla, alors même qu’elle n’est pas encore entrée en scène. Le procédé élaboré par Strindberg n’est pas seulement habile : il sollicite nos a priori. Lorsque Tekla apparaît, elle respire la joie de vivre. Par contraste avec la souffrance d’Adolphe et l’aigreur de Gustave, son bonheur est suspect. Or, peu à peu, chacun peut réaliser à quel point elle est loin de ce théâtre masculin qui réunit les deux hommes. Tekla est radieuse. Et aimante. A mes yeux, même si ce texte évoque un hall d’hôtel, l’intensité des relations constitue le seul cadre. Il faut que ce cadre soit matérialisé. L’espace doit suggérer une tension asymétrique entre les protagonistes. L’élaboration du stratagème de Gustave doit fonder l’aménagement du plateau. Les images vidéo live projetées sur le sol renforceront le caractère obsédant qu’elles revêtent pour ces deux hommes. Mais elles exalteront aussi la liberté pleinement assumée par cette femme. » Cyril Pointurier / mai 2010